Cruauté et Couardise

Nous y sommes. Conséquent avec lui-même, ses déclarations au cours de l’année écoulée et les attentes de ses électeurs – il a été élu démocratiquement, et c’est toute la faute-crime de cette Amérique à la fois Vaudeville, Burlesque et Grand-Guignol désormais à la dérive presque plus que durant les années 1970 – le président Donald Trump a logiquement franchi le seuil et a ordonné aux autorités américaines la mise en place officielle de mesures discriminatoires contre les adeptes d’une religion (même si, hypnotiseur d’une audience complice, il s’en défend). Dans une république. Dans une démocratie fondée plus que toute autre société dans l’histoire sur la célébration de la diversité.

Ce qui doit donc le moins étonner est que cette phase ait été atteinte, puisque tout y a concouru. La détermination d’une figure qui a elle seule marie toutes les dystrophies de notre temps – errance ludique, négligence de la vérité, individualisme débridé, culte de l’argent, culture de la victoire à tout prix, abrutissement de masse, arrogance revendiquée, vulgarité normalisée, absence de civilité, mépris des conséquences sur autrui et admiration du fait accompli sans décence ni scrupules –, un homme-époque symbiose à la fois de la télé-réalité socialement pornographiée, de Wall Street version Oliver Stone et de l’infotainment à la Fox News, s’est allié à ce qui, en tout temps, a principalement fait le lit de l’autoritarisme, à savoir l’apathie et l’indifférence, pour nous faire entrer de plein pied dans le monde Orwellien du 21ème siècle.

Nous y sommes. Certes, les Musulmans de 2017 ne font que s’ajouter aux Chinois de 1882 (interdits par le président Arthur), les Anarchistes de 1903 (bannis par le président Théodore Roosevelt), les japonais de 1942 (incarcérés par le président Franklin Roosevelt), les Communistes de 1950 (pourchassés par le président Truman) et les Cubains de 1986 (dont l’entrée avait été limitée par le président Reagan). Cette fois-ci, néanmoins, la comédie des erreurs des fausses lectures et analyses bancales – dont la cécité n’a eu d’égale que la couardise de la rationalisation qui a si vite suivie – s’est jouée sur le mode lamento de l’irresponsabilité et du fatalisme. Si donc la pierre ne peut être jetée à Trump, adepte revendiqué des pratiques dépréciatives, convocateur de Kafka (un fait peut, désormais, être « alternatif ») et élu conséquent avec lui-même (peut-être œuvre-t-il quelque peu trop tôt à sa réélection), c’est bien aux pieds de  cette fameuse « majorité silencieuse », charmée par Richard Nixon en 1968 face aux « voyous » opposés à la guerre du Vietnam, tweetant sa haine anti-Islam à chaque attaque terroriste, faisant barrière (ou croche-pied) à des miséreux migrants fuyant mort et désolation, se préparant sourdement à élire Marine Le Pen au cocon patiemment tissé, admirant le bravado de Putin ou celui d’Erdogan, et qui aura donc élu le quarante-cinquième président des États-Unis qu’il faut aujourd’hui déposer les armes.

Les leçons sont légion et elles sont tout autant régulièrement ignorées dans les univers ouatés répétant, de tragédie en farce, une histoire qui, pourtant, à chaque fois a moins de raison d’être amnésique (« America First » était ainsi une formule utilisée par les antisémites américains des années 1940 sympathisants du régime hitlérien et qui, dès 1938, répondaient « oui » à 65% à un sondage Gallup demandant : « la persécution des Juifs est-elle de leur faute ? » ).

« Il faut lui donner sa chance », « n’a-t-il pas gagné l’élection ? », « elle était une candidate particulièrement mauvaise », « ces Musulmans exagèrent », « nous devons nous protéger de cette vague d’invasion de migrants », autant de rationalisations,  d’inépuisables interrogations sur les motivations de l’Autre et d’épuisantes certitudes sur les bienfaits attendus de la manière forte. Mais la couardise est universelle et, de la même façon, elle se retrouve aujourd’hui du côté de ces gouvernements arabes et musulmans qui a chaque fois ont toléré l’intolérable, à commencer par la misère de ces Syriens, nouveaux Palestiniens de la région, auxquels nulle main n’a été tendue, autorités qui s’accommodent encore et toujours de la stigmatisation de leurs propres citoyens et du diktat d’un Washington, face auquel ils ne peuvent concevoir la réciprocité souveraine et qu’ils préfèrent hypnotiser avec leur discours « sécuritaire » et leurs vrais-faux « terroristes ».

Mis en scène par des conseilleurs félicités par le Ku Klux Klan et annoncé à l’occasion de la journée de la mémoire de l’Holocauste, le décret Trump est pensé pour choquer et agi pour marquer une rupture. Une telle revendication a le mérite de la clarté, mais celle-ci, on peut le croire est également pyrrhique, puisqu’au-delà de son inhumanité, une telle démocratisation de la cruauté ne peut être que contre-productive. Il est en effet dangereux d’être trop conséquent. Aussi, à l’évidence, l’État Islamique fera son beurre de cette « confirmation » de son narratif comme l’on peut escompter voir plus de radicalisation au sein même de ceux-là auxquels on a fait injustice alors qu’ils fuyaient …l’injustice.  Silence pourtant sous les chapiteaux des droits de l’Homme. Et également dans ce monde arabe tétanisé et en cette Europe qui, ayant plus peur d’être Muniché se Vichyfie et observe avec fascination et épatement – en lieu de dénonciation et rappel à l’éthique – ce « Trump, alors là, décidément bien résolu ! », ouvrant la porte petit à petit à ce à quoi, elle a répété un demi-siècle durant, « plus jamais ça ».  Mention, bien entendu et chapeau bas à ces femmes (différentes de ces autres 53% qui, elles, avaient voté pour Trump) qui ont marché les premières, et en force, contre le retour de la discrimination raciale dans leur pays – voir, à ce sujet, les deux documentaires The 13th et I Am Not Your Negro sortis ce mois-ci qui illustrent froidement le retour aux années 1960 sur ce flanc – et aux rejets de toute sorte, ainsi qu’à ces Juifs qui ont admirablement pris la défense des Musulmans se déclarant prêt à se faire « lister » à leurs côtés.

Prosternation ou résistance, encore et toujours le test ultime de l’intégrité. Faire donc le corrélat que l’hystérie politique associée aux frayeurs collectives aboutit invariablement à la perversion de l’ordre sociétal est une leçon d’histoire nécessaire aujourd’hui. Signe des temps, les hausses de 1984 sont en vente. L’on s’interroge alors : qu’est-ce qui avait inspiré autant d’acuité de perception en George Orwell – et Aldous Huxley (qui était le professeur de français d’Orwell), mais également Philip K. Dick, Norman Mailer, Gore Vidal et jusqu’à Chris Hedges qui aujourd’hui parle courageusement d’« impératif moral de rébellion » ? Comment Orwell avait-il pu voir avec autant de prescience, si tôt après la seconde guerre mondiale, alors que le mode dominant était à l’optimisme « We Can Do It » et « Trente Glorieuses », qu’une telle obscurité sociétale était possible ? Simplement peut-être une mise en relation de ce lacis d’embûches qu’est le creuset de l’indifférence et de ces deux permanents menteurs, cruauté et couardise.


Photo : Scène de cauchemar conçue par Salvador Dali, Spellbound, Alfred Hitchcock © Seltznick International, 1945

The American Sisi Moment

Authoritarianism loves company. Which is a paradox, since arbitrariness seldom rhymes with sharing. The type of company in this case is, however, of the mimetic kind. Among the many facets of contemporary sociopolitical dystrophies in the United States which the election of Donald Trump revealed, one of the most arresting is the reverse effect that authoritarianism beyond the United States has had on that country’s political atmosphere. It used to be that Washington would grandstand and lecture Arab, African, Asian, and Latin American autocrats on their violations of human rights and democracy. The Annual Country Report on Human Rights Practices released yearly by the Department of State (since 1974) was the embodiment of that policy – with its methodological limitations, inconsistent research, and political underpinnings. However nominally, the positioning was there nonetheless.

In the years after 9/11, such posture was de-emphasized in the name of the fight against terrorism. As events spiraled out of control first in Iraq after 2003 and then in Syria after 2011 notably, Southern autocrats started realizing the sway they could leverage against their terrorism-obsessed Western counterparts merely by proclaiming that they were “combating terrorists”. Facing a political rebellion? Paint it as “terrorist campaign”. Enjoy international support. Replay the scene. The counter-productive Western blind complicity that came with such Faustian bargain has now been superseded by an innovative form of reverse corruption with Southern dictators passively fueling authoritarianism in the North. No longer elliptical and merely justificatory about the requirements of a challenging security context, the new dynamic displayed by the southern authoritarian state is at once insidious and insinuating. It is about a double realization of newfound power over the metropolis, whose exemplarity (if indeed it was ever there) is now limited and influence is curtailed.

“Those who win, in whatever mode they win, never receive shame from it”, wrote Niccoló Machiavelli in his Florentine Histories, stressing that those victors should “have no business to think about conscience”. The time-honored winner-take-all nature of the American system has vividly illustrated this in the wake of Donald Trump’s presidential election but just as well the upstream enthusiasm about his candidacy by the likes of Vladimir Putin, Bashar Al Assad, Ali Khamenei, Abdelfattah al Sisi, Recep Tayyip Erdoğan, Rodrigo Duterte, Victor Orban, and Marine Le Pen has given new meaning to that realpolitik aphorism by pointing out the back-and-forth of authoritarian influence orchestrated on a fugue mode.

Specifically, three consequences have emerged in this evolving context. First, in some sectors and at least in terms of rhetoric, the space between democracies and autocracies has shrunk demonstrably. Exhibit A: a presidential candidate inviting his supporters to use violence against their political opponents has been hailed by a serving president admitting to personally killing criminal suspects. In the name of security, violence has been visited on the citizenry from Rio to Davao. Secondly, the struggle for democracy, notably in the Middle East, has been presented as generating instability and therefore not really desirable, and this misleading narrative is increasingly registering with Cairo liberals and Paris ones alike – united in their fight against “terror” while turning a blind eye on the very human rights violations they once battled or denounced. As Brian Klaas remarked in The Guardian in November, “With Trump in the Oval Office, ordinary citizens living under despotism will find their already weak voices muted, their plight ignored”. Finally, and arguably more importantly, the ongoing normalization of authoritarianism globally in the name of a rationalizing of ‘strong and decisive leadership’ is in fact an inherent component of international instability. Security landscape analyses listing terrorism, migration, armed conflicts, and other familiar sources of such chaos must be updated to include the consequences of the routinization and expansion of authoritarianism circa 2017.


Photo: Dirk Bogarde and James Fox in The Servant by Joseph Losey, 1964.