Capharnaüm libyen

Que reste-il de la Libye ? Quatre ans après la chute du régime de Mouammar Kadhafi le 23 août 2011 et le lynchage public de ce dernier, le 20 octobre suivant, le pays poursuit inlassablement une spectaculaire chute libre qui est un cas d’école du mauvais départ des transitions politiques, voire de l’échec des révolutions. Sporadiquement à la une des médias, depuis lors, à l’occasion de quelque attaque terroriste, naufrage de migrants ou blocage de négociations diplomatiques, le pays est devenu synonyme de troubles à la fois pour lui-même, son voisinage et au-delà.

Observant cette normalisation de la faillite, acceptée de façon par trop fataliste par les «partenaires» régionaux et internationaux du pays, l’on serait tenté de principalement chercher les causes de cette banqueroute multiforme et d’assigner les responsabilités (elles sont multiples) là où, désormais, la question qui pose réellement le plus de difficultés – mais qui est également un projet porteur – est celle du revirement : comment ce pays peut-il à ce stade inverser la tendance et entamer un processus viable de reconstruction ?

Faux-départs

Si la réponse à cette interrogation est, aujourd’hui, particulièrement difficile, c’est que rarement une séquence politique aura été si linéairement négative. Reconstituant le déroulement des événements au lendemain de la révolution entamée le 17 février 2011, il est frappant de voir qu’à chaque étape, tout ce qui pouvait mal se passer… s’est précisément mal passé.

Le dérapage initial vient à la fois du refus de réforme de Kadhafi (qui, en janvier, déclare aux Tunisiens qu’ils « regretteront » d’avoir fait tomber le président Ben Ali…), la trop rapide militarisation de la révolte (là ou l’insurrection syrienne attendra trois mois – de mars à juin – face à la répression de Bachar al Assad) et le déplacement de la révolution vers un pilotage externe avec l’intervention de l’OTAN le 21 mars.

Par la suite, vient une succession enchevêtrée de crises : l’intrigue de l’assassinat, le 29 juillet, du chef militaire de la révolte, Abdelfattah Younis ; la barbarie de la mise à mort de Kadhafi et l’exposition de son corps dans un congélateur ouvert au public ; l’apparition des milices et leur prise de pouvoir ; le débordement sur le Sahel menant en grande partie à la crise malienne ; la multiplication d’attaques et l’assassinat de l’Ambassadeur des Etats-Unis le 11 Septembre 2012 ; l’échec du Conseil National de Transition (CNT) ; la tentation du retour à l’homme fort avec le général Khalifa Haftar depuis février 2014 ; la violence factionnelle et tribale ; la division du pays en deux parlements et deux gouvernements, l’un à Tobrouk, l’autre à Tripoli ; et, enfin, l’allégeance de groupes extrémistes à l’État islamique.

L’acuité d’une telle atomisation sociétale – qui se retrouve également dans des processus de négociations diplomatiques parallèles, tour à tour à Genève ou à Rabat… – pose donc le problème d’un nécessaire nouveau départ tôt ou tard pour rebâtir un État intégré en Cyrénaïque, en Tripolitaine et dans le Fezzan, et ceci est avant tout la responsabilité historique des Libyens.


Photo: Reuters

Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou

Historien politique, Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou est professeur d'histoire et politique internationales au Geneva Graduate Institute (Institut de hautes études internationales et du développement) à Genève. Précédemment à l’Université Harvard, il a également enseigné à Sciences Po Paris.