Un document vidéo ambitieux publié le 23 janvier par le New York Times montre comment une équipe de gardes-côtes libyens, intervenus sur les lieux d’un naufrage le 6 novembre 2017, a laissé 20 migrants se noyer en mer, littéralement sous ses yeux. Parmi les garde-côtes plusieurs personnes avaient reçu une formation de l’Union européenne. Ce document a été soumis à la Cour européenne des droits de l’homme en mai 2018 dans le cadre d’une requête contre l’Italie au nom des survivants et des parents de deux enfants décédés après le naufrage.
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Parmi tant d’autre un drame qui aurait pu être évité
Sur les lieux du drame le navire de l’ONG allemande Sea-Watch arrive peu après les libyens et démarre son opération rapidement pour sauver autant de naufragés que possible. Mais l’équipage du Sea-Watch peine à venir en aide aux naufragés très dispersés et constate que les gardes-côtes ne font rien pour sauver les personnes ou font semblant de leur jeter des bouées trop loin des victimes qui se noient. D’autres migrants sont battus une fois sortis de l’eau, d’autres sont littéralement repoussés alors qu’ils essaient de s’agripper aux cordes pour se hisser. En tout 47 migrants ont été ramenées vers d’horribles conditions de détention en Libye.
Un travail de recherche et de journalisme exemplaire
Ce documentaire a été produit grâce au long travail de collaboration des journalistes d’investigation du New York Times, The Times, experts légistes (Forensic Architecture, Forensic Oceanography) et des rescapés retrouvés en Europe. Aucun documentaire n’a aussi bien montré les dangers de la traversée pour toutes ces personnes enfin libérées des centres de détention en Libye, ni les peurs des migrants sur le point de disparaître au fond de la mer, ni l’insoutenable impuissance des humanitaires qui voient une personne couler à juste trois mètres. Aucun documentaire n’a aussi bien exposé la confrontation chaotique entre les gardes-côtes libyens – financés par l’Union européenne – et les navires de sauvetages des organisations humanitaires.
Le message du film
Fondamentalement, ce film révèle surtout comment les politiques anti-réfugiés et anti-migrants en Europe ont aggravé la crise. Depuis 2014, 16’000 migrants ont disparu noyés en Méditerranée. Durant le week-end du 19 et 20 janvier dernier, plus de 100 personnes ont trouvé la mort au large des côtes libyennes. Depuis le 19 janvier, 47 rescapés se trouvent à bord du Sea Watch à quelques kilomètres de Syracuse empêchés de débarquer en Italie. Le 23 janvier, l’Allemagne suspendait brusquement le déploiement d’un navire de guerre allemand destiné à la mission Sophia de l’Union européenne accusant le commandement italien de la mission de détourner les forces navales allemandes des activités de sauvetage en mer.
Le Conseil présidentiel en Libye estime qu’il y a 800’000 migrants illégaux qui circulent librement en Libye et 20’000 migrants détenus dans des centres officiels. Combien sont-ils dans les lieux cachés? Difficile à dire mais une chose est sûre, les traversées continueront en 2019 car la Libye et ces centres sont un cauchemar sans nom. Le dernier rapport de l’organisation Human Rights Watch “No Escape from Hell” (Janvier 2019) présente en détails toutes les souffrances endurées dans les centres libyens.
Que faut-il de plus aux gouvernements européens (y compris la Suisse) pour comprendre qu’il est temps d’organiser correctement les sauvetages en Méditerranée et les débarquements sur sol européen?
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Horrible!
Mais que répondez-vous à la réalité des chiffres?, soit que s’il n’y a pas de bateaux affrétés par les ONGs, les réfugiés ne tentent pas la traversée au péril de leur vie sur de frèles embarcations et donc ne meurent pas en mer??
A voir la baisse très importante des dèces depuis que l’Aquarius est à la quai (vous contestez ces chiffres?)… et l’augmentation significative des décès depuis que le bateau espagnol et hollandais a repris les sauvetages au large de Tripoli (et si l’on regarde les dates, on voit qu’ils ne répondaient pas à une hausse des décès mais ont incité les gens à partir par leur présence):
https://missingmigrants.iom.int/region/mediterranean?migrant_route%5B%5D=1376
C’est triste, mais les bonnes idées humanitaires tuent et parfois plus que les politiques de Salvini & Cie…
Monsieur,
En terme absolu le nombre de disparitions en Méditerranée a diminué mais il a augmenté en proportion. On le voit sur ce lien https://missingmigrants.iom.int/region/mediterranean?migrant_route%5B%5D=1376. Vous pouvez comparer les statistiques avec cet autre site qui expose les statistiques des traversées http://migration.iom.int/europe?type=arrivals.
Un récent article du Guardian explique ce problème https://www.theguardian.com/world/2018/sep/12/migrant-rescue-ships-mediterranean
Donc la politique de fermeture des ports de l’Italie et de Malte et le durcissement à l’égard des ONGs humanitaires ajoutées au travail du HCR et de l’OIM en Libye et au Niger (rapatriements vers les pays d’origine) a contribué à fortement diminuer les passages en Méditerranée centrale. Mais lorsque les traversées sont effectuées elles sont encore plus dangereuses et les naufrages plus mortels.
Actuellement deux rapports documentés expliquent les conditions de détention dramatiques subies par les personnes arrêtées en mer par les gardes-côtes libyens et placés en détention dans des centres douteux. Et les gouvernements européens ont connaissance de ces rapports.
Ces rapports sont: Desperate and Dangerous: Report on the human rights situation of migrants and refugees in Libya 20 December 2018 (ONU) et celui de Human Rights Watch, No Escape from Hell.
Les personnes détenues n’ont pas de pouvoir de décision sur la date de leur traversée, leurs destinations etc. Même si elles n’ont pas choisi la route méditerranéenne centrale – parce qu’elles savent peut-être qu’il n’y a pas de bateau humanitaires, elles pourraient bien se retrouver sur cette trajectoire sans même le vouloir. En sachant ce qui se passe en Libye, l’Europe a le devoir de mettre en place un système de sauvetage organisé et approprié. Je suis contre la politique dissuasive des “dommages collatéraux nécessaires” uniquement tolérée parce qu’on considère malheureusement que certaines vies valent moins que d’autres.
Je suis d’accord avec le fait que le pouvoir de décision est limité pour les réfugiés mais pas pour les passeurs. Et ces derniers n’affrètent pas des bateaux s’ils n’ont pas la certitude de gagner de l’argent.
Or, les personnes détenues sont détroussées par les milices gouvernementales et doivent s’endetter auprès des passeurs pour monter sur un bateau (en plus des avances obtenues parfois auprès des familles)… Donc, si les passeurs n’ont aucune compassion pour la vie des réfugiěs, ils pensent à leur investissement (ils doivent travailler en Europe pour rembourser) et les mettent à la mer quand un navire européen est à proximité… les stats des décès le démontrent, même si les passeurs sont des monstres qui n’hésitent pas à les mettre malgré tout en danger à cause de bateaux en très piteux états…qui n’arrivent pas jusqu’aux bateaux européens… 🙁
Je ne sais pas si la fin de votre message m’est adressé. Mais je pense que parce que toute vie est égale et inestimable qu’il ne faut pas traiter leur desespoir avec un prisme idéologique. Il faut donc tout entreprendre pour dissuader les réfugiés de mettre leur vie en danger en leur garantissant des sanctuaires à proximité de leur pays d’origine. Si on laisse le côté idéologique du “l’Europe a une responsabilité morale, qu’importe la réalité de leurs conditions de séjour ici”, il n’existe en effet aucun motif à privilégier un accueil en Europe plutôt que dans les pays voisins où ils bénéficient généralement de la liberté d’établissement et de liens familiaux au sens large, etc. Et je ne parle pas de la Lybie mais de la Cote d’ivoire, du Senegal, du Ghana, du Maroc, etc.
S’il y a une catastrophe qui détruit Genève souhaiteriez-vous être accueillie à proximité? ou invitée à risquer votre vie à traverser la Méditerranée au péril de votre vie? En quoi est-ce différent pour un Erythréen qui peut vivre en Ethiopie ou un Gambien au Sénégal, etc ??
Si vous me permettez cette analogie, nous sommes collectivement en train de reproduire la connerie de quand nous volions des enfants aux tsiganes au motifs qu’ils seraient mieux dans des orphelinats ou dans des familles occidentales. Non, un enfant est au mieux auprès de sa famille (sauf violences) et un réfugié est au mieux à proximité de son pays d’origine (sauf violences). Je vous assure que si les réfugiés avaient la certitude que mettre leur vie en danger sur la Méditerranée ne sert à rien (car reconduite immédiate dans un sanctuaire), le business de l’asile s’effonderait. Et donc les naufrages et les morts.
Par contre, il n’y a jamais tant de décès que quand on essaie d’organiser leurs sauvetages (l’attrait est trop grand pour être géré)…. et je n’accepterai jamais qu’on considère que leur mort est un dommage collatéral pour redorer le blason de l’Europe! Les bonnes idées tuent, au même titre que les mauvaises…
Monsieur,
Merci pour votre excellent commentaire. Je partage votre point de vue sur le fait que les réfugiés doivent pouvoir recevoir une protection près de leur pays d’origine et que l’Europe attire beaucoup de personnes souvent pour les mauvaises raisons. L’Europe est idéalisée et beaucoup de requérants d’asile arrivés en Europe regrettent souvent d’avoir fait autant de kilomètres pour être si loin de chez eux. Cependant la réalité encore aujourd’hui est que les réfugiés ne parviennent pas à être correctement protégés dans les camps proches de leur pays d’origine. Ainsi beaucoup de syriens ont vu leur carte de réfugié périmée et non renouvelée au Liban en 2013 et sont arrivés en Turquie où les conditions étaient très difficiles. Ils ont souhaité poursuivre leur chemin. Le Bangladesh parle régulièrement de refouler des familles Royingyas, le Pakistan a fait pression sur des milliers d’afghans réfugiés pour qu’ils retournent vers leur pays d’origine, beaucoup l’ont fait avec l’aide du HCR. La situation des personnes détenues en Libye est dramatique et je suis d’avis que l’ONU (HCR et OIM) doit augmenter sa présence sur place et gérer des centres sûrs où des procédures de réinstallation et d’aide au retour peuvent être mise en place. Parallèlement, les gouvernements européens doivent participer d’avantage aux programmes de réinstallation et participer dans des programmes d’éducation et de formation dans les camps avoisinant les zones de guerres. Mais si nous voulons que les pays proches fassent mieux et plus pour les réfugiés alors qu’ils sont souvent pauvres et déjà en difficulté nous devons aussi faire notre part ici et sur place. Il ne faut pas oublier que beaucoup de réfugiés proviennent de pays où l’Occident est intervenue militairement directement ou indirectement je pense à l’Afghanistan, l’Irak, la Libye, le Yémen (voir ce lien en particulier: https://carnegieendowment.org/2017/10/16/how-u.s.-policies-are-worsening-global-refugee-crisis-pub-73480). Voici quelques éléments qui expliquent où je me situe.
Je suis d’accord avec vous.
(En ajoutant que le budget du HCR est de 2,6 mia pour l’Afrique et que l’on pourrait sensiblement l’augmenter contre des garanties de meilleures luttes des gouvernements locaux contre les passeurs ET l’introduction des données biométriques du HCR dans la base de données Schengen/Dublin).
La compassion c’est bien, la solution c’est mieux, alors que proposez-vous:
– on ressuscite Kaddafhi et on traduit Sarkozy et BHL (looking for Europe) à la Cour Internationale;
– on accueille le million de migrants parqués en Lybie en Europe, si oui, où?
– on commence à esquisser de vraies stratégies pour que ces migrants aient des solutions dans leur pays, et là l’Occident va plus que dans la décroissance?
– on se bouche les yeux et les oreilles, mais ce sera toujour pire?
Oui, la vie a un prix partout, elle est beaucoup plus chère aux US avec un bon avocat si votre jet a coulé que pour un camerounais noyé.
En même temps, affrêter à prix d’or un navire pour en sauver 1’000 avec des gogos d’ONG est un emplâtre sur une jambe de bois, non?