On dit des Rohingyas qu’ils sont les plus persécutés au monde. C’est en tous cas le titre que donne The Economist à son article daté du 13 juin 2015. C’est vrai, cette population musulmane minoritaire est détestée, persécutée, discriminée, amputée de ses droits politiques et fondamentaux depuis des décennies. Lorsqu’ils fuient leur pays, ils sont enfermés dans des centre de détention administrative, refoulés ou déportés vers le Myanmar quand ils ne sont pas remis à des trafiquants.
Les autorités birmanes ont longtemps opéré en cachette alors que le pays était isolé durant les années de la junte militaire, entre 1962 et 2015. Malgré l’arrivée au pouvoir de la Ligue nationale pour la démocratie représentée par Aung San Suu Kyi, les exactions commises à l’égard de cette communauté depuis trois mois, n’ont jamais été si graves. Les organisations comme Human Rights Watch, Amnesty international ou même le Haut-commissariat des réfugiés n’hésitent pas à parler de nettoyage ethnique et les Rohingyas dénoncent un génocide à ciel ouvert alors que l’impunité règne. Ce sont des viols en bandes, des disparitions forcées, des interrogatoires sous tortures et des destruction de villages entiers incendiés contre des civils qui sont interdits de retour.
Un peuple détruit, sans terres ni droits
La population Rohingya est un groupe ethnique de langue indo-européenne et de religion musulmane vivant principalement dans le nord de l’État de Rakhine. Elle se distingue des autres habitants de cet Etat qui parlent birman et qui sont bouddhistes.
Au moment de l’indépendance en 1948, les Rohingyas sont reconnus en tant que minorité nationale mais la politique de “birmanisation” de la junte militaire mène à la destitution de leur citoyenneté en 1982. La loi birmane sur la nationalité de 1982 spécifie que seuls les groupes ethniques pouvant faire la preuve de leur présence sur le territoire avant 1823 (avant la première guerre anglo-birmane qui a mené à la colonisation) peuvent obtenir la nationalité birmane. Exclus des 135 ethnies officiellement reconnues, les Rohingyas voient leurs droits fondamentaux complètement niés: l’accès aux soins de base, aux écoles et aux marché du travail leur sont défendus et leur liberté de mouvement restreinte et contrôlée.
Aujourd’hui les Rohingyas sont appelés “Bengali” et la plupart des birmans les considèrent comme des immigrants illégaux venus du Bangladesh ou installés par les colons anglais.
Les confrontations avec les militaires en 1978 et 1991 provoque l’exil de centaines de milliers de personnes au Bangladesh surtout mais aussi en Thailande, en Malaysie, et en Indonésie. Or aucun de ces pays n’a ratifié la Convention des réfugiés de 1951 ni son Protocole de 1967 et l’absence de cadre juridique régional de protection des réfugiés a rendu leur situation humanitaire des plus critique.
Depuis des décennies les déplacés internes et les réfugiés Rohingyas sont entassés dans des camps fermés ou, lorsqu’ils parviennent à rejoindre les pays voisins, dans des centres de détention administrative (“Immigration Dentention Centre”) destinés aux migrants illégaux. Comme ils ne peuvent pas prouver leur identité ou leur lieu d’origine ils sont souvent déportés vers des de pays ou des régions inconnues. Dans les années 90 beaucoup de Rohingyas détenus à Bangkok au Centre de détention administrative de Suan Plu sont déportés vers des contrées ethniques inconnues (Etat Karen au Myanmar) et même vers le Cambodge. Les plus chanceux ont bénéficié du programme de réinstallation du HCR, notamment depuis le Bangladesh ou la Malaysie mais c’est une minorité.
Les événements récents
Depuis 2011, les discours haineux à l’égard des Rohingyas sont proférés par un moine puissant – Ashin Wirathu – que l’on sait soutenu, depuis sa libération de prison en 2011, par d’anciens dirigeants politiques. En 2012, les violences à l’égard des Rohingyas ont explosé suite au viol d’une femme perpétré par plusieurs Rohingyas qui a causé sa mort. D’une violence inouïe, les confrontations ont provoqué le déplacement de milliers de civils. De 2013 à 2015, 120’000 Rohingyas ont pris la mer pour trouver refuge en Thaïlande en Malaysie et en Indonésie.
En mars 2016, le gouvernement birman annonce la fin de l’Etat d’urgence mais les violences reprennent en octobre 2016 suite à l’attaque d’un poste de police par des hommes non identifiés mais désignés par les autorités comme étant des Rohingyas radicalisés du groupe “Aqa Mul Mujahidin”.
Cette attaque a provoqué des représailles violentes contre la minorité musulmane. Quelque 43’000 personnes ont dû fuir leurs villages et 1’200 habitations ont été entièrement brûlées dans le district de Maungdaw en octobre et novembre 2016. Des représailles qui prennent aussi la forme de viols collectifs, de disparitions forcées et de tortures. En janvier la vidéo montrant la brutalité de soldats birmans a provoqué l’indignation internationale. Trois militaires viennent d’être arrêtés.
Des intérêts économiques derrière le nettoyage ethnique
L’apatridie des Rohingyas empêche les victimes des crimes de défendre leurs droits devant les tribunaux birmans. La solution immédiate est dans la modification de la loi de 1982. D’ailleurs la citoyenneté des Rohingyas leur est reconnue dans deux documents diplomatiques datant de 1978 et 1992 comme l’explique Anders Corr dans un article récent.
Mais les habitants bouddhistes ont eux-même été chassé de leurs terres et c’est probablement aussi l’une des explications aux confrontations accrues entre les communautés depuis 2012. Selon Saskia Sassen, professeure de sociologie à l’Université de Columbia, les hostilités récentes sont dues à l’avidité économique des dirigeants et des investisseurs internationaux. Durant les années 90, les militaires au pouvoir ont confisqué d’énormes territoires appartenant à des petits propriétaires terriens afin d’exploiter des mines, des forêts et des fermes. Ces expropriations ont beaucoup augmenté en 2012 alors que plusieurs lois ont été modifiées notamment la loi foncière, la loi sur les investissements étrangers et la loi de 1963 sur les paysans. Même si le secteur agricole est encore protégé des investissements étrangers, des montages juridiques permettent de les contourner.
L’Etat de Rakhine est le plus pauvre de Birmanie mais bien situé pour accueillir les investisseurs étrangers. Les groupes pétrochimiques chinois y sont déjà bien placés avec la présence de China National Offshore Oil Corporation (CNOOC), PetroChina et China National Petroleum Corporation (CNPC). Il ne faut pas espérer de pression de la part des dirigeants chinois qui craignent l’ingérence dans leurs affaires tibétaines et ouïgours. Mais il n’y a pas que la Chine bien qu’elle soit très en avance. Les Etats-unis et l’Union européenne ont aussi beaucoup investi au Myanmar et ne souhaitent pas s’aliéner les dirigeants birmans au bénéfice de la Chine. Du côté des puissances régionales de l’ASEAN il n’y a pas non plus d’espoir malgré l’indignation récente du premier ministre malaisien, Najib Razak à l’égard du “génocide Rohinghya”.
Les espoirs viennent de l’intérieur. En réaction aux nombreuses critiques internationales, une Commission nationale (de conseil) présidée par Kofi Annan a été mise sur pieds mais elle tarde à produire des recommandations. Même la marge de manoeuvre d’Aung San Suu Kyi est limitée par le pouvoir encore importants des militaires. Cependant, une nouvelle militarisation de l’Etat de Rakhine refroidira les investisseurs. Aussi, sans amendement de la loi sur la citoyenneté, les Rohingyas ont tout intérêt à poursuivre la résistance et intensifier leurs attaques.