…modifiaient la constitution …chap. I

La démocratie serait, nous disent les philosophes, née dans la Grèce antique. Non! rétorque le biologiste T. Seeley:  les abeilles ont inventé la démocratie bien avant l’apparition de l’Homo “sapiens” sur la planète Terre (cf Quand les abeilles s’assemblent en Landsgemeinde).

Et voici qu’en 2016, quelque défenseurs des abeilles (mais également défenseurs de notre santé et de notre qualité de vie) , lançaient sur les rives du Lac de Neuchâtel une initiative populaire visant à inscrire dans la Constitution helvétique l’interdiction de l’utilisation de pesticides de synthèse dans notre agriculture. Qualifiés d’idéalistes et de doux rêveurs par les instances officielles des organisations agricoles défendant l’idéologie dépassée d’une agronomie à la dérive et prônant le “tout chimique”, voici que ces doux rêveurs sont sur le point d’aboutir… En effet, à quelques semaines de l’échéance officielle, le nombre de paraphes nécessaires est atteint ou presque atteint.

Etonnament, l’initiative a été peu relayée par les organisations apicoles du pays. Présentée lors de diverses assemblées locales, elle fait actuellement un tabac, comme lors de l’assemblée annuelle de SAR (Société d’apiculture romande) à Lullier qui a réuni une centaine de personnes représentant les associations apicoles de Romandie. L’assemblée fut ponctuée par une conférence du Prof. Jean-Marc Bonmatin (dont les principaux éléments sont décrits ci-dessous) et une invitation à signer l’initiative, invitation soutenue par le comité de la SAR  que nous remercions.

Si vous ne l’avez pas encore signée, il est encore temps. Téléchargez-la sur la page “Future 3.0“), signez-la, faites-la signer par vos amis et renvoyez-la au comité d’initiative avant le 30 mars 2018, ou validée par votre commune de domicile avant le 31 mai.

Et s’il est encore besoin d’être convaincu, voici un compte-rendu succinct de la conférence de Jean-Marc Bonmatin du 17.03.2018 à Lullier, GE.

Sous une apparence décontractée (pull de montagne, sous lequel on devinait une stricte chemise/cravate),  J.-M. Bonmatin fut comme à son habitude, excellent: simple direct, pédagogique, vulgarisateur, mais sans concessions. Après un bref rappel de la nature chimique et du mode d’action des principaux néonicotinoïdes, il a fait une synthèse des connaissances scientifiques sur le domaine.

Mode d’action: Les néonicotinoïdes sont des molécules de synthèse reposant sur diverses combinaisons de deux molécules organiques naturelles de base, la nicotine (alcaloïde bien connu) et l’acétylcholine (un neuromédiateur de la transmission des influx nerveux entre les cellules). Ils entrent en compétition avec les médiateurs naturels et provoquent la paralysie et la mort des insectes.

Quelques chiffres sur la toxicité des néo-nicotinoïdes pour les abeilles:

Quantité répandue sur la planète par année 20’000 tonnes
Dose répandue en traitement classique (pulvérisation en plein champ) 0.5 kg /ha (=0.05 g/m2)
 Dose sous forme de graines (graines enrobées)  0.1 kg/ha (=0.01 g/m2)
Toxicité aigüe:  DL50 (dose provoquant une mortalité de 50% des abeilles en une seule exposition)  3-5 ng/abeille
 Toxicité subléthale à dose chronique (exposition répétée sur 10 jours) 0,1 ng / abeille (ng=nanogramme) c’est-à-dire 10-10g, ou encore 0,0000000001 g/abeille)
Nombre de molécules de néonicotinoides dans le système nerveux d’une abeille intoxiquée à 1 ng/g  2,3 millions
Nombre d’abeilles qui pourraient potentiellement être tuées par les 20’000 tonnes de néonicotinoïdes utilisés annuellement 5 milliards de milliards d’abeilles, c’est-à-dire 5 *109 * 109= 5 * 1018, ou 5’000’000’000’000’000’000 d’abeilles individuelles

 

Une toxicité aigüe 10’000 fois supérieure à celle du DDT: pour faire simple, la toxicité de ces molécules est grosso modo 10’000 fois plus grande que le DDT, insecticide des années 1950. C’est à dire qu’on obtient un effet équivalent avec une quantité de substance 10’000 fois moindre. Répandu à vau-l’eau dans le monde entier, le DDT a été banni depuis, mais reste néanmoins encore utilisé dans certains pays en développement dans la lutte contre le paludisme.

Une détection difficile: Comme ces molécules ont des effets à très, très basse concentration, il est nécessaire de développer des méthodes très raffinées, que Bonmatin compare à trouver une pièce de dix centimes dans la masse de la Tour Eiffel. C’est donc un exploit technique que les scientifiques de l’environnement ont dû réaliser pour mettre au point des techniques permettant d’identifier ces substances aux basses concentrations affectant les insectes.

Une action systémique: les néonicotinoïdes font partie des pesticides systémiques, c’est-à-dire qu’ils colonisent les tissus des plantes qu’ils sont censés protéger contre les insectes herbivores, des racines au sommet des plantes. Ainsi, on les retrouve aussi dans le nectar des fleurs et dans le pollen butiné par les abeilles.

Synergie entre les molécules ou effet “cocktail”: non seulement ces molécules sont efficaces à de très faibles doses, mais souvent on en détecte plusieurs présentes simultanément dans les mêmes échantillons, typiquement de 3 à 5. Les chercheurs ont démontré que dans ces conditions, les effets étaient nettement supérieurs à l’effet simplement additionné des molécules prises séparément. Ce qui signifie qu’en “cocktail”, des molécules sont efficaces à des doses nettement inférieures aux doses habituelles déjà très basses.

Une rémanence importante dans les sols: une part importante (jusqu’à 98%) se déposent et s’accumulent dans les sols, d’où ils s’écouleront dans les eaux de ruissellement. Leur durée de vie et d’action peut atteindre plusieurs années suivant les molécules considérées.

Une hécatombe pour les espèces non-cibles: du fait de leur mode d’action, les néonicotinoïdes affectent de manière indiscriminées de nombreuses espèces non-cibles d’insectes et d’arthropodes terrestres et aquatiques qui disparaissent dans la plus totale indifférence. Même les vers de terre sont affectés, car ils perdent leur capacité à creuser des tunnels dans la terre. Les oiseaux sont également touchés de manière directe, mais surtout indirecte, car la survie de leurs nichées dépend dans la plupart des cas de l’abondance en larves d’insectes dont ils nourrissent leurs petits.

Contamination généralisée dans l’environnement et dans les produits de la ruche: pour peu qu’on les recherche, on retrouve des néonicotinoïdes dans la plupart des écosystèmes agricoles, et bien entendu dans le nectar et le pollen des fleurs butinées par les abeilles, mais également dans les produits de la ruche, le miel en particulier, et parfois à des concentrations supérieures à la toxicité aigüe pour les abeilles.

Synergie avec le varroa: Bonmatin a également présenté des résultats démontrant que les colonies d’abeilles soumises aux néonicotinoïdes présentaient des populations de Varroas plus élevées que des colonies non exposées à ces pesticides.

Effets sur la santé humaine: Bonmatin a enfin énuméré quelques publications récentes faisant un lien entre ces insecticides et la santé humaine. On n’en est qu’aux balbutiements dans ce domaine, mais de premiers résultats indiquent que les nénonicotinoïdes affecteraient des fonctions essentielles du développement du système nerveux humain durant la grossesse. Un lien aurait aussi récemment été établi entre le Fipronil (un insecticide non-néocotinoïde, mais très utilisé) et la maladie d’Alzheimer. En 2014, au Japon, 90% des personnes présentaient aux moins 4 néonicotinoïdes détectables dans leurs urines.

Aucune utilité en agriculture et économiquement défavorables pour les producteurs: mais la plus énorme des découvertes récentes est celle de l’absence d’efficacité de ces produits en agriculture intensive. En effet, l’argument le plus répandu opposé à leur banissement est celui de l’effondrement de la productivité de l’agriculture, en l’absence de produit de traitement alternatif.

Des études sur le rendement agricole des récoltes où ces pesticides sont le plus utilisées (soja, maïs, riz) démontrent que les rendements sont peu différents avec ou sans usage de néonicotinoïdes, mais qu’en revanche, les revenus pour le producteur sont nettement plus élevés (jusqu’à 2 à 3 fois) en l’absence de pesticides et ceci pour deux raisons:

  1. l’agriculteur économise le prix du produit et de son application (machines et main d’oeuvre)
  2. l’agriculteur vend à bien meilleur prix des produits exempts de pesticides

Bonmatin cite également l’exemple d’un groupe d’agriculteurs du nord de l’Italie exploitant 53’000 ha de maïs et qui se sont associés en syndicat depuis quelques années. Ils ont créé une forme d’assurance mutuelle afin de dédommager les 4% de pertes de récoltes dues aux ravageurs des cultures en l’absence de pesticides. L’assurance leur coûte 3,5 Euro/ha, contre 40 Euros/ha pour les pesticides.

Ainsi, l’argument de l’effondrement de la productivité en l’absence de néonicotinoïdes est balayé et l’alternative est simple: renoncez aux traitements et vous vous en sortirez mieux, économiquement parlant. Mais également votre santé et celle des acheteurs de vos produits en bénéficiera.

Optimiste malgré tout: malgré ce panorama peu réjouissant, Jean-Marc Bonmatin reste optimiste et confiant dans l’avenir. Fier de son pays, Bonmatin note avec satisfaction que la France prend les devants et que l’usage de néonicotinoïdes y sera proscrit dès septembre 2018. La Chine, où l’on ne fait pas les choses à moitié, aurait également réduit de 96% l’utilisation de pesticides dans certaines régions entre 1992 et 2012. Bonmatin est enfin reconnaissant et confiant envers les apiculteurs qui on su attirer l’attention du public sur ces problématiques et qui, il en est persuadé, sauront rester vigilants dans les prochaines décennies.

Mais le vrai message d’espoir est surtout celui d’une alternative simple à l’utilisation des pesticides : y renoncer sera à la fois source de prospérité pour les agriculteurs et de meilleure santé pour l’ensemble de la population.

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