La révolution numérique en médecine : sommes-nous prêts à réinventer notre façon de travailler?

Pourquoi le digital n’apporte-il pas (encore) en médecine les bénéfices espérés? Probablement parce que le monde de la santé est complexe, donc difficile à numériser. Peut-être aussi parque nous avons trop longtemps pensé que le développement technologique était par lui-même suffisant pour améliorer l’efficience du système de santé. Et si pour soigner mieux, le digital impliquait aussi de repenser notre façon de travailler ?

Des changements technologiques mais aussi culturels

Ce sujet est justement celui de l’article intitulé Health Care’s Digital Revolution: Are We Ready to Reimagine the Work? qui résume une présentation faite dans le cadre d’une conférence par le médecin américain Robert M. Wachter. Il y parle justement de ce qui parait une évidence mais qui est souvent mal compris : « notre réussite sur la voie de la numérisation dépendra de notre capacité à réinventer notre travail ».

Quatre étapes

Même si l’on imagine souvent le digital comme une couche de vernis que l’on appose sur un système déjà existant, le Dr Watcher, professeur au sein du département de médecine de l’Université de Californie (UCSF), décompose la digitalisation en quatre étapes :

  1. La numérisation des données. Pour reprendre les mots du Dr Watcher « c’est l’étape que nous sommes en train d’achever, un peu plus tard que nous l’aurions souhaité ».
  2. L’interopérabilité. « Connecter (a) les prestataires de soins primaires aux hôpitaux, ainsi que les hôpitaux aux hôpitaux, puis (b) l’ensemble de l’écosystème numérique (c’est-à-dire les applications tierces, les systèmes destinés aux patients et les systèmes d’entreprise) ».
  3. Tirer des enseignements des données, c’est-à-dire les valoriser.
  4. Convertir ces informations en actions qui améliorent la valeur, qu’elle soit mesurée par la sécurité, le coût, l’accès ou l’équité.

Baseball et septicémie

Pour le Dr Watcher, nous avons déjà commencé la deuxième étape, mais pour atteindre les étapes trois et quatre, « nous avons besoin d’un changement radical dans notre façon de penser les données numériques ». Le professeur illustre ces propos avec un exemple très concret, quoique, à mes yeux, légèrement exagéré : « Les statisticiens du baseball peuvent prédire avec une précision étonnante si un certain joueur peut frapper une balle courbe lancée par un lanceur gaucher sous la pluie juste après une pleine lune. Pendant ce temps, nos alertes à la septicémie hospitalière, considérées comme un triomphe parmi les outils de prise de décision clinique, sont fausses environ un quart du temps ».

Les notes du médecin

Le professeur californien donne un autre exemple de l’incapacité du monde médical à se réinventer : « considérez une note d’un médecin : ceux qui ont créé des notes électroniques envisageaient de numériser un morceau de papier dans un classeur. Mais si nous devions concevoir la note électronique à partir de zéro aujourd’hui, cela ressemblerait davantage à un flux sur Facebook ou Twitter. Il comprendrait des composants vidéo et audio. Et, comme Wikipedia ou Google Docs, ce serait plus collaboratif, avec de la place pour les commentaires des infirmières, des travailleurs sociaux et d’autres ».

Dans le même ordre d’idée, j’ai toujours été surpris de voir que les concepteurs de dossiers médicaux informatisés étaient satisfaits à l’idée que leurs solutions facilitent la création de lettres et autres rapports. Ces logiciels permettent effectivement de créer rapidement des courriers, en reprenant par exemple les diagnostics et les traitements de façon automatique, des courriers envoyés ensuite par la poste ou, modernité suprême, par fax. Ne devrait-on pas profiter du digital pour communiquer autrement ?

Repenser notre façon de travailler

Le Dr Watcher termine sa présentation par une note optimiste : « nous entrons maintenant, enfin, véritablement, dans l’ère de l’après dossier médical informatisé, une ère dans laquelle nous tirerons parti de ces nouveaux outils avec de nouvelles façons de penser pour améliorer notre système de santé ».

Oui, mais cela nécessitera de repenser notre façon de travailler. Comment accélérer ce mouvement, pour pouvoir offrir à nos patients une prise en charge efficiente, digne de ce 21ème siècle ?

 

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Dr Jean Gabriel Jeannot

Médecin, spécialiste en médecine interne, avec un intérêt particulier pour l’utilisation des technologies de l’information et de la communication en médecine.

2 réponses à “La révolution numérique en médecine : sommes-nous prêts à réinventer notre façon de travailler?

  1. bonjour.la vision que vous soutenez se heurte a la réalité de la contraction des ressources fossiles, mais aussi de métaux(rare ou pas).Le système numérique dans son application exponentielle (hégémonique?), quoique vendu comme dématérialisé, est très gourmant en énergie(tour de refroidissement, système de sécurité, alimentation du réseau).A cela s ajoute le problème des technologies gourmandes en métaux(terre rare, cadmium, lithium, coltan ect).enfin le problème du transport et de la distribution de l énergie au sein des structures numérisés avec l enjeu du cuivre. A ce jour, les évaluations ou les études des couts énergétiques des systèmes de santé(au niveau européen)sont rares et souvent incomplètes. Pourtant les outils existent, notamment le M I P S(matériel entrant par service), c est a dire la somme de tout ce qui as été transformé et transporté pour créer un service. Pour anecdote chaque SMS pèse 632 grammes.
    L avenir de la médecine pourrais bien être le retour du stéthoscope plutôt que le développement de la 5G.Cordialement

  2. Pourquoi le digital n’apporte-il pas (encore) en médecine les bénéfices espérés ? D’abord parce que l’on veut toujours aller trop vite et que le corps humain est complexe et ne se prête pas facilement à une métrique satisfaisante. Il a fallu près d’un siècle pour que l’on se rende compte que l’IMC (indice de masse corporelle) n’était qu’une simple référence sans signification réelle, donc impossible d’en faire une norme internationale. L’étude CAMBrella (2012, OCDE/UE) a montré que les patients tenaient assez aux thérapies complémentaires et non conventionnelles. Entre l’ostéopathie, la microkinésie-thérapie et la kinésie (et j’en oublie) c’est le grand foutoir international. Dix ans d’études par là, 14 ou 4 ailleurs et zéro pour d’autres pays qui ne connaissent pas le chiropracteur avec des tarifs sortis d’un PMU illogique. Toutes les opérations de chirurgie sont-elles bien nécessaires ? Il n’y a pas que BigPharma à réformer ! Et les rebouteux ont encore leur place sur le marché sans parler des Chinois qui sont furax d’avoir été écartés des normes occidentales de santé à l’ISO et à l’OMS. Un jour, il sera possible d’utiliser le DMP, actuellement, c’est trop ambitieux et il reste du boulot sur la planche pour nous tous !

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