L’apiculture également gravement touchée par le conflit en Ukraine

Avec une production annuelle de 75 000 tonnes et environ 400 000 personnes se consacrant à la production de miel, l’apiculture est une activité économique majeure en Ukraine. L’Ukraine est même le premier pays producteur de miel en Europe et elle se classe et parmi les cinq premiers pays du monde. Comme la plupart des activités, l’apiculture y est également en crise. L’histoire de Yaroslav Korschinskyi, apiculteur professionel en Ukraine en témoigne.

Depuis le début de la guerre, Yaroslav vit en Suisse avec sa famille, au bénéfice du statut de protection S. Yaroslav est entrepreneur dans l’âme. Il a exercé diverses activités commerciales, fondé plusieurs sociétés, en particulier dans le commerce de mobilier de cuisine, avant de se lancer dans l’apiculture il y a huit ans. Une apiculture qui a peu à voir avec notre approche d’apiculteurs amateurs. Elle s’inspire des pratiques des producteurs de miel en gros. Ses ruches Dadant 12 cadres sont installées sur palettes par groupes de quatre.

Transhumance à travers tout le pays : Yaroslav pratique une apiculture de transhumance. L’hiver dernier, il a hiverné 560 colonies dans sa ferme apicole, située dans la région de Kherson au sud du pays, actuellement occupée par les troupes russes. C’est une région où le climat est doux et favorable pour passer la mauvaise saison et surtout pour un démarrage précoce des colonies. C’est également une région d’arbres fruitiers. Yaroslav y laisse ses ruches durant toute la période de floraison des arbres fruitiers et du colza au printemps. Il les déplace ensuite vers les forêts d’acacia, puis de tilleuls et enfin dans les champs de tournesol. Pour cela il loue les services de compagnies de transport à qui il confie les 4-5 déplacements annuels de son cheptel. La carte et le tableau ci-dessous indiquent le parcours de transhumances et les principales récoltes annuelles.

Carte de transhumance annuelle

Ce qui frappe dans le programme de Yaroslayv, ce sont les distances parcourues, près de 2000km, et surtout les surfaces de nectar à disposition de ses abeilles, soit plusieurs dizaines ou centaines d’ha dans chacun des 6 emplacements et des diverses récoltes

Acacia : Pour son premier déplacement, Yaroslav conduit habituellement ses ruches vers le 10 mai à 70 km dans la réserve naturelle des sables d’Oleshky près de Kakhovka, également en zone occupée par les troupes russes. Il s’agit d’une zone semi-désertique de sables et de dunes entourée d’une ceinture forestière artificielle de pins et de robiniers faux-acacia créée par l’homme pour contenir l’avancée des sables. Pour son second déplacement, le plus long (850 km), Yaroslav déplace ensuite ses colonies dans le nord du pays, a Ovruch, dans une réserve naturelle toute proche de la frontière biélorusse. Cette zone a également été occupée temporairement par les troupes russes avant d’être reconquises par les forces ukrainiennes. Il dispose dans chacun de ces emplacements d’un territoire d’environ 100 ha de robiniers en fleurs dont la floraison est décalée de quelques semaines.

Tilleul : Pour son troisième déplacement, Yaroslav retourne vers le sud dans les forêts de la province de Zhytomyr à la hauteur de Kiev où il va exploiter durant 2-3 semaines la floraison du tilleul dans une zone de 200 ha. Cette étape est importante pour préparer les colonies à la principale récolte, celle du tournesol, qui débutera en juillet. Il s’agit aussi de la récolte la plus incertaine, car le nectar de tilleul n’est pas toujours au rendez-vous. Pour s’assurer d’avoir des colonies fortes, Yaroslav me raconte qu’il a semé du mélilot comme ressource complémentaire. Pour ce faire, il a acheté il y a quelques années 1 tonne de graines, qu’il a mises en cultures, dont il a obtenu 5 tonnes de graines et dont il a pu ensemencer plusieurs dizaines d’hectares.

Tournesol : Pour les abeilles de Yaroslav, les cultures de tournesol constituent la principale source de nectar. De mi-juillet à mi-août, il se déplace dans les cultures de la province de Kirovohra, l’une des régions dont les terres sont parmi les plus riches et les plus productives d’Ukraine. Plusieurs milliers d’hectares de cultures de tournesol sont à disposition des apiculteurs dans cette région. Les colonies peuvent alors amasser plusieurs dizaines de kg de miel. Au gré de l’avancement et des décalages des floraisons la récolte sur le tournesol peut se dérouler bien au-delà du 15 aôut. Mais Yaroslav, est prudent, et n’en abuse pas, car les colonies s’épuisent en restant jusqu’en fin de saison sur le tournesol et la production des abeilles d’hiver en est affectée.

Retour à Kherson pour l’hivernage : Dès la mi-août, Yaroslav rapatrie donc ses ruches dans sa position de base pour les préparer à l’hivernage en profitant de la riche flore locale des alentours pour laisser ses abeilles reprendre un rythme annuel et produire les abeilles d’hiver tellement importantes pour le passage à la saison suivante. C’est aussi la saison des traitements contre le Varroa qui se font comme dans bien des pays à l’aide de produits de traitement bannis en Suisse depuis longtemps.

Extraction : Comme on peut l’imaginer, l’extraction se fait aussi selon des standards professionnels. Pour la récolte, les hausses sont débarrassées de leurs abeilles par un système de soufflerie, stockées sur camions et transportées à Kiev où se trouve son laboratoire.

Produits et commercialisation du miel Yaroslav concentre ses activités sur la production de miel et à l’occasion sur la pollinisation des cultures de semence de tournesol. Durant une année normale, il récolte environ 30 tonnes de miel, soit approximativement 50 kg par colonie. Yaroslav vend son miel auprès de grossistes au prix usuel de 2 Euros le kilo.

Situation actuelle : La ferme apicole étant située en zone occupée par l’armée russe, il lui a donc été impossible d’entamer sa saison habituelle. Il dispose sur place de quelques employés dont il pilote les travaux à distance, comme il le fait habituellement depuis son domicile de Kiev lorsqu’il n’est pas directement sur place. Pour essayer de sauver et maintenir son cheptel situé dans la zone des arbres fruitiers, Yaroslav a décidé de tenter de laisser ses ruches sur place. Pour éviter qu’elles n’essaiment, il a demandé à ses employés de poser des hausses vers la fin avril. Malheureusement, ces activités ont été fortement compliquées par la guerre, les risques liés aux bombardements, les déplacements et les méfaits des troupes d’occupation. Aux dernières nouvelles, les hausses ont pu être posées, mais plusieurs dizaines de ruches auraient été pillées par des inconnus.

Lire l’article en entier : Revue suisse d’apiculture, juin, 2022, pp. 249-253 : RSA_juin_2022_Y_Korschinskiy

Francis Saucy

Francis Saucy, Docteur ès sciences, biologiste, diplômé des universités de Genève et Neuchâtel, est spécialisé dans le domaine du comportement animal et de l'écologie des populations. Employé à l’Office fédéral de la statistique, Franci Saucy est également apiculteur amateur et passionné, et il contribue par ses recherches et ses écrits à l'approfondissement des connaissances sur les abeilles et à leur vulgarisation dans le monde apicole et le public en général. Franci Saucy fut également élu PS à l'exécutif de la Commune de Marsens, dans le canton de Fribourg de 2008 à 2011 et de 2016 à 2018. Depuis mars 2019, Franci Saucy est rédacteur de la Revue suisse d'apiculture et depuis le 15 septembre 2020 Président de la Société romande d'apiculture et membre du comité central d'apisuisse Blog privé: www.bee-api.net