Renvois Dublin, statistiques et intox du Secrétariat d’Etat aux migrations

Peut-on faire confiance au Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) lorsqu’il communique sur les statistiques en matière d’asile? Pas pour l’instant comme le démontre la bourde récente du SEM suite à la remise de l’Appel Dublin le 20 novembre 2017. Comme disait Coluche, “les statistiques, c’est comme le bikini: ça donne des idées mais ça cache l’essentiel!”

Il n’est pas aisé de déchiffrer les statistiques en matière d’asile. Elles sont un mystère pour celles et ceux qui ne sont pas familier avec la procédure suisse et européenne. Mais le SEM a la mauvaise habitude de nous donner des réponses volontairement vagues afin d’éviter, probablement, des précisions gênantes. Difficile de plaire à tout le monde: ceux qui souhaitent une politique moins ouverte à l’égard des réfugiés et ceux qui au contraire tiennent à ce que la Suisse respecte simplement les droits fondamentaux des requérants d’asile, des réfugiés et des personnes admises à titre provisoire. Pourtant, même en sandwich, le SEM gagnerait en crédibilité s’il évitait de nous induire en erreur. Le réflexe défensif est un mauvais calcul. Il décrédibilise l’institution qui n’en a cure sauf peut-être quand la Conseillère fédérale Simonetta Sommaruga se voit obligée de corriger la bourde devant le Parlement.

Le SEM nous prend pour des idiots

 

C’était en novembre dernier lorsque l’Appel contre l’application aveugle du Règlement Dublin, une pétition signée par 33 000 personnes et soutenue par 200 organisations, fût remise à la Chancellerie fédérale. L’Appel Dublin est une levée de bouclier contre la séparation des familles et contre le renvoi de personnes malades dans des pays où une prise en charge médicale n’est pas garantie. La pétition demande aux autorités d’asile d’appliquer ce qu’on appelle “la clause de souveraineté” prévue dans le Règlement Dublin, qui permet à la Suisse d’examiner les demandes d’asile de certains requérants pour des motifs humanitaires et pour permettre le rapprochement de membres de la famille.

Or en réponse à cette pétition le SEM déclarait à la RTS le 21 novembre dernier avoir fait application de la clause de souveraineté plus de 5’600 fois sur 11’000 renvois entre janvier 2014 et octobre 2017. Faux selon le Comptoir des médias qui s’est empressé de rappeler que sur les 5’600 cas cités, le SEM avait volontairement intégré 4’200 cas “Dublin Grèce” pour lesquels les transferts sont formellement interdits par la Cour européenne des droits de l’homme depuis janvier 2011. Ainsi, comme le précise Giada de Coulon dans un  décryptage récent, c’est la Cour européenne des droits de l’homme, qui a prohibé les renvois vers la Grèce et l’ensemble des pays de l’Union européenne respecte cette décision reprise par le Tribunal administratif fédéral (TAF) en 2011.

Bien plus qu’une application de la clause de souveraineté pour des motifs discrétionnaires et humanitaires, il s’agit en fait ici d’une application de l’art. 3 § 2 du Règlement de Dublin III qui fait interdiction aux États de procéder au renvoi de demandeurs d’asile vers un pays où leurs droits fondamentaux seraient violés de manière systémique. En d’autres termes, si la Suisse exécutait ces renvois, elle violerait ses obligations internationales et serait condamnable devant les instances européennes, précise -t-elle.

 

Mensonge et malaise

 

Ainsi, c’est grâce au travail de “fact-checking” du Comptoir des médias que le Conseiller national Carlo Sommaruga (PS) a demandé, lors d’une session parlementaire, des précisions au Conseil fédéral. La réponse de Madame la Conseillère fédérale Simonetta Sommaruga a confirmé l’analyse du Comptoir. En réalité ce sont seulement 1’400 cas qui ont bénéficié de la clause de souveraineté entre janvier 2014 et octobre 2017 alors que 11’000 renvois Dublin ont été exécutés durant cette période souvent au détriment de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Résultat, l’intox du SEM montre le malaise des autorités face à une pétition entièrement justifiée. Les organisations soutenant la pétition sont en attente d’une rencontre avec Madame la Conseillère fédérale Simonetta Sommaruga qui, nous espérons, considérera avec attention les situations difficiles qui lui seront présentées et agira dans le meilleur intérêt des personnes concernées.

 

Lire aussi: 

Fact-checking | Clause de souveraineté: le SEM fait de l’intox pour délégitimer l’Appel Dublin

Le mythe de la générosité dans l’application du règlement Dublin

(1) La clause de souveraineté permet à chaque Etat membre du Règlement Dublin de renoncer à un renvoi et d’examiner une demande d’asile lorsqu’il implique des personnes vulnérables ou la séparation de familles. Voir le paragraphe 17 et l’article 17 du Règlement Dublin III

Jasmine Caye

Avec une expérience juridique auprès des requérants d'asile à l'aéroport de Genève, Jasmine Caye aime décrypter l'information sur les réfugiés et les questions de migration. Elle a présidé le Centre suisse pour la défense des droits des migrants (CSDM) et continue d'assister des personnes en procédure d'asile. Les articles sur ce blog paraissent en version courte sur un autre blog ForumAsile.

Une réponse à “Renvois Dublin, statistiques et intox du Secrétariat d’Etat aux migrations

  1. « En réalité ce sont seulement 1’400 cas qui ont bénéficié de la clause de souveraineté »” dites-vous ? La réalité est bien pire ! L’examen attentif du « fact-checking » que vous citez et de la réponse de Madame Sommaruga que vous mentionnez le démontre. Car en plus des cas relatifs à la Grèce, ce sont aussi 191 cas relatifs à la Hongrie et 1073 cas relatifs à l’Italie qu’il faut déduire. Ces renvois sont en effet eux aussi strictement interdits par la jurisprudence pour ne pas violer l’art. 3 CEDH qui prohibe les traitements inhumains (cf. p. ex. La jurisprudence « Tarakhel » de la CourEDH, qui prohibe le renvoi sur l’Italie de familles sans garanties de prise en charge). Il n’y a donc rien de « souverain » dans le fait de ne pas renvoyer ces demandeurs d’asile sous le régime « Dublin ». Restent 168 cas sur lesquels Madame Sommaruga ne donne aucune précision. Gageons qu’il y a là aussi des décisions prisent sous la contrainte du droit. Au final, sur les 5675 décisions « souveraines » misent en avant par le SEM et le DFJP, il n’y en a sans doute qu’une poignée qui relèvent du pouvoir discrétionnaire prévu à l’art. 17 du règlement Dublin III pour respecter le principe de « compassion » sur lequel il se fonde). Face aux 11’000 renvois Dublin effectués aveuglément, ces quelques cas donnent la mesure de l’intransigeance inouïe de celle qui dirige actuellement le DFJP. Et il ne faudrait pas qu’en voulant dénoncer une intox, les défenseurs de l’asile, dont beaucoup se sont déjà fait enfumer il y a un an et demi en ne combattant pas la restructuration catastrophique voulue par Madame Sommaruga, finissent par la renforcer. 1’400 décisions humanitaires ? Si seulement c’était vrai…

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