Remettre en selle la diplomatie en Syrie

Au-delà de la confirmation de la détérioration du dossier syrien, l’entrée en guerre de la Russie contre l’État islamique, ce 30 septembre, souligne avant tout la chute libre de la diplomatie dans les relations internationales contemporaines. De manière sans cesse renouvelée, nous assistons au recours – toujours plus systématique, plus large et plus accéléré – à la force comme réponse réflexive aux diverses crises que connaît le monde, et notamment le Moyen-Orient.

Le cas de la Syrie est révélateur, avec ce dernier épisode, d’un nouveau moment-vérité dans le processus d’affaiblissement de la diplomatie où la compétition stratégico-politique entre différents camps internationaux et régionaux ne s’embarrasse désormais plus des formes – soulignant, avant tout, l’éclatement des processus consensuels et des dynamiques multilatérales émasculées à souhait par ces tiraillements.

Exemplarité négative

Deux traits émergents sont à souligner. D’une part, la théâtralité d’une diplomatie vidée de son sens et fatalement condamnée à l’échec, et, d’autre part, l’atomisation des structures formelles de décision illustrée par la multiplication de réunions internationales ad hoc s’arrogeant la légitimité du processus de prise de décision multilatéral et vidant le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale des Nations-Unies de leur autorité politique. L’épisode de « recherche d’une solution diplomatique » devient ainsi un simple passage obligé, avec, par exemple, la multiplication des envoyés spéciaux qui jouent un rôle préalable au fait militaire. Kofi Annan et Lakhdar Brahimi ont, de la sorte, tous deux jeté l’éponge de leurs médiations respectives à Damas, le premier ne manquant pas de souligner la « compétition destructive » entre grandes puissances.

Le jeu ainsi recomposé, on peut, à cet égard, presque s’étonner que la Russie ne soit pas intervenue plus tôt, comme la Turquie n’a pu à terme éviter de le faire ou de la même façon que le Hezbollah libanais ait naturellement rejoint l’exercice. Une exemplarité négative s’en suit et des interventions sud-sud (au Yémen par exemple) se multiplient, toujours au nom de « la sécurité », de « l’ordre » et de « la stabilité ».

Il demeure que l’évitement de la diplomatie n’est, en réalité suivi que de peu de résultats tangibles. Dans ce cas précis, l’opération américaine contre l’État islamique a été rapidement suivie d’annonces de succès l’an dernier, avant que l’organisation d’Abou Bakr al Baghdadi ne prenne Palmyre en Syrie et Ramadi en Irak, sans perdre Mossoul. De même, les positions de l’État Islamique auraient été « détruites de 40% » par l’action russe, avant que le groupe ne prenne contrôle dans ce même temps contrôle de la région autour d’Alep.

Au vrai, les dynamiques de néo-guerre froide enfantent logiquement des nouvelles guerres par procuration ou chaque puissance (autrefois « superpuissances », mais l’emphase est désormais réservée aux super-groupes non-étatiques) projette unilatéralement sa force à sa convenance et sur ses cibles, et ce sans contrôle international. Étrange, par ailleurs, et signe des temps, que cette diplomatie soit peu réclamée par les sociétés, au Nord comme au Sud, qui souvent approuvent – sondages à l’appui – la solution militaire, un peu comme si la diplomatie n’était même pas considérée comme une option viable.

S’impose donc le retour à la diplomatie, en Syrie et au-delà.

Tout à sa complexité – et elle est réelle – le dossier syrien ne peut réellement être réglé que par la diplomatie. Alternativement, une solution de force mènerait vers l’impunité (pour Bachar al Assad), l’illégalité (pour les groupes armés) ou l’échec programmé (pour l’interventionnisme étranger).


Photo : Nations-Unies

Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou

Historien politique, Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou est professeur d'histoire et politique internationales au Geneva Graduate Institute (Institut de hautes études internationales et du développement) à Genève. Précédemment à l’Université Harvard, il a également enseigné à Sciences Po Paris.