Une coalition de juristes indépendants demande de ralentir la procédure d’asile et …de l’améliorer

Le 1er Mars 2019, la restructuration du domaine de l’asile entrait en vigueur. Elle devait permettre une procédure d’asile plus rapide et plus efficace avec la promesse d’une assistance juridique professionnelle gratuite pour les requérants d’asile dans les centres fédéraux.  

 

Bilan sombre de la Coalition des juristes indépendant-e-s pour le droit d’asile

 

La Coalition des juristes indépendant-e-s pour le droit d’asile vient de publier un bilan critique sur la première année de fonctionnement de la nouvelle formule (1). Les délais trop courts imposés aux autorités d’asile a conduit à de nombreuses décisions de mauvaises qualité entraînant deux fois  plus de recours au Tribunal administratif fédéral. 

Durant la période analysée (mars 2019 à février 2020), le Secrétariat d’Etat aux migrations a failli à son devoir d’instruction en plaçant à tort de trop nombreux cas en procédure accélérée en vue d’un renvoi (2). La coalition des juristes indépendants de Suisse déplore le travail minimaliste des prestataires de protection juridique mandatés par le Secrétariat d’Etat aux migrations pour conseiller et représenter les requérants d’asile dans les centres fédéraux.  

 

Un recours sur quatre donne tord au Secrétariat d’Etat aux migrations

 

Deux indices, le taux de recours très bas des prestataires (12.5%) et le fait que beaucoup de requérants laissés-pour-compte ont finalement obtenu gain de cause, en recourant eux-même ou avec l’aide d’un juriste externe, montrent que ces personnes auraient dû bénéficier d’une assistance juridique de la part des prestataires actifs dans les centres.  Au lieu de cela, les révocations de mandat furent bien trop fréquentes à cause d’un manque de temps à disposition. Durant les douze premiers mois de mise en oeuvre, près d’un  recours sur quatre, soumis dans le cadre de la procédure accélérée, donne tord au Secrétariat d’Etat aux migrations. C’est le double des années précédentes (2015-2018), un bond énorme selon les juristes de la coalition. 

C’est mieux de déposer une demande d’asile en Suisse romande

 

Les statistiques à disposition montrent aussi un engagement très variable des prestataires selon les régions de Suisse. Un requérant d’asile se trouvant dans un centre en Suisse romande a plus de chance d’être représenté dans le cadre d’un recours au Tribunal administratif fédéral. La critique s’adresse principalement aux institutions mandatées par l’Etat et non aux juristes employés par elles considérés comme sérieux et engagés.

 

Le processus de triage est mauvais et la procédure trop rapide

 

Conclusion, la procédure d’asile est trop rapide. Des erreurs importantes sont commises afin de respecter les délais. La coalition recommande de les prolonger. Elle fait de nombreuses autres revendications comme l’amélioration du processus de triage entre le maintien en procédure accélérée et le placement en procédure étendue (cas complexes, examen approfondi de la demande d’asile) mais aussi le besoin d’améliorer le système de la révocation des mandats (plus d’explication et de transparence) ou encore l’accès à une protection juridique pour les personnes placées en centre de renvoi, garanti dans la loi mais peu accessible en réalité et l’accès à tous les centres fédéraux pour les organisations non prestataires de mandats. Plusieurs autres revendications importantes sont communiquées dans le rapport. 

 

Le Secrétariat d’Etat aux migration peut décider de ne plus bâcler son travail

 

Interrogée sur la RTS, la porte-parole du Secrétariat d’Etat aux migrations déclarait interpréter positivement le taux de recours élevé au Tribunal administratif fédéral qui démontre au contraire que le nouveau système fonctionne bien. En réalité c’est plutôt le signe que le Secrétariat d’Etat aux migrations bâcle son travail pour parvenir à respecter ses délais. Ecoutez les propos d’Aldo Brina, chargé d’information au Centre social protestant de Genève. Il a participé à l’élaboration du rapport et explique en quelques mots les failles du système portant atteinte aux droit fondamentaux des personnes en procédure d’asile. 

 

Avant de commenter je vous invite à vous référer aux informations fournies par les spécialistes de l’asile, des juristes et des avocats

 

Vous pouvez lire le rapport de la Coalition des juristes indépendants ici. Vous pouvez écouter les explications d’Aldo Brina sur Forum RTS, 11 octobre 2020 ou les infos de la RTS simplement. Ou encore vous pencher sur l’information communiquée par Vivre Ensemble sur la Plateforme d’information sur l’asile ici. Et enfin, pour mieux comprendre le nouveau système de l’asile en vigueur depuis mars 2019, je vous recommande cet article Comment fonctionne le nouveau système de l’asile.

Sinon, bonne semaine à tous!

 

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Cette analyse repose sur une base de données compilée et composée de cas dans lesquels le Tribunal administratif fédéral TAF s’est prononcé mais aussi de statistiques officielles fournies par ce tribunal et par le Secrétariat d’Etat aux migrations  SEM. 

  1. Arrêt du TAF E-6713/2019 du 9 juin 2020.
  2. Un des objectifs de la révision de la loi sur l’asile est de raccourcir la durée de la procédure d’asile mais de façon équitable. Une protection juridique gratuite est accordée aux requérants d’asile dans les centres fédéraux d’asile. Cette protection se fait dès le dépôt de la demande d’asile. Les personnes bénéficient de conseils gratuits sur la procédure d’asile et une représentation juridique est mise gratuitement à leur disposition. Le représentant juridique participe à toutes les étapes déterminantes de la procédure. Le SEM peut compter sur plusieurs prestataires pour remplir les tâches de la protection juridique gratuite. Le choix des prestataires se fait dans le cadre d’un appel d’offres public. 

 

 

Jasmine Caye

Avec une expérience juridique auprès des requérants d'asile à l'aéroport de Genève, Jasmine Caye aime décrypter l'information sur les réfugiés et les questions de migration. Elle a présidé le Centre suisse pour la défense des droits des migrants (CSDM) et continue d'assister des personnes en procédure d'asile. Les articles sur ce blog paraissent en version courte sur un autre blog ForumAsile.

9 réponses à “Une coalition de juristes indépendants demande de ralentir la procédure d’asile et …de l’améliorer

  1. Je ne vois pas ce qui a de choquant, c’est 1/4 d’un petit pourcentage de refus qui arrive au TAF, et moi j’observe, les 3/4 de confirmation, ce qui en dit long sur le nombre de faux réfugiés.

    A part votre coalition, cela laisse les suisses indifférents. Faire passer des migrants pour des réfugiés, ça été la fameuse fausse bonne idée de certains milieux. Les suisses sont encore moins ouvert qu’il y a 1-2 années.

    1. Bonjour Motus,

      Merci pour votre commentaire.

      Il est important de comprendre que le TAF donne beaucoup plus souvent tort au Secrétariat d’Etat aux migration SEM avec la nouvelle procédure accélérée. Avant sa mise en oeuvre en mars 2019, seulement 10% des recours (et non 25%) donnaient tort au SEM.

      Cela signifie que le SEM procède trop rapidement et bâcle son instruction ce qui montre son manque d’efficacité ce qui implique des coûts supplémentaires pour les contribuables si on veut voir les choses comme ça. Imaginons que vous devez gérer une usine et que le mauvais travail est effectué en début de chaîne, le rattrapage en terme de contrôle qualité devient très coûteux et fait perdre du temps.

      Le respect des droits fondamentaux des personnes dans la procédure d’asile bénéficie au reste de la population suisse puisque c’est la garantie d’avoir en Suisse des personnes qui méritent protection. Tout est lié. Les autorités suisses d’asile sont soumises à des délais trop courts ce qui rend l’instruction des dossiers difficiles. Il est primordial d’adapter ces délais.

      En outre, vous ne pouvez affirmer que les suisses sont moins ouverts qu’il y a 1 à 2 années. Je n’ai pas vu de sondages fiables à ce sujet. Elles et ils se sentent moins concerné par le sujet, il y a d’autres thèmes qui mobilisent en ce moment. C’est certain. Mais il faut savoir que les membres de la coalition des juristes indépendants sont des avocats, professeurs d’université, juristes, experts en la matière et en contact permanent avec les autorités d’asile, SEM et TAF et avec les organisations internationales comme le HCR. Ce qu’ils pensent et disent a un impact réel.

  2. En 2016, les Suisses ont plébiscité l’accélération des procédures d’asile. Il est difficile d’imaginer qu’un sujet similaire aboutirait à un résultat notablement différent en 2020. Les arguments des référendaires de l’époque soutenaient que les procédures allaient soumettre les requérant à un déni de justice. Les chiffres que vous avancez démontrent à la fois que la procédure accélérée fonctionne et que les requérant disposent de voies de droit appropriées. C’est un moindre mal si la procédure accélérée permet de fixer plus rapidement le statut de requérant qui ne relèvent manifestement pas du droit d’asile. Le fait que le TAF confirme 75% des décisions de rejet est un indicateur certain que le droit d’asile est largement dévoyé pas des immigrants clandestins qui ne devraient pas faire usage de cette voie au profit de requérants d’asile méritant sans détour l’accueil en Suisse. Ce que je comprends entre les lignes de votre article, c’est surtout que vous regrettez que le système exclue certains “experts” de la filière des “prestataires”… Auriez-vous un intérêt à pouvoir intervenir comme experte?

    1. Monsieur,
      Malheureusement vous n’avez pas compris mon message qui ne fait que reprendre le bilan de juristes et avocats experts dans le domaine. De quels “référendaires de l’époque” parlez-vous? Et non je n’ai aucun intérêt à pouvoir intervenir comme experte. Je vous recommande de lire donc le contenu du rapport de la Coalition des juristes indépendants dont les recommandations amélioreraient aussi la situation des fonctionnaires du SEM et du TAF. J’ose espérer que vous comprendrez cela.

      1. Madame,
        Tout d’abord, si le peuple suisse a voté en 2016, c’est bien qu’il y a eu un referendum et que la campagne menée à grands cris par les référendaires a prétendu que la nouvelle loi aboutirait à un déni de justice pour les requérants. C’est aussi grosso modo ce que soutiennent la coalition des juristes “indépendants” qui n’ont d’indépendant que le nom tant le rapport – que j’ai lu – est un texte partisan. J’ai très bien compris votre message respectivement celui de la coalition mais je ne peux en aucun cas y souscrire. Je ne vois pas dans les chiffres cités des éléments qui justifieraient l’extension des délais de procédure. Le système fonctionne avec les garanties offertes par l’ordre juridique suisse. Enfin, Je souris de votre sollicitude pour les fonctionnaires du SEM et des juges fédéraux ! Quelle condescendance de votre part et de la coalition! Respectueuses salutations

        1. Vous «souriez à la sollicitude» de Madame Caye à l’égard des fontionnaires du SEM et des juges du TAF.

          Pourquoi ?

        2. Vous faites erreur sur “les référendaires de l’époque” car c’est l’UDC qui est à l’origine du referendum du 5 juin 2016. Et ce n’est pas parce qu’ils craignaient un déni de justice pour les requérants. Si seulement. Non les référendaires UDC voulaient ce référendum car ils étaient contre les avocats gratuits pour les requérants et contre les expropriations par l’Etat. Voir ce lien qui vous dirigera vers le site de l’UDC: Communication de l’UDC, site du Parti. Résultat: l’UDC s’est pris une belle claque et la Modification du 25.09.2015 de la loi sur l’asile (LAsi), projet du Conseil fédéral a été acceptée à 67%. Le mot d’ordre de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés OSAR et de la plupart des associations de défense du droit d’asile a été de faire obstacle à l’UDC justement pour soutenir l’assistance juridique gratuite aux requérants d’asile dans les centres fédéraux.
          Il est toujours utile avant de commenter de s’informer un peu.
          Après un an et demi de mise en oeuvre, la coalition des juristes indépendants demandent simplement que les autorités d’asile appliquent la loi et propose des solutions concrètes qui se trouvent dans le rapport.

    2. “Le fait que le TAF confirme 75% des décisions de rejet est un indicateur certain que le droit d’asile est largement dévoyé pas ”

      Non. Car le SEM donne une protection dans une proportion comparable. Si une autorité judiciaire confirme 75% des décisions dans la durée, c’est que l’administration ne travaille pas bien.

      En revanche, là, la situation est différente.
      Le TAF n’a fait qu’interpréter pour la première fois la nouvelle loi et s’est écarté de l’appréciation du SEM. Depuis lors, le SEM a mis a jour ses directives internes et le problème est réglé. Pas besoin de changer la loi. Les garanties judiciaires ont fonctionné.

  3. En cherchant des infos sur le Tibet je suis tombé sur:
    https://www.bvger.ch/bvger/fr/home/medias/medienmitteilungen-2020/statistikenzudenverfahrennachrevidiertemasylgesetz.html

    Après 18 mois, le TAF a:
    – admis partiellement ou entièrement 6 % des recours;
    – renvoyé 13 % des affaires au SEM pour instruction complémentaire.

    Le taux d’admission (matériel et formel) est donc inférieur à 20 %, et en baisse par rapport aux informations de l’article.

    Et le SEM semble plutôt accueillant en comparaison internationale:

    https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php/Asylum_statistics/fr#D.C3.A9cisions_d.C3.A9finitives_en_appel

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