Disons-le d’emblée, la Suisse n’a pas de politique environnementale digne de ce nom. Remarquez que la Suisse ne fait pas exception, car, et le constat est terrible, c’est le cas de la plupart des pays occidentaux que l’on dit “développés”. Comment en est-on arrivés-là n’est pas la question de ce billet, même si cette introspection sur nos politiques environnementales est indispensable et les réponses probablement fort instructives pour éviter de reconduire les mêmes erreurs.
Sortir de l’ornière: Face aux urgences de toutes sortes (changement climatique, crise de la biodiversité, menaces sur la sécurité alimentaire, etc), la question qui se pose aujourd’hui est bien de trouver un moyen pour sortir de l’ornière. Et de manière fort inattendue, la solution pourrait venir de Chine. C’est du moins ce que laisse entendre un ouvrage de deux chercheurs, le Prof. Li Zhou de l’Académie Chinoise des Sciences Agricoles et le Suisse Claude Heimo, ingénieur forestier et ancien diplomate auprès de la FAO. Le livre, intitulé “Recherche sur la Sécurité Écologique des principales zones de production céréalière de la Chine” est publié aux éditions Social Sciences Academic Press (China), ISBN 978-7-5201-8776-3, en édition bilingue, chinois et anglais.
Actuellement retraité dans son chalet en Gruyère, Claude Heimo, reste très actif et court le monde pour populariser les idées principales de cet ouvrage lors de rencontres informelles et de conférences internationales. Il a écrit un résumé en français de l’ouvrage et donné en janvier 2021 une présentation à Genève, deux documents qui couvrent l’ensemble des sujets traités dans ce livre. L’adresse e-mail de Claude (ecology ( @ ) bluewin.ch) donne une bonne idée de ses ambitions et convictions, ainsi que de son engagement.
Satisfaire nos besoins essentiels: Nos besoins essentiels et immédiats sont très simples et au nombre de deux, éventuellement trois:
- avoir de quoi se nourrir
- disposer d’un abri contre les intempéries
- (soigner contacts et relations sociales)
Même si dans nos sociétés de surabondance la nourriture (eau et aliments solides) peut sembler accessoire et passer au second plan de nos préoccupations quotidiennes, nous sommes toutes et tous conscients que c’est notre premier besoin vital et qu’il faut le satisfaire chaque jour et à plusieurs reprises. Le deuxième de nos besoins est tout aussi évident: les humains sont des êtres vulnérables aux intempéries et qui ne survivent que peu de temps en plein air sans un abri. Les contacts et relations sociales sont également essentiels, mais moins immédiats, car un Robinson perdu sur une île déserte peut y survivre plusieurs années. Tout le reste est accessoire et relève du confort.
C’est au premier de ces besoins que s’attaquent les auteurs du livre. C’est également le thème de l’une des plus importantes organisations internationles, la FAO (Food and Agriculture Organization). Pour la Chine, nourrir sa population (plus d’un milliard d’humains aujourd’hui) est depuis toujours la première préoccupation des gouvernants, pour la Chine impériale, aussi bien que pour la République populaire de Xi Jinping. Malheureusement, les excès des dernières décennies ont rendu l’agriculture chinoise, comme celles du reste du monde, extrêmement fragile.
Constat dramatique: La première partie de l’ouvrage consiste à recenser ces excès et les vulnérabilités de la production céréalière chinoise, qui est au premier plan de la stratégie alimentaire du gouvernement. Et le constat des auteurs est plus qu’inquiétant. La situation est dramatique:
- pollution des sols (pesticides, pollutions blanche due aux plastics)
- pollution des eaux souterraines et des eaux de surface due à une utilisation excessive d’intrants agricoles synthétiques (engrais et pesticides de synthèse) multipliée par 3 au cours des trois dernières décennies avec des rendements moyens de 32 % par rapport à une moyenne mondiale de 55 %.
- déclin de la matière organique des sols et de la productivité naturelle des terres agricoles
- diminution de la disponibilité en eaux souterraines pour l’irrigation en raison de l’inefficacité des systèmes actuels d’irrigation – de l’ordre de 30 à 40 % contre 70 à 80 % pour les pays développés
- augmentation de l’incidence des ravageurs et des maladies des cultures
- dégradation de la fonction protectrice des forêts pour les terres agricoles
- risque croissant d’impacts négatifs sur la productivité agricole dus aux anomalies engendrées par le changement climatique
La notion de Sécurité écologique: et c’est ici qu’intervient la notion de sécurité écologique définie selon l’IIASA (International Institute for Applied Systems Analysis) comme suit: “le concept de sécurité écologique fait référence à la capacité des écosystèmes à faire face à des situations qui menacent la survie humaine, la santé, les droits fondamentaux, la sécurité alimentaire, la sécurité sociale et les ressources nécessaires à l’ordre social, ainsi que la capacité à s’adapter au changement climatique. En ce sens, la sécurité écologique, en combinant une production agricole durable, la fourniture de services écologiques, la protection de la biodiversité, la santé humaine et le bien-être, se réfère au concept «d’approches paysagères intégrées», qui définit un cadre d’intégration des politiques sectorielles pour de multiples utilisations des terres, tout en renforçant les mesures d’atténuation et d’adaptation au changement climatique”.
Grâce à ce concept nouveau, notre vision de la politique environnementale change radicalement: d’une approche éparpillée entre différents thèmes allant de la lutte contre le changement climatique, l’érosion de la biodiversité, la protection des eaux la réduction des risques face aux pesticides de toutes sortes, cette approche nouvelle de la politique environnementale se résume à un seul concept, à un seul objectif : assurer la sécurité écologique des populations et des écosystèmes. Il est ensuite assez simple de définir les mesures à prendre, de les relier entre elles et de les hiérarchiser. C’est en ce sens, que la sécurité écologique constitue un véritable changement de paradigme (un mot malheureusement largement galvaudé, car utilisé à tort et à travers pour parler de changements mineurs qui n’ont rien de paradigmatique).
Quatre lignes d’action: à partir de leur constat et de nouveau paradigme, les auteurs peuvent élaborer un catalogue de mesures raisonné et hiérarchisé. Ce programme se décline selon quatre lignes d’action, chacune avec son cortège de mesures et d’actions à entreprendre
- mise en place d’un système de contrôle de la pollution diffuse des terres agricoles et, en même temps, l’amélioration de la fertilité des sols de ces mêmes terres
- développement d’un système de conservation des ressources en eau
- adoption de pratiques agricoles écologiques pour améliorer la sécurité et la productivité écologiques des terres agricoles
- promotion d’un système de protection écologique au niveau des exploitations et du paysage agricole visant non seulement à contrôler la dégradation et l’érosion des terres, mais aussi à apporter un soutien crucial à la production agricole, à la conservation, à l’amélioration des avantages de la biodiversité existante
Modèle de gouvernance approprié: la mise en œuvre de ces lignes d’action nécessite un système de gouvernance favorable à la sécurité écologique intégrant les recommandations et mesures définies dans les quatre lignes d’action et assurant leur mise en œuvre coordonnée à tous les étages de prises de décisions. Ici encore des recommandations sont proposées et discutées et considérées selon trois catégories complémentaires:
- Politiques obligatoires
- Politiques de coordination
- Politiques incitatives
On notera avec intérêt, que les trois catégories peuvent co-exister. L’adoption de mesures incitatives n’exclut pas automatiquement celle de mesures obligatoires, alors que les personnalités politiques nous les présentent souvent à tort comme opposées et inconciliables, comme un choix idéologique.
Mesures complémentaires pour soutenir l’implication des agriculteurs dans la sécurité écologique Les auteurs terminent sur une liste de quatre recommandations visant à faire adhérer les producteurs à cette nouvelle approche de l’agriculture:
- Clarification des droits de propriété des terres et des arbres
- Sensibilisation des agriculteurs
- Communiquer le savoir-faire
- Faire progresser la connaissance des exigences de sécurité écologique
Quid du changement climatique?: On constatera que la question du changement climatique, n’est pas au centre des préoccupations ni des mesures proposées. Elle est pourtant discutée chaque fois que nécessaire dans les différents sous-chapitres. Elle est considérée de manière très pragmatique, comme un fait, comme une donnée de base avec laquelle il faut compter, qu’il faut prendre en compte.
Urgence et approche intégrée: Ce qui frappe dans ce livre, c’est en premier lieu le constat accablant de l’état de l’écosystème agricole chinois (mais le constat est le même au niveau du reste du monde). En second lieu, c’est la déclaration d’état d’urgence. En troisième lieu enfin, c’est la proposition de mesures pragmatiques, réalistes et réalisables dans une approche intégrée, hiérarchisée avec la santé et en définitive la survie des humains en point de mire et comme objectif prioritaire. Dans cette vision intégrée, les différents éléments sont organisés, hiérarchisés, mais tous pris en compte. C’est très différent de notre approche émiettée, non coordonnée, focalisée sur des aspects ponctuels d’un vaste tableau. Cet émiettement profite en fin de compte aux individus qui se comportent comme des prédateurs sans éthique, ne visent que l’enrichissement à court terme et n’ont cure du futur de nos enfants.
La sécurité alimentaire au cœur de la notion de sécurité écologique La sécurité alimentaire est au cœur des préoccupations des auteurs. Mais, à la différence du discours dominant qui ne considère que les volumes, elle est prise de manière globale, aussi bien du point de vue qualitatif que quantitatif. Assurer une nourriture de bonne qualité et en quantité suffisantes pour l’ensemble des habitants de notre planète, voilà ce qui pour moi est le message de ce livre. En intégrant les différents éléments mentionnés dans les mesures et recommandations, on assure à la fois la protection de la biodiversité, on prend les mesures nécessaires pour limiter notre impact sur la planète, tout en tenant compte des aspects sociaux. Et le message proposé par les auteurs aux autorités chinoises, est aussi valable pour le reste du monde, qui ne va guère mieux.
Références:
Claude Heimo & Li Zhou, Recherche sur la Sécurité Écologique des principales zones de production céréalière de la Chine” Social Sciences Academic Press (China), ISBN 978-7-5201-8776-3, Edition bilingue, chinois et anglais.
Claude Heimo: Résumé en français
Claude Heimo: Conférence à Genève janvier 2022
Je pense que le monde est divisé en deux groupes: l’un souhaite revenir le plus rapidement possible aux affaires et faire ainsi bcp d’argent et l’autre sait que le moment est venu de changer de paradigme sinon l’humanité disparaîtra. Ce qui n’est pas grave du moment que la nature saura très vite se rétablir sans nous. On l’a bien vu lors du confinement. Je crois que Spinoza avait conclu (autour de 1650) que Dieu et la Nature, c’est la même chose! Je suis d’accord avec lui.
Moi, je consomme 450 kwh/an. Je n’ai pas de voiture. Je n’ai jamais pris l’avion. Je n’ai jamais quitté la Suisse. Je n’ai jamais pris de vacances.
Je suis exemplaire? Non, je suis pauvre.
Prouvez que vous êtes exemplaire!
Merci pour cet apport bienvenu : nous avons besoin de cette distanciation aussi pour notre réflexion interne sur la sécurité alimentaire et l’agriculture durable. L’émiettement de la pensée politique dont témoignent les débats et campagnes autour des initiatives populaires concernant l’agriculture est bien affligeant !
Un petit bonjour après notre brève discussion d’hier!
Voici donc la considération encourageante à laquelle je faisais allusion sans parvenir à la citer correctement: “Disons-le d’emblée, la Suisse n’a pas de politique environnementale digne de ce nom. Remarquez que la Suisse ne fait pas exception, car, et le constat est terrible, c’est le cas de la plupart des pays occidentaux que l’on dit “développés”. Il est bien trop tard, et la situation est trop terrible, pour se permettre d’être pessimiste, dit-on!
Au plaisir de lire la suite de ces chroniques!
Merci Christian, pour ma part je reste optimiste…