Transferts Dublin vers l’Italie: juges et experts sonnent l’alarme

Le Tribunal administratif fédéral (TAF) et plusieurs tribunaux allemands ont reconnu la péjoration des conditions de vie des personnes en procédure d’asile en Italie. Rentrés de mission en automne dernier, les experts de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) dressent aussi un bilan très sombre.

L’OSAR recommande de renoncer aux transferts Dublin vers l’Italie

L’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) vient de publier un rapport alarmant sur la situation des requérants d’asile en Italie. Les personnes renvoyées dans le cadre d’une procédure Dublin n’ont guère accès à un hébergement et le respect de leurs droits fondamentaux n’y est plus garanti. 

Alors que le nombre d’arrivées en Italie a continuellement diminué ces derniers mois, les conditions de vie des requérants d’asile dans le pays se sont dramatiquement détériorées, précise l’organisation. C’est la conséquence de deux politiques simultanée: une réduction importante des allocations financières destinées au système d’accueil et un durcissement de la législation envers les requérants d’asile. 

Une mission d’enquête effectuée en automne 2019 et de nombreux entretiens menés avec des experts, des fonctionnaires italiens, des représentants du HCR et de plusieurs organisations non gouvernementales en Italie ont abouti à ce constat. Résultat des courses, l’OSAR demande de stopper purement et simplement les transferts Dublin vers l’Italie. 

  • Lire le rapport de l’OSAR ici

Le TAF admet les transferts Dublin vers l’Italie mais sous conditions

De son côté le Tribunal administratif fédéral (TAF) demande au Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) de ne pas renvoyer des familles ou des personnes gravement malades à moins d’obtenir des garanties de soins et d’hébergement des autorités italiennes. Avec l’arrêt E-962/2019 du 17 décembre 2019, le tribunal confirme et concrétise sa jurisprudence récente concernant la prise en charge des familles transférées dans le cadre du règlement Dublin. 

L’arrêt de référence de 42 pages analyse en détail l’impact du décret-loi 113/2018 sur la sécurité publique et l’immigration en Italie (“Décret Salvini”) qui a considérablement modifié le système d’accueil destiné aux requérants d’asile. 

Depuis l’entrée en vigueur de cette nouvelle législation, les personnes transférées en Italie en vertu du règlement Dublin n’ont plus accès au système d’accueil « de seconde ligne », qui était auparavant assuré au travers du système SPRAR (Sistema di protezione per richiedenti asilo e rifugiati). Ce dernier était mis en œuvre dans des centres décentralisés de petite taille et offrait des mesures d’intégration ainsi qu’une prise en charge adaptée aux requérants d’asile particulièrement vulnérables, comprenant notamment les familles et les personnes gravement atteintes dans leur santé. Suite à l’adoption du décret Salvini, les requérants d’asile – y compris les personnes transférées en vertu du règlement Dublin – sont désormais pris en charge dans les centres d’accueil de « première ligne », à savoir de grands centres collectifs gouvernementaux ou des structures temporaires d’urgence.”

Les autorités suisses devront désormais obtenir des garanties formelles des autorités italiennes avant de transférer une famille ou une personne gravement malade. Mais le TAF ne constate pas de violations systémiques dans la procédure d’asile ou dans le système d’accueil en Italie et  donc pour l’instant il estime que la suspension de tous les transferts Dublin vers l’Italie n’a pas lieu d’être. 

Lire aussi l’Etude sur la protection de l’unité familiale dans les procédures Dublin, Professeur Francesco Maiani, Octobre 2019

Jasmine Caye

Avec une expérience juridique auprès des requérants d'asile à l'aéroport de Genève, Jasmine Caye aime décrypter l'information sur les réfugiés et les questions de migration. Elle a présidé le Centre suisse pour la défense des droits des migrants (CSDM) et continue d'assister des personnes en procédure d'asile. Les articles sur ce blog paraissent en version courte sur un autre blog ForumAsile.

4 réponses à “Transferts Dublin vers l’Italie: juges et experts sonnent l’alarme

  1. Je trouve que cette histoire est le plus parfait aveu d’échec des institutions européennes.

    En principe le traité de Schengen Dublin a été conçu, et il a été accepté par le peuple suisse, sur la base du raisonnement suivant: nous voulons abattre les frontières, donc nous ne voulons plus que chaque pays traité individuellement son immigration.

    De la même manière, nous dit-on, nous ne voulons pas non plus qu’un pays individuel puisse déterminer des normes plus restrictives qu’un autre en matiere de sécurité alimentaire. Par conséquent, nous avons inventé le principe du Cassis de Dijon selon lequel si un produit alimentaire est accepté dans un pays quelconque de l’UE, il doit être automatiquement homologué dans tous les autres. Et nos autorités, qui n’ont qu’une obsession, celle de se mettre à plat ventre devant l’UE se sont empressées d’adopter ce principe du Cassis de Dijon en Suisse, unilatéralement et sans rien en contrepartie. Résultat: cela lèse notre agriculture qui continue à être soumise à des normes sanitaires plus sévères que dans les autres pays. Donc nos paysans ne peuvent plus tourner car ils ne peuvent plus être compétitifs avec les produits Cassis de Dijon.

    C’est là l’esprit de l’UE qui se veut une communauté de valeurs dans laquelle tous les pays sont égaux. Et donc où les personnes, les produits, les capitaux et les services doivent circuler librement.

    Pour que le système fonctionne il est nécessaire que tout membre de l’UE puisse être considéré comme un pays civilisé auquel on peut faire confiance. C’est logique. Si un pays européen n’était plus civilisé, il n’aurait plus sa place dans l’UE. C’est du moins ce qu’on nous a vendu. Et c’est pourquoi nous avons accepté Schengen car, même si nous ne voulons pas etre membres de l’UE, nous reconnaissons que les pays de l’UE sont civilisés. Donc nous avons accepté ce principe que tout pays de l’UE peut être considéré comme un pays sûr, et que par conséquent il est logique que les immigrés en situation irrégulière soient renvoyés dans le pays de premier séjour puisque, par définition, étant un pays de l’UE c’est un pays sûr.

    Et voilà maintenant qu’une décision de la Suisse nous apprend que l’Italie n’est plus un pays sûr. Ce n’est plus un pays où les droits humains auxquels nous croyons en Suisse sont respectés. Donc un tribunal Suisse interdit aux autorités suisses de respecter le traité Dublin en renvoyant les réfugiés en dituation irrégulière en Italie. En clair, lItalie n’est plus un pays civilisé. Bref ce sont des barbares!

    Et pourtant nos autorités veulent toujours que nous nous soumettions à l’autorité législative de l’Union Europeenne (accord cadre sur les questions institutionnelles) ! Ils veulent que nous entrions dans un club de barbares. Cherchez l’erreur!

    Il faudrait être conséquent und fois de temps en temps.

    Soit nous sommes dans Schengen Dublin et donc nous appliquons ces traités strictement. C’est à dire que nous renvoyons systématiquement les réfugiés dans les pays où ils ont fait leur demande d’asile. Puisque par définition ces pays sont des pays sûrs. Nous devons pouvoir nous reposer sur cette certitude.

    Soit, nos autorités judiciaires prennent ce genre de décisions et nous disent que certains pays importants comme l’Italie ne sont plus sûrs, ni civilisés. Et dans ce cas là, nous devons sortir de Schengen Dublin.

    Il faut choisir.

    En même temps, ce jugement nous dit que l’Union Européenne est un échec fondamental. Car il n’est plus possible d’avoir une communauté de valeurs sans frontières à partir du moment qu’un pays aussi important que l’Italie sombre dans la barbarie.

    Ce jugement jette une lumière crue sur les mensonges de la politique promue par nos autorités.

  2. La conséquence de ce jugement devrait être le retour d’un contrôle systématique à la frontière avec l’Italie et la fin de la libre circulation avec ce pays!

    L’Italie ne peut pas nous envoyer ses frontaliers + ses migrants pour qu’on s’en occupe.

    Fermons la frontière avec l’Italie !

    1. Monsieur,
      Vous avez parfaitement raison. L’image précédente concernait une famille retenue dans un centre pour requérants d’asile en Hongrie.
      J’ai fait les modifications nécessaires. JC

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