Les refoulements à la frontière expliquent la baisse des demandes d’asile en Suisse en 2017

En 2017 les demandes d’asile ont chuté d’un tiers avec 18’088 demandes déposées en Suisse. C’est le chiffre le plus bas enregistré depuis 2010 selon le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM).

Ce chiffre est principalement dû aux mesures de sécurisation des frontières européennes et suisses et non à l’apaisement des conflits et des violences qui affectent les réfugiés dans le monde. Les outils de contrôle migratoire comme les accords de Dublin, les détentions administratives souvent abusives et les refoulements à la frontière de “réfugiés illégaux” – termes très inappropriés du Corps des garde-frontières (Cgfr) –  font partie de l’arsenal prioritaire des mesures appliquées avec peu de considération pour les souffrances humaines de personnes vulnérables, souvent rescapées des camps de détention libyens.

Explications du SEM

 

Pour expliquer ce chiffre bas, le SEM mentionne tout d’abord la descente en flèche du nombre de débarquements en Italie à partir du 16 juillet 2017 entraînant une diminution conséquente du nombre de demandes d’asile en Suisse des personnes en provenance de la région subsaharienne.  Le blocage des migrants en Libye, grâce à la surveillance accrue des garde-côtes libyens, formés et équipés par l’Union européenne mais aussi de milices armées douteuses, a entraîné une chute de 70% des arrivées en Italie selon l’Organisation internationale des migrations (OIM).

Le SEM explique aussi cette baisse par la diminution en 2017 de “la migration secondaire” surtout en provenance d’Allemagne de personne d’origine afghanes, irakiennes et syriennes.

Enfin, le SEM évoque le pacte migratoire entre l’Union européenne et la Turquie qui n’a pas empêché l’arrivée de 29’700 migrants en Grèce et indique le peu de renvois effectués depuis la Grèce vers la Turquie, l’échec résidant apparemment dans le système d’asile grec.

En attendant, la Suisse profite beaucoup de ces accords et des blocages créés par la politique européenne de tri des requérants d’asile, initiée avec les centres d’accueil “hotspot” en Grèce et en Italie. Il n’est pas inutile de rappeler qu’en 2017, des milliers de requérants d’asile ont été détenus dans les camps “hotspot” sur les îles de Lesbos, Chios, Samos, Kos et Leros dans des conditions insupportables.

 

Communication des garde-frontières

 

Cependant le SEM ne parle pas des refoulements exécutés par les garde-frontières en 2017. Il précise simplement que la “grande majorité des migrants interceptés à la frontière sud (Tessin) n’ont pas demandé l’asile en Suisse.” Faux selon les ONG et difficile à croire. La version officielle des garde-frontières fait mal au ventre.

Dans leur communiqué publié sur plusieurs sites d’information dont 20 Minutes, 24 heures et la RTS on lit que les “entrées irrégulières de réfugiés” se sont élevés à 27’300 en 2017, une diminution d’un tiers par rapport à 2016. Parmi ces personnes se trouvent des Guinéens, des Nigérians, des Gambiens et des Somaliens. En tout, ce sont 17’526 “réfugiés illégaux” qui ont été refouler à la frontière dont 13’018 depuis Chiasso (Tessin) dans le cadre de l’application de l’accord bilatéral de réadmission (signé à Rome en 1998) qui prévoit une procédure simplifiée.

Même avec le plus grand respect pour le travail des garde-frontières, il est difficile de comprendre comment on puisse considérer ces personnes venant de si loin, ayant tout quitté et tout perdu pour traverser la Mer Méditerranée au péril de leur vie, comme des “réfugiés illégaux”.

 

Mineurs non-accompagnés encore refoulés alors qu’ils demandent protection

 

Sur sa page Facebook, Lisa Bosia Mirra, députée au parlement tessinois, dénonce les refoulements systématiques. Ceux des mineurs non-accompagnés sont particulièrement inquiétants. Ils ont continué en 2017 selon l’Association d’études juridiques sur l’immigration qui a recensé de nombreux cas pour lesquels une procédure de réadmission en Italie a été enclenchée alors qu’ils avaient exprimé par écrit un besoin de protection internationale.

C’est l’organisation humanitaire Intersos qui le dénonce. En collaboration avec Open Society, elle a mené une étude en examinant pendant des mois les passages aux frontières italiennes.

Dans un article poignant paru aujourd’hui sur Swissinfo Floriana Bulfon en a résumé les points les plus inquiétants: aux frontières italiennes, des enfants sont privés de la possibilité de parler avec un interprète ou un médiateur, d’appeler des parents qui pourraient les rejoindre ou de présenter une demande d’asile.

 

Sommaruga versus Maurer

 

Le Corps des gardes-frontière fait partie de l’Administration fédérale des douanes (AFD), qui est elle-même rattachée au Département fédéral des finances (DFF) dirigé par Monsieur le Conseil fédéral Ueli Maurer (UDC), chef du Département fédéral des finances depuis janvier 2016. Son crédo? La sécurisation des frontières au détriment, on le voit, du respect des droits humains. Ce n’est d’ailleurs pas leur formation des gardes-frontière qui fait défaut ce sont, tout simplement, les ordres du sommet qui doivent impérativement être revus et corrigés.

Au 7e Symposium suisse sur l’asile (30 et 31 janvier 2018), Madame la Conseillère fédérale Simonetta Sommaruga  a déclaré que la “politique d’asile a pour fonction de protéger les personnes vulnérables, et non pas de les repousser”. Un message destiné je l’espère à son collègue UDC.

 

Jasmine Caye

Avec une expérience juridique auprès des requérants d'asile à l'aéroport de Genève, Jasmine Caye aime décrypter l'information sur les réfugiés et les questions de migration. Elle a présidé le Centre suisse pour la défense des droits des migrants (CSDM) et continue d'assister des personnes en procédure d'asile. Les articles sur ce blog paraissent en version courte sur un autre blog ForumAsile.

11 réponses à “Les refoulements à la frontière expliquent la baisse des demandes d’asile en Suisse en 2017

  1. L’utilisation du terme “réfugiés illégaux” dans cet article est incorrect et contradictoire. Un réfugié est, selon la convention de Genève de 1955, une personne qui remplit un certain nombre de critères précis lui permettant ainsi de recevoir l’asile, dans la majorité des cas. Les réfugiés ne sont donc pas, par définition, illégaux et encore moins susceptibles de se faire renvoyer à la frontière puisque leur statut les protège contre le refoulement.

    1. Effectivement je vous rejoins. J’ai repris ce terme pour le dénoncé. Mais cela démontre bien le manque de compréhension et d’empathie des gardes-frontière vis-à-vis des réfugiés.

  2. Sans juger du manque d’empathie ou de compréhension des gardes-frontière, ceux-ci ne sont pas confrontés à des réfugiés. Les réfugiés n’obtiennent ce statut qu’après examen de leurs dossiers et seulement s’ils remplissent des critères bien précis. Le terme correct à utiliser serait celui de migrants. Une utilisation erronée de ces termes ne contribue pas à pacifier et à clarifier le débat sensible sur les migrations.

    1. Je pense au contraire que le garde-frontières doit se dire qu’il a peut-être affaire à des réfugiés ou des personnes qui méritent protection. Car effectivement on ne peut dire qu’une personne est “migrante économique” qu’après avoir examiner sa demande d’asile à fond. Et comme les garde-frontières ne connaissent pas bien la loi sur l’asile, ni la jurisprudence, ni même les situations précises dans les pays d’origine, ils ne sont pas à même de juger si ces personnes fuient ou non des situations de danger. Je fais le raisonnement qu’à moins d’examiner les demandes d’asile on ne peut pas affirmer que ces personnes soient simplement des personnes migrantes.

  3. … donc, à vous lire, un système national a un réel impact sur les migrations. Le discours consistant à dire que la migration est inévitable était donc… seulement un discours?

    Au reste, la Convention sur les réfugiés permet des accords régionaux de répartition des candidats á l’examen d’une demande d’asile. Le Cgfr n’est donc pas en présence de réfugiés à la frontière avec l’italie car le principe de subsidiarité veut qu’un requérant d’asile dépose sa demande en Italie, pays sûr et disposé à examiner sa demande. Votre discours est politique, sous couvert d’arguments juridiques. Cela nuit à la force de votre message.

    1. Bonjour,
      Lorsqu’une personne même en provenance d’Italie fait une demande d’asile à la frontière suisse ce dernier doit le faire entrer en procédure d’asile. Sa demande sera examinée en audition sur les données personnelles par le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) qui décidera si oui ou non cette personne doit être transférée en Italie pour l’examen de sa procédure d’asile. Ce n’est pas au garde-frontière de prendre cette décision. La personne concernée pourrait bénéficier du regroupement familial avec un membre de sa famille déjà en procédure en Suisse ou cette personne pourrait être dans un état médical qui ne permettrait pas de transfert vers l’Italie. Le garde-frontière n’est pas en mesure de faire cet examen et de décider si la Suisse doit ou non appliquer la “clause de souveraineté” contenue dans le règlement Dublin (para et art 17). Certains refoulement à la frontière peuvent mettre en danger une personne même en Italie.

      1. Merci de votre réponse.
        Je comprends à sa lecture que vous êtes de bonne foi. Vous partez toutefois d’une prémisse manifestement erronée. La Suisse a choisi librement et donner des droits plus étendus que ne prévoit le droit international aux personnes qui sont interceptées à la frontière provenant d’un Etat Dublin. Le droit suisse (et non pas le droit international) prévoit dès lors que les CGfr remettent les personnes qui demandent de manière reconnaissable l’asile au SEM. Il ne s’agit toutefois pas là d’une obligation internationale, car le droit international permet des accords suprarégionaux de répartition du fardeau de la détermination de la qualité de réfugié. C’est ainsi, par exemple, que la Suisse aurait été parfaitement en droit de charger le CGfr ou les autorités cantonales de migration de se prononcer (sans consulter le SEM) sur un renvoi Dublin, car – pour prendre cet exemple – il est certain que l’Italie examine les demandes d’asile (et le CGfr ou l’autorité cantonale pourrait sans difficulté examiner le principe de non-refoulement ou l’art. 3 CEDH, comme elles ne font pour un migrant qui ne demande pas l’asile, soit des garanties internationales qui sont contraignant pour la Suisse sans restriction et à toutes autorités).
        Vous partez donc d’une garantie supérieure offerte par le droit interne suisse pour dénoncer une violation du droit international par la Suisse. C’est une prémisse erronée. Désolé.

        1. Je ne base pas sur “une garantie supérieur offerte par le droit interne”. Aucunement.

          Je me base sur le règlement Dublin. Et franchement j’ai du mal à comprendre votre raisonnement.

          Les dispositions du Règlement Dublin III sont très clairs et sans ambiguités.

          Paragraphe 17) “Il importe que tout État membre puisse déroger aux critères de responsabilité, notamment pour des motifs
          humanitaires et de compassion, afin de permettre le
          rapprochement de membres de la famille, de proches
          ou de tout autre parent et examiner une demande de
          protection internationale introduite sur son territoire ou
          sur le territoire d’un autre État membre, même si cet
          examen ne lui incombe pas en vertu des critères obligatoires
          fixés dans le présent règlement.

          Paragraphe 18) Un entretien individuel avec le demandeur devrait être organisé pour faciliter la détermination de l’État
          membre responsable de l’examen d’une demande de
          protection internationale. Dès que la demande de protection
          internationale est introduite, le demandeur devrait
          être informé de l’application du présent règlement ainsi
          que de la possibilité, lors de l’entretien, de fournir des
          informations sur la présence de membres de sa famille,
          de proches ou de tout autre parent dans les États
          membres afin de faciliter la procédure de détermination
          de l’État membre responsable.”

          En outre, relisez les dispositions du règlement qui suivent:

          Article 5
          Entretien individuel

          1. Afin de faciliter le processus de détermination de l’État
          membre responsable, l’État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur
          comprenne correctement les informations qui lui sont fournies
          conformément à l’article 4.

          3. L’entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas,
          avant qu’une décision de transfert du demandeur vers l’État
          membre responsable soit prise conformément à l’article 26,
          paragraphe 1.

          4. L’entretien individuel est mené dans une langue que le
          demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement
          supposer qu’il la comprend et dans laquelle il est capable de
          communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un
          interprète capable d’assurer une bonne communication entre le
          demandeur et la personne qui mène l’entretien individuel.

          5. L’entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national.

          Enfin mon article cite plusieurs sources qui confirment que des mineurs non-accompagnés ont soumis par écrit (même) une demande d’asile à la frontière. Or ces jeunes ont été refoulés plusieurs fois. Ce n’est que l’intervention personnalisée des ONGs sur certains cas précis qui a pu débloquer la situation.

          C’est de cela dont on parle. De l’application conforme du Règlement Dublin III.

          Ainsi votre remarque initiale “La Suisse a choisi librement et donner des droits plus étendus que ne prévoit le droit international aux personnes qui sont interceptées à la frontière provenant d’un Etat Dublin” ne tient pas la route.

  4. En outre, si effectivement la Suisse donnait la possibilité aux Gfr de faire le premier entretien (1ère audition d’asile) – ce que fait actuellement le SEM – alors ils ne se permettrait plus de refouler mécaniquement. Ils serait obligés de suivre la même procédure que le SEM actuellement.

  5. Enfin et je terminerai ici mon propos:
    Il est faux de dire que sous prétexte d’un accord -ici l’accord de Dublin- une personne ne peut pas être réfugiée en arrivant à la frontière suisse. Un réfugié reste un réfugié, qu’il soit en Italie, qu’il vienne en Suisse ou qu’il aille en Allemagne. Un syrien ayant débarqué en Italie et demandant l’asile en Suisse, pour x ou x raison, est réfugié pour avoir dû fuir son pays. Qu’il obtienne ce statut dans tel ou tel pays est une autre chose.

    1. 1. Le règlement Dublin accorde le droit aux personnes interceptées à la frontière de faire valoir devant l’autorité compétente les motifs pour lesquels elles seraient susceptibles d’être admises sur le territoire pour l’examen de sa demande d’asile. Il n’est nullement prévu que ce soit impérativement les autorités en matière d’asile qui procèdent à cet entretien (êtes-vous d’accord sur ce point?). La Suisse a fait ce choix, nombre de nos voisins “non”.
      En France, par exemple, c’est le préfet qui décide; pas l’OFPRA.
      Encore une fois, vous interprétez des textes à la lumière de la pratique suisse, qui est plus généreuse que ce que prévoit au minimum le droit international ou européen.

      2. J’ajoute qu’il serait certainement plus juste que les cantons procèdent à cet examen et qu’ils seraient plus “faciles” pour eux d’entrer en matière sur la clause humanitaire/de compassion que le SEM. Je ne défends par ailleurs pas que le CGfr doit procéder à cet examen, mais c’est une solution qui serait juridiquement possible (à condition bien sûr de changer la loi suisse).

      3. La Convention sur les réfugiés prévoit expressément le principe de la subsidiarité. Si un réfugié a trouvé un refuge sûr dans un Etat tiers (ou est en mesure de le trouver), il perd ses droits liés à la convention et ne peut plus obtenir la reconnaissance de ce statut dans un autre Etat (êtes-vous d’accord sur ce point ?).
      Et vous savez sans doute très bien que c’est pour cette raison que la Suisse a ratifié, bien avant les accords de Dublin, l’Accord européen sur le transfert de la responsabilité à l’égard des réfugiés pour permettre précisément de reconnaître, à certaines conditions, le statut de réfugié reconnu à une personne par un Etat européen.
      https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/19800276/index.html

      4. C’est le principe de non-refoulement qui suivra le réfugié toute sa vie, car il s’applique erga omnes (à l’égard de tous). Vous le reconnaissez à demi-mots, en indiquant “qu’il obtienne ce statut dans tel ou tel pays est une autre chose”. Le principe de non-refoulement s’applique dès lors à tous, peu importe qu’il ou elle a déposé une demande d’asile. Il est donc faux d’en tirer une règle particulière pour les requérants d’asile quant à leur droit à déposer une nouvelle demande d’asile, après avoir déjà obtenu une protection.

      J’ajoute encore, car vous semblez mentionner ce point également, le droit à l’instruction d’une demande d’asile ne signifie par ailleurs pas que la personne est un réfugié, mais qu’elle bénéficie de protections particulières le temps de l’instruction de sa demande d’asile. En particulier, cela ne signifie pas que la personne en cause bénéficierait du droit de choisir l’Etat dans lequel elle souhaiterait voir examiner sa demande d’asile.

      Il me semble que vous vous écartez d’une réflexion juridique pour défendre des principes, en abordant de surcroît un ton relativement peu amical envers moi alors que j’essaie simplement d’argumenter mon point de vue sur la base de faits juridiques.

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