Telemedecine.ch

Vous vous intéressez à la médecine et à l’innovation en général, à la télémédecine en particulier ? Je souhaite simplement par cet article vous annoncer le lancement d’un nouveau site Internet consacré à la télémédecine.

Destiné aux professionnels de la santé, aux médecins en particulier, son objectif est de leur permettre d’acquérir les connaissances nécessaires à une pratique sûre et efficace de la téléconsultation.

J’ai créé Telemedecine.ch car je suis convaincu qu’il faut réinventer la médecine. Une partie de cette innovation passe par l’adoption de nouvelles façons de soigner les patients, par exemple en les soignant à distance. Même si cela peut a priori paraître paradoxal, la téléconsultation doit permettre de rapprocher soignants et soignés.

Même si cette publication peut être vue comme promotionnelle, je me permets d’annoncer la création de ce site ici, d’une part car je n’y vends rien, d’autre part car ce site est un prolongement des articles publiés sur ce blog sur ce sujet de la télémédecine.

Les professionnels de la santé, mais aussi toutes les personnes intéressées par la médecine à distance, y trouveront différentes rubriques :

  • La télémédecine, définition. Pour savoir ce qu’est la télémédecine, la téléconsultation en particulier, et pour en connaître les différentes variantes.
  • Pourquoi s’intéresser à la télémédecine. Pour nos patients et pour de nombreuses autres raisons.
  • Que dit la loi ? La téléconsultation est-elle légale et si oui, à quelles conditions ?
  • Les bonnes pratiques. Pour connaître les bonnes pratiques, pour savoir quand il est possible de soigner à distance et quand cela ne l’est pas.
  • Comment facturer ? Comment facturer les téléphones, les mails et les vidéoconsultations ?
  • Les obstacles. Quels éléments limitent l’adoption de la télémédecine (et comment les contourner) ?
  • La télémédecine en Suisse. Pour avoir un aperçu des solutions disponibles en Suisse.
  • Quelle solution vidéo ? Quelle solution choisir ? Les possibilités sont nombreuses.
  • Et moi ? Devrais-je proposer des consultations à distance à mes patients ?

Ce site va encore évoluer, s’enrichir, aussi je l’espère par des contributions externes.

En encourageant la télémédecine, l’objectif n’est pas de mettre en opposition consultations présentielles et consultations à distance, mais de tirer le meilleur parti de ces deux mondes, pour le bien des patients.

Une infolettre est disponible. Si vous décidez de vous y inscrire, aucune inquiétude, votre boîte mail ne va pas être surchargée d’innombrables courriels. Son objectif est simplement d’informer les personnes intéressées des actualités de la télémédecine et des nouveautés de notre site.

Jean Gabriel Jeannot

 

« La télémédecine n’est pas seulement de la médecine à distance. C’est une nouvelle façon d’envisager la relation médecin-patient et le colloque singulier ».

Dr Loïc Etienne

Vous êtes malade et votre médecin est absent, que faites-vous?

Les patients sont trop souvent confrontés à cette situation : pas de médecin, pas de solution. À une époque où les urgences sont surchargées, où la pénurie de médecins s’aggrave dans de nombreuses régions du pays et où les coûts de la santé explosent, le moment est venu de réfléchir à d’autres solutions.

Le 144 ou votre médecin

S’il s’agit d’une urgence vitale, que vous présentez des difficultés respiratoires, des troubles de la conscience ou des troubles de l’équilibre et de la parole, il s’agit d’une urgence vitale, vous devez appeler le 144 sans attendre. Heureusement, les personnes malades ont souvent des symptômes moins graves. Dans ce cas, la solution la plus logique est bien sûr de se rendre chez son médecin. Premier problème, il faut déjà avoir un médecin. Deuxième problème, il faut qu’il soit présent (vous pouvez avoir besoin d’aide le soir, le week-end ou durant ses vacances). Troisième problème, il faut qu’il ait de la place dans son agenda.

Dans ce cas, plusieurs options s’offrent à vous. La première, demander de l’aide à Dr Google, mais ce n’est pas la plus fiable. Deuxième option, avec les progrès de l’intelligence artificielle, demander conseil à un outil comme ChatGPT, mais il faut savoir l’utiliser et, même s’il donne l’impression par ses réponses de tout savoir, il faut pour l’heure encore s’en méfier. Troisième option, demander conseil à votre pharmacien, cette dernière solution n’est utile que si vous avez besoin d’un simple conseil.

Les problèmes s’accumulent

Il y a le problème des urgences surchargées. Je fais parfois des gardes à l’hôpital et les personnes que j’y vois n’ont pas toutes besoin de soins urgents. Lors de ma dernière garde, j’ai par exemple vu un jeune homme de 20 ans, qui se plaignait de maux de gorge légers. Il venait car il avait besoin, dès le premier jour, d’un certificat d’incapacité de travail. Il y a aussi le problème des coûts de la santé, ce jeune homme va recevoir une facture « urgence », le coût pour le système de santé sera complètement disproportionné par rapport à l’utilité de cette consultation.

Je n’en veux bien sûr pas à ce jeune homme, il n’a pas de médecin traitant. Il y a donc aussi le problème de la pénurie de médecins. Quelles solutions sont proposées ? Former plus de médecin ? Oui c’est une option mais nous ne verrons le résultat que dans 10 ans. Faire venir des médecins de l’étranger ? C’est déjà une réalité, tant pis si on retire les médecins de leur pays d’origine où ils pourraient aussi être utiles. Pour augmenter le nombre de ces médecins, nos politiciens viennent d’ailleurs de réussir un sacré tout de passe-passe. Jusqu’à récemment, pour qu’un médecin étranger soit autorisé à facturer à la charge de l’assurance, il devait avoir travaillé pendant trois ans dans un établissement suisse reconnu de formation postgraduée. L’objectif était bien sûr que ces médecins connaissent le système de santé suisse mais aussi de garantir une certaine qualité de formation. Depuis mars 2023, par une décision de l’Assemblée fédérale, les médecins généralistes, les médecins praticiens, les pédiatries et les psychiatres peuvent s’installer en Suisse sans faire ces 3 ans de formation dans les hôpitaux Suisse. Ce qui était nécessaire jusqu’à récemment ne l’est plus par un espèce de miracle (politique).

Y aurait-il d’autres solutions ?

Dans ce cas, l’expression la plus juste est en anglais « thinking outside the box », dont la traduction en français pourrait être « sortir du cadre » ou « penser autrement ». C’est le chemin suivi par la société OneDoc, qui propose des rendez-vous en ligne. Son slogan ? Simplifier le quotidien des professionnels de santé et des patients en Suisse.

OneDoc a récemment annoncé le lancement d’une nouvelle fonctionnalité de consultation d’urgence. Disponible sur son application mobile, ce nouveau service permet aux patients de contacter rapidement un professionnel de santé pour une consultation médicale adulte ou enfant à distance, évitant ainsi de surcharger les services d’urgences. Ce service ne remplacera pas les consultations ou un contact physique est indispensable entre le médecin et le patient, mais les nombreuses situations où cela n’est pas nécessaire.

Les personnes malades peuvent ainsi avoir une consultation en urgence, y compris le soir et le week-end, par téléphone ou par vidéo (selon leur souhait). Les téléphones sont pris en charge par Medgate. Les consultations vidéos sont faites par des médecins installés en pratique privée, qui proposent quelques plages dans leur agenda, ou par des acteurs suisses de la télémédecine, à l’image de la plateforme Soignez-moi.ch.

Les médecins participent

Même si elle ne résoudra pas tous les problèmes des urgences, cette offre a l’avantage d’offrir une solution qui a pu être mise en place rapidement. Elle me plaît car elle offre une alternative entre Dr Google et les urgences. Elle me plaît aussi car elle intègre, s’ils le souhaitent, tous les médecins installés en pratique privée. À l’heure où j’écris cet article, il est par exemple possible d’obtenir immédiatement une vidéo consultation avec un médecin installé à Genève.

Pour que cette nouvelle solution apporte tous ses bénéfices, elle doit bien sûr être connue de la population, pour que les malades y pensent lorsqu’ils ont besoin d’un avis médical à distance. Il faut aussi qu’elle soit connue de tous les médecins suisses, pour qu’un grand nombre d’entre eux proposent des consultations. La plupart des médecins ont des horaires chargés, donc peu de temps à offrir, mais si chacun peut mettre à disposition ne serait-ce que deux ou trois plages par semaine, ce serait déjà un beau service rendu à la population.

Les consultations à distance

Une fois encore, tous les problèmes de santé ne peuvent pas être résolus à distance. Mais ceux qui peuvent l’être, doivent l’être, pour ne pas surcharger les urgences, mais aussi parce qu’il est plus pratique d’obtenir des conseils par téléphone ou par vidéo que d’aller patienter de longues heures aux urgences. Et aussi pour des questions de coûts. Le fait que cette solution intègre les médecins installés est un plus indéniable.

Oui, entre Dr Google et les urgences, il y a d’autres options. Pensez-y la prochaine fois que vous serez malade.

 

Comme Le Temps a décidé de fermer ses blogs, il est possible que cet article soit le dernier à paraître. Merci à tout ceux qui ont pris un peu de leur temps pour me lire. 

Les médecins doivent-ils, pour mieux soigner leurs patients, recourir à l’intelligence artificielle?

Les médecins doivent-ils, pour mieux soigner leurs patients, recourir à l’intelligence artificielle ?

Les articles sur l’intelligence artificielle se multiplient, il reste cependant difficile de savoir quel sera l’impact de cette technologie sur notre vie, sur notre quotidien. Si vous posez la question autour de vous, vous verrez que les avis sont souvent tranchés, il y a les optimistes qui voient les innombrables possibilités de ces outils, il y a les pessimistes pour qui les dangers dépasseront les bénéfices. Il est en tout cas vrai que les potentialités de ces outils, popularisés ces derniers mois par les agents conversationnels, le plus célèbre étant ChatGPT, sont impressionnants.

Il n’y a que les idiots…

J’ai déjà écrit trois articles sur l’intelligence artificielle sur ce blog. Le premier, publié en juillet 2018 avait comme titre : Intelligence artificielle : le métier de médecin va-t-il évoluer plus rapidement qu’imaginé ? Ma conclusion était alors : « Les médecins disparaîtront-ils ? Je ne le crois pas. Même s’il est possible que les médecins qui utiliseront l’intelligence artificielle remplaceront ceux qui ne l’utilisent pas. Rien de très banal en sorte, la science a toujours intégré de nouveaux outils pour progresser ». Le titre du deuxième article « L’intelligence artificielle en médecine? Bof. » révèle le scepticisme qui était le mien en décembre 2019. Le troisième article « Pour lutter contre la pandémie, intelligence artificielle ou intelligence humaine ? » avait comme objectif de montrer que dans une situation aussi exceptionnelle qu’une pandémie, l’intelligence humaine, et son corollaire la bêtise, étaient des éléments déterminants, certainement plus que l’intelligence artificielle.

Ces premiers articles étaient pour le moins critiques, mon avis est actuellement beaucoup plus nuancé.

Pour un médecin, l’intelligence artificielle, pourquoi faire ?

Pour comprendre la prochaine phrase, vous devez savoir qu’un “prompt” est une courte phrase ou une consigne donnée à un modèle de langage ou à un autre système d’IA pour qu’il génère une réponse en conséquence.

J’ai posé à ChatGPT la question: « je suis médecin et j’utilise ChatGPT pour la première fois. Donne-moi une liste des prompts essentiels qui m’aideront à accomplir davantage de tâches et à gagner du temps dans mon travail »

La réponse de ChatGPT :

Bien sûr, je serais heureux de vous aider avec cela! Voici une liste de prompts essentiels pour les médecins:

  1. “Quels sont les symptômes courants de [nom de la maladie]?”
  1. “Quels sont les traitements recommandés pour [nom de la maladie]?”
  1. “Quelles sont les causes possibles de [symptôme]?”
  1. “Quels sont les médicaments couramment utilisés pour traiter [nom de la maladie]?”
  1. “Quelle est la posologie recommandée pour [nom du médicament]?”
  1. “Quels sont les effets secondaires courants de [nom du médicament]?”
  1. “Quels sont les tests diagnostiques couramment utilisés pour [nom de la maladie]?”
  1. “Quels sont les facteurs de risque de [nom de la maladie]?”
  1. “Comment puis-je prévenir [nom de la maladie]?”
  1. “Quelles sont les complications courantes de [nom de la maladie]?”

J’espère que cela vous sera utile dans votre pratique médicale.  N’hésitez pas à me poser d’autres questions si vous en avez besoin.

Une question sur le traitement de l’hypertension

J’ai donc poussé l’exercice plus loin en lui posant la question « Quels sont les traitements recommandés pour l’hypertension ? »

Sa réponse :

Les traitements recommandés pour l’hypertension artérielle peuvent varier en fonction de la gravité de la maladie et des facteurs de risque associés. En général, les traitements suivants sont souvent utilisés pour l’hypertension:

  1. Changements de style de vie : cela peut inclure l’augmentation de l’activité physique, la perte de poids, la réduction de la consommation de sodium, une alimentation équilibrée riche en fruits et légumes, la réduction de la consommation d’alcool, le sevrage tabagique et la gestion du stress.
  1. Médicaments anti-hypertenseurs: ces médicaments sont prescrits pour aider à contrôler la pression artérielle. Il existe plusieurs types de médicaments anti-hypertenseurs, tels que les diurétiques, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IECAs), les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine (ARA), les bêta-bloquants, les antagonistes calciques et d’autres médicaments.
  1. Autres traitements : Dans certains cas, des procédures chirurgicales telles que la dénervation rénale peuvent être envisagées pour le traitement de l’hypertension artérielle résistante aux médicaments.

Il est important de noter que les traitements recommandés peuvent varier en fonction des antécédents médicaux, de l’âge, de la gravité de l’hypertension et d’autres facteurs de risque. Il est donc recommandé de consulter votre médecin pour déterminer le traitement le plus approprié pour vous.

Ce n’est qu’un exemple assez simple mais la réponse est tout de même je trouve assez Impressionnante.

La question d’un psychiatre

Dans un article publié en mars 2023 dans la Revue médicale suisse, des psychiatres présentaient les réponses qu’ils avaient obtenu de ChatGPT. Ils ont par exemple posé la question « la thérapie de substitution par des opiacés consiste-t-elle simplement à donner de la drogue aux personnes dépendantes ? ». La réponse de l’IA est jugée adéquate et de bonne qualité par les auteurs de cet article :

Non, la thérapie de remplacement des opiacés ne consiste pas simplement à donner des drogues aux personnes dépendantes. La thérapie de substitution aux opiacés est une forme de traitement assisté par médicaments qui implique l’utilisation de médicaments tels que la méthadone ou la buprénorphine pour aider les personnes souffrant de troubles liés à l’utilisation d’opiacés à gérer leurs envies et leurs symptômes de sevrage. Ces médicaments sont prescrits et contrôlés par un professionnel de la santé, et sont utilisés en association avec des services de conseil et d’autres services de soutien pour aider les personnes à se rétablir à long terme.

Donc ?

Cet article ne fait qu’effleurer cette question de l’utilisation de l’intelligence artificielle en médecine, il ne porte en plus que sur un aspect particulier, celui de la recherche d’informations. Mais j’ai à ce stade trois impressions.

  • La première, nous ne sommes qu’au début de la découverte des utilités, et des dangers, de ces outils.
  • La deuxième, les professionnels de la santé (et les patients…) doivent s’intéresser à l’intelligence artificielle.
  • La troisième, si vous utilisiez Dr Google pour répondre à vous questions médicales, vous devriez plutôt consulter Dr ChatGPT.

 

PS 1 : l’image qui illustre cet article a été créé par intelligence artificielle (avec l’outil Microsoft Bing).

PS 2: j’ai aussi demandé à ChatGPT s’il était vrai qu’il n’y avait que les idiots qui ne changeaient pas d’avis. Sa réponse, toute en nuance :

Cette affirmation est une façon courante de dire qu’il est important d’être ouvert au changement d’opinion, mais elle est également simpliste et ne reflète pas la complexité de la prise de décision et de la réflexion critique.

Changer d’avis est en fait un processus complexe qui dépend de nombreux facteurs, tels que la disponibilité et la qualité des informations, les expériences personnelles, les croyances et les valeurs. Les gens peuvent avoir des raisons valables de maintenir leur opinion et cela ne les rend pas nécessairement idiots.

Cependant, être capable de remettre en question ses propres opinions et d’être ouvert aux idées des autres est une compétence importante dans de nombreux domaines de la vie, y compris dans la prise de décision juridique. En fin de compte, il est important de garder un esprit ouvert et de considérer toutes les perspectives disponibles avant de prendre une décision informée.

Dossier électronique du patient : faut-il (déjà) tout arrêter ?

Le titre de cet article ne plaira pas à tous ceux qui se battent pour le développement du dossier électronique du patient (DEP) mais cette question est on ne peut plus sérieuse. Le DEP permettra-t-il vraiment aux citoyens de ce pays d’être mieux soignés ?

Le concept

Les intentions du dossier électronique du patient sont indiscutables : permettre aux patients d’être mieux soignés en donnant aux professionnels de la santé accès à toutes les informations médicales nécessaires mais aussi rendre les patients plus actifs en leur permettant d’avoir accès à leurs données santé. Le problème est que l’on ne soigne pas avec des intentions et que l’on n’a aucune idée de l’impact de cet outil sur la santé de ses utilisateurs. Trouverais-je dans le DEP les informations qui me manquent actuellement pour soigner mes patients ? Je n’en suis pas sûr, le plus souvent une information me manque car le médecin qui a vu mon patient à l’hôpital n’a pas encore rédigé de lettre de sortie ou que son psychiatre n’a pas estimé utile de m’informer de ses conclusions. Dans ces situations, le DEP, pour peu que mon patient en ait créé un et qu’il soit mis à jour, me sera inutile.

Une naissance laborieuse

On peut lire dans un article publié le 30 mars dernier dans le Temps la phrase suivante : « Sur un point, tout le monde est d’accord: le dossier électronique du patient (DEP) est jusqu’ici un flop monumental. Au début de chaque année qui passe, les plus optimistes prédisent qu’il va enfin décoller pour finir par déchanter douze mois plus tard, car les espoirs ont été déçus ». A l’opposé, CARA, la communauté qui regroupe tous les cantons romands sauf Neuchâtel, semblait lors de sa conférence de presse plutôt optimiste en déclarant que « 7500 dossiers électroniques sont ouverts chez CARA, ce qui représente près de 90 % des dossiers ouverts sur l’ensemble du pays ». CARA reconnait tout de même que « des améliorations sont nécessaires ».  Même si ce chiffre de 7500 dossiers est plus que respectable, l’ouverture de dossiers n’est pas une fin en soi. Le but reste que ces dossiers soient utiles, et on en est encore loin. CARA soutient les mesures à venir pour améliorer le DEP, notamment celles proposées par le Conseil fédéral le 27 avril dernier. Parmi les mesures proposées, certaines permettent de comprendre la faiblesse du projet initial, d’autres laissent songeur.

Un dossier obligatoire ? 

Le Conseil fédéral met pour les patients deux variantes en consultation : le maintien du caractère facultatif et l’introduction d’un modèle opt-out, qui a la faveur du Conseil fédéral. Le DEP sera donc par défaut obligatoire et le citoyen devra lui-même agir s’il ne veut pas en avoir un. Pour les professionnels de la santé, ce sera tout simplement obligatoire. Le côté positif est que cela permettra au DEP d’être plus complet, le côté négatif que cela représentera pour les cabinets médicaux une surcharge de travail considérable. Tous les médecins n’ont pas un dossier médical informatisé et pour ceux qui ont en un, la grande majorité n’est pas capable de transférer automatiquement les données au DEP. On peut lire sur les pages du site de l’Etat de Vaud consacré à ce projet que « chez les éditeurs de logiciels de cabinet, les travaux d’intégrations avec le DEP ont commencé afin d’automatiser la consultation du DEP depuis le logiciel de cabinet et le transfert des données dans le DEP. A ce jour, cette automatisation est à l’état de développement pour les logiciels existants ». En développement ? Je rappelle que la loi sur le DEP date de 7ans déjà.

Lorsqu’il faut rendre un outil comme le DEP obligatoire pour qu’il soit utilisé, c’est qu’il y a un problème.

Un projet pour le futur ?

Il est possible que ce projet ne doive pas être évalué sur son utilité actuelle, proche du zéro absolu, mais comme un outil du futur qui révélera son utilité d’ici quelques années lorsque le DEP sera plus utilisé et plus complet, mais j’ai des doutes.

Les problèmes

Ils sont malheureusement multiples. J’ai déjà signalé l’intérêt frileux des citoyens et des professionnels de la santé. Il y a la complexité pour l’ouverture et pour l’utilisation du DEP. Il y a la surcharge de travail pour les professionnels de santé.  Il y a aussi la question simplement de l’utilité médicale de cet outil. Il y a aussi le fait que s’il est utile, il le sera pour une minorité de la population, celle souffrant de maladies chroniques. Pour intéresser toute la population, il aurait peut-être fallu imaginer un outil utile pour la promotion de la santé, pour la prévention, dans le DEP il n’y a rien. Il y a aussi le coût exorbitant de ce projet. Il y a enfin le fait que le DEP accapare toutes les énergies, alors qu’il n’est qu’une petite partie des innovations dont notre système de santé a besoin.

Stopper ce projet est probablement impossible pour des raisons politiques. Si l’on réfléchit à son utilité médicale actuelle et future, je pense qu’il faut sérieusement se poser la question.

Pour l’heure, ne comptez pas sur le DEP pour rester en bonne santé.

 

PS: A lire sur Heidi.news, le dossier électronique du patient devient (enfin) un vrai enjeu national.

 

Autres articles (plus ou moins) en lien avec cet article et publiés sur ce blog:

Dossier électronique du patient : serez-vous mieux soigné?

La révolution numérique en médecine : sommes-nous prêts à réinventer notre façon de travailler?

Le défi de l’intégration du numérique au sein de nos systèmes de santé

 

La révolution numérique en médecine : sommes-nous prêts à réinventer notre façon de travailler?

Pourquoi le digital n’apporte-il pas (encore) en médecine les bénéfices espérés? Probablement parce que le monde de la santé est complexe, donc difficile à numériser. Peut-être aussi parque nous avons trop longtemps pensé que le développement technologique était par lui-même suffisant pour améliorer l’efficience du système de santé. Et si pour soigner mieux, le digital impliquait aussi de repenser notre façon de travailler ?

Des changements technologiques mais aussi culturels

Ce sujet est justement celui de l’article intitulé Health Care’s Digital Revolution: Are We Ready to Reimagine the Work? qui résume une présentation faite dans le cadre d’une conférence par le médecin américain Robert M. Wachter. Il y parle justement de ce qui parait une évidence mais qui est souvent mal compris : « notre réussite sur la voie de la numérisation dépendra de notre capacité à réinventer notre travail ».

Quatre étapes

Même si l’on imagine souvent le digital comme une couche de vernis que l’on appose sur un système déjà existant, le Dr Watcher, professeur au sein du département de médecine de l’Université de Californie (UCSF), décompose la digitalisation en quatre étapes :

  1. La numérisation des données. Pour reprendre les mots du Dr Watcher « c’est l’étape que nous sommes en train d’achever, un peu plus tard que nous l’aurions souhaité ».
  2. L’interopérabilité. « Connecter (a) les prestataires de soins primaires aux hôpitaux, ainsi que les hôpitaux aux hôpitaux, puis (b) l’ensemble de l’écosystème numérique (c’est-à-dire les applications tierces, les systèmes destinés aux patients et les systèmes d’entreprise) ».
  3. Tirer des enseignements des données, c’est-à-dire les valoriser.
  4. Convertir ces informations en actions qui améliorent la valeur, qu’elle soit mesurée par la sécurité, le coût, l’accès ou l’équité.

Baseball et septicémie

Pour le Dr Watcher, nous avons déjà commencé la deuxième étape, mais pour atteindre les étapes trois et quatre, « nous avons besoin d’un changement radical dans notre façon de penser les données numériques ». Le professeur illustre ces propos avec un exemple très concret, quoique, à mes yeux, légèrement exagéré : « Les statisticiens du baseball peuvent prédire avec une précision étonnante si un certain joueur peut frapper une balle courbe lancée par un lanceur gaucher sous la pluie juste après une pleine lune. Pendant ce temps, nos alertes à la septicémie hospitalière, considérées comme un triomphe parmi les outils de prise de décision clinique, sont fausses environ un quart du temps ».

Les notes du médecin

Le professeur californien donne un autre exemple de l’incapacité du monde médical à se réinventer : « considérez une note d’un médecin : ceux qui ont créé des notes électroniques envisageaient de numériser un morceau de papier dans un classeur. Mais si nous devions concevoir la note électronique à partir de zéro aujourd’hui, cela ressemblerait davantage à un flux sur Facebook ou Twitter. Il comprendrait des composants vidéo et audio. Et, comme Wikipedia ou Google Docs, ce serait plus collaboratif, avec de la place pour les commentaires des infirmières, des travailleurs sociaux et d’autres ».

Dans le même ordre d’idée, j’ai toujours été surpris de voir que les concepteurs de dossiers médicaux informatisés étaient satisfaits à l’idée que leurs solutions facilitent la création de lettres et autres rapports. Ces logiciels permettent effectivement de créer rapidement des courriers, en reprenant par exemple les diagnostics et les traitements de façon automatique, des courriers envoyés ensuite par la poste ou, modernité suprême, par fax. Ne devrait-on pas profiter du digital pour communiquer autrement ?

Repenser notre façon de travailler

Le Dr Watcher termine sa présentation par une note optimiste : « nous entrons maintenant, enfin, véritablement, dans l’ère de l’après dossier médical informatisé, une ère dans laquelle nous tirerons parti de ces nouveaux outils avec de nouvelles façons de penser pour améliorer notre système de santé ».

Oui, mais cela nécessitera de repenser notre façon de travailler. Comment accélérer ce mouvement, pour pouvoir offrir à nos patients une prise en charge efficiente, digne de ce 21ème siècle ?

 

Autres articles sur ce blog:

 

Vous devriez vous faire vacciner

J’ai décidé d’écrire cet article car le sujet de la vaccination contre le coronavirus a été peu abordé dans les médias et sur les réseaux sociaux. Plus sérieusement, je souhaitais partager avec les personnes qui ne sont pas vaccinées quelques réflexions, notamment issues d’échanges avec mes patients. Le but est de vous encourager à vous faire vacciner, en dehors je l’espère de débats polémiques.

Quel pourcentage de la population est vaccinée ?

Selon l’OFSP, en date du 3 septembre 2021, 58.28 % de la population aurait reçu au moins une dose du vaccin, donc environ 41 % de non vaccinés. Après 18 mois d’une pandémie aux conséquences majeures, ce chiffre est à mes yeux très élevé. Un autre chiffre intéressant est celui du pourcentage de la population qui pourrait se faire vacciner et qui ne l’est pas (rappelons que les moins de 12 ans ne peuvent pas se faire vacciner). Puisqu’il y a en Suisse, selon les chiffres de l’Office fédéral de la statistique, 8’670’300 habitants dont un peu moins de 1 millions d’enfants de 0 à 11 ans, le pourcentage de personnes vaccinées serait pour les 12 ans et plus de 65.9 %, donc 34.1 % des habitants de ce pays qui pourraient être vaccinés et qui ne le sont pas. Un tiers. Un chiffre toujours élevé.

Pourquoi vous devriez vous faire vacciner

Je commence par les professionnels de la santé. Je trouve que tous devraient être vaccinés. Chacun peut bien sûr avoir une raison particulière qui justifie de ne pas recevoir ces deux injections, mais les contre-indications sont en réalité très rares. Je trouve que pour eux la vaccination fait partie de leur travail. Pour se protéger eux-mêmes, notamment pour ne pas tomber malade et pouvoir continuer de s’occuper de leurs patients, mais surtout pour ne pas transmettre la maladie à d’autres. Je rappelle que la position qui est de dire « il suffit de vacciner les seniors et les personnes vulnérables » n’est pas juste puisque le vaccin n’offre pas une protection de 100 %, en particulier avec le variant delta.

Pour ceux qui ne sont pas professionnels de la santé, plusieurs éléments devraient à mon avis encourager les hésitants à se faire vacciner.

Argument 1, les vaccins sont sûrs. Je n’ai pas la place dans cet article de citer les nombreuses études sur cette question mais j’encourage ceux qui souhaitent en savoir plus à prendre connaissance du document Recommandations de vaccination avec des vaccins à ARNm contre le COVID-19 (état au 26.08.2021) de l’OFSP. Un document de 45 pages où vous pourrez voir que les vaccins utilisés en Suisse ont des effets secondaires mais que la balance bénéfices / risques penche très clairement en faveur de la vaccination. Une autre source d’information de qualité est l’article « Tout ce qu’il faut savoir sur la vaccination Covid-19 en Suisse » du site Heidi.news.

On entend souvent dire que ces vaccins ont été développés trop rapidement. Je comprends que l’on s’interroge à ce sujet, mais il faut tout de même reconnaître que nous avons maintenant des données de sécurité qui reposent sur des centaines de millions de doses. J’ai parfois l’impression, lorsque je parle de cette vaccination avec mes patients, que je leur propose une opération à cœur ouvert, ce n’est qu’un vaccin, mais malgré cela l’inquiétude est grande.

Il est difficile de lutter contre l’inquiétude avec des faits et des chiffres mais je dis tout de même à mes patients que, s’ils se méfient des preuves apportées par la science, leur vie va devenir très compliqué : ils peuvent se méfier de ces vaccins mais ils devront alors aussi se méfier de tous les médicaments, y compris du simple Paracetamol (tous ont suivis les mêmes procédures de certification chez Swissmedic). Pour moi, les dangers provenant de l’alimentation, pesticides et autres perturbateurs endocriniens, sont beaucoup plus dangereux.

Argument 2, maladie ou vaccin. Deuxième élément, vu la contagiosité de ce virus, en particulier du variant delta, mon sentiment est que tout le monde finira soit vacciné, soit contaminé. Même s’il est possible d’être contaminé et de n’avoir que peu ou pas de symptômes, les risques de complications sont clairement en faveur du vaccin. En plus, l’immunité est meilleure avec le vaccin qu’avec la maladie.

Argument 3, les autres. Si vous ne vous faites pas vacciner pour vous, faites-le pour les autres.

Argument 4, les hôpitaux surchargés.  La 4ème vague est là, en date du 3 septembre, les patients Covid-19 occupent 33,7% des places disponibles en soins intensifs, dont le taux d’occupation est de 80,30%.

Argument 5, les conséquences économiques et sociales de la pandémie. Je pense que la vaccination se justifie aussi pour pouvoir revivre un peu normalement, les restaurateurs, les hôteliers et de nombreux autres secteurs économiques, ayant déjà suffisamment souffert de cette pandémie. Imaginez où nous en serions si les vaccins n’existaient pas ?

Pourquoi non ?

On peut découvrir sur le site du journal le Matin une vidéo dont le sujet est « Pourquoi disent-ils «non» au vaccin? » On y entend la crainte « on ne connait pas encore les effets secondaires » mais aussi « apparemment il y a aussi des gens vaccinés qui attrapent le Covid ». Ce dernier argument est intéressant car oui des gens vaccinés peuvent attraper le Covid, en particulier avec le variant Delta, mais le risque de tomber malade est 80 fois plus faible si l’on est vacciné, le risque de développer une maladie grave est lui diminué de 95 %.

Il y a aussi l’interview de Jean-Pierre qui répond « les gens sont vaccinés et meurent, les gens meurent du vaccin » et pour appuyer ses dire « il y a une vidéo sur TikTok qui tourne, on ne peut pas la louper ». Même si TiKTok ne me semble pas être une source d’information de confiance, ces propos illustrent la méfiance de certains envers les autorités et les médias.

Rassurer

Il faut écouter ces citoyens, comprendre leurs inquiétudes et y répondre. Le but doit être de les informer de la façon la plus objective possible et, je l’espère, de les rassurer.

 

Cette vidéo est un spot TV du Ministère des Solidarités et de la Santé français qui rappelle que la grande majorité des personnes hospitalisées à cause du Covid-19 ne sont pas vaccinées (en Suisse, plus de 90 %). 

 

Le naufrage du carnet de vaccination électronique

Le carnet de vaccination électronique est mort, enterré. Le seul outil de santé digitale à disposition de la population ne fonctionne plus, pire les utilisateurs de ce service ne peuvent même plus récupérer leurs données. 

Une belle idée

Le carnet de vaccination électronique était une belle idée : un service gratuit qui permettait à tout un chacun d’enregistrer en ligne sur le site mesvaccins.ch, ou sur l’application myViavac, l’ensemble de ses vaccins. Cet outil permettait aussi d’identifier les vaccins qui devraient être faits pour rester protégé et de recevoir une notification par SMS ou par courriel lorsqu’un rappel devenait nécessaire. Il était même possible de partager son carnet avec le professionnel de santé de son choix, avec son médecin traitant par exemple.

Une protection des données défaillante

Le début de la fin date de mars 2021, le magazine en ligne Republik.ch ayant révélé que 450’000 données de vaccination, dont celles concernant 240’000 personnes vaccinées contre le Covid-19, étaient ouvertement accessibles et modifiables. Informé, le Préposé fédéral à la protection des données a ordonné la fermeture de mesvaccins.ch. Dans la foulée, l’application MyViavac a elle aussi cessé de fonctionner.

Mesvaccins.ch a été financé par différentes structures dont l’Office fédéral de la santé publique (1.26 million de francs), la Conférence des directeurs de la santé mais aussi par l’industrie pharmaceutique (650’000 chf). On trouve d’ailleurs encore en ligne un communiqué de presse de l’OFSP dont le titre laisse songeur : « Un carnet de vaccination électronique facilement accessible ».

Un problème temporaire ?

L’actualité nous rappelle quotidiennement que les problèmes de protection des données peuvent toucher n’importe quelle structure ou organisation. Les possesseurs d’un carnet de vaccination électronique ont donc imaginé que le service serait rapidement à nouveau fonctionnel, il suffisait de patienter quelques jours. Les jours sont devenus des semaines jusqu’à que le couperet tombe ce 24 août. La fondation mes vaccins annonçait sur son site « arrêter ses activités opérationnelles », on peut y lire  que « la situation financière ne permettant plus de poursuivre le but de la Fondation, le Conseil de Fondation a dû se résoudre à demander à l’Autorité de surveillance des fondations la liquidation de la Fondation ». 

Un peu plus loin dans ce texte on peut encore lire : « Le devenir des données doit être clarifié en concertation avec l’Autorité de surveillance des fondations, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) et le Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence (PFPDT). Dans le cadre de sa liquidation, la Fondation s’efforce de trouver une solution qui permette aux utilisateurs d’accéder à nouveau à leurs données. Si aucune solution n’était trouvée, les données resteraient inaccessibles dans un avenir proche – voire de manière définitive ».

Tant pis pour vos données

Je ne doute pas que cette situation soit compliquée pour cette fondation mais tout de même. Non seulement le système ne fonctionne plus mais les utilisateurs ne peuvent même pas récupérer leurs données. Rassurez-moi, dites-moi qu’une autorité quelconque de ce pays, l’OFSP par exemple, va faire quelque chose. A l’heure du lancement du dossier électronique du patient, et même si les deux projets n’ont rien en commun, il n’y a pas mieux pour saper la confiance des utilisateurs.

Quelques clics

Mesvaccins.ch n’informe même pas pour expliquer qu’il existe pour certains utilisateurs le moyen de récupérer la liste de leurs vaccins. Si vous avez installé l’application myViavac, vous pourrez retrouver la liste de vos vaccins : ouvrez l’application, cliquez sur « Mes vaccins » et vous trouverez la liste de tous les vaccins effectués. En cliquant sur une maladie, par exemple sur « Hépatite A », vous trouverez les dates auxquelles vous avez été vacciné.

L’autre option, plus laborieuse, est d’adresser à la fondation une demande d’accès à vos données, vous trouverez plus d’informations, ainsi qu’un lien vers un formulaire disponible sur le site du Préposé fédéral à la protection, sur le site de la RTS, l’émission « On en parle » ayant traité ce sujet.

La santé digitale en Suisse

La santé digitale est annoncée comme la solution qui va révolutionner notre système de santé. Force est de constater que les services à disposition des citoyens sont en Suisse pour le moins limités. Il ne suffit pas d’organiser des conférences sur le sujet ni de communiquer sur telle ou telle innovation à venir, il faut développer des projets concrets qui soient utiles aux citoyens et aux patients de ce pays. La Suisse est en retard.

 

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Le défi de l’intégration du numérique au sein de nos systèmes de santé

L’ordonnance électronique (enfin)

Comment le numérique permettra-t-il d’améliorer notre système de santé ?

 

Le défi de l’intégration du numérique au sein de nos systèmes de santé

Le digital permettra-t-il d’améliorer nos systèmes de santé ? On pourrait être tenté de répondre par l’affirmative, tant le digital est porteur d’espoir, lui qui semble capable de tout transformer. Pourtant, lorsque l’on va chez le médecin ou à l’hôpital, l’utilité de la eSanté ne saute pas aux yeux. Pourquoi un tel fossé entre les espoirs liés au numérique et la réalité du terrain ? Les innovations sont nombreuses, quel chemin suivre pour qu’elles soient réellement utiles ?

La santé, un monde difficile à numériser

La digitalisation de la santé est difficile, pour de nombreuses raisons. La première est que les systèmes de santé sont des structures complexes, constitués par exemple de nombreux intervenants qui interagissent entre eux. Le deuxième élément est la quantité de données générée par le système, une quantité qui ne cesse d’augmenter. La troisième est que l’on touche au vivant : il est plus facile de vendre des chaussures par Internet que de prendre en charge des patients. Il existe certainement d’innombrables autres raisons mais ces différents éléments permettent d’illustrer pourquoi le monde de la santé est difficile à numériser.

Pour quelle finalité ?

« Jusqu’à présent, la plupart des efforts en matière de médecine numérique ont été déployés dans une seule dimension – un capteur, un type d’image ou uniquement la génomique – avec peu de convergence ». Cette position est celle du médecin américain Eric Topol dans l’article A decade of digital medicine innovation. Je partage cette position, on a probablement jusqu’à maintenant trop pensé «outil » et pas suffisamment « finalité ». Comme l’a tweeté une ePatiente sud-africaine, « Stop talking digital, start thinking patients”, “Arrêtez de parler numérique, commencez à penser patients “.

Quels sont les indicateurs de succès ?

Une étude récemment publiée dans le Journal of Medical Internet Research a cherché à identifier les éléments qui permettent l’intégration de la cybersanté dans les soins de santé.

Premier point mis en avant par les auteurs de cette recherche « la cybersanté est plus qu’une technologie ; c’est une autre façon de travailler et de penser et cela nécessite un changement d’attitude ». Le changement apporté n’est donc pas que technologique, il est aussi culturel (et peut-être même surtout culturel). En d’autres termes, l’intégration de la cybersanté dans les soins de santé traditionnels nécessite des changements organisationnels et comportementaux tant pour les professionnels de la santé que pour les patients.

Onze études ont été incluses, couvrant des interventions de nature diverse, des maladies différentes et de nombreuses innovations digitales. L’analyse de ces travaux a permis d’identifier trois principes indispensables pour réussir l’intégration de la santé en ligne dans les soins de santé.

  • Premièrement, il est nécessaire de se rappeler que l’objectif final est d’apporter des soins de qualité aux patients, les besoins du patient doivent donc être pris en compte en permanence. Les auteurs de cette publication insistent sur la nécessité d’une approche centrée sur le patient et proposent d’élaborer des projets en co-construction.
  • Le deuxième indicateur de succès est l’adaptation du digital aux processus de soins, l’innovation doit s’intégrer dans le quotidien du professionnel de santé. La technologique peut être en elle-même très innovante mais son implémentation sera un échec si elle ne s’intègre pas harmonieusement dans les systèmes déjà existants.
  • Le troisième élément est le facteur humain, les soignants doivent comprendre le sens de ces technologies qui doivent leur permettre d’effectuer leur travail avec efficacité.

Le digital n’est donc pas un simple vernis

Le digital n’est donc pas un simple vernis dont on couvre le système de santé. Il doit être pleinement intégré au système de soins, doit répondre aux besoins des patients mais aussi venir s’intégrer harmonieusement dans le quotidien des professionnels de la santé.

L’intégration du digital représente donc un changement technologique mais aussi culturel avec toujours comme finalité la qualité de la prise en charge médicale.

 

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Envoyer une copie des rapports aux patients ?

Lorsqu’un médecin envoie un courrier à un autre médecin, le patient n’est que rarement mis en copie. Est-ce normal ?

Une information importante doit être transmise par écrit

Même si leur nombre augmente, les professionnels qui envoient une copie de leurs courriers aux patients restent minoritaires. Cette pratique, quasi inexistante il y a quelques années, se développe lentement, elle ne constitue pourtant, et de loin, pas la règle.

Les raisons sont multiples. La première est probablement que les professionnels considèrent ces courriers comme une transmission d’information entre eux, qui ne regarde donc pas directement le patient. Même si on peut bien sûr comprendre cette position, elle relève probablement d’un certain paternalisme médical. La deuxième raison est la crainte que le patient ne puisse pas comprendre le contenu de ces courriers. Cet argument doit être entendu, il n’est pas à la portée de tous d’interpréter le contenu des rapports médicaux, souvent truffés de termes techniques difficiles à comprendre. Je pense moi que la majorité des patients peuvent comprendre l’essentiel des courriers qui les concernent.

Il est aussi vrai que le rapport du spécialiste est souvent présenté au patient par le généraliste lors de leur prochaine rencontre, mais malgré l’interaction que permet le mode oral de délivrance de l’information, il n’est pas optimal : des études indiquent qu’entre 40 et 80 % de l’information délivrée par le personnel médical oralement est immédiatement oubliée par le patient et que près de la moitié de l’information retenue est incorrecte. Une information importante doit donc à mon avis être transmise au patient par écrit.

Donner au patient la place qui est la sienne

Les recherches montrent en tout cas que cette pratique augmente la satisfaction des patients. Elle a aussi d’autres avantages, notamment de parfois corriger des erreurs :

 « Je ne prends plus la Pravastatin comme indiqué mais de la Simvastatin ». Ou encore : « Il manque deux médicaments dans la liste de mon traitement… ».

Le plus important est probablement ailleurs, c’est simplement de donner au patient la place qui est la sienne, de l’intégrer pleinement dans la prise en charge de sa santé.

« Après une consultation, lorsque on arrive à la maison, on a déjà presque tout oublié de ce que le médecin nous a dit. Recevoir une lettre permet de mieux comprendre sa maladie et savoir ce qui peut être fait pour aller mieux ».

Puisque les rapports ne sont que rarement envoyés aux patients, j’ai personnellement pris l’habitude, lorsque je reçois le rapport d’un spécialiste, de l’envoyer par courriel à mon patient. J’ajoute souvent un commentaire pour qu’il comprenne les conclusions et propositions du spécialiste, tout en prenant soin de lui dire que je suis à sa disposition s’il a encore des questions. Cette façon de faire nécessite du temps, j’espère qu’il se justifie pour le patient par une meilleure compréhension de sa situation médicale. Cette pratique permet parfois d’éviter une consultation qui n’aurait servi qu’à transmettre les conclusions du spécialiste, dans ce sens, elle permet un gain de temps et d’argent.

Aller encore plus loin ?

Il serait pourtant possible d’aller plus loin encore, c’est-à-dire d’écrire au patient, le médecin n’étant qu’en copie du courrier. Le contenu ne serait peut-être pas très différent, il devrait bien sûr être rédigé dans un langage que le destinataire puisse comprendre, il aurait cependant l’avantage de placer le patient au centre de sa prise en charge. De telles initiatives existent déjà, j’avais dans un ancien article de ce blog déjà parlé d’un projet anglais allant dans cette direction.

Former les professionnels de la santé

Je suis convaincu qu’il faut mieux intégrer les patients dans leur prise en charge médicale. Leur envoyer une copie de leurs documents médicaux est un moyen d’aller dans cette direction. Ne devrait-on pas enseigner cette pratique aux professionnels de la santé durant leur formation ? Je pense qu’actuellement ce sujet n’est jamais abordé.

 

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La médecine fondée sur la personne

Doit-on changer de paradigme pour passer d’une médecine basée sur la science à une médecine basée sur la personne ? C’est en tout cas la thèse du Prof. Gérad Reach, endocrinologue à l’Université Paris 13, dans un discours1 tenu devant le Comité d’Éthique de l’Académie nationale de Médecine.

Une crise de la médecine

Pour le Prof. Reach, la médecine est en crise. Du côté des patients, il évoque le problème de la non observance, c’est-à-dire le fait que les patients ne suivent pas les prescriptions de leurs médecins, médicaments ou autres.  Il voit aussi un problème du côté des professionnels de la santé qui eux ne suivent pas les recommandations officielles de prise en charge pour leur patients, les recommandations basées sur la science. Cette résistance des soignants porte le nom d’inertie clinique. Cette crise touche donc tout le système de santé car ni les patients, ni les médecins ne suivent ce qu’on leur demande de faire : tout le monde désobéit, tout le monde se distancie des recommandations.

La médecine scientifique

L’un des visages de cette médecine scientifique est l’Evidence-based Medicine (EBM), la médecine factuelle. Formulé de façon très simplifiée, son idée est de baser les décisions médicales non pas sur des croyances ou de simples avis d’experts mais sur les résultats d’études scientifiques. L’EBM a eu dès son origine une double ambition, la première étant de produire des connaissances, la seconde des recommandations.

Le Prof. Reach souligne que « les pères fondateurs de l’EBM insistaient sur le fait que la décision clinique devait reposer sur une triangulation : non seulement sur les faits scientifiques (« l’evidence »), mais aussi sur l’expérience clinique du praticien et les souhaits du patient. La décision médicale doit à la fois reposer sur les meilleures données de la science, et être individualisées. Le Prof. Reach d’ajouter « on peut néanmoins se demander si la deuxième exigence n’a pas été quelque peu oubliée ».

Un nouveau paradigme

Pour le Prof. Reach, « ce nouveau paradigme serait une médecine fondée sur la personne prenant en compte la complexité de la pensée des patients et des médecins ; il se traduit par l’élaboration d’un nouveau type de recommandations, non-algorithmique, et il a des implications profondes pour l’enseignement et la pratique de la médecine ».

Je trouve personnellement qu’il faut aller plus loin encore, cette complexité n’est pas uniquement celle de la pensée des patients et des médecins, elle est aussi celle de leurs réalités. On ne soigne pas deux individus qui souffrent de la même maladie de façon identique, simplement car chacun d’eux est unique, avec ses besoins et ses croyances. Le Dr William Osler, le disait déjà au 19ème siècle : « ne demandez pas quelle maladie la personne a, mais plutôt quelle personne a la maladie ».

Un certain malaise 

A mon avis, les deux problèmes relevés par le prof. Reach sont justes mais ils reflètent une crise plus profonde, une crise du sens. Les patients ne suivent pas les traitements prescrits parce qu’ils ne sont pas convaincus de l’utilité de ces traitements pour eux, ils les jugent possiblement utiles à d’autres mais pas à eux (par exemple une balance effets positifs / effets secondaires négative).  Le chemin suivi par les professionnels est proche, ils estiment que les recommandations sont fondées mais qu’elles ne s’appliquent souvent pas au patient particulier qu’ils ont en face d’eux.

Les soignants et les soignés s’écartent donc souvent des recommandations pour de bonnes raisons, simplement parce que ces recommandations ne tiennent pas compte de leur individualité, de leurs particularités. Ils ont raison mais risquent tout de même de ressentir un certain malaise de n’avoir pas suivi « ce qui était recommandé ».

Une médecine non algorithmique

A l’heure du développement du digital, il est sûrement utile de se souvenir de la complexité de l’humain. Les recommandations ne doivent donc pas être vues comme « vous devez faire » mais plutôt comme « vous devez savoir que ». Puis, comme le dit le Prof. Reach, « on apprend à s’en dégager : on devient expert ». Un dégagement qui permet aux professionnels de la santé mais aussi aux patients d’adapter les recommandations de la science à leurs particularités.

La médecine fondée sur la personne

Il ne s’agit donc pas d’opposer science et individualité mais plutôt d’encourager soignants et soignés à définir les meilleurs soins en s’inspirant de ces deux mondes. La médecine basée sur la personne devrait cependant être plus que cela, notamment en intégrant mieux les patients dans les choix relatifs à leur santé. Dans ce domaine, les opportunités sont nombreuses, la plupart des patients sont prêts, les professionnels de la santé doivent répondre à leurs attentes.

 

  1. Simplicité et complexité en médecine. Gérard Reach. Bull. Acad. Natle Méd., séance du 6 février 2018 Version pre-print mise en ligne le 8/02/2018

 

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