Quelques explications sur la nouvelle procédure d’asile en Suisse

Ce vendredi 1er mars 2019 la nouvelle loi sur l’asile entre en vigueur après neuf ans de travail, de débats, de conflits politiques et aussi après une votation en 2016. Cette loi et les ordonnances qui l’accompagnent accélère et réaménage la procédure d’asile. Elle exige plus de rapidité dans la prise de décision des autorités d’asile, elle impose une certaine coopération entre les intervenants (juristes, assistants sociaux, fonctionnaires fédéraux, cantonaux et communaux). En théorie, elle doit aboutir à des octrois de protection ou à des renvois plus rapides.

 

Une décennie de remue-ménage est l’article qui vous éclairera sur les points problématiques de la restructuration que j’ai souvent jugé inutile et coûteuse. Pas facile de s’y retrouver dans ce “labyrinthe” de différents “volets législatifs, étendu sur différentes lois et ordonnances” précise son auteur Aldo Brina chargé d’information sur l’asile au Centre social protestant à Genève.

 

Le grand chantier de la Conseillère fédérale Simonetta Sommaruga (PS) est inspiré du modèle hollandais, visité et examiné en 2011 qui subit des ralentissements importants. L’Allemagne de son côté lorgne vers la nouvelle procédure suisse qui séduit.

Cartographie des Centres fédéraux pour requérants d’asile (CFA)

 

Dorénavant, la procédure d’examen de la demande d’asile se déroulera principalement dans les 6 nouveaux Centres fédéraux pour requérants d’asile (CFA) répartis dans six régions différentes de Suisse. Douze autres centres sans tâches procédurales  sont destinés à héberger des requérants d’asile en attente d’une décision, des requérants déboutés à renvoyer (centre d’attente et de départs) et des requérants récalcitrants (centres spécifiques).

 

 

En tout la Confédération suisse pourra héberger 5 000 requérants d’asile. Cette infrastructure est prévue pour une moyenne de 24 000 demandes d’asile par an. La procédure aux aéroports de Genève et Zurich se déroule toujours en zone de transit internationale dans des centres fermés. Elle a subi relativement peu de modifications. 

 

Tous les centres indiqués sur la carte ne sont pas encore opérationnels. En Suisse romande qui doit fournir 1 280 places d’hébergement en tout, les centres de Vallorbe (Vaud), Boudry (Neuchâtel), Giffers (Fribourg) et celui des Verrières (Neuchâtel) fonctionnent mais à Genève le projet de centre d’attente et de départ au Grand-Saconnex (260 requérants d’asile déboutés) pourrait ne pas aboutir comme prévu en 2022 car les oppositions au projet s’intensifient.

 

Une procédure menée tambour battant

 

Les personnes déposant leur demande d’asile aux aéroports de Genève et de Zurich sont soumises à une procédure très similaire à la précédente avec quelques nouveaux aménagements (I). Les autres personnes qui souhaitent déposer une demande d’asile en Suisse après avoir traversé la frontière sont soumises à une nouvelle procédure rapide qui décidera de leur avenir en moins de 5 mois pour la plupart d’entre eux. Les nouveautés principales de la nouvelle procédure d’asile sont:

 

  • l’augmentation importante de la capacité d’hébergement dans les Centres fédéraux de procédure d’asile (CFA) à 5 000 places,
  • la réunion de la plupart des intervenants (personnels du SEM, juristes, interprètes) pratiquement sous le même toit,
  • la durée allongée de la rétention maximale dans les centres de 140 jours (au lieu de 90 jours),
  • l’enchaînement plus rapide des tâches procédurales,
  • la réduction importante des délais de recours concernant une partie importante des requérants d’asile de 30 à 7 jours compensée par
  • un conseil aux requérants d’asile dès le début de la procédure et une assistance juridique gratuite mais pas toujours.  

 

Voici une explication de la nouvelle procédure, réalisée par l’ Entraide Protestante Suisse (EPER) (II).

 

 

Mieux qu’avant?

 

Selon Aldo Brina, le point le plus positif de la nouvelle procédure est certainement l’accès au conseil juridique dès l’arrivée de la personne dans un centre. Cela permet aux requérants de recevoir une information complète sur le déroulement de la procédure et sur les différentes issues possibles.

Une autre nouveauté de taille réside dans la possibilité pour les requérants de bénéficier d’une représentation juridique gratuite jusqu’à la décision de première instance et tant que la personne se trouve encore dans un CFA. Elle ne bénéficiera que rarement aux personnes dont les situations sont plus complexes et qui sont placées en procédure étendues, attribuées à un canton. Elle ne bénéficiera pas non plus à une personne qui choisirait un représentant juridique externe au système ce qui peut arriver si le mandataire attribué d’office refuse de recourir parce qu’il considère le recours voué à l’échec ce qui arrive souvent.

Les défauts du système d’assistance juridique au rabais se font déjà sentir et soulèvent de nombreuses critiques. L’article de Marie Villeumier “Asile: une protection juridique gratuite et controversée” (pour Swissinfo.ch) analyse les failles du nouveau système et explique pourquoi deux systèmes d’assistance juridique aux requérants d’asile – l’un soutenu par la Confédération, l’autre totalement indépendant – vont travailler en parallèle. 

 

Si la nouvelle procédure présente quelques améliorations, elles s’effacent déjà au CFA de Boudry où on déplore une manière de faire différente de celle pratiquée au Centre Test de Zurich, l’échantillon phare de la nouvelle procédure. Dans ce nouveau centre de procédure les juristes de Caritas Suisse n’ont pas accès au bâtiment qui héberge les requérants d’asile. Cela pose un problème d’accès aux personnes vulnérables. En plus les juristes ne sont pas autorisés à communiquer directement avec les assistants médicaux. Des ajustements seront nécessaires selon Caritas Suisse.

 

La nouvelle Conseillère fédérale en charge du Département de Justice et police, Madame Karin Keller-Sutter (PLR) hérite d’un bébé tout frais et Monsieur Mario Gattiker Secrétaire d’Etat aux migrations (SEM) risque bien de lever le pied sur les affaires courantes alors qu’il approche de la retraite prévue pour 2021. Cette nouvelle procédure subira donc certainement quelques aménagements, mais la réussite du système dépendra surtout des fonctionnaires fédéraux (SEM) en place dans les CFA et de leur collaboration fructueuse ou non avec les autres intervenants – juristes, conseillers etc.  sans quoi la nouvelle procédure s’essoufflera plus vite que prévu.

 

Schéma de la nouvelle procédure d’asile

 

Procédure d’asile © SEM annotée par Jasmine Caye

 

Lire aussi:

SEM: communiqué de presse 26.2.2019: Loi sur l’asile révisée : le SEM désigne les bureaux de conseil juridique habilités

Centre fédéral de Chevrilles: asile et barbelés

Prise de position concernant la mise en œuvre du projet visant à accélérer les procédures d’asile (restructuration du domaine de l’asile)


  1. Les requérants d’asile auront aussi droit à un représentant légal qui les accompagnera dès le début de la procédure d’asile. Ce n’est plus Elisa-Asile mais Caritas Suisse qui se chargera de ce mandat. Les requérants d’asile sont autorisés à se faire assister par des mandataires externes mais à leur frais. Le droit d’être entendu sur l’assignation à la zone de transit pour une durée de 60 jours est octroyé aux requérants par oral lors d’une audition rapide avec interprète par téléphone en présence du représentant légal. Les représentants légaux ont 24 heures pour donner leurs commentaires au SEM sur le projet de décision. Suite à une autorisation d’entrée en Suisse, les requérants d’asile seront soit attribués au canton, soit attribués à un centre fédéral pour requérante-s d’asile (CFA) pour la suite de la procédure. Il s’agira toujours de cantons romands ou d’un CFA situé en Suisse romande.
  2. Voir aussi l’explication de l’EPER fournie dans ce document utile.

 

Jasmine Caye

Avec une expérience juridique auprès des requérants d'asile à l'aéroport de Genève, Jasmine Caye aime décrypter l'information sur les réfugiés et les questions de migration. Elle a présidé le Centre suisse pour la défense des droits des migrants (CSDM) et continue d'assister des personnes en procédure d'asile. Les articles sur ce blog paraissent en version courte sur un autre blog ForumAsile.

5 réponses à “Quelques explications sur la nouvelle procédure d’asile en Suisse

  1. En réalité, la grande interrogation tient au Tribunal administratif fédéral (et à son indépendance).

    Si le tribunal s’impose par lui-même le respect des délais de traitement des recours (art. 109 LAsi), la nouvelle procédure dissuadera de jouer la montre. Cela permettra une meilleure acceptation de la “question” asile dans la population (réponse définitive rapide, qu’elle soit favorable ou négative).

    Mais… jusqu’à présent, le TAF s’est montré uniquement bon à demander toujours plus de juges et de greffiers, avec pourtant toujours moins de recours pendants. Et, sincèrement, je ne vois pas cette autorité se saborder en acceptant de traiter les recours avec toute la célérité requise. Je ne demande cependant qu’à me tromper.

    Décisions du jour:
    Qui peut par exemple m’expliquer comment le TAF a fait pour garder :
    D-6153/2017: du 31 octobre 2017 au 15 février 2019 (décision en “que … que”)
    D-3895/2017: du 12 juillet 2017 au 19 février 2019 (décision en “que … que”)
    D-4260/2017: du 27 juillet 2017 au 18 février 2019 (7 lignes de subsomption)
    D-2177/2015: du 8 avril 2015 (!!!!) au 11 décembre 2017 (admission d’un cas Dublin !!!)
    D-4248/2015 du 8 juillet 2015 (!!!!) au 28 février 2018 (admission d’un Dublin !!!)
    etc etc etc

    NB: question réelle : à quoi servira l’OSAR à partir du 1er mars 2019 (vu qu’il n’enverra plus d’observateurs pendant les auditions) ? et de combien ses subventions seront-elles alors réduites ?

    1. Personne pour m’expliquer comment un tribunal peut traîner les dossiers de personnes concernées par des NEM Dublin pendant 3 années? alors qu’il avait 5 jours pour statuer??

      Vous trouvez cela normal?

  2. A voir !
    Mais ces éventuelles améliorations montrent que l’on a totalement fait fi d’une refonte fondamentale
    de l’asile esquissée au début des années nonantes -alors que j’étais fonctionnaire de ce département –
    qui cherchait à aider les réfugiés sans leurs pays au lieu de les entretenir couteusement en Suisse,
    avec une armada de fonctionnaires

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