Vols spéciaux: le contrat de prestation entre le SEM et la société médicale Oseara doit être repensé

La société médicale Oseara AG mandatée par le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) pour évaluer l’aptitude des personnes à entreprendre le retour et pour accompagner les vols spéciaux ne serait  pas en mesure de donner un avis indépendant respectant les codes de déontologies qui s’imposent. C’est le constat de plusieurs observateurs inquiets de certains renvois controversés en 2017.

Deux renvois par vols spéciaux avaient été exécutés contre l’avis de deux hôpitaux zurichois mais avec l’aval, après coup, des médecins de la société Oseara. Celui d’une jeune femme érythréenne et d’un homme azeri en novembre et décembre derniers. La femme érythréenne de 21 ans enceinte de 8 mois et son enfant d’un an furent renvoyés par vol spécial vers l’Italie dans le cadre d’un transfert Dublin malgré l’avis défavorable de l’hôpital Triemli à Zürich. L’homme avait été renvoyé malgré le constat de traumatisme sérieux et d’état suicidaire de la Clinique universitaire psychiatrique de Zürich.

Oseara AG a été créée en 2012 par d’anciens médecins militaires pour répondre à l’appel d’offres du SEM. Ses méthodes avaient été condamnées par l’Académie suisse des sciences médicales alors que la société avait donné de la kétamine pour calmer les personnes réfractaires à bord des vols spéciaux. En 2013, la Commission nationale de prévention de la torture (CNPT) avait demandé de stopper les renvois lorsque des raisons médicales l’exigeaient. En 2016 la société a de nouveau remporté le contrat de prestation avec le SEM dont le  plafond maximal pour les prestations est fixé à 2.2 millions de francs par an. Puis en 2017, la société a obtenu un autre contrat de 2 millions de francs par an avec la police du canton de Zürich.

Un système de rétribution critiqué

 

En décembre et janvier derniers, la journaliste Rafaela Roth du Tages Anzeiger révélait, suite aux renvois, les doutes sur les pratiques de l’entreprise et sur la procédure mise en place par le SEM. L’enquête de Rafaela Roth révélait aussi que plusieurs médecins free-lance polonais et allemands effectuant des vols spéciaux n’avaient pas les qualifications médicales spécialisées requises.

C’est avant tout le système de rétribution de l’entreprise Oseara qui pose problème car il inciterait les médecins à avaliser les renvois afin de pouvoir accompagner les vols spéciaux et augmenter passablement leur rémunération. Le fait aussi que le SEM passe par une seule entreprise privée pour des expertises médicales qui se permet d’outrepasser les recommandations d’autres médecins consultés préalablement par le ou la requérante est problématique.

Comme l’explique Rafaela Roth les termes du contrat avec le SEM assurent à la société une rétribution forfaitaire pour l’évaluation de la “transportabilité” des personnes déboutées de l’asile et une rétribution forfaitaire supplémentaire lorsque ses médecins accompagnent les vols spéciaux. Ainsi lorsqu’une personne est jugée inapte au transport, elle rapporte nettement moins à la société. On constate d’ailleurs que “la proportion de ceux qui sont jugés inaptes est très faible”, explique Rafaela Roth. En 2016, la société a approuvé le départ de 341 personnes par vol spécial, ce nombre a augmenté en continu depuis depuis 2012.

 

Position du SEM

 

Pour le SEM, la société Oseara agit en toute indépendance et s’appuie, “pour ses expertises médicales, sur une liste de maladies ou de séquelles servant de contre-indications, définie par l’Académie suisse des sciences et par la Fédération des médecins suisses.” Il ajoute tout de même que le système n’est pas parfait. En effet, en 2016 un autre appel d’offres a été lancé pour le contrôle médical de ces tâches (l’expertise médicale et l’accompagnement en vol), sans succès. Le SEM dit chercher des solutions pour y remédier au plus vite.

Il précise que “la sécurité et les soins médicaux des personnes expulsées étaient garantis en tout temps” et insiste sur le fait que tous les médecins employés actuellement par l’Oseara ont un titre de spécialiste et ont les autorisations cantonales nécessaires. Il est convaincu que “le double mandat  – évaluation et accompagnement – permet d’éviter des erreurs et favorise une transmission qualitative de l’information tout en prévenant la dégradation de la santé des personnes au départ ou à l’arrivée.”

 

Pourquoi ne pas respecter une contre-indication médicale?

 

Dans la vie de tous les jours, il arrive que des médecins divergent sur un diagnostic et il n’est pas rare de  voir que le médecin qui préconise une opération est le chirurgien désigné à l’exécuter. Pour cela, le patient a tout intérêt à demander plusieurs avis médicaux.

En ce qui me concerne, peu de médecins seraient d’accord de me laisser monter dans un vol enceinte de 8 mois et accompagnée de mon enfant de un an si mon médecin traitant s’y oppose. D’autant plus si je suis stressée par l’idée de faire le voyage et si je dois être entravée. Ainsi, dans le cas de renvois de personnes déboutées de l’asile, déjà suivies médicalement par des hôpitaux de réputation, et lors de renvois sous contraintes, le SEM joue avec le feu lorsqu’il force le renvoi d’une femme enceinte de 8 mois quand ce renvoi est déjà médicalement contre-indiqué.

 

Solution

 

Une solution qui permettrait de garantir un procédé irréprochable serait de passer par deux services médicaux indépendants l’un rétribué pour l’évaluation médicale de la personne, l’autre rémunéré pour l’accompagnement de la personne lors du renvoi. Il est impératif que le premier service soit fourni par un hôpital reconnu et parfaitement indépendant des autorités d’asile.

Genève aura bientôt un Centre fédéral d’attente et de départ (CFA) qui pourra loger 250 requérants d’asile. Placé en bordure d’aéroport ce centre sera opérationnel en 2022 et logera dans un même lieu les requérants en procédure et ceux déboutés en attente d’un renvoi. La question de l’évaluation médicale des personnes déboutées par des experts indépendants fiables et formés à la mesure de leurs responsabilités est primordiale.

 

Les réactions et ce que vous pouvez faire

 

En Suisse romande le “cumul de mandats” a été critiqué  par Giada de Coulon sur la Plateforme d’information sur l’asile, Nicolas Tovaglione à la RTS dont la chronique mérite le détour et Sophie Malka de la revue Vivre Ensemble.

Le parti des Verts du canton de Zürich a demandé en janvier des explications détaillées sur ces exactions et exige une surveillance externe de la société. Enfin, une pétition en ligne exigeant la terminaison du mandat d’accompagnement médical de cette entreprise a été lancée.

 

Cet article a été mis à jour suite à la prise de position du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM). Un erreur a été corrigée et la position du SEM pris en compte. 

 

Jasmine Caye

Avec une expérience juridique auprès des requérants d'asile à l'aéroport de Genève, Jasmine Caye aime décrypter l'information sur les réfugiés et les questions de migration. Elle a présidé le Centre suisse pour la défense des droits des migrants (CSDM) et continue d'assister des personnes en procédure d'asile. Les articles sur ce blog paraissent en version courte sur un autre blog ForumAsile.

Une réponse à “Vols spéciaux: le contrat de prestation entre le SEM et la société médicale Oseara doit être repensé

  1. Je suis d’accord que tous ceux qui bénéficient financièrement du business de l’asile devraient être soumis à un meilleur controle de qualité (p. ex. les “conseillers juridiques” qui n’ont pas de diplôme en droit, les psychologues, qui ne sont pas psychiatres, mais diagnostiquent des ptsd, etc.) et surveillés par une autorité independante.

    Les migrants sont des êtres humains particulièrement vulnerables et ni le fric ni les bons sentiments devraient justifier cette passivité et cette permissivité. Il y a par ailleurs des problèmes de compétences et d’indépendance dans tous les bords. Et j’aimerais que les ongs dénoncent aussi systématiquement et publiquement tous les abus, également lorsqu ils proviennent de leur camp.

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