“4.1 Miles” le documentaire choc de Daphne Matziaraki

Voulez-vous vivre un sauvetage en mer? C’est sans espoir et plein d’espoir. Tout à la fois. C’est révoltant et réjouissant. C’est une expérience émotionnelle volcanique et remuante. On aimerait être là sur le bateau à tirer les cordes, à lancer les bouées, à réchauffer les uns et les autres. Ce film est obsédant. C’est l’un des reportages les plus frappant que j’ai vu sur la crise migratoire. Je vous le recommande.

Attention à la dureté des images! Ce documentaire poignant de Daphne Matziaraki pour le NEW YORK TIMES est intitulé 4.1 Miles. Il raconte le travail du corps des garde-côtes de l’île de Lesvos en Grèce en 2015 et 2016. C’est une plongée extrême dans la détresse de femmes, d’enfants et d’hommes sauvés au large d’une île qui se trouve seulement à six kilomètres des côtes turques.

4.1 Miles 3On y découvre le travail admirable de Kyriakos Papadopoulos et de ses collègues gardes-côtes. L’immersion est troublante. Elle nous permet de vivre quelques secondes de la réalité de milliers de réfugiés, une réalité faite d’espoir et de souffrance alors qu’ils quittent les côtes turques, avec leurs petits enfants dans les bras, en sachant qu’ils risquent de se noyer en mer. Dans l’urgence des besoins, les personnes sur le port de Lesvos font tout leur possible pour sauver des vies à même le sol. Un petit enfant inconscient est pendu par les pieds pour être réanimé jusqu’à ce qu’il crache l’eau salée. Des hommes et des femmes grecs réchauffent ceux qu’ils peuvent, certains s’acharnent à faire des massages cardiaques pour ressusciter ceux qui sont presque morts.

Après une journée de sauvetage, Kyriakos Papadopoulos dit: “Il n’y a pas de mots pour décrire ce que je ressens (…) C’est un cauchemar, c’est l’agonie. Partout où nous sommes allés il y avait des gens dans l’eau. La seule chose que j’espère c’est que nous n’avons laissé personne.4.1 Miles

Entre 2015 et 2016, 600’000 personnes ont fait la traversée des six kilomètres (4.1 miles) pour arriver à Lesvos. Depuis le mois de janvier ce sont plus de 94’000 personnes qui ont fait cette traversée dont la moitié proviennent de Syrie selon le Haut commissariat aux réfugiés (HCR).

On admire le travail de cette journaliste qui fait actuellement un Master à UC Berkeley. Dans ce documentaire de 21 minutes 20, elle a déclaré vouloir montrer la force et la détermination de certains héros inconnus comme Kyriakos Papadopoulos. Kyriakos est une homme qui m’a fait voir la vie autrement grâce à son courage, sa force, sa philosophie, son dévouement et sa gentillesse”, a-t-elle récemment déclarée sur le blog SKOPELOS NEWS.

 

 

Petit rappel sur l’Erythrée et sur ceux que nous ne devons pas oublier

 

Ils sont détenus au secret depuis quinze ans

Ils ont été arrêtés il y a quinze ans. C’était le 18 septembre 2001 au petit matin. Les forces de sécurités érythréennes, ont arrêté 11 membres officiels du gouvernement parce qu’ils avaient émis, dans une lettre ouverte, des critiques sur les excès dictatoriaux du Président Isaias Aferworki. Ils demandaient l’application de la Constitution et la tenue d’élections. Cette lettre avait lancé le débat et mis le feu aux poudres. Quelques jours plus tard, les rédacteurs en chef de tous les médias indépendants furent arrêtés et transférés dans un lieu de détention isolé. Depuis ce jour, il n’y a plus de presse indépendante en Erythrée.

Ces personnes sont détenues au secret depuis quinze ans alors qu’elles n’ont jamais été inculpées, ni jugées, ni visitées par leurs proches ou par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), présent depuis 1998.

Sont-ils encore vivants ? Selon Reporters Sans Frontières (RSF) et Human Rights Watch, près de la moitié seraient morts. Les appels internationaux en faveur de leur libération n’ont servi à rien.

Parmi les personnes arrêtées, il y a le général Petros Solomon, libérateur d’Asmara en 1991 et ancien Ministre des affaires étrangères, Haile Woldentensae, ancien camarade de bataille du Président et Ogbe Abraha, l’ancien chef d’état-major.  Il y a aussi des journalistes connus comme Dawit Isaac, double national -érythréen et suédois – dont le Ministre de l’information de l’époque, Ali Abdu expliquait en 2013 ne rien savoir de son sort. Ali Abdu s’est d’ailleurs lui-même exilé en décembre 2012 ce qui a provoqué l’arrestation immédiate de plusieurs membres de sa famille, dont sa fille Ciham Ali Abdu qui avait 15 ans. Comme elle est aussi de nationalité américaine, sa détention a été discutée au sein d’une sous-commission de la Chambre des représentants. Les autorités américaines sont sans nouvelles d’elle depuis 2012.

 

La Suisse et la question érythréenne

 

Doit-on collaborer avec un tyran pour stopper le flux migratoire en provenance d’Erythrée ? Comment éviter les morts en Méditerranée ? Comment dissuader la venue de nouveaux demandeurs d’asile en Europe ? Comment promouvoir la paix et le bien être social dans ce pays ? Comment y faciliter les renvois? Ces questions tourmentent certains politiciens suisses et européens.

En Suisse on se rappelle de la visite du groupe parlementaire en février de cette année. Elle a, à juste titre, provoqué de nombreuses critiques car un parlementaire n’a aucun moyen d’y vérifier la situation des droits de l’homme.

Depuis 2015, la Suisse développe des projets de soutien aux migrants dans la région mais le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) reconnaît que la situation des droits humains reste problématique. En 2016 il a accordé l’asile à 46% des demandeurs d’asile érythréens. Et malgré le fait que le nombre de demandes d’asile déposées en Suisse en 2016 a chuté –  moins 57% par rapport à 2015 – le SEM a encore durci sa pratique, n’accordant l’asile politique ou l’admission provisoire qu’aux déserteurs et objecteurs de conscience. Ainsi une personne qui aurait quitté son pays illégalement avant d’avoir été appelée au service militaire, ne pourrait plus prétendre au statut de réfugié ou obtenir l’admission provisoire. Elle recevrait une décision négative d’asile et serait placée à l’aide d’urgence, pour une durée indéterminée. Le SEM opte définitivement pour une pratique dissuasive à l’égard des demandeurs d’asile érythréens tout en sachant que les renvois sont impossibles et intolérables.

 

En attendant, l’Erythrée redore son blason avec l’aide de l’Union européenne

 

L’Union européenne (UE) cherche des solutions semblables à celle qu’elle a trouvé en signant l’accord migratoire avec la Turquie au mois de mars dernier. Elle est plus agressive dans ses projets de développement et tisse des liens économiques et culturels avec Asmara. Les rencontres institutionnelles et politiques se sont intensifiées en 2016. D’ailleurs, le treizième Festival du film européen qui s’ouvre à Asmara fin septembre est largement sponsorisé par l’Union européenne qui lance aussi un Concours de photographie sur les femmes en Erythrée.

Les représentants d’Asmara qui se sont récemment exprimés décrivent un pays respectueux de sa population. Interrogé par Radio France International (RFI) au mois de juin sur la situation des personnes arrêtées en 2001, Osman Saleh, le Ministre érythréen des affaires étrangères, a déclaré que les personnes arrêtées en 2001 étaient vivantes et qu’ils seraient jugés lorsque le gouvernement le déciderait. Comme Yemane Gebreat (ambassadeur d’Erythrée à l’ONU), il a dénoncé le récent rapport de la Commission d’enquête de l’ONU. Ce rapport dénonce 25 ans de crimes contre l’humanité et demande au Conseil de sécurité de l’ONU de saisir le procureur de la Cour pénale internationale pour poursuivre les responsables de ces crimes, les dirigeants actuels de l’Erythrée.

En se rapprochant d’Asmara, l’UE cherche des solutions pour empêcher la venue de migrants érythréens en Europe mais la situation dans ce pays n’est pas propice à la signature d’accords de réadmission qui nécessiteraient l’instauration d’une vraie démocratie respectueuse des droits humains. Aujourd’hui, malgré toutes les parades et les déclarations des membres du gouvernement érythréen, ce pays reste une dictature, une prison sans nom. Abraham Tesfarmariam a fui le pays illégalement en 2007, il est convaincu que rien n’a changé dans son pays d’origine.  “Notre Constitution n’est jamais entrée en vigueur. En Érythrée, il n’y a ni lois, ni juridiction. Le gouvernement et ses auxiliaires décident arbitrairement et arrêtent, maltraitent et torturent les gens, sans avoir à se justifier “, a-t-il récemment déclaré à Barabara Graf Mousa de l’Organisation suisse des réfugiés (OSAR).

 

New-York : Deux journées importantes pour les réfugiés et les migrants

 

C’est aujourd’hui que l’Assemblée générale des Nations unies doit adopter une série d’engagements pour renforcer la protection des migrants et des réfugiés. Une fois adoptés, ces engagements seront connus sous le nom de Déclaration de New York. Celle-ci comprend deux annexes qui doivent mener à l’adoption de deux Pactes mondiaux en 2018, l’un sur les réfugiés, l’autre sur une meilleure protection des migrants.

Le projet de déclaration finale de New York doit permettre de créer les conditions idéales pour exiger des engagements concrets de la part des Etats parties en 2018. Elle mentionne notamment la nécessité de combattre l’exploitation, le racisme et la xénophobie. Elle insiste sur le bon déroulement des procédures à la frontière qui doivent se dérouler dans le respect du droit international. Elle souligne également l’importance d’accorder une grande attention aux besoins des personnes vulnérables (femmes, enfants, personnes malades, handicapées, âgées). Elle énonce aussi des engagements qui incluent un soutien plus important aux pays et aux communautés accueillant le plus grand nombre de réfugiés et encore des engagements qui tiennent compte des besoins d’éducation des réfugiés et de leur entrée dans la vie active du pays d’accueil. L’accent est également mis sur le développement des opportunités de réinstallation ou autres formes d’admission dans des pays tiers.

 

Un texte trop édulcoré ?

 

Ce texte n’est pas un amas de vaines promesses bien qu’il ait été édulcoré par rapport au texte initial soumis par le Secrétaire-général Ban Ki-moon en novembre 2015. Il est crucial au moment où les mouvements xénophobes et les réflexes de replis nationaux prennent de l’ampleur. La Déclaration réaffirme l’importance de l’application du régime de protection internationale – la Convention de 1951, les droits de l’homme et le droit humanitaire – à l’égard des réfugiés. Toutefois, ce projet représente une occasion manquée d’élargir la portée de la protection à d’autres personnes victimes de violences généralisées, de désastres écologiques, de guerres civiles, de violations aggravées des droits humains qui forcent leurs départs.

Critiqué pour ses réflexes monopolistiques, le Haut-commissariat des réfugiés (HCR) attend évidemment beaucoup de ce sommet. Les mauvaises langues diront que le HCR espère recevoir plus de moyens d’action. Sybella Wilkes, porte-parole du HCR, estime de son côté qu’en signant la Déclaration, les gouvernements prennent conscience de leurs nouvelles responsabilités dans l’assistance aux pays d’accueil comme la Turquie et le Liban. Selon elle, la réponse purement humanitaire aux déplacement des populations, d’ailleurs complètement sous-financée, doit céder la place à une réponse plus large et encadrée.

Les organisations non-gouvernementales comme Human Rights Watch, Oxfam, Amnesty International et certains spécialistes des questions migratoires comme Alexandre Betts (Centre d’étude sur les réfugiés, Oxford), Peter Sutherland (Rapporteur spécial des Nations unies pour le migrations internationales), François Crépeau (Rapporteur des Nations unies sur les droits de l’homme des migrants) convergent sur les solutions pour améliorer le sort des personnes migrantes. Ils considèrent la Déclaration comme étant trop édulcorée et insistent sur la nécessité de :

 

  • protéger d’autres catégories de personnes migrantes, notamment, celles qui, sans être personnellement persécutées pour des raisons de race, de religion, de nationalités, d’appartenance à un certain groupe social ou d’opinions politiques, sont forcées de quitter leur pays par manque de sécurité,
  • d’interdire absolument la détention de réfugiés et migrants mineurs, une pratique américaine qui gagne du terrain en Europe,
  • d’augmenter considérablement les offres de réinstallation pour les réfugiés,
  • d’accroître l’aide financière aux pays de premier accueil,
  • de mettre en place une stratégie d’emploi, de formation et d’éducation pour tous les réfugiés, y compris ceux qui ne sont pas dans des camps,
  • de trouver le moyen d’instaurer des voies de passages sûrs.

Ils ont raison et ils devront convaincre aujourd’hui et faire beaucoup de « diplomatie de couloir » auprès de ceux qui participeront aussi demain au Sommet des dirigeants sur la crise mondiale des réfugiés organisé par le Président Obama. Cette réunion promet d’être plus concrète en terme de participation financières et de générosité humanitaire. Espérons-le, autrement nous devons nous attendre à bien d’autres conflits et crises.

Il s’agit d’éviter d’autres conflits

En effet, le nombre de réfugiés et de personnes déplacées dépasse les 65 millions de personnes. Plus de la moitié des réfugiés dans le monde provient de trois pays : la Syrie, l’Afghanistan et la Somalie. Ces chiffres ne tiennent pas compte des 5.2 millions de Palestiniens enregistrés par l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA). Pour les Etats en première ligne comme la Turquie, le Pakistan, le Kénya et la République démocratique du Congo, la pression causée par le flux massif de réfugiés est difficilement surmontable. Gardons à l’esprit que 86% des réfugiés se trouvent dans les pays en voie de développement. Le manque d’attention et d’investissement dans l’assistance aux populations déplacées est une bombe à retardement pour notre génération et les générations futures car 50% des réfugiés dans le monde sont des enfants. Parmi eux la moitié n’est pas scolarisée.

 

 

 

 

 

 

Mineurs non-accompagnés : pourquoi Lisa Bosia Mirra n’a rien commis d’illégal

 

Jeudi 1er septembre, Lisa Bosia Mirra, députée socialiste au Grand conseil tessinois et fondatrice de l’ONG Firdaus, a été arrêtée à la frontière. Elle est accusée d’avoir facilité et organisé le passage clandestin de quatre mineurs non-accompagnés en ouvrant la route à un fourgon les transportant. Très présente auprès des migrants de Côme refoulés à la frontière de Chiasso, elle avait déjà dénoncé début août les refoulements de jeunes mineurs non-accompagnés, de personnes détentrices d’un document de réfugié du HCR et de celles qui ont de la famille en Suisse. Concernant les mineurs non-accompagnés, de nombreux cas de refoulements arbitraires ont été dénoncés par l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR), l’Alliance pour les droits des enfants migrants (ADEM) et Amnesty international.

Aider des requérants mineurs non-accompagnés à déposer leurs demandes d’asile en Suisse ne peut être jugé semblable à du trafic illégal de migrants. Lisa Bosia Mirra n’a fait que corriger une pratique arbitraire de renvois automatiques en se  fondant sur le Règlement Dublin et la Convention relative aux droits de l’enfant, deux textes qui offrent une protection incontestable aux migrants mineurs et qui exigent des Etats qu’ils prennent des mesures de protection urgentes et adéquates en leur faveur.

Combien de temps l’Italie tiendra-t-elle ?

Evidemment, personne n’a envie d’un Calais à nos portes. Combien de temps l’Italie pourra-t-elle contenir les migrants et se plier au règlement Dublin dont elle subit les conséquences en tant que premier pays d’accueil. Si l’Italie mettait le holà, la Suisse en souffrirait car elle profite du système plus que les autres pays et considère l’Italie comme sa remise. Poussez le bouchon aussi loin que refouler autant de personnes, y compris des mineurs non-accompagnés, ne fait qu’enflammer la situation et ne garanti pas la sécurité aux frontières, au contraire.

Les garde-frontières tessinois ont été critiqués pour leur incompétence alors qu’ils ont obéi aux ordres. Déjà en juin, le chef du gouvernement tessinois, Norman Gobbi, avait donné le ton en déclarant vouloir fermer la frontière afin d’éviter la venue de « migrants illégaux », vocabulaire assez nouveau et inapproprié qui reflète d’avantage l’agacement des autorités européennes vis-à-vis de certains migrants économiques et contribue malheureusement à donner du souffle aux partis d’extrême droite. C’est l’important dispositif sécuritaire, installé depuis, qui a changé la donne puisque les refoulements ont nettement augmenté.

Lors d’une conférence de presse Madame Simonetta Sommaruga a défendu cette stratégie pour deux raisons principales : l’Allemagne ne souhaite plus que la Suisse laisse transiter les requérants d’asile – ils seraient 3000 à avoir traversé la Suisse fin juillet – et elle privilégie depuis longtemps un système de répartition automatique à l’échelle européenne. Appliquer strictement le règlement Dublin selon elle, est la seule solution pour que l’Union européenne avance concrètement sur ce dossier.

Mais son discours ne tient pas la route car la Suisse, malgré une baisse conséquente des demandes d’asile en 2016, a traîné sur le programme de relocalisation européen. Pour l’instant, elle n’a accepté que 34 personnes sur les 1’500 promis et vient juste de communiquer l’accueil de 200 autres personnes dont les dossiers sont seulement en cours d’examen. Il faudra donc encore attendre. En vérité, ni elle, ni les autres chefs d’Etats européens ne montrent de solidarité vis-à-vis de l’Italie ou de la Grèce. Peut-être, faut-il espérer encore plus de désordre et de drames pour déclencher un électrochoc solidaire.

Aucun argument sécuritaire ne justifie que des mineurs soient laissés à eux-mêmes dans des camps de fortune

Le sort des migrants mineurs non-accompagnés en Europe est à prendre très au sérieux surtout lorsqu’on connaît les risques qu’ils encourent en restant bloqués dans un camp de fortune en Italie. Ces risques importants ont été reconnus par la Commission européenne. Jetez seulement un coup d’oeil aux reportages de Nina Elbagir pour CNN (juin 2015) et Thomas Fessy pour la BBC (juin 2016) sur la prostitution de migrants mineurs en Italie et en Grèce et vous constaterez à quel point leur situation est alarmante et absolument lugubre. D’autres rapports récents témoignent des mauvaises capacités d’accueils en Italie. Le dernier rapport de l’OSAR (15 août 2016) et celui du Secrétariat d’Etat américain sur le trafic de personnes et la prostitution forcée en Italie devraient être mieux pris en compte par le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM).

Non en réalité, c’est Lisa Bosia Mirra qui a raison. Son acte est un sauvetage. Il s’inscrit dans une volonté de protection de mineurs, régulièrement abusés durant leurs périples, et dans un souci d’application juste de la loi suisse envers ce groupe de personnes vulnérables.

Le journalisme d’investigation sauve la vie de nombreux migrants.

En Australie, l’équipe du Guardian révèle des atrocités commises à l’encontre des requérants d’asile

La publication récente du Guardian concernant les 2’000 rapports d’incidents violents commis à l’encontre des requérants d’asile mineurs et adultes détenus sur l’île lointaine de Nauru, a mis en évidence l’importance du journalisme d’investigation dans la protection des migrants, réfugiés et requérants d’asile dans le monde.

imagesThe Guardian peut se féliciter, son travail est le résultat d’un effort de collaboration sans précédent, comprenant de nombreux journalistes, éditeurs et professionnels du film qui ont passé des mois à analyser 8’000 pages de documents. En suivant le lien du Guardian – « The Nauru Files »- vous pourrez consulter les résultats de leurs analyses, présentés dans des documents interactifs, films, témoignages et galerie d’images sur les cas les plus sombres.

L’Affaire Nauru (« The Nauru Files ») concerne les abus systématiques commis à l’encontre des requérants d’asile détenus par les autorités australiennes sur l’île pauvre et éloignée de Nauru. Cette affaire lève le secret sur le système d’asile le plus contesté de la planète, un système fait pour dissuader les migrants de faire la traversée maritime pour venir déposer une demande d’asile en Australie.

Les publications du Guardian montrent les abus sexuels et physiques répétés et systématiques commis sur des mineurs, des femmes et des hommes confinés dans des centres de détention administrative. Les documents officiels font aussi état d’une absence calculée de soins médicaux et de l’utilisation abusive et inappropriée d’ antidépresseurs et autres tranquillisants, même sur des mineurs.

Ce scandale a provoqué des remous considérables dans l’opinion publique et dans la classe politique australienne. Alors que la gauche promet une enquête parlementaire sur les violences commises à Nauru, le ministre de l’immigration, Peter Dutton s’est empressé de minimiser le problème en déclarant que les rapports dataient.

Dans une lettre intitulée « This is Critical », une centaine de professionnels (médecins, professeurs, assistants sociaux) ont demandé la fermeture des centres de détention de Manus et Nauru. Le gouvernement australien vient d’annoncé la fermeture du centre de Manus en Papouasie-Nouvelle-Guinée pour calmer le jeu. Cette annonce est un écran de fumée puisque la Cour constitutionnelle de Papouasie-Nouvelle-Guinée avait exigé sa fermeture déjà en avril 2016.

 

Le travail d’investigation de Human Rights Watch est admirablement présenté dans son rapport annuel 2015

 

annual-report-2015-coverLes chercheurs spécialisés en droits humains de l’organisation Human Rights Watch font un véritable travail d’investigation sur le terrain. Leurs résultats sont publiés et médiatisés. Lors d’une conférence à Genève, il y a quelques années, le directeur exécutif de l’organisation, Kenneth Roth, expliquait que le travail des chercheurs de l’organisation était comparable au journalisme d’investigation. Cette année, l’organisation a rendu hommage aux migrants forcés de quitter leurs pays d’origine en 2015 pour trouver refuge ailleurs.

Le Rapport annuel 2015 de l’organisation est une mine d’or d’information sur la crise des migrants dans le monde. Il dénonce les abus commis à l’encontre des personnes les plus vulnérables de la planète, celles qui, en 2015, ont souffert d’abus et de violences avant, pendant et après leurs périples vers des pays plus « sûrs ».

Dans ce rapport Human Rights Watch dénonce les procédures de demandes d’asile en Europe, injustes, froides et mécaniques, et aussi la fermeture des frontières qui fait le jeu des trafiquants sans scrupules. Human Rights Watch utilise ses informations pour agir. En 2015, l’organisation a fait pression sur l’Union européenne afin que Frontex – l’agence européenne chargée des contrôles frontaliers – démarre enfin ses patrouilles maritimes au large de la Lybie de manière plus intensive pour éviter des noyades.

« Trouver Refuge » est un rapport à lire et relire. Les témoignages, les analyses et les statistiques sur les flux migratoires en 2015 sont présentés avec intelligence et sensibilité. Parcourir ce rapport fait l’effet d’une décharge électrique. La photo de couverture prise par Yannis Behrakis en septembre 2015 nous plonge dans le bain.

Cet homme portant son enfant sous la pluie en l’embrassant pourrait être mon mari, mon frère, mon voisin et l’enfant, le mien.

Plaidoyer en faveur d’une application différente de l’accord Dublin

L’Italie n’a pas l’infrastructure pour héberger des requérants d’asile vulnérables.

Une étude de Médecins sans frontières (MSF) dévoile comment la négligence des autorités italiennes envers les migrants aggrave leur état sur le plan médical. Ce rapport intitulé « Traumas négligés » dénonce les conditions d’accueils déplorables pour les personnes souffrant de troubles psychologiques et de maladies psychiatriques qui ne font qu’empirer leur état de santé, selon MSF.

Cette situation pose un véritable problème car la Suisse applique le Règlement Dublin de manière automatique et renvoie des familles vulnérables vers l’Italie sans se soucier véritablement de savoir si elles pourront être logées et assistées convenablement. Pourtant, les Bureaux de consultation juridiques insistent sur le fait que ces personnes viennent de pays ravagés par la guerre, elles sont épuisées par leurs parcours et disposent souvent de motifs d’asile sérieux en plus de liens familiaux en Suisse.

La Suisse, meilleure élève pour les renvois Dublin vers l’Italie

Les dernières statistiques en matière d’asile (juillet 2016) indiquent qu’en un an 3’023 transferts Dublin ont eu lieu, en grande majorité vers l’Italie. La Suisse est en seconde place européenne en ce qui concerne les renvois Dublin. Après l’Allemagne, c’est le pays qui transfère le plus de personnes vers l’Italie selon le Conseil italien pour les réfugiés (« CIR »). La France est de loin beaucoup moins mécanique. En 2015, les 12’000 cas Dublin ont représenté 13 % des demandeurs d’asile mais le nombre de transferts est resté très limité avec 525 transferts effectifs.

Au pic de la crise migratoire en 2015, les autorités suisses ont été sous le feu des critiques alors qu’elles continuaient d’ordonner des renvois vers l’Italie, la Hongrie, Malte sans tenir compte du débordement de leurs structures d’accueil.

En juin le Conseil fédéral répondait à une interpellation de Liza Mazzone (Parti écologiste suisse) sur la question l’application de la clause de souveraineté prévue dans le Règlement Dublin. Le Conseil fédéral a déclaré ceci :

 “Une analyse au cas par cas est réalisée avant de rendre une décision de non-entrée en matière. La clause de souveraineté peut être appliquée à des personnes vulnérables. En principe, ce sont des situations qui se caractérisent par un cumul de motifs qui sont prises en considération. Les motifs dont il est question peuvent concerner la personne elle-même ou la situation dans l’Etat membre responsable. De surcroît, le Secrétariat d’Etat aux migrations tient compte d’éventuels problèmes de santé lors de l’organisation du transfert. Du 1er janvier 2014 à la fin du mois de mai 2016, près de 4000 personnes ont été mises au bénéfice de la clause de souveraineté, dont 3200 environ pour lesquelles la Grèce aurait été compétente en vertu du règlement Dublin III.”

Je m’interroge sur le fait que le Conseil fédéral ait comptabilisé les renvois vers la Grèce. En 2011, les transferts Dublin vers Athènes ont été déclarés formellement illicites par la Cour européenne des droits de l’homme qui a mis en évidence les défaillances graves dans le système d’asile grec. Il ne sert à rien de gonfler les chiffres, concrètement ce sont 800 personnes qui auraient bénéficié de la clause de souveraineté sur une période de deux ans et demi.

Pour les familles vulnérables la Suisse doit obtenir de vraies garanties d’hébergement

En novembre 2014, la Cour européenne des droits de l’homme a exigé, dans l’affaire qui concernait la famille Tarakhel, que les autorités suisses obtiennent des garanties de prises en charge adaptées « à l’âge des enfants et à la préservation de l’unité familiale » avant d’ordonner le transfert de familles vulnérables vers l’Italie. Résultat : la Suisse comme tous les autres Etats européens soumis à la jurisprudence de la Cour doit avoir l’assurance des autorités italiennes, que l’hébergement dans un foyer leur sera attribué personnellement.

Quelles sont les garanties effectives de l’Italie ? Elles sont pratiquement nulles et figurent dans une petite circulaire du Ministère de l’intérieur italien, datée de février 2016, qui est envoyée à toutes les unités Dublin en Europe y compris l’unité suisse. Elle énumère 23 centres d’hébergement répartis dans 19 provinces différentes pour seulement 85 places réservées aux familles vulnérables…de l’Europe entière. Cette circulaire qui fait, à elle seule, office de garantie, est envoyée à chaque demande de transfert des Etats européens. Non seulement elle ne satisfait pas les exigences de « garanties personnalisées » de la Cour européenne des droits de l’homme, mais encore elle est obsolète.

La Suisse doit appliquer le Règlement Dublin avec plus d’humanité

Rappelons que le préambule et la clause de souveraineté du Règlement Dublin autorisent les Etats parties à ne pas transférer des requérants d’asile vers un autre Etat. Dans le souci d’appliquer l’esprit de ce règlement, beaucoup d’Etats européens prennent à leurs charges les personnes vulnérables. A son tour, la Suisse doit cesser d’ignorer les besoins de personnes vulnérables qui bénéficient de liens familiaux en Suisse car la circulaire italienne de février 2016 n’est de loin plus valide. Exécuter les transferts sur la base de cette liste est indigne de notre pays.

Il est dommage que la Cour européenne des droits de l’homme ne se soit pas prononcée sur les critères de vulnérabilité qui empêcheraient un transfert vers l’Italie. Cela aurait clarifié les choses. L’affaire A.S. contre Suisse a suscité la consternation des juristes et des avocats spécialisés en Suisse et en Europe alors que l’arrêt tombait en pleine crise migratoire (juin 2015). Ce cas malheureux a été défendu par un bureau juridique spécialisé à Genève. Elle concernait un requérant d’asile syrien, victime de torture dans son pays d’origine, qui avait des liens familiaux en Suisse. Il souffrait du syndrome de stress post-traumatique et il était suivi médicalement à Genève. Son médecin préconisait la poursuite des soins en Suisse afin qu’il puisse aussi bénéficier de l’aide de ses sœurs. La Cour européenne a malheureusement jugé que le recourant pouvait obtenir les médicaments dont il avait besoin en Italie. Elle a validé la décision suisse de transfert sans tenir compte des liens familiaux essentiels pour le bien-être psychique et physique du recourant.

 

J’ai l’espoir que le rapport de MSF éclaire les autorités suisses et provoque un soubresaut d’intelligence et d’humanité. Quand les médecins insistent sur des besoins en soins médicaux spécifiques et sur l’importance des liens familiaux pour les personnes migrantes concernées, celles-ci doivent pouvoir rester en Suisse le temps de leur procédure d’asile. Entre juillet 2015 et juillet 2016, plus de 170’000 migrants sont arrivés par bateau en Italie. Tommaso Fabri, chef de mission pour MSF en Italie a été limpide :

« Les centres d’urgences en Italie ne sont pas adaptés pour accueillir des personnes sur le long terme car trop peu de traducteurs ou de médiateurs culturels travaillent dans ces centres. Cela doit changer immédiatement. Les problèmes de communication causent beaucoup de stress et aggravent le sentiment d’isolement et de précarité parmi les requérants d’asile et les migrants ce qui contribue à augmenter considérablement leur souffrance. »

Au bout de la nuit avec Enaïat, Fahim et Samia

 

Enaïat (11 ans), Fahim (12 ans) et Samia (21 ans) ont parcouru des milliers de kilomètres pour arriver en Europe. Leurs parcours uniques sont racontés par des auteurs talentueux qui ont décrit leurs voyages, et les obstacles qu’ils ont rencontré, avec simplicité, sans pathos. Chaque récit est une immersion sensationnelle au cœur de la migration.

 

A dix ans, il voyage seul pour atteindre l’Europe

GEDA Fabio and AKBARI Anaiatollah, writer« Dans la mer il y a des crocodiles » de Fabio Geda, est l’histoire d’Enaïat Akbari qui fuit l’Afghanistan en 2005, à l’âge de 10 ans. Il appartient à l’ethnie des Hazaras, persécutée par les Pachtounes et les Talibans. Pour lui débute cinq ans de voyage vers l’Europe. Il passera par l’Iran, la Turquie et la Grèce et finira en Italie où il obtiendra, en 2011, le statut de réfugié politique.

Fabio Geda, a tiré de ce témoignage un livre remarquable. Il fait revivre les aventures du jeune Afghan laissé à lui-même pour affronter les dangers et les obstacles qui se mettent en travers de son chemin solitaire. Enaïat a surtout eu de la chance au cours de ce périple. Il a travaillé sur le chantier des Jeux olympiques à Athènes, il a voyagé dans le double-fond des camions et il a marché avec des passeurs 18 jours dans le froid pour traverser la frontière entre l’Iran et la Turquie. Il a traversé la Méditerranée de nuit.imgres

Il a été arrêté, tabassé, emprisonné et expulsé plusieurs fois pour connaitre enfin la générosité désintéressée d’hommes et de femmes en Grèce. Fabio Geda a écrit ce livre avec simplicité, réalisme, sans angélisme. Chaque étape du voyage est une leçon de vie.

 

Il est sauvé par les échecs

Fahim« Un roi clandestin », raconte l’histoire de Fahim Mohammad contraint de fuir le Bangladesh avec son père en 2008. Après avoir traversé la Hongrie et l’Italie, Fahim et son père Nura arrivent à Paris en octobre 2008. Trois ans et demi durant, ils vont vivre l’existence précaire des demandeurs d’asile.

A Créteil, Xavier Parmentier, entraîneur d’échecs de haut niveau, a rapidement décelé le potentiel du jeune prodige, ses incroyables facultés de concentration et ses capacités exceptionnelles de calcul. Il propose de l’intégrer dans son club et l’inscrit aux tournois qui se succèdent. Pourtant son statut est plus que précaire. Son père et lui ont été déboutés de l’asile et ils peuvent être renvoyés au Bangladesh à n’importe quel moment. Sans logement, ils doivent camper, changer de lieux improbables pour passer la nuit.C_Un-roi-clandestin_2438-1

Mais en avril 2012 à Nîmes, Fahim est devenu champion de France des moins de 12 ans. Les médias s’y intéressent et l’affaire remonte jusqu’aux oreilles de François Fillon. Le Premier ministre promet, lors d’une interview sur France Inter, d’examiner la situation «avec la plus grande attention».

Aujurd’hui Fahim a 16 ans. Il est membre de l’équipe d’échec de France.

 

 

Le destin tragique de Samia Yusuf Omar

samia-yusuf-omarEn avril 2012, la coureuse somalienne Samia Yusuf Omar est décédée tragiquement dans un naufrage en Mer Méditerranée alors qu’elle souhaitait aller à Londres pour participer aux Jeux olympiques. En 2008, elle avait participé à 17 ans aux Jeux olympiques de Beijing. Le dessinateur Reinhard Kleist a retracé l’histoire tragique de cette jeune femme dans un livre intitulé « Rêve d’Olympe : le destin de Samia Yusuf Omar » qui vient d’être publié en France.

Dans un entretien récent, Reinhard Kleist m’a expliqué avoir été bouleversé par les risques que la jeune fille de 21 ans a pris pour faire le voyage. En recoupant les témoignages de sa sœur Hodan qui a trouvé refuge en Finlande en 2006 et de la journaliste Teresa Krug qui connaissait personnellement Samia, Reinhard Kleist a dessiné et raconté le parcours tragique de la jeune femme qui, au lieu d’emprunter la voie clandestine vers la Lybie et l’Europe, aurait dû bénéficier d’un visa britannique pour participer aux jeux de Londres.Samia Yusuf Omar

Mais à la veille des Jeux olympiques de Londres, la Somalie a perdu une perle rare en Méditerranée. C’est l’athlète somalien Abdi Bile qui a annoncé son décès. Dans son livre, Reinhard Kleist raconte pourquoi et comment elle a dû fuir son pays et gagner la Lybie en utilisant des passeurs. Sa tante qui a voyagé avec elle a survécu au naufrage.

 

 

Appel des femmes genevoises face à la catastrophe humanitaire en Méditerranée

Elles sont plus de 100 femmes genevoises, issues de la vie politique et de la société civile, de tout bords politiques, qui n’en peuvent plus de l’apathie de la Suisse et de l’Europe face aux drames en Méditerranée.

C’était une erreur magistrale de renoncer aux procédures d’asile aux ambassades en 2013. Il a été remplacé par le système des visas humanitaires qui est un leurre, une vitrine d’humanité alors qu’ils sont octroyés au compte-goutte, souvent avec l’assistance et la persévérance d’un avocat ou d’un juriste en Suisse.

Et la mer Méditerranée se transforme jour après jour en un gigantesque tombeau. Le Haut-commissariat aux réfugiés a comptabilisé 2’900 noyés en 2016 et les drames vont continuer. De Syrie, d’Afghanistan, d’Irak, d’Iran, de Somalie, d’Erythrée, ce sont des femmes enceintes, des hommes âgés, ce sont des adolescents, des enfants, des bébés, ce sont des hommes responsables de leur famille qui coulent tout au fond de la Méditerranée rejoindre d’autres naufragés.

Combien de morts faudra-t-il tolérer avant de comprendre que les ambassades peuvent jouer un rôle positif et contribuer à éviter ce drame humain ?

Dans l’esprit de l’Appel de Neuchâtel qui demande l’octroi élargi de visas humanitaires, l’Appel des femmes genevoises demande que les personnes qui doivent fuir la guerre ou la persécution, puissent faire une demande de protection et de visa aux ambassades.

Cet appel est sans couleur politique. Je l’ai signé car je pense que nos ambassades doivent et peuvent jouer un rôle décisionnel plus important dans ce domaine. Il est adressé au Conseil fédéral, au Conseil national, au Conseil des Etats et au Conseil de l’Europe. Le voici.

Nous, femmes, vivant à Genève, siège du Haut-Commissariat des Nations Unies aux réfugiés, du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme, du Comité International de la Croix-Rouge

Considérant

  • les familles, les hommes, les femmes, les enfants forcés par la guerre à quitter leur pays, leur foyer ;
  • les conditions de voyage précaires et périlleuses mettant gravement en danger des vies humaines ;
  • les plus de 7’000 personnes migrantes décédées en mer depuis 2014 (source OIM) ;
  • les personnes retenues aux frontières sur la route des Balkans, et ailleurs, dans des conditions indignes de notre société ;
  • la traite d’êtres humains, dont les femmes et les enfants sont plus particulièrement victimes (10’000 enfants mineurs non accompagnés disparus dans l’espace Schengen (source Europol) ;
  • l’accord calamiteux signé entre l’Union européenne et la Turquie ne répondant en aucune manière au besoin de protection des populations issues des pays en conflit.

Nous appelons à ce que les demandes d’asile qui émanent des personnes fuyant la guerre ou victimes de persécutions, puissent être déposées par les requérant-e-s auprès des ambassades et des consulats européens de leurs pays respectifs ou du pays de transit, ou à défaut, leur permettre une voie légale d’entrée en Europe.

Genève, le 28 juin 2016

VOUS POUVEZ SIGNER CETTE PETITION  ICI

Contact: Jannick Frigenti Empana, 076 343 75 06

Le comité : Laurence Corpataux, Alia Chaker Mangeat, Jannick Frigenti Empana, Maria Vittoria Romano, conseillères municipales en Ville de Genève.

 

 

 

 

Alerte rouge en Méditerranée

Depuis le début de l’année, pas une semaine ne passe sans annonces de naufrages et de décès en Méditerranée. Les derniers drames furent spectaculaires et nous pouvions les voir presque en temps réel.

Les chiffres

De janvier à mai 2016, l’Organisation internationale des migrations (OIM) a constaté la disparition de 2’443 personnes, une hausse de 34% par rapport à la même période l’année dernière. Mais les cinq jours noirs ont eu lieu entre le 25 et le 30 mai, durant lesquels trois naufrages importants ont eu lieu, et causé la mort de plus de 800 migrants : hommes, femmes et enfants coincés au fond des cales.

Cj70R9DXIAAshc_Selon Federico Soda, directeur du bureau de coordination de l’OIM à Rome, il y a eu 13’000 arrivées en Italie entre le 23 et le 29 mai. Cette hausse est due en partie au beau temps et à l’utilisation de gros bateaux en bois qui sont surchargés avec 500 à 700 personnes à bord. Il est fréquent qu’ils prennent l’eau dès le départ de la traversée. Ils sont souvent remorqués par de plus petits bateaux qui les laissent en plan en pleine mer avec un numéro d’urgence.

Un jeune érythréen qui a survécu au naufrage très meurtrier du 26 mai, à 30 kilomètres des côtes lybiennes, a expliqué à l’OIM les causes de ce drame.

“The vessel was being towed by another smuggling boat, which had an estimated 800 people on board. After several hours, the smaller boat began to take on water (…) the captain of the towing boat then cut the tow line. The second vessel continued to take on water and eventually capsized. There were many women and boys in the hold. We were taking on water, but we had a pump that helped us to push the water out. When the pump ran out of fuel, we asked for more fuel to the captain of the first boat, who said no. At this point there was nothing left to do: the water was everywhere and we slowly started to sink. There were between about 35 women and 40 children next to me: they all died.”

En fait, les bateaux utilisés sont défectueux et surchargés et la distance à effectuer dépasse les 200 kilomètres. Christopher Catrambone, fondateur de MOAS (« Migrant Offshore Aid Station ») qui est en charge des opérations de survie en Méditerranée depuis 2013, expliquait récemment au New York Times pourquoi les naufrages ont augmenté.

“Le plus souvent, les noyades ont lieu dans la “zone morte” qui se trouve dans les eaux territoriales libiennes ou en marge de cette limite, à 12 milles nautiques soit 22 kilomètres des côtes. Le problème est que la Libye se trouve encore dans un état de chaos et n’est pas en mesure d’entreprendre des opérations de sauvetage. On voit beaucoup de Syriens, beaucoup de Nigérians qui disent fuirent Boko Haram, on voit des Somaliens, des Ethiopiens, on voit aussi des personnes qui sont clairement des migrants économiques. Il n’est pas rare de voir 12 à 13 nationalités différentes sur les navires mais ils viennent tous de Libye. La Libye est le robinet de l’Afrique.”

Les passeurs réussissent où l’Europe échoue

En Grèce, les requérants d’asile ont été déplacés du camp d’Idoméni vers d’autres camps de fortune comme celui de Softex à Thessaloniki. Ceux-là et ceux qui sont bloqués dans les « hotspots » sur les îles grecques, souffrent des dysfonctionnements graves dans la procédure d’enregistrement et des conditions d’accueil insoutenables.

Ils cherchent à tout prix des moyens de partir et beaucoup d’entre eux ne souhaitent pas s’enregistrer du tout car ils n’ont pas confiance dans le système de relocalisation européen. Pour beaucoup le passeur est la seule issue de secours.

Certains observateurs considèrent que l’Union européenne a réussi un coup de maître en signant l’accord avec la Turquie parce que les arrivées en Grèce ont baissé de manière drastique. Il est pourtant naïf de penser que la Turquie ne pouvait pas mieux surveiller ses côtes avant l’accord alors qu’elle parvient très bien à sceller sa frontière avec la Syrie.

Cet accord stagne et il vient d’être encore affaiblit par une décision récente du tribunal de Lesbos jugeant les renvois involontaires de syriens en Turquie illicites. Depuis le 20 mars, seulement 411 personnes ont été renvoyées en Turquie alors que 9’700 personnes sont encore arrivées sur les îles grecques. Pendant ce temps, les trafiquants se sont déplacés plus au sud. Le 27 mai, un bateau en détresse au large de la Crête (Grèce) a été secouru avec 64 personnes d’origine afghane, iranienne et irakienne dont des femmes enceintes et un bébé de 9 mois. Ces personnes sont parties de Marmaris, pas loin de Bodrum.

Les filières de passeurs existeront tant que la demande mord à l’hameçon, ce qu’elle fait malgré les dangers de noyades. Cet été donc, les départs continueront depuis la Lybie, la Turquie, l’Italie et la Grèce où la plupart des requérants d’asile ne souhaitent pas rester.

Ils traverseront quand même

Malheureusement, l’Union européenne se concentre pour l’instant sur quatre solutions « armées »:

  1. contenir les requérants d’asile dans l’Europe périphérique (Italie et Grèce) grâce aux centre d’enregistrement et de relocalisation « hostpots » qui ne désemplissent pas,
  2. accroître ses contrôles aux frontières extérieures grâce aux nouveaux moyens donnés à Frontex et l’Opération militaire navale EUNAVFOR,
  3. négocier des accords de partenariat avec des gouvernements peu sûrs comme la Turquie, la Lybie et le Soudan et
  4. développer les infrastructures de détention de migrants clandestins afin de permettre à ces pays de les contenir d’une manière ou d’une autre.

Cette dernière solution est la pire. Elle viole tous les principes de droits humains fondamentaux sur lesquels l’Europe s’est construite. La révélation récente du Spiegel, concernant les tractations secrètes des dirigeants européens avec Omar Hassan El-Bechir, chef d’Etat soudanais contre lequel la Cour pénale internationale a émis un mandat d’arrêt pour les crimes commis au Darfour, est certainement la plus démoralisante qui soit.

Alors je sais que si j’étais migrante économique ou victime de persécution dans mon pays d’origine, je ferais la traversée à n’importe quel prix et par n’importe quel temps, le plus vite possible même si je risque la mort.

 

 

 

Les aumôniers auprès des requérants d’asile sont tout aussi utiles aux autorités

La présence des églises protestantes et catholiques auprès des requérants d’asile est utile, souvent nécessaire et quelques fois indispensable. En Suisse, ce sont les aumôniers qui ont le plus souvent accès aux prisons, aux centres de détention administratives et aux cinq centres d’enregistrement et de procédure en plus des deux aéroports internationaux de Genève et de Zurich.

Des policiers aux juristes, des assistants sociaux aux médecins, en passant par les fonctionnaires de l’Etat et de la Confédération, les aumôniers sont en contact avec tous les intervenants de l’asile. Ils ont une place unique et forment une courroie de transmission entre les besoins des uns et les exigences des autres tout en humanisant, autant que possible, le contexte de l’asile.

A Genève c’est l’Aumônerie genevoise œcuménique auprès des requérants d’asile (AGORA) qui offre ses services aux requérants d’asile. Depuis 2009, l’AGORA est au cœur du Foyer des Tattes à Vernier. Là, elle accueille quotidiennement les requérants d’asile et organise des cours et des activités.

Les aumôniers effectuent des visites quotidiennes à l’aéroport de Genève et des visites hebdomadaires dans les centres de détention administrative et dans les abris PC. Ces visites leur permettent d’appréhender avec humanité et pragmatisme la réalité quotidienne des requérants d’asile mais aussi des personnes en charge de ces centres.

Dans ces lieux inaccessibles pour le commun des mortels où les personnes souffrent de solitude et de détresse sinon de maladie, les aumôniers offrent en plus d’une écoute spirituelle, une aide concrète.

On les estime parce qu’ils sont extrêmement bien renseignés et positivement hyperactifs, hyper connectés et hyper créatifs. Le dévouement des aumôniers inspire le respect et suscitent la reconnaissance de valeurs communes malgré les différences religieuses. A l’AGORA les projets fusent, le répondant est réactif, les idées sont positives et constructives.

Nicole Andreetta, Véronique Egger, Eric Imseng et Anne-Madeleine Reinmann déploient toute leur énergie, assistés de nombreux stagiaires, civilistes et bénévoles. L’année dernière, l’AGORA a engagé une nouvelle aumônière catholique. Elle est Suisse d’origine irakienne, membre de l’Eglise chrétienne d’Orient. Ghada Haodiche-Kariakos a dû fuir l’Irak en 1997 avec son mari et ses deux enfants. Elle poursuit sa formation d’aumônière avec enthousiasme et conviction.

Nous ne faisons aucun prosélytisme et nous aidons tous les requérants d’asile sans distinctions. Il nous arrive bien sûr de prier avec les requérants d’asile mais nous essayons, surtout, de rester à l’écoute des besoins des personnes, explique Anne-Madeleine Reinmann.

Avec un carnet d’adresse en or, elles sont les personnes à contacter si on souhaite aider ou simplement comprendre la vie des requérants d’asile arrivés à Genève. L’AGORA est d’ailleurs régulièrement contactée par les écoles pour faire des présentations sur son travail et sur la situation des migrants en Suisse.

Notre tâche est d’humaniser la procédure d’asile. Les décisions qui sont prises dans ce domaine affectent non seulement les requérants mais aussi les policiers et fonctionnaires qui participent à l’application de ces décisions, par exemple dans le cadre de l’exécution des renvois, déclare Nicole Andreetta.

Elle sait que le renvoi est un évènement traumatisant pour le requérant débouté mais aussi pour les personnes en charge de son exécution.