Le Centre fédéral de renvoi, une verrue pour Genève

Au Grand-Saconnex, le chantier du futur Centre fédéral sans tâches procédurales (CFA) a débuté. Juste à côté du bâtiment prévu pour 250 lits, un nouveau centre de détention administrative de 50 places et un autre bâtiment pour la Police internationale chargée de l’exécution des renvois sont prévus. L’encadrement des requérants d’asile sera la responsabilité de la société privée ORS. La sécurité sur place sera aussi attribuée à une autre société privée de surveillance, probablement Protectas. 

 

 

Son ouverture est prévue pour 2022. Ce centre sera principalement destiné aux requérants d’asile qui font l’objet d’une procédure Dublin et aux personnes déboutées de l’asile (1). Le Centre fédéral du Grand-Saconnex aura donc la même fonction que le centre de Giffers dans le canton de Fribourg où des problèmes de mauvais traitements ont récemment eu lieu. 

En 2015, le Conseiller d’Etat Pierre Maudet, défendait le projet, estimant qu’avec l’aéroport international, Genève n’avait pas vraiment le choix. En échange d’un CFA sur son territoire, le canton bénéficierait de compensations avec le droit de prendre en charge un nombre moins important de requérants d’asile en procédure étendue. 

Dès 2015, les associations de défense des requérants d’asile ont communiqué leurs inquiétudes. Pourquoi Genève, capitale mondiale de l’humanitaire, devrait accueillir un Centre fédéral de renvoi avec toute la tristesse, la souffrance et les violences qui vont avec ? Pourquoi Genève ne pouvait pas proposer, à la place, un Centre fédéral de procédure d’asile? 

En 2018, Aldo Brina, chargé d’information sur l’asile au Centre social protestant de Genève, rentrait inquiet d’une visite de Giffers. Il décrivait un lieu de “pré-détention administrative en vue du renvoi” avec un “dispositif sécuritaire” important  et un climat psychologique ressemblant à celui que l’on perçoit dans les centres de détention administrative. (3)

Dernièrement, des mauvais traitements, des sanctions abusives, des règles inutiles appliquées à Giffers mais aussi au centre de Boudry (Neuchâtel)  et de Bâle ont encore renforcé les oppositions à la construction de ce bâtiment. Samedi 3 octobre 2020, de nombreuses associations ont rassemblé des centaines de manifestants à Genève pour demander l’abandon du projet (4). 

Source: Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM)

Car au Grand-Saconnex comme à Giffers, le centre sera complètement clôturé et soumis à des règles strictes. Les résidents pourront être sanctionnés pour des manquements futiles comme un retard au repas. Faire entrer de la nourriture sera interdit et des fouilles corporelles systématiques seront effectuées. Une erreur et selon l’humeur de l’agent de sécurité, l’argent de poche sera confisqué sans explications.

En réalité, dans ces centres, ouverts entre 9 heures du matin et 17 heures, tout est fait pour encourager les personnes à disparaître dans la clandestinité, quitter la Suisse, pour la France, l’Allemagne ou même l’ Angleterre (5). Voici mon pronostic: le CFA du Grand-Saconnex, sous les avions et près de la frontière française sera pratiquement vide. Les personnes disparaîtrons rapidement afin d’éviter un renvoi risqué ou avant cela, un placement en détention administrative pour l’exécuter.

Genève doit y renoncer, proposer autre chose, profiter de la baisse des demandes d’asile en Suisse et des nombreux changements attendus dans le système d’asile européen pour instaurer un moratoire, geler puis abandonner sa construction qui n’a pas de sens (6). 

Pour les personnes intéressées à mieux comprendre les raisons de la mobilisation, l’association Solidarité Tattes consacre son assemblée générale à la discussion sur les Centres fédéraux le mercredi 28 octobre 2020 de 18h30 à 20h30 à la Salle de la Palette, Rue du Grand-Pré 11, 1202 Genève. Entrée par l’arrière du bâtiment.  

Vous trouverez aussi beaucoup d’information sur le sujet sur La plateforme d’information sur l’asile et sur le site de l’association Solidarité Tattes

 

  1. Depuis la restructuration du domaine de l’asile votée en 2016, ces personnes ne sont plus transférées dans les centres cantonaux, sauf si leur renvoi n’est pas possible dans un délai total de 140 jours après le dépôt de leur demande d’asile. En cas de dépassement, ces personnes sont transférées dans des foyers cantonaux en attendant l’exécution de leur renvoi.
  2. Voir le rapport de la Commission fédérale contre le racisme
  3. Centre fédéral de Chevrilles – asile et barbelés
  4. Associations et collectifs organisateurs: Collectif de lutte des MNA, Solidarité Tattes, Coordination asile, solidaritéS, Stopexclusion, Tournoi antiraciste, Groupe Contre les Centres Fédéraux, 3Chêneaccueil, Asile LGBT, Collectif des Assises enfants et jeunes majeur.e.s non accompagné.e.s, Collectif genevois pour la Grève féministe, Collectif Radical d’Action Queer, CUAE, Droit de rester Lausanne, Grève du Climat Genève, Ligue Suisse des Droits de l’Homme Genève, le PS Genève, SIT, les Verts Genève, le Silure, Solidarité sans frontières, UNIA Genève, AMIC (Association des Médiatrices Culturelles), PdT et le soutien de: HabitantEs de la commune du Grand-Saconnex, CSP, AGORA, Collectif Sans Papiers, AJP, BLM Geneva, Collectif Afro-Swiss – CAS, Collectif Faites des Vagues, Droit de rester Neuchâtel, Outrage Collectif, Collectif Afroféministe Amani, Collectif 15 mai pour la justice sociale et climatique, Collectif 8 mars pour un féminisme révolutionnaire, Elisa-Asile, Jeunesse Socialiste Genevoise, Bla.sh
  5. Ordonnance relative à l’exploitation des centres de la Confédération et des logements dans les aéroports.
  6. En mars 2019, la majorité du Grand Conseil genevois acceptait la motion M 2489 « Pas de centre fédéral d’attente et de départ à Genève » et invitait le Conseil d’Etat à y renoncer ce qu’il n’a pas fait tout en promettant d’appliquer “avec pragmatisme et compassion le nouveau droit fédéral dans le domaine de l’asile, entré en vigueur le 1er mars 2019 ». 

 

Jasmine Caye

Avec une expérience juridique auprès des requérants d'asile à l'aéroport de Genève, Jasmine Caye aime décrypter l'information sur les réfugiés et les questions de migration. Elle a présidé le Centre suisse pour la défense des droits des migrants (CSDM) et continue d'assister des personnes en procédure d'asile. Les articles sur ce blog paraissent en version courte sur un autre blog ForumAsile.

2 réponses à “Le Centre fédéral de renvoi, une verrue pour Genève

  1. La population plébiscite les renvois.
    Ne parlez pas de l’influence d’extrême droite, cela touche toutes les catégories de gens qui votent à gauche comme à droite. Le peuple n’est pas idiot à se laisser manipuler par un seul parti.
    Lorsque vous aurez la réponse du pourquoi de l’hostilité de la population, alors vous saurez quoi faire. Et si il n’est pas possible d’agir contre les raisons de l’hostilité, c’est que les renvois sont justes.

    On entend beaucoup de caliméro sur la politique suisse de l’asile. Les calimero devraient savoir qu’il faut convaincre les suisses, la manif à Bern n’est d’aucune utilité. Vous voulez changer les choses ? Lancez une initiative.

    La Suisse n’a jamais eu de problème d’hostilité avec les réfugiés vietnamiens. Cela devrait être le début d’une réflexion des caliméro, la morale et la victimisation du migrant ne fonctionnant plus.

    1. Merci pour votre commentaire. Il ne s’agit pas dans cet article d’être contre les renvois. C’est le climat qui règne dans ces centres et les violences qui y sont commises qui posent problème. Un requérant d’asile qui doit être transféré avec sa femme et ses enfants vers l’Allemagne doit pouvoir être hébergé dans des conditions acceptables. Pas sur le tarmac de l’aéroport. Et puis, comme je dis, dans le contexte actuel, je doute de l’utilité d’un tel centre.

      Il n’y a pas d’hostilité de la population à l’égard des personnes migrantes, ce n’est pas le constat que je fais. De nombreux employeurs se sont mobilisés pour que les apprentissages de jeunes (à renvoyer) puissent être terminés avant qu’ils ne quittent notre pays, de nombreuses familles ont accueilli ces personnes chez elles.

      Il faut vraiment sortir du discours gauche droite trop réducteur à mon avis. Il y a à gauche beaucoup des personnes qui sont pour une politique restrictive sur le plan de la migration et puis à droite beaucoup de personnes intéressées et impliquées dans des associations qui assistent les personnes migrantes. Et qui les financent d’ailleurs.

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