…en appelaient à Emmanuel Macron pour faire interdire les néonicotinoïdes…

Monsieur le Président de la République Française,

Monsieur le Premier Ministre,

Mesdames et Messieurs les ministres du gouvernement français,

Mesdames et Messieurs les député(e)s à l’Assemblée nationale,

Lors du 21ème Congrès de l’UNAF (Union nationale d’apiculture française) en octobre 2016 à Clermond-Ferrand, Mme Ségolène Royal, alors ministre de l’environnement du précédent gouvernement français, avait annoncé la prochaine interdiction des néonicotinoïdes et de tous les pesticides en agriculture. Près de deux ans plus tard, le débat est toujours vif entre les défenseurs d’une planète favorable à l’épanouissement du vivant et les marchands de produits phytosanitaires, qui malgré les preuves qui s’accumulent, continuent à en nier la dangerosité.

Depuis votre accession au pouvoir, la France a repris un rôle exemplaire dans bien des domaines. Un espoir formidable est né, y compris dans le domaine de la protection des conditions de vie sur terre, préalable à toute prospérité à long terme. Les meilleurs scientifiques s’accordent à dénoncer la dangerosité des néonicotinoïdes sur la santé des abeilles et lancent, sous forme d’une tribune, un appel que nous reproduisons ci-dessous. Cet appel est soutenu par plusieurs dizaines de personnalités en France et plusieurs centaines de scientifiques dans le monde entier. Gouverner c’est prévoir, mais c’est aussi faire preuve de vision et de courage, ce dont vous et votre gouvernement ne manquez pas.

Tribune Néonicotinoïdes

Monsieur le Président Emmanuel Macron, Madame et Messieurs les Ministres Nicolas Hulot, Agnès Buzyn et Stéphane Travert, ne sabordez pas la loi sur leur interdiction !

Les insecticides néonicotinoïdes constituent avec certitude une des pires menaces pour la biodiversité planétaire : pour enrayer la catastrophe écologique en cours, il est impératif de les interdire définitivement, dès maintenant.

Cette petite famille d’insecticides neurotoxiques est parmi la plus toxique jamais synthétisée. Utilisés de manière préventive, les néonicotinoïdes représentent près de 40% du marché mondial. Ils sont très persistants, contaminent tout l’environnement (plantes, air, sols, eaux) et empoisonnent tous les invertébrés. De plus, ils finissent dans nos verres et nos assiettes alors que des études montrent des impacts sur la santé humaine lors d’une exposition chronique [1].

En effet, en dépit des dénégations des firmes qui les produisent, les néonicotinoïdes possèdent une écotoxicité inégalée pour les insectes qui aurait dû empêcher leur homologation pour un usage systématique en agriculture. Ces insecticides systémiques rendent les plantes traitées nocives pour les espèces bénéfiques, mais aussi les plantes alentour ou les plantes à venir. Les premiers impacts concernent toute l’entomofaune, à commencer par les pollinisateurs.

Dès leur arrivée sur le marché français, les premiers dommages ont été rapportés par les apiculteurs sur les floraisons de tournesol puis, au fur et à mesure de leur usage grandissant, sur les autres cultures. Le même phénomène s’est produit en 2006 en Amérique du Nord avec le Colony collapse disorder (CCD), alors que le marché américain ne s’est véritablement lancé sur les néonicotinoïdes que l’année précédente [2].

Depuis plus de vingt ans la communauté scientifique sans conflit d’intérêt n’a cessé de lancer des alertes. La dernière initiative est une lettre ouverte de 233 scientifiques internationaux publiée le 1er juin dernier dans la revue Science. Or les quantités de ces insecticides n’ont cessé d’augmenter, alors que les chercheurs accumulaient les preuves de leur toxicité et de leurs impacts aussi graves qu’inacceptables sur les écosystèmes [3]. Plus largement l’état de la biodiversité est maintenant critique : effondrement des trois quarts de la biomasse des insectes volants en 27 ans [4] ; menace sur la pollinisation des trois quarts des cultures qui font la diversité de notre alimentation. Ces chiffres attestent d’une catastrophe en cours.

Parce que l’avifaune est très majoritairement insectivore, la raréfaction des insectes a déjà généré la disparition d’un tiers de nos oiseaux des champs [5]. Aux Pays-Bas, les impacts de la contamination des cours d’eaux à l’imidaclopride réduisent chaque année les populations d’oiseaux communs [6]. Où sont nos moineaux, alouettes et hirondelles ? Nous pouvons envisager les mêmes effets chez les reptiles et les amphibiens [7].

La France a pris une position pionnière pour la sauvegarde de la biodiversité planétaire avec la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages et l’amendement sur l’interdiction des néonicotinoïdes. Cette interdiction doit entrer en vigueur le 1er Septembre 2018. Cet engagement a été élargi dans le « Plan biodiversité » présenté début juillet, dont l’action 23 entend interdire « tous les insecticides contenant une ou des substances actives présentant des modes d’action identiques à ceux de la famille néonicotinoïdes ».

Il est en effet primordial que les effets toxiques de ces néonicotinoïdes cessent aussi vite et aussi complètement que possible. Il est donc essentiel qu’aucune dérogation d’aucune sorte ne soit négociée.

Monsieur le Président Emmanuel Macron, Madame et Messieurs les Ministres Nicolas Hulot, Agnès Buzyn et Stéphane Travert, alors que l’Union Européenne, la Suisse, le Canada et les Philippines prennent des mesures qui suivent celles de la France, notre pays doit rester un modèle pour le monde entier en appliquant une interdiction ferme et définitive aux pesticides néonicotinoïdes !

Mieux, il s’agit d’une opportunité pour enclencher une mutation définitive vers une agriculture de qualité et respectueuse de l’environnement. Investissez, soutenez et développez les alternatives non chimiques aux pesticides : elles existent [8] ! Prétendre que l’absence d’alternative ne permet pas de se passer de ces pesticides n’est plus recevable. C’est l’acharnement à poursuivre qui est irresponsable.

Le futur intrinsèquement mêlé de la biodiversité et de l’humanité se joue ici et maintenant.

[1] Cimino et al, 2016, doi: 10.1289/EHP515

[2] Douglas & Tooker, 2015, doi: 10.1021/es506141g

[3] Simon-Delso et al, 2015, doi: 10.1007/s11356-014-3470-y

[4] Hallmann et al, 2017, doi: 10.1371/journal.pone.0185809

[5] Études CNRS & MNHN, 2018

[6] Hallmann et al, 2015, doi:10.1038/nature13531

[7] Pisa et al, 2017, doi: 10.1007/s11356-017-0341-3

[8] Furlan et al, 2018, doi: 10.1007/s11356-017-1052-5

 

Signataires

François Ramade, Professeur Émérite d’Écologie et de Zoologie à l’Université de Paris-Saclay, Président d’Honneur de la Société Française d’Écologie et de la Société Nationale de Protection de la Nature (SNPN)

Maarten Bijleveld van Lexmond, Biologiste et conservateur, ancien CEO de la Commission d’Écologie de l’UICN, Président de la Task Force on Systemic Pesticides (TFSP)

Rémi Luglia, Historien associé à l’université de Caen, Président de la Société Nationale de Protection de la Nature (SNPN)

Gilles Lanio, Apiculteur, Président de l’Union Nationale de l’Apiculture Française (UNAF)

Allain Bougrain-Dubourg, Président de la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO)

Frank Alétru, Président du Syndicat National d’Apiculture (SNA)

Agnès Michelot, Enseignant-chercheur à l’université de La Rochelle, Présidente de la Société Française pour le Droit de l’Environnement (SFDE)

Michel Dubromel, Président de France Nature Environnement (FNE)

Christophe Eggert, Directeur de la Société herpétologique de France (SHF)

Christian Arthur, Président de la Société française pour l’étude et la protection des mammifères (SFEPM)

Audrey Pulvar, Présidente de la Fondation pour la Nature et l’Homme (FNH)

Isabelle Autissier, Présidente du WWF France

Jérôme Dehondt, Porte-parole paysan du Mouvement inter-régional des AMAP (MIRAMAP)

Jean-François Julliard, Directeur de Greenpeace France

Laurent Péru, Président de l’Office pour les insectes et leur environnement (Opie)

Julie Potier, Directrice générale de Bio Consom’Acteurs

Nicolas Girod, Secrétaire national de la Confédération paysanne

Gilles Huet, Délégué général de Eau et Rivières de Bretagne

François Veillerette, Directeur de Générations Futures

Henri Rouillé d’Orfeuil, Académie d’agriculture de France

Jacques Caplat, Secrétaire général d’Agir Pour l’Environnement

Françoise Vernet, Présidente de Terre et Humanisme

Arnaud Apoteker, Délégué général de Justice Pesticides

Béatrice Robrolle, Présidente de Terre d’abeilles

Marc Giraud, Écrivain et chroniqueur animalier, Président de l’Association pour la Protection des Animaux Sauvages (ASPAS)

Quentin Deligne, co-porte-parole de la Fédération Française des Apiculteurs Professionnels (FFAP)

Plaidoyer pour la recherche, y compris en pédagogie

Dans un récent billet, Suzette Sandoz, s’interroge sur l’engouement et la fascination d’un jeune bachelier, futur médecin, pour le charme irrésistible de la recherche. Sous entendu, les jeunes feraient peut-être mieux d’apprendre un vrai métier, de le pratiquer, plutôt que de rêver de recherche, de facilité et de célébrité. Puis de s’en prendre aux crédits attribués à la recherche dans l’éducation et d’inciter les parlementaires vaudois à y regarder de plus près avant de passer au vote des budgets… C’est bien écrit, percutant, l’ironie, arme imparable, est malheureusement mise au service de la démagogie… Bref, rire au détriment des ayathollah de la pédagogie est un plaisir dont on ne se lasse pas dans les anciens baillages bernois…

Et pourtant! Quoi de plus beau que l’ambition d’un jeune homme à apprendre la médecine, puis de l’approfondir, pour ensuite dépasser les connaissances de ses maîtres et enfin contribuer à améliorer la santé de ses compagnons de misère, lors de leur court passage de vie sur terre. Car la recherche, c’est avant tout se poser des questions,  maintenir sa curiosité en éveil, se remettre en question et ne pas se reposer sur les lauriers de ses prédécesseurs.

Personne ne songe à remettre en cause le rôle de la recherche en physique, en biologie, en pharmacologie ou encore en agronomie. Et pourtant, dans les années 1990 des politiciens éclairés et inspirés des mêmes préceptes ont décimé la recherche sur les abeilles en Suisse – fil rouge du présent blog. Avec les menaces sur la santé des abeilles, nous nous sommes retrouvés confrontés 20 ans plus tard à d’énormes problèmes et à une absence de relève scientifique pour affronter ces défis.

Il en va de même dans tous les domaines, y compris en pédagogie. Que seraient nos écoles sans les esprits éclairés et précurseurs des lumières et de leurs successeurs du 19ème siècle? On connaît bien les Rousseau,  Fellenberg, Pestalozzi et consorts. On connaît moins Anne-Marie de Molin, fille du célèbre savant aveugle et apiculteur de Genève, François Huber. Elle est l’auteure d’un opuscule de 37 pages publié en 1829 et intitulé Quelques pensées sur l’éducation des femmes. C’est à son instigation que l’on doit la fondation de  l’école Vinet, institut pour jeunes filles fondé en 1834 à Lausanne, puis d’une autre institution féminine à Paris. Où en serions-nous sans ces précurseurs éclairés? Probablement dans un système d’éducation encore basé sur les châtiments corporels, dans des classes à cinquante élèves, de tous niveaux et exclusivement masculins…

En tant qu’élu, responsable du dicastère des écoles dans ma commune, je suis à chaque fois éberlué par la maturité, le niveau d’intelligence sociale et humaine des jeunes enseignant(e)s qui viennent se présenter pour re-pourvoir un poste vacant. Evidemment, les méthodes d’enseignement changent, les objectifs également, mais les conditions auxquelles les enseignants sont confrontés ne sont plus mêmes que celles que nous avons connues. Et si nos hautes écoles sont perfectibles – mais elles n’existent que depuis quelques années après tout-, elles forment des enseignant(e)s étonnamment aptes et bien préparé(e)s à répondre à ces nouveaux défis.

Est-il toujours primordial de réciter des tables de multiplication, alors qu’on a dans la poche un smart-objet qui vous fournit des réponses exactes à tous vos calculs, à plusieurs décimales près si nécessaire? Est-il toujours essentiel de maîtriser à la perfection une orthographe figée, alors que les langues sont vivantes et évoluent et que le même smart-objet vous corrigera au besoin et vous fournira même une traduction dans n’importe quelle langue si vous souhaitez communiquer avec une personne qui ne parle pas la vôtre?

Comment relever ces défis sans se poser les bonnes questions, y chercher des réponses et accorder des crédits dans cette optique? Refuser de s’y confronter, se contenter de répéter ce que nos aînés nous ont appris, c’est le début de la sclérose. La sclérose est un moyen utile pour renforcer un organisme vieillissant, incapable de se rajeunir. Mais elle le rend aussi plus rigide et plus fragile. A l’encontre des organismes vivants qui ne savent survivre qu’en vieillissant, les institutions humaines sont capables de rajeunissement, et ce rajeunissement passe par un questionnement, la recherche de nouvelles solutions, de réponses adaptées à un monde en changement.