Diplômée de Harvard, la Présidente d’ASYLEX, Léa Hungerbühler s’exprime sur la procédure d’asile suisse

Léa Hungerbühler préside ASYLEX, l’association spécialisée dans l’assistance juridique en ligne. Pour cette structure créée en 2017 l’avocate travaille pro bono  à côté de son activité principale dans une firme zurichoise spécialisée dans le droit financier et bancaire

En pleine pandémie, les conseils en ligne ont explosé et ASYLEX a gagné cette année de nombreux recours au Tribunal fédéral en faveur de personnes enfermées à Zürich au Centre de détention administrative.

Avec deux avocats stagiaires et un chef de projet, tous rémunérés, ASYLEX parvient a aidé nombre de requérants grâce à un vaste réseau de juristes et avocats bénévoles répartis sur l’ensemble du territoire. L’organisation est soutenue par de nombreux experts en droit des réfugiés et de la migration et son comité compte des personnalités comme Dick Marty, Bertrand Piccard et Lisa Mazzone. 

Tout récemment, un rapport de la Coalition des juristes indépendants a révélé de nombreux problèmes dans la nouvelle procédure accélérée pratiquée depuis mars 2019.

Léa Hungerbühler en parle dans cette  interview.

ASYLEX est une association relativement nouvelle, quelle est l’histoire derrière sa création ?

Tout a commencé il y a quatre ans en Grèce dans un camp de réfugié où je travaillais comme bénévole. J’avais déjà terminé mes études de droit et je me suis engagée durant un mois auprès de Advocates Abroad. Sur place j’ai été très impressionnée par le travail des juristes bénévoles. Quand je suis rentrée en Suisse je me suis rendue compte qu’il y avait aussi beaucoup de besoins dans l’assistance juridique aux requérants d’asile. Nous avons lancé ASYLEX avec quelques amis et l’association a grandi rapidement.

 

Pouvez-vous décrire votre travail ?

Ce qui nous distingue des autres associations d’aide juridiques aux requérants d’asile est que nous offrons uniquement des services juridiques en ligne. Nous nous appuyons sur un large réseau de juristes ou avocats un peu partout en Suisse mais aussi en Italie, en Grèce et au Liban. Nous avons besoin de collaborer avec des spécialistes en Italie pour les situations impliquant des renvois Dublin, en Grèce pour organiser des regroupements familiaux et aussi au Liban car nos clients syriens ont leur famille là-bas. En règle générale nous essayons d’établir des partenariats avec autant d’ONG étrangères que possible afin d’assister nos clients. Nous pouvons compter sur un large réseau de traducteurs bénévoles pour faire ce travail. Nous collaborons aussi très bien avec beaucoup de juristes et avocats répartis dans toutes les régions de Suisse. ASYLEX a des antennes à Bâle, Berne, Zurich, en Suisse romande et au Tessin.  

Les demandes de conseils arrivent sur notre page Facebook, par téléphone, par courriel. Les personnes qui le souhaitent peuvent signer une procuration électronique afin que nous les représentions auprès des instances judiciaires cantonales ou fédérales. Nous soumettons des recours aux Tribunal administratif fédéral (TAF), aux tribunaux cantonaux ou au Tribunal fédéral. En général nous nous remettons à d’autres bureaux lorsque nous pensons qu’il faut aller en troisième instance c’est-à-dire à la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) ou par exemple au Comité des Nations Unies contre la torture (CAT). Par ailleurs, à moins d’une situation exceptionnelle,  nous ne nous occupons pas des personnes qui se trouvent dans les centres fédéraux car depuis mars 2019, ces personnes reçoivent une assistance juridique gratuite dès le dépôt de leur demande d’asile. 

 

La plupart des personnes pensent que les requérants d’asile bénéficient en Suisse de la meilleure procédure d’asile du monde, êtes-vous d’accord ?

Vous avez vous-même pris connaissance du rapport de la Coalition des juristes indépendant-e-s pour le droit d’asile qui fait un bilan critique de la première année de fonctionnement de la nouvelle procédure accélérée. 

ASYLEX fait partie de la coalition. Personnellement je pense, comme beaucoup d’autres juristes que la procédure est trop rapide, trop superficielle. Il y a des problèmes de qualité des traductions durant les auditions d’asile, il y a des employés racistes, il y a un énorme problème avec l’isolement des requérants d’asile dans les centres fédéraux qui y subissent une quasi-détention. 

Et de nombreux problèmes en résultent: la violence des agents de sécurité dans les centres, les interventions musclées de la police, les abus sexuels. Ce sont des difficultés importantes pour les requérants d’asile. Une manière d’améliorer la procédure d’asile et l’environnement dans lequel se trouvent les requérants d’asile serait véritablement de ralentir la procédure d’asile et de faire en sorte que les personnes dans les centres soient moins isolés. 

 

Quels cas suivez-vous en ce moment?

Actuellement nous représentons beaucoup de cas Dublin, nous recourons au TAF contre des décisions matérielles négatives,  nous suivons aussi des dossiers de regroupement familial et enfin nous avons beaucoup de cas de détention administrative ou des cas de personnes soumises à des ordres de restriction de périmètre. 

A Zurich, le placement en détention administrative est régulier et se fait même lorsque les renvois ne sont pas possibles et d’ailleurs le Tribunal fédéral a déploré cette pratique à plusieurs reprises. Mais encore aujourd’hui, cette pratique continue même en pleine pandémie. Il y a moins de détenus administratifs mais il y en a toujours. 

 

De nombreux avocats, professeurs d’universités, juristes et ONG demandent au Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) de mettre en place l’enregistrement audio des auditions d’asile, est-ce que vous avez aussi remarqué des problèmes de traduction lors des auditions d’asile?

Oui nous avons remarqué beaucoup de problèmes de traduction. Il y a des interprètes qui se positionnent du côté du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM)  ce qui a pour effet de rendre les requérants d’asile moins à l’aise et moins ouverts. 

Durant les auditions beaucoup d’interprètes ne font pas une traduction fidèle et ne sont pas compétents, elles ou ils utilisent des termes qui ne conviennent pas. Quand nous accompagnons nos clients aux auditions, nous faisons toujours une préparation d’audition, nous savons ce que les personnes vont dire et donc nous arrivons ensuite à dire si le procès-verbal de l’audition est fidèle à ce que nos mandants nous ont dit. 

Ensuite il peut arriver, selon les situations, que la première audition se fasse en français, puis la deuxième en allemand alors que la décision finale soit en italien. Cela rend la compréhension des procès-verbaux et de la décision souvent difficile. De l’information précise peut se diluer à chaque fois qu’on utilise plusieurs traducteurs sur un dossier unique. 

 

Les mesures prises pour endiguer la propagation du Covid en Suisse ont-elles eu des effets sur votre travail?

Pas tellement car nous travaillons en ligne depuis le début. Mais les délais pour les personnes en procédure accélérée ont été étendus de 7 à 30 jours pour les recours et donc cela a tout de même facilité notre travail. Nous avons fait un immense travail de représentation pour demander la libération de près de 50 personnes en détention administratives car les renvois étaient impossibles. 

Notre travail a porté ses fruits. Nous avons été jusqu’au Tribunal fédéral pour certains cas et nous avons eu gain de cause pour  la plupart d’entre eux. Nous avons échoué pour un seul cas et nous ne comprenons toujours pas le raisonnement insensé derrière cette décision. 

 

Quels sont les défis actuels de l’organisation ?

Nous n’avons pas de problème de staff, nous avons une liste importante d’avocats et de juristes bénévoles et certains sont en liste d’attente. Mais nous avons besoins de fonds pour continuer nos activités. L’année dernière notre budget annuel était de CHF 20’000 ce qui est très modeste. Néanmoins cette année il a augmenté car nous avons gagné beaucoup de recours. Ce qui nous aiderait beaucoup serait de pouvoir compter sur des rentrées régulières. 

 

Lire aussi: 

Rapport d’Asylex au Comité de l’ONU pour la protection des droits des travailleurs migrants sur la situation des personnes en détention administrative en Suisse.

 

Photo d’entête © LEXR (company)

Jasmine Caye

Avec une expérience juridique auprès des requérants d'asile à l'aéroport de Genève, Jasmine Caye aime décrypter l'information sur les réfugiés et les questions de migration. Elle a présidé le Centre suisse pour la défense des droits des migrants (CSDM) et continue d'assister des personnes en procédure d'asile. Les articles sur ce blog paraissent en version courte sur un autre blog ForumAsile.

5 réponses à “Diplômée de Harvard, la Présidente d’ASYLEX, Léa Hungerbühler s’exprime sur la procédure d’asile suisse

  1. Que veut dire pro bono? et avocate bénévole?

    Je lis: http://www.bger.ch
    “Die Rechtsvertreterin hat eine Honorarnote über Fr. 3’408.80 eingereicht; diese ist überhöht: Rechtsanwältin Lea Hungerbühler hat beim Bundesgericht mehrere, inhaltlich praktisch identische Beschwerden bezüglich der Auswirkung der Corona-Pandemie auf die Administrativhaft eingereicht; ihr Aufwand war im Hinblick auf die jeweils analogen Ausführungen vorliegend beschränkt. Es rechtfertigt sich, sie aus der Bundesgerichtskasse mit Fr. 1’800.– zu entschädigen. ”

    Plutôt rémunérateur pour un copié-coller 🙂

    1. Pour les juristes et les avocats, le terme « pro bono » signifie consacrer volontairement une partie déterminée de son temps, gratuitement ou pour des honoraires modiques, à faire reconnaître ou protéger les droits de personnes défavorisées ; à fournir des services juridiques afin d’aider des organisations qui représentent les intérêts des membres démunis de la collectivité ou qui œuvrent en leur nom ou pour d’autres organisations d’intérêt public ; ou à améliorer les lois ou le système juridique.

      En offrant des conseils ou une représentation juridique gratuite à une personne qui est en procédure d’asile cela signifie que le ou la cliente ne paie rien pour être représenté. Cependant lorsqu’il y a gain de cause, l’avocat reçoit une indemnité du TAF pour les frais de représentation. Voir les explications dans ce document: https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/20080976/index.html.

      Il y a aussi des avocats malhonnêtes qui ne connaissent pas grand chose à la procédure d’asile à force de se focaliser sur d’autres spécialités juridiques et qui demandent des honoraires importants aux requérants d’asile tout en perdant régulièrement leurs recours de mauvaise qualité.

      1. Je ne comprends pas.
        Comment peut-on offrir une représentation gratuite à son client puis facturer des frais à la collectivité ? Ce n’est pas contradictoire ?

        Je comprends l’assistance judiciaire (c’est l’Etat qui paie parce que la personne n’a pas les moyens), je comprends l’assistance juridique pour les requérants d’asile, je comprends l’octroi de dépens en cas de gain de cause, je comprends ceux qui donnent des conseils gratuitement avant jugement, puis facturent la représentation en cas de recours (caritas, …)

        Mais je ne comprends pas l’avocate qui exerce pro bono et facture simultanément.

        Merci de vos explications.

          1. Frais (timbre, traduction, …), ok.

            Mais si la personne travaille gratuitement, elle ne peut pas simultanément facturer à titre de dépens un travail qu’elle a offert à son client de réaliser gratuitement … non ?

            Art. 12 LLCA

            L’avocat est soumis aux règles professionnelles suivantes:
            e. il ne peut pas, avant la conclusion d’une affaire, passer une convention avec son client par laquelle ce dernier accepterait de faire dépendre les honoraires du résultat de l’affaire; il ne peut pas non plus s’engager à renoncer à ses honoraires en cas d’issue défavorable du procès;

            Je pense à la dernière partie (il ne peut pas non plus s’engager à renoncer à ses honoraires en cas d’issue défavorable du procès).

            Soit l’avocat facture, soit il renonce. Mais il ne peut pas renoncer à ses honoraires (seulement) en cas d’issue défavorable du procès (parce qu’il ne reçoit pas des dépens au sens de la FITAF).

            A mon avis, mais ce n’est qu’un avis, elle devrait demander l’avis de la commission d’éthique de son ordre. Car son modèle peut éventuellement fonctionner pour un juriste, mais un avocat…? J’en doute.

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