Pax Trumpica

Lorsque Donald Trump sera élu à la présidence des États-Unis, tard dans la nuit du 8 au 9 novembre 2016, l’Amérique entrera dans une phase inédite de son histoire mais également de sa politique étrangère à l’égard du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Au-delà du repositionnement post-printemps arabe toujours en cours et du « retrait » stratégique poursuivi à l’égard de la région par l’administration Obama au cours de ses deux mandats, la conception même du rôle de l’hégémonie américaine sur cette aire – un contrôle grandissant depuis les années 1960 – va être reformulée et passera par des chemins peu empruntés pour l’heure, notamment le suivisme (de la Russie), la diminution du soutien aux monarchies du Golfe (dans la  lignée de l’anti-islam) et l’acceptation sans équivoque de l’autoritarisme (au nom de la sécurité du homeland).

Au-delà des questions du Moyen-Orient, l’arrivée de M. Trump à la tête de la première puissance mondiale sera elle-même un moment-vérité à maints égards. Facilitée par la mauvaise candidature de Hillary Clinton, cette victoire, désormais annoncée au lendemain du séisme Brexit et de l’été du terrorisme, consacrera, pêle-mêle, la déchéance du débat politique et du système politique aux États-Unis, la puissance de l’infotainment (l’information spectacle), la fin du Parti républicain tel qu’il a existé historiquement, la profonde désunion du Parti des démocrates, l’appel sans fin du populisme, l’inconséquence des faits face à l’illusion du storytelling, la réalité de la télé-réalité, l’avènement des USA Orange Mécanique, le retour des tensions raciales circa 1966-1974 et les illusions auto-produites des « majorités silencieuses » Nixoniennes se cherchant, encore et toujours, des solutions les scindant d’autres pans de leur société.

Pour rappel, le candidat Trump – qui a reçu le soutien de Kim Jong-Un, de Vladimir Putin et du leader du Ku Klux Klan, mais pas celui de la sœur d’Anne Frank qui considère, pour sa part, qu’il « agit comme un autre Hitler » – a, notamment, déclaré qu’il voudrait corriger physiquement certains membres du parti démocrate, qu’il était prêt à payer les frais d’avocats de ceux de ses soutiens qui en feraient de même à l’égard de ses critiques, qu’il aimait l’idée de la méthode de torture dite water-boarding, que les Conventions de Genève était un problème et devraient être changées, qu’il envahirait certains pays du Moyen-Orient pour s’emparer de leur pétrole, que les injections lors de la peine de mort étaient trop confortables, qu’il aurait peut-être soutenu les camps d’internements des japonais-américains lors de la Seconde Guerre Mondiale, que les immigrants mexicains sont des violeurs et des criminels et que les Musulmans devraient être interdits de séjour aux États-Unis (une proposition soutenue par 75% de l’électorat républicain selon un sondage CBS News).

L’historien de l’empire américain (et cousin de Jacqueline Kennedy), Gore Vidal, avait pour habitude de dire que les États-Unis n’étaient pas « un pays sérieux ». Les conséquences mondiales de leurs actes, notamment à l’occasion de cette campagne électorale présidentielle de 2016, ne permettent désormais plus de balayer si aisément une telle irresponsabilité. De même, le chroniqueur de la démocratie américaine, Alexis de Tocqueville, a écrit que le grand privilège des Américains était de pouvoir « faire des fautes réparables ». La jeunesse relative du pays permet encore de le croire, mais l’élection de Donald Trump le sera difficilement. C’est donc chez l’acuité de l’écrivain Norman Mailer, peintre des bas-fonds du malaise sociétal américain, que l’on trouvera, dans un discours devant le Los Angeles Institute for the Humanities en 2003, la bande-annonce de ce qui se dessine aujourd’hui : les États-Unis sont en en passe de devenir une « méga-république bananière » dans laquelle l’armée et la police prennent de plus en plus de place, annonçant une montée du proto-fascisme, prophétisait-t-il. Six ans plus tard, Chris Hedges souligna dans son ouvrage Empire of Illusion – The End of Literacy and the Triumph of Spectacle (Prix Pulitzer) que dans ce pays qui a « de moins en moins de cohésion, gagner c’est tout ce qui compte et la moralité est inconséquente. Nos dieux sont les célébrités ».

Ultimement, le principal impact de la présidence Trump – célébrité parmi les célébrités et dont le maître-mot est « gagner ! » – sera donc assurément sur le type de société qui en émergera aux États-Unis. Pour autant, l’autoritarisme grandissant dans ce pays fera florès, et il fera en particulier au Moyen-Orient. Que peut-on, dès lors, escompter de la Pax Trumpica à venir dans cette région ? Principalement deux choses sur le court terme : un règlement de la question syrienne au profit du président Bachar al Assad et le soutien à l’autoritarisme au nom de la lutte contre la démocratie (à Bagdad, au Caire, à Ankara et ailleurs). Au-delà, les répercussions de ceci viendront, aux États-Unis comme au Moyen-Orient, tester le management du nouveau président américain.


Photo : Michael Anderson, 1984 © Columbia Pictures, 1956