Conférences sur François Huber, 18 et 20 mai 2017
Société entomologique de Genève, Malagnou, jeudi 18 mai, 19h30
Nuit des Musées, Berges de Vessy, samedi 20 mai 2017, 19h
https://www.ville-ge.ch/culture/nuitdesmusees/programme.html#?inEnglish=false&hdcp=false
L’AVIS DE L’EXPERT Mardi 20 mai 2014
Il y a tout juste 200 ans, François Huber publiait un ouvrage qui révolutionna les connaissances de l’époque sur l’histoire naturelle des abeilles. Ce savant des Lumières n’a jamais vu l’objet de ses études puisqu’il fut atteint de cécité à l’âge de 20 ans.
Retour sur un destin d’exception, par l’apiculteur et biologiste Francis S
aucy
L’année 2014 marque le bicentenaire de la publication de l’œuvre de François Huber (1750-1831) intitulée Nouvelles observations sur les abeilles. Publiée en deux volumes en 1814, cette seconde édition «revue, corrigée et considérablement augmentée» fait sui
te à une première version parue en un volume en 1792. Cet ouvrage révolutionna les connaissances de l’époque sur l’histoire naturelle des abeilles. Se fondant sur des observations cruciales et des expériences d’une remarquable intelligence, Huber établit nombre de faits nouveaux qui n’ont pas été démentis depuis.
François Huber, né le 2 juillet 1750 à Genève, est décédé à Lausanne le 22 décembre 1831. Il est issu d’une famille originaire du Tyrol et établie à Genève depuis le milieu du XVIIe siècle. Négociants et banquiers actifs entre Lyon, Genève et Paris, les Huber occupent diverses charges officielles dans les institutions genevoises et s’y allient aux meilleures familles. Plusieurs personnages de la famille s’illustrent dans le domaine des arts et des sciences. Jean, père de François Huber, est considéré comme l’un des plus fins esprits de son temps. C’est un proche de Voltaire, dont il laisse de nombreux portraits. Amateur de fauconn
erie, il élève et observe des oiseaux rapaces et en tire un opuscule illustré de sa main intituléObservations sur le vol des oiseaux de proie (1784). Pierre, fils de François Hub
er, suit les traces de son père. Il le seconde dans la rédaction de ses travaux sur les abeilles et s’illustre par ses Recherches sur les fourmis indigènes, publiées en 1810.
Aveugle à 20 ans
François Huber passe son enfance à Plainpalais. Il fréquente le Collège de Saussure, mais
très tôt sa santé se montre défaillante et, vers 15 ans, apparaissent les premiers troubles de la vue. Son père décide de l’envoyer à Paris consulter Tronchin, médecin originaire de Genève. On place quelque temps François comme domestique dans une ferme de la région parisienne. Mais, une fois rentré à Genève, sa cécité continue à progresser. En 1791, son père entreprend un voyage à Paris pour consulter le baron Wenzel, spécialiste de la cataracte, qui ne peut rien pour le jeune Huber.
Son avenir est donc fort compromis. Un malheur n’arrivant jamais seul, Pierre Lullin, syndic de Genève et père de la jeune fille qui s’était éprise de Huber vers leurs 17 ans, s’oppose à la poursuite de leur relation. Il ne peut envisager que l’immense fortune qu’il laissera en héritage à sa fille tombe entre les mains d’un aveugle. C’est compter sans la détermination de la jeune femme, qui ne manque ni de caractère, ni de suite dans les idées. Elle s’oppose à son père, mais doit attendre sa majorité, 25 ans à l’époque, pour enfin mener son François devant l’autel. Le mariage est célébré le 28 avril 1776. Elle est âgée de 25 ans et 23 jours. L’histoire fait le tour de l’Europe. A commencer par Voltaire, qui en parle abondamment dans sa correspondance. Mme de Staël s’en inspire dans son romanDelphine pour les personnages du ménage Belmont, dont le mari est aveugle.
Un humaniste avant tout
C’est peut-être sur le plan humain que la personnalité de Huber se révèle la plus attachante. C’est un être simple et modeste qui ne se plaint pas de son handicap. Il en plaisante souvent et ne cède jamais au découragement. Pour s’en accommoder, il fait installer des fils qui lui permettent de s’orienter et de se déplacer seul dans sa propriété. Il invente une imprimerie pour rédiger lui-même son courrier. Il s’intéresse à mille choses, y compris aux mathématiques et effectue ses calculs à l’aide de chiffres gravés ou brodés sur des bouts de carton. Il est aussi excellent musicien. Sa personnalité peut se résumer dans l’une de ses dernières phrases: «Une chose que je n’ai pu apprendre, c’est à désaimer.»
Collaboration unique avec son domestique François Burnens
En raison de son handicap, les travaux de François Huber ne peuvent se concevoir sans des aides importantes, et c’est une œuvre à plusieurs mains qu’il nous laisse. A commencer par l’étonnante complicité entre ce patricien et son domestique et secrétaire, François Burnens, originaire d’Oulens-sous-Echallens (VD). Une association improbable et peut-être unique dans l’histoire des sciences. François Burnens (1760-1837) s’est rapidement révélé être un observateur et un expérimentateur hors pair. En quelque sorte les yeux et les mains de son maître.
Burnens resta près de quinze ans au service de François Huber, de 1780 à 1795, avant de se marier et de retourner dans son village, où il devint paysan et exerça diverses charges, dont celle de juge de paix du district d’Echallens. Mais c’est encore à Burnens qu’Huber s’adresse en 1827 pour examiner des abeilles de Guadeloupe. Les deux hommes sont alors âgés de 67 et 77 ans, respectivement. Très récemment, Sara George s’est inspirée de cette étonnante association pour son roman intitulé The Beekeeper’s Pupil (L’élève de l’apiculteur), publié en 2002.
Invention de la ruche à cadres mobiles
Le premier tome des Nouvelles observations se compose d’une collection de lettres rédigées à Pregny, dans la campagne genevoise, entre 1789 et 1791 et adressées au célèbre naturaliste genevois Charles Bonnet. Dans la première, Huber décrit un modèle de ruche, dite en «livre» ou en «feuillets», qu’il a inventé pour avoir accès individuellement à chacun des rayons. Cette ruche est à l’origine de la ruche à cadres mobiles utilisée de nos jours par les apiculteurs du monde entier!
Découverte de la fécondation des reines,
La fécondation des reines est un exemple de la sagacité de Huber. Par une série d’expériences et d’observations simples mais décisives, il démontre de manière indubitable que la fécondation a lieu dans les airs, lors de quelques rares vols nuptiaux. Huber décrit ensuite les combats des jeunes reines à leur naissance ou encore le massacre des mâles en fin d’été.
et de l’origine de la cire
Dans le second tome, publié 22 ans plus tard, en 1814, Huber démontre que la cire est produite par les abeilles dans des glandes situées sous leur abdomen (on pensait alors que la cire provenait du pollen récolté sur les fleurs) et que le pollen sert en fait de nourriture aux larves. Il décrit ensuite comment les abeilles construisent les cellules et les rayons, dans d’extraordinaires observations rapportées sur plusieurs dizaines de pages soutenues par des illustrations d’une étonnante qualité, en trois dimensions.
Un savant accompli
Il s’intéresse enfin à la respiration des abeilles. Pour se former, Huber s’associe au botaniste genevois Sénebier, avec lequel il exécute une série d’expériences relatives à l’effet de l’oxygène sur la germination des graines. Il en résulte un mémoire de plus de 200 pages publié en 1801. Huber s’est chargé des manipulations et des expériences, Sénebier de la rédaction. Huber connaît alors tout sur les propriétés de l’air et s’applique à les tester sur ses chères abeilles. Il commence par prouver que, sans renouvellement d’air, les abeilles tombent en léthargie, mais qu’un apport d’air frais suffit à les réanimer: donc elles respirent comme tous les animaux. Il montre ensuite à l’aide de fines bandelettes de papier placées en divers endroits de la ruche et fonctionnant comme des anémomètres que les abeilles ventilent et renouvellent l’air à l’intérieur de la ruche.
Les descriptions de Huber n’ont été ni égalées, ni surpassées ou encore démenties au cours de ces deux derniers siècles. Quelle performance pour ce scientifique, devenu aveugle vers l’âge de 20 ans et qui n’a de sa vie «vu de ses yeux» l’objet de ses études!
Bonsoir,
J’ai l’impression qu’il y a une petite confusion dans votre note suivante.
Selon Louis Dreyling (Die wachsbereitenden Organe bei den gesellig lebenden Bienen, 1905), la sécrétion de cire par les abeilles avait déjà été découverte dans le monde germanique à une date aussi avancée que 1684 par le médecin Martin John (il publia ses résultats en 1691 sous le pseudonyme de Melittophilo Theosebasto). Elle fut oubliée puis redécouverte par Hornstobel en 1744, ce qui correspond peut-être à la communication faite à Ch. Bonnet en 1768.
40 REVUE SUISSE D’APICULTURE – No 3 /2014
En effet j’ai réussi à obtenir le papier de 1744 signé Melittophilo Theosebasto que tout le monde s’accorde à être Hornbostel. Il fait 16 pages en allemand de l’époque. Je cherche ceux de Martin John.
Bonjour Yves, merci pour ce commentaire. Oui en effet, il y a plusieurs mentions antérieures au travail de Huber à ce sujet. Cela est fréquent en sciences, et comme vous le dites, ces découvertes ont été oubliées, puis re-découvertes. Comme vous le savez bien, ce qui transforme une trouvaille en fait scientifique, c’est de l’établir de manière indiscutable et de le faire admettre par ses pairs. Ce que n’ont pas su faire les prédécesseurs de Huber.
Fermez les yeux et essayez un instant de vous mettre à sa place. Comment trouver son chemin parmi les multiples spéculations, affirmations et croyances, mal établies, souvent fausses ou contradictoires sur le monde de la ruche auxquelles Huber était confronté? Son principal mérite sur cette question est d’avoir d’abord réfuté l’hypothèse de l’origine pollinique de la cire, ne gardant comme plausible que l’hypothèse d’une sécrétion par les abeilles, la description des glandes cirières venant parachever un tableau complet et convaincant. C’est la méthode Huber, celle d’un tout grand scientifique. Cordiales salutations
Je partage totalement votre point de vue. Ce n’était qu’une information que je souhaitais partager. Si vous êtes intéressé par le papier de 1744 (très difficile à obtenir car non numérisé) je vous l’envoie sans problème avec sa traduction (faite avec DeepL). C’est assez “charabiesque” comme souvent à cette époque et cela tranche avec le style scientifique de Huber.
oui, volontiers, je vous contacte hors blog