Moustapha Akkad et le Cinéma de l’Émancipation

L’esprit des indépendances postcoloniales des années 1960 et le moment révolutionnaire mondial de la décennie suivante président conjointement aux deux récits cinématographiques uniques, Al Rissala (Le Message, 1976) et Omar al Mukhtar (Le Lion du Désert, 1981), que nous a légué le défunt metteur en scène américano-syrien, Moustapha Akkad.

Au-delà du talent de Akkad et de sa vision, c’est visiblement cette combinaison libératrice et créativement émancipatrice qui avait irrigué ce dont, rétrospectivement, nous pouvons faire l’expérience aujourd’hui comme un cinéma d’indépendance, à la fois régional et mondial.

Al Rissala est une chronique de l’émergence de l’islam en Arabie au septième siècle et de l’épopée de la vie du prophète Mohamed de la révélation jusqu’à la prise de La Mecque en 630. Omar Al Mukhtar présente le récit de la rébellion du leader nationaliste libyen contre l’occupation italienne au début du vingtième siècle.

La trilogie cinématographique arabo-islamique inachevée de Akkad allait inclure un dernier film sur Salah al Din al Ayubi (Saladin), le leader politique et militaire musulman qui avait repris Jérusalem au Croisés en 1187, projet sur lequel Akkad travaillait jusqu’à sa mort lors d’un attentat terroriste à Amman en Jordanie en novembre 2005. Le metteur en scène avait, après la sortie d’Al Rissala, fait fortune en obtenant les droits de la série des films d’épouvante Halloween dont il produit plusieurs épisodes.

Au vrai, les deux films de Moustapha Akkad sont deux œuvres majeures qui, ensemble, constituent un précieux condensé de l’imaginaire politique arabo-islamique durant la seconde partie du vingtième siècle. D’un coté, le versant religieux, de l’autre le sentiment nationaliste (campé ici par un leader libyen mais qui aurait pu tout autant mettre en scène les rébellions nationalistes algériennes, marocaines, irakiennes ou égyptiennes). Ce faisant, Akkad a donné vie cinématographique aux deux grands narratifs – au demeurant mutuellement compétitifs – qui ont dominé l’aire moyen-orientale et nord-africaine au lendemain des indépendances et tout au long de la seconde moitie du vingtième siècle.

La critique élitiste occidentale avait à l’époque eu – le contraire aurait étonné – « du mal » avec un metteur en scène arabe célébrant, avec dextérité, les faits d’armes arabo-islamiques. Même si celui-ci sortait d’Hollywood et de l’école Sam Peckinpah, maîtrisant codes et techniques de la profession, et gérant, l’une à la suite de l’autre, deux superproductions internationales (Al Rissala fut filmé simultanément en deux versions l’une avec des acteurs arabes, dont Abdallah Ghaith et Mouna Wassef, et l’autre avec des acteurs américains et européens dont Anthony Quinn et Irène Papas), on pouvait allègrement l’accuser, comme le fit le magazine français Première, de « ne pas savoir filmer le désert » (l’on ne sait comment cela est supposer être fait, mais il serait ainsi entendu que le standard est celui du britannique David Lean dans Lawrence d’Arabie).

En réalité – pour ceux qui connaissent le désert – Akkad en avait parfaitement peint à la fois l’évanescence confondante et l’ondoyance hypnotisante, et ce dès la première image du film sous une musique onirique de Maurice Jarre.

Seuls l’Orientalisme et l’Eurocentrisme peuvent expliquer que ces deux films demeurent cantonnés à une consommation culturalisante et leur épique valeur filmique largement inconnue (oubliés ainsi des listes BFI et autres). A la différence de nombreux films religieux, sur l’islam ou le christianisme, dénotant ferveur et passion, le travail de Akkad est tout en retenue de traitement et en contextualisation historique. Al Rissala aborde ainsi avec précision le milieu antéislamique et la fonction économique de la religion dans cet environnement, et dépeint avec nuance les hésitations d’une aristocratie mecquoise empruntée face au tourbillon d’une nouvelle religion portée par leur propre cousin. Omar al Mukhtar loge l’émancipation autant chez l’enseignant cyrénaïque devenu chef militaire que chez le jeune soldat italien rejetant sa mission d’occupation et ces ordres iniques.

Si tout œuvre a une sociogenèse révélatrice, celle de Akkad est celle, non pas d’une revendication, mais d’une réappropriation. Son travail, à l’instar d’un autre metteur en scène de l’émancipation injustement oublié, le mauritanien Med Hondo, n’est pas une simple synthèse de Lawrence d’Arabie ou de Gallipoli – qui serait ainsi un simple rendu de bon élève – mais bien plus ; à savoir un tableau peint au près de l’authenticité de ces expériences. Et c’est bien là que réside l’importance du travail de Akkad, une représentation de moments profondément historiques à un moment politique et historique en soi.


Photo: Moustapha Akkad et Anthony Quinn, tournage de Omar Mukhtar© 1981, United Film Distribution Company

Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou

Historien politique, Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou est professeur d'histoire et politique internationales au Geneva Graduate Institute (Institut de hautes études internationales et du développement) à Genève. Précédemment à l’Université Harvard, il a également enseigné à Sciences Po Paris.