… des débuts peu glorieux...
Je m’en souviens comme si c’était hier. J’ai acheté ma première ruche avec mon premier salaire, après un cours d’introduction au rucher école de Genève. Un ami, rencontré dans le même cours, m’avait invité à partager l’emplacement où il avait installé sa propre colonie. Située à Soral, face à la France voisine, c’était une parcelle en pente, entre jardins, maisons traditionnelles et résidences d’été. Au contraire des abeilles douces et calmes que j’avais vues et manipulées lors de ce cours, mes “mouches à miel” étaient plutôt du genre “nerveuses”, au point qu’il m’est arrivé de m’enfuir (sans gloire), de sauter au volant de ma 2CV pour ne retirer mon voile qu’après avoir effectué quelques centaines de mètres, toutes fenêtres ouvertes dans la charmante campagne avoisinante, avec encore dans les oreilles les cris d’un client attaqué sur la terrasse du café, bien trop proche du rucher…
Grâce aux effort de mes collègues éleveurs de reines, j’ai depuis lors pris le plus grand soin de sélectionner des abeilles très douces. J’ai également appris à les manipuler avec la plus grande délicatesse pour éviter les piqûres. Toutefois, j’ai eu la mauvaise surprise, il y a 2 ou 3 ans, de voir une colonie apparemment des plus douces, se transformer en une furie dont les gardiennes attaquaient au moindre dérangement tout ce qui bougeait dans un voisinage de plusieurs dizaines de mètres, au point de mettre en péril la vie des moutons qui paissaient sagement dans leur pré.
… grain de folie ou inconscience?
Je me suis par la suite souvent demandé quelle mouche m’avait piqué, et, de manière plus générale en pensant à mes collègues apicultrices et apiculteurs, qu’est-ce qui peut bien inciter une personne saine d’esprit et normalement constituée à se mettre en tête d’affronter un peuple aussi redoutable. Folie ou inconscience? Peut-être. Irrépressible besoin de domination ou de contrôle? Certainement pas. Pour ma part, si je me passe aujourd’hui généralement du voile et des gants, c’est néanmoins toujours avec respect et circonspection que j’ouvre une colonie. Ma propre motivation est un mélange entre la fascination pour le mode de vie et la remarquable organisation de ces sociétés d’insectes, le très grand plaisir de pouvoir les admirer de près, la satisfaction de dominer mes appréhensions et, surtout, la reconnaissance que j’éprouve a être admis dans leur bruissante compagnie.
… 500 piqûres pour un bon début, mais rien n’est jamais acquis…
Comme chacun sait, les piqûres sont douloureuse et font même très mal. Avec le temps, on s’y habitue un peu et on les “ressent” moins vivement. Certains d’entre nous ont la chance d’y être insensibles, ou presque. D’autres, et c’est mon cas, s’y adaptent petit à petit, dans un lent processus de désensibilisation. On dit qu’il faut une base d’environ 500 piqûres pour une bonne désensibilisation et une centaine de rappels chaque année pour la maintenir. D’autres, malheureusement, développent subitement une hyper-sensibilité, même après bien des années de pratique, au point qu’à chaque nouvelle piqûre, ils risquent un choc anaphylactique. C’est le cas d’un cousin, apiculteur chevronné. Croyez-vous qu’il ait renoncé à ses abeilles? Pas du tout, il a au contraire entrepris un programme de désensibilisation hivernale. Il se rend ainsi plusieurs fois par année dans un hôpital spécialisé pour s’y faire piquer par des abeilles vivantes.
C’est également l’approche qu’avait choisie le grand père de mon épouse. Agé de plus de 90 ans lorsque je l’ai connu, il était devenu sourd et presqu’aveugle et avait dû renoncer à l’apiculture à 86 ans. Doyen du Val de Travers, il a vécu jusqu’à sa 102ème année et a par conséquent fait l’objet de nombreux articles dans la presse neuchâteloise. Voici ce qu’il déclarait dans la rubrique Quidam de l’Impartial du 29 juin 1985 “Dans mes ruchers, je travaillais toujours les bras nus, sans protection. Pour éviter d’être piqué, il faut de la douceur. Et puis, j’avais un truc: parfumer ma peau avec de la thérébentine. Elles adorent cette odeur…” Souffrant de rhumatismes, il se soignait aux piqûres d’abeilles : “Je me suis fait piquer le poignet droit pendant une semaine par une dizaine d’abeilles. Ma douleur à disparu”.
Un ami apiculteur, âgé de 88 ans, l’un des plus expérimentés de sa génération (ancien inspecteur, ils conduisaient avec son épouse des dizaines de ruches, élevaient chaque année des centaines de reines et récoltaient des tonnes de miel) m’a raconté la semaine dernière qu’il a subi un jour une piqûre très spéciale, apparemment dans une artère. Conduit dans l’heure aux urgences , il en est resté traumatisé, au point que des années durant, il n’a plus osé ouvrir une ruche sans porter son voile…
… api-badinages…
Le genevois François Huber, génial inventeur de la ruche moderne à cadres mobiles et auteur de nombreuses découvertes sur la biologie des abeilles à la fin du 18ème siècle était aveugle. Pour ses observations, il s’est fait aider par un très habile jeune homme, François Burnens, qu’il avait lui-même formé à l’apiculture. Huber relate ainsi les performances de Burnens : “il lui est arrivé souvent de suivre pendant vingt-quatre heures, sans se permettre·aucune distraction, sans prendre ni repos ni nourriture, de suivre, dis-je, quelques abeilles ouvrières de nos ruches (…). Il prenait entre ses doigts une à une toutes les abeilles et les examinait avec attention sans redouter leur colère”.
Burnens savait toutefois se distraire. Toujours selon Huber, si l’apiculteur “place alors la reine sous son chapeau, dans sa bouche, sur la ceinture, sur sa jarretière, l’essaim se formera en masque, en voile, en barbe ou jupon ou en botte et toujours le plus près possible de la reine prisonnière (…) ainsi botté, carapaçonné ou masqué, on peut aller et venir à son aise sans craindre d’être piqué ou abandonné par les abeilles. Burnens a fait souvent ce badinage”. La performeuse Sara Mapelli va plus loin encore dans la maîtrise de ses peurs.
… qui n’a rêvé d’une abeille sans dard?
Il m’est souvent arrivé de rêver d’abeilles qui ne piqueraient pas. L’évocation de cette idée folle entraîne généralement des oppositions très tranchées. Comment les abeilles pourraient-elles ou auraient-elles pu survivre et se défendre sans aiguillon? Peut-être pourtant qu’un jour pas si lointain, le génie génétique sera capable d’une telle prouesse. Gageons que le monde apicole, obstinément opposé à toute forme d’OGM, reverra ses positions. Gageons également que le nombre d’apicultrices et apiculteurs augmentera considérablement…
Les abeilles sans dard existent, et ce n’est pas une manipulation génétique.
Ce sont des abeilles qui vivent seules, les abeilles solitaires. Elle n’ont pas de dard mais des organes génitaux à la place.
Un jour, à Cordes sur Ciel, dans le Tarn, j’ai pu en observer une qui faisait ses allers-retours “provisions” dans son trou creusé dans le sol.
Après avoir fouillé un peu le sujet, on voit qu’elles sont très nombreuses mais également menacées par l’activité humaine.
Oui, il existe effectivement de nombreuses espèces d’abeilles sans dard. Non seulement des abeilles solitaires, mais également des abeilles sociales, vivant en colonies comme notre abeille mellifère. Parmi ces dernières, les plus connues produisant du miel sont originaires des tropiques soit les Melipones (d’Amérique centrale) et les Trigones (d’origine africaine). On a tenté à plusieurs reprises, mais sans succès, de les introduire dans les zones tempérées en remplacement d’Apis mellifera, notre abeille mellifère. L’échec de ces introductions repose essentiellement sur le fait que notre abeille mellifère est beaucoup plus productive et que les abeilles sans dard ne se prêtent guère à la transposition sur cadres mobiles. Les Mélipones, par exemple, ne construisent pas de cellules hexagonales sur un plan vertical, mais des cellules plutôt sphériques arrangées sur un plan horizontal. Merci de votre commentaire. F. Saucy
Bonjour
Je viens de découvrir grace au magazine de la SAR. votre blog et je le dévore avec grand plaisir ! Merci et bravo
Cordialement
Sylvie