Agir pour éviter que le COVID-19 ne tue dans les camps de réfugiés et bien au-delà

Photo de Dr Mike Ryan (OMS)

 

Il y a quelques jours Priti Patnaik, journaliste pour The New Humanitarian, interrogeait Mike Ryan, qui dirige à l’Organisation mondial de la santé (OMS) le programme d’urgence sanitaire. Épidémiologiste de formation avec 25 ans d’expérience dans des zones de conflit, Mike Ryan met en garde tous les gouvernements qui placent au second plan les programmes de prévention, les opérations de dépistage et l’assistance médicale aux requérants d’asile et aux réfugiés confinés dans des camps où les conditions sanitaires sont alarmantes et la surpopulation inquiétante. Dans ces camps, c’est évident, le potentiel de propagation d’une épidémie comme le Covid-19 est accru alors que l’état de santé sous-jacent des personnes qui y sont confinées est déjà compromis. 

Nous sommes particulièrement préoccupés pour les personnes vivant dans des camps – les Rohingyas vivant au Bangladesh, les personnes vivant dans des camps de déplacés internes en Syrie et au Yémen, les réfugiés vivant au-delà des frontières turques… Le fait est que les systèmes de santé qui les entourent sont déjà faibles et pas nécessairement fonctionnels. Il y a une autre vulnérabilité dont nous ne parlons pas, à savoir la vulnérabilité de l’enfant sous-alimenté ou du réfugié stressé vivant dans un camp surpeuplé. Je crains un peu que l’impact sur ces populations soit potentiellement beaucoup plus important que ce à quoi les gens s’attendent. Mais la dernière chose que je veux, c’est que les réfugiés s’inquiètent de quelque chose de plus. Ils ont déjà de quoi s’inquiéter. Il s’agit ici d’un appel à l’action.”

Selon Mike Ryan, si l’épidémie pénètre dans un camp de réfugié, il est impératif d’y intervenir rapidement afin d’isoler les cas. Parvenir à stopper la propagation de la maladie nécessite d’agir sur trois priorités: la conception du camp, l’espace dans le camp et l’hygiène. 

 

Appel de MSF pour l’évacuation des requérants d’asile bloqués sur les îles grecques

Le 12 mars, l’organisation MSF lançait un appel au gouvernement grec demandant l’évacuation des camps qui se trouvent sur les îles de Lesbos, Samos, Chios, Kos et Leros. Un cas de coronavirus COVID-19 à Lesbos a suscité de nouvelles craintes pour la santé et la sécurité des personnes prises au piège dans ces camps insalubres et exigus. 

Selon l’ONG, la menace d’une épidémie parmi les personnes est réelle à cause du manque d’installations et services sanitaires adéquats et parce que les soins médicaux y sont plus que limités. Selon Hilde Vochten, coordinatrice médicale de MSF en Grèce, il n’y a dans certaines parties du camp de Moria, qu’un seul robinet d’eau pour 1 300 personnes. Beaucoup de personnes n’ont d’ailleurs même pas de savon. Des familles nombreuses s’entassent la nuit dans des tentes humides de 3 mètres carrés. Les mesures recommandées comme le lavage fréquent des mains et l’éloignement social pour éviter la propagation du virus sont impossibles à mettre en pratique.

Dans une lettre adressée aux dirigeants grecs et européens, plusieurs organisations non-gouvernementales européennes ont demandé une action urgente pour protéger et soutenir les familles et les mineurs non accompagnés arrivés en Grèce ces dernières semaines. Elles exigent notamment que toutes les mesures adéquates soient prises afin de les protéger.

La Grèce a annoncé mardi 17 mars une série de nouvelles mesures d’urgence afin d’empêcher la propagation du COVID-19 à l’intérieur des centres d’accueil et des camps. Mais ces dernières ne feront probablement qu’empirer la situation. Parmi ces mesures, il y a celle de contrôler la santé des demandeurs d’asile nouvellement arrivés sur le continent et les îles et celle de suspendre l’entrée du personnel de plusieurs ONG dans les camps et ce pendant au moins 14 jours. L’UNICEF s’inquiète des restrictions aux frontières européennes visant à ralentir la propagation du coronavirus. Ces mesures affectent aussi les plans de transfert de centaines de requérants mineurs non accompagnés des îles grecques vers d’autres États membres de l’UE. Un drame pour des centaines d’enfants qui ne pourront pas rejoindre leurs familles. 

Situation en Bosnie 

Selon le HCR, il y a actuellement environ 7 000 requérants d’asile en Bosnie. Beaucoup sont situés dans les camps de Tuzla, Bihac et Velika Kladusa, à la frontière croate, où ils vivent dans des conditions exiguës dans des bâtiments abandonnés ou des gares désaffectées. Beaucoup d’entre eux vivent sans électricité, chauffage ou eau potable. Les médecins disent que si le virus s’y propage ce serait dramatique. 

Nous n’avons pas de place pour les mettre en quarantaine“, a déclaré au Guardian Semra Okanović, médecin à Velika Kladuša, une ville proche de la frontière croate. «Nous n’avons pas assez de tests pour notre population, et nous n’en avons pas pour les migrants. Et vraiment, nous ne savons pas si certains d’entre eux ont été infectés ou non. » 

Situation en France

En France, 24 organisations ont envoyé une lettre au gouvernement français et aux maires de Calais et de Grande-Synthe les implorant d’intervenir auprès des réfugiés et migrants qui se trouvent dans le nord de la France. Parmi elles, Médecins du Monde et Refugee Rights Europe dénoncent une situation très grave. Les migrants manquent de tout et vivent dans des conditions sanitaires déplorables. Selon elles, le gouvernement français doit prendre des mesures d’urgence pour l’hébergement, l’alimentation, l’accès à l’eau chaude et au savon et ce dans le but de prévenir et freiner autant que possible la propagation du virus Covid-19 au sein de ce groupe vulnérable et au-delà.

En Suisse, plusieurs associations demandent un moratoire sur les procédures d’asile 

Plusieurs associations demandent au Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) de prendre des mesures exceptionnelles en faveur des requérants d’asile dans les centres fédéraux d’asile (CFA). Ces centres hébergent des centaines de personnes et l’accès aux soins médicaux y est déjà passablement restreint. Ces associations demandent un moratoire sur toute la procédure d’asile mais la continuation de l’enregistrement des nouvelles demandes. D’autres demandes importantes ont été soumises en faveur des personnes qui ont reçu des décisions de renvoi Dublin vers l’Italie, des personnes en détention administrative et des sans-papiers en Suisse. 

Ne laisser personne derrière nous

Une réfugiée syrienne rencontrée récemment à Genève me disait qu’elle avait tellement de chance de ne pas être bloquée à Moria. Elle pensait  tous les jours à celles et ceux qui se trouvent aujourd’hui là-bas. Pour elle comme pour l’OMS, les gouvernements feraient bien de ne pas laisser les réfugiés de côté.

Je crains que les gouvernements ne fassent rien pour des personnes qui ont été forcées de fuir leur pays d’origine, qui ont tout perdu et qui survivent tant bien que mal dans des camps et dans des conditions abjectes. Mais la vérité est que les Etats, pour sauver leurs citoyens, doivent sauver toutes celles qui se trouvent sur leur territoire, un virus ne distingue pas le Français, du Suisse, de l’Américain, du Syrien, du migrant sans-papiers, du réfugié. Alors nous devons combattre ensemble, main dans la main.”

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Jasmine Caye

Avec une expérience juridique auprès des requérants d'asile à l'aéroport de Genève, Jasmine Caye aime décrypter l'information sur les réfugiés et les questions de migration. Elle a présidé le Centre suisse pour la défense des droits des migrants (CSDM) et continue d'assister des personnes en procédure d'asile. Les articles sur ce blog paraissent en version courte sur un autre blog ForumAsile.