Le numérique est-il utile en médecine et si oui, pour faire quoi ? Poser la question pourrait passer pour de l’idiotie tant le discours ambiant est que le numérique va tout révolutionner, y compris la santé. Pourtant, lorsque l’on se rend chez le médecin ou à l’hôpital, l’utilité du numérique ne saute pas aux yeux. Mon avis ? La révolution actuelle est plus celle du patient que celle de la technologie.
Le numérique santé ?
Le premier point à éclaircir est de savoir ce qui se cache derrière cette notion de « santé numérique ». La réalité est multiple puisque cela concerne tout ce qui touche à l’utilisation des technologies de la communication et de l’information dans le monde de la santé : le web, les Apps santé, le dossier médical informatisé, le dossier électronique du patient, la communication électronique, la télémédecine, les médias sociaux, les objets connectés, l’intelligence artificielle, le big data et mille autres innovations.
Le web
Même si elle n’est plus vraiment nouvelle, la plus grande innovation numérique reste à mes yeux le web. Ce réseau informatique a permis l’apparition de nouveaux services. On peut penser à la possibilité pour le patient de prendre rendez-vous chez son médecin par Internet, mais la grande révolution est surtout l’accès facilité, pour les patients, à l’information santé. Avant le web, seuls les professionnels de la santé avaient accès au savoir, désormais les citoyens peuvent aussi s’informer. Avec la disparition de cette asymétrie d’accès à l’information, la relation soignant – soigné peut évoluer vers une relation de partenariat, plus riche pour le patient mais aussi pour le professionnel de la santé.
A lire aussi sur ce blog : Comment trouver une information médicale de qualité sur Internet ?
Même si l’accès aux sites web santé est naturellement aussi utile aux professionnels de la santé, c’est l’utilisation faite par les patients qui représente un vrai changement, simplement car l’accès au savoir a permis aux patients d’être plus actifs dans la prise en charge de leur santé.
Les Apps santé
Quant aux applications santé pour smartphone, le résultat est le même, les applications qui se sont révélées les plus utiles sont celles qui renforcent le rôle du patient. Même si de très nombreuses applications dites de santé n’ont en réalité aucune validité, une minorité d’applications ont prouvé leur utilité. Elles portent sur la promotion des changements d’habitude de vie1, sur la gestion de la douleur2 et sur la réhabilitation cardiaque3.
Les Apps santé les plus utiles sont celles qui favorisent l’accès aux soins ou qui rapprochent patients et professionnels de la santé. Quelques exemples ? L’application « Urgence Lausanne » qui aide les Vaudois à trouver le centre d’urgences médicales le plus proche et le plus disponible dans tout Lausanne, InfoKids développé par les Hôpitaux universitaires de Genève et destinée aux parents dont les enfants nécessitent une consultation médicale urgente ou encore l’App Moovcare qui réduit la fréquence des récidives du cancer du poumon par une meilleure communication patient – médecin.
Les soins à distance
Ceux qui me font le plaisir de lire régulièrement ce blog savent l’importance que j’accorde aux soins à distance, par exemple à l’utilisation du courrier électronique entre le patient et son médecin ou à la téléconsultation, la prochaine grande innovation qui va bouleverser le monde de la santé.
On retrouve dans ces deux exemples les mêmes ingrédients, un meilleur accès aux soins et un renforcement de la relation patient professionnel de la santé.
Le patient augmenté
Il est bien sûr possible d’argumenter qu’il est logique que ces innovations concernent les patients, qui restent de toute évidence les principaux concernés. Il n’en demeure pas moins que les services et dispositifs numériquement utiles sont ceux qui renforcent le patient, en faisant de lui un « patient augmenté ».
Un des grands défis de ce 21ème siècle sera de réussir le mariage entre la médecine clinique et le numérique. Ce virage numérique ne sera couronné de succès que s’il est centré sur les réels besoins des patients.
Et si la révolution actuelle était surtout celle des patients?
- P Lunde BB Nilsson A Bergland KJ Kvaerner A. Bye The effectiveness of smartphone apps for lifestyle improvement in noncommunicable diseases : systematic review and meta-analyses. J Med Internet Res 2018 (20)
- SE Thurnheer I Gravestock G Pichierri J Steurer JM. Burgstaller Benefits of mobile apps in pain management : systematic review. JMIR mHealth uHealth 2018 (6)
- SJ Hamilton B Mills EM Birch SC. Thompson Smartphones in the secondary prevention of cardiovascular disease : a systematic review. BMC Cardiovasc Disord 2018(18)
A lire aussi sur ce blog à propos des patients acteurs de leur santé :
- Vous souhaitez être bien soigné? Mode d’emploi
- ConseilsPatients.ch, un cours en ligne (gratuit) pour devenir un patient actif !
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Article très intéressant, merci, toutefois deux choses ne frappent:
1. J’ai l’impression qu’il aurait pu être écrit des années en arrière, preuve que le monde médical n’a pas tellement évolué.
2. Il me semble qu’il manque l’évocation des réseaux sociaux, qui ont permis aux patients d’avoir une voix et aussi de s’organiser entre eux en communautés, ce qui est également très important pour leur empowerment. Ces communautés de patients ne doivent pas être sous-estimées et même, elles devraient être plus souvent utilisées par les professionnels de la santé comme outil pédagogique.
Il y a encore trop de patients qui n’osent même pas dire à leurs soignants qu’ils utilisent Internet de peur d’être mal reçus or, les professionnels santé pourraient mieux accompagner les patients vers des informations de qualité s’ils le savaient, rendant Internet réellement utile.
Bonjour Christine,
Je n’ai pas parlé des communautés de patients pour deux raisons en tout cas. La première est que mon objectif n’était pas de lister tous les services numériques utiles aux patients mais simplement de montrer que les développements les plus utiles sont ceux qui s’adressent vraiment aux besoins des patients. Deuxième raison, même si je suis convaincu que les communautés sont pour les patients souffrant de maladies chroniques, graves ou rares des sources d’information très précieuses, je suis inquiet de l’utilisation des données faites par certains géants de l’Internet, Facebook en particulier. J’en avais parlé dans cet article “Doit-on continuer à publier sur les réseaux sociaux ?” (https://bit.ly/2jHIMLq). Si les groupes sont privés et gérés par les patients, ok, lorsque ce sont des groupes Facebook, je suis beaucoup moins enthousiaste !
Jean Gabriel
Merci pour vos articles qui s’adressent aux patients existants ou potentiels, accessibles et néanmoins sérieux (vous reconnaissez notre besoin de savoir, c’est ce que vous prenez au sérieux en premier).
Un des arguments que j’ai entendu, est que la consultation à distance ne remplace pas la présence du patient pour le médecin, et inversement, en précisant toutefois qu’elle peut être une entrée en matière avant un rendez-vous, ou utile pour orienter déjà le patient vers un spécialiste. Dans plusieurs situations que j’avais vécues avec mon ancien médecin généraliste aujourd’hui à la retraite, j’avais pensé chaque fois après : “Eh bien j’aurais préféré une téléconsultation, peut-être plus froide pour le climat, mais qui m’aurait donné plus de chances de ne pas être mal compris…” Mais à cette époque ce service était encore à ses débuts, et l’ordinateur pour un patient de plus de cinquante ans moins accessible qu’actuellement. Mon but dans ce commentaire n’est pas de donner la liste de mes mauvaises expériences au cabinet du médecin, mais un seul exemple à titre de modèle : Je me sentais dépressif, et j’identifiais les symptômes que l’on cite, mais tout en doutant de moi dans un sens ou dans l’autre. Parce que quelque part je souhaitais ne pas être dépressif, je niais donc mes symptômes bien qu’ils étaient constants et concordants. Et dans l’autre sens je me surprenais à penser : “Oui, je suis dépressif, mais me soigner pour soigner quoi ?.. Je suis foutu…” Cette pensée pouvait confirmer que j’étais réellement malade, mais là je n’avais plus le recul nécessaire… J’ai pris quand même rendez-vous pour “autre chose”, mon subconscient avait trouvé une solution pour me donner une chance de me tromper sur l’inutilité de me soigner… Devant mon médecin généraliste, je me suis gardé d’exposer d’entrée mes symptômes, pour plutôt commencer par lui dire : “Je pense que je suis dépressif…” Et j’attendais qu’il me pose des questions. Mais rien… Je me suis alors demandé rapidement : “Est-ce que je vais lui dire ce qui ne va pas, comment je me sens, et que peut-être je vais mourir…” Puis : “Non ! Il croira que je fais du théâtre pour être pris au sérieux, et déjà son instrument de mesure sera complètement faussé, je me tais…» Nous sommes donc passés à “l’autre chose” pour laquelle j’avais pris mon rendez-vous, puis le prochain rendez-vous fixé dans trois mois… Ces trois mois ont été très pénibles, et cette fois-ci en arrivant chez le médecin je n’ai pas attendu ni voulu hésiter pour lui déclarer : “Je pense que je suis réellement dépressif, est-ce que vous seriez d’accord de me prescrire un antidépresseur ?..” Il ne m’a pas répondu, mais déjà il rédigeait l’ordonnance, puis me l’a tendue par-dessus le bureau… Cela était inattendu pour moi, et je lui ai alors posé la question : “Vous êtes donc d’avis comme moi que je suis dépressif, pourquoi ne m’avoir alors pas proposé le médicament déjà il y a trois mois ?..” Sa réponse : “Parce que si je vous l’avais proposé, vous ne l’auriez pas pris, j’ai attendu que vous me le demandiez”. Ma réponse avait été nette et pas très gentille : “Heureusement que les comprimés, eux, obéissent sans problème quand je les pose sur ma langue pour les avaler, ils ne feront pas demi-tour !” Il ne l’avait pas trop mal pris, puisqu’il me connaissait déjà sous cet angle : “Ah… Votre humour…” Une seule fois en dix ans, j’avais suspendu ma prise de médicament, pour l’en informer au rendez-vous. Je croyais devoir prendre des régulateurs de tension artérielle en raison de mon stress à une situation professionnelle, et cette situation étant passée, j’avais fait le raisonnement que ma pression allait rejoindre un niveau normal… J’avais ainsi expliqué le malentendu, avant qu’il me réponde : “Vous devrez prendre ce médicament toute votre vie, c’est évident !” Oui, oui, d’accord, mais vous auriez pu me le dire plus tôt, au lieu de me parler d’un seul coup de “toute ma vie”. Je lui avais alors dit : “J’ai compris, mes artères sont rigides, vous n’aviez pas jugé utile de me le dire, ni maintenant ni avant, et je comprends que votre esprit l’est aussi pour savoir mettre à l’aise son patient, c’est évident » Lui : « J’aime votre humour… »
Je n’oublie pas le sujet de la consultation à distance : On peut reprocher à celle-ci de défavoriser la proximité au sens large, soit la connaissance du patient dans son comportement, par exemple. Mais dans mon cas que j’ai relaté, et d’autres que j’aurais à citer, je pense que le médecin derrière l’écran aurait choisi un chemin plus court pour m’aider, et même certainement moi aussi pour exposer sans détour ce que je voulais, et insister ! Une communication qui aurait mieux fonctionné, simplement entre personnes. Mais je ne dirai quand même pas : “C’est évident…”
Bonjour,
Merci pour votre message, j’y réponds pas deux commentaires.
L’histoire que vous racontez nous montre que malgré les progrès de la technologie, le plus important en médecine reste l’humain, une consultation est, ou devrait être, une rencontre, une rencontre entre une personne qui cherche de l’aide et une autre qui l’écoute, qui la conseille, qui l’accompagne, qui prend soin d’elle.
Deuxième élément très intéressant de votre commentaire, vous vous demandez si vous n’auriez pas été mieux entendu dans le cadre d’une téléconsultation que lors d’une consultation traditionnelle, présentielle. A nouveau, la qualité de l’écoute dépend plus du soignant que du type de consultation mais votre remarque est pertinente puisque les études nous montrent que lors des téléconsultations, le cadre physique qui oblige chacun des intervenants à être fixé à un écran, que cela les oblige à être plus concentré sur l’échange que lors d’une consultation traditionnelle.
Merci pour votre message, prenez soin de vous !
JG Jeannot
Merci de m’avoir répondu par ces deux paragraphes.
Le premier : Dans mon histoire, au premier rendez-vous, le médecin m’avait bel et bien écouté, et je pense même qu’il suspectait une dépression déjà plus tôt. Sinon le diagnostic pour lequel il ne se trompait pas aurait été plutôt rapide : Trois minutes, sur la base de ma déclaration « Je pense que je suis dépressif… » (finalement ce n’était que mon diagnostic), et que restait-il alors pour lui à déceler, sinon peut-être le ton de la voix, l’expression du visage, ou d’autres signes que j’ignore… C’est maintenant que je pense seulement qu’il ne m’avait pas fait attendre trois mois, mais six ! Et cela me met en colère ! Mais bon, je préfère être en colère que triste, puis rire et oublier.
Le second : « L’échange par l’intermédiaire d’écrans oblige à être plus concentré que dans une consultation traditionnelle ». Dans le cas que j’ai exposé (parce qu’il peut y en avoir beaucoup d’autres et ce n’en est qu’un), j’estime que mon médecin aurait pu mieux se concentrer que cela n’aurait rien changé. Il s’est simplement trompé en me mettant dans le panier des patients qui acceptent la prescription en disant « Merci Docteur », et mettent ensuite les emballages dans le tiroir. Il a voulu faire mieux que de ne prescrire qu’en fonction du besoin biochimique relatif à la dépression, il a voulu tenir compte de ma psychologie, mais mal comprise, et a exercé une manipulation « pour mon bien » (comme on le fait avec un enfant pour qu’il ne prenne pas le sens contraire de ce que l’on veut). La téléconsultation, à mon idée, aurait permis au médecin qui n’aurait pas eu le temps de « mieux me connaître », de se contenter de la priorité simple de me soigner, en me recevant comme un nouveau patient, à blanc. Parce qu’à la fois, s’il pouvait être posoitif le généraliste de mon histoire prenne une part de temps pour dresser mon profil psychologique, celui-ci a été « vite fait ». Par analogie je pense au psychiatre attentif aux tremblements d’un patient durant les entretiens, qui les attribuerait à un caractère émotif parce que l’emploi prioritaire de son temps ne lui permet pas de faire le tour des causes possibles, pour demander à celui-ci s’il a des tremblements aussi quand il est à la maison, ou dans d’autres situations, etc… Mon généraliste, lui, aurait aussi pu aussi me demander dès le début : « Si je vous prescris un antidépresseur, parce que j’estime que vous en avez besoin, est-ce que vous le prendrez ?.. » Au lieu de cela il a fait un travail de psychologue mi-figue mi-raisin. Mieux vaut rien du tout ! Donc à mon idée la téléconsultation dans ce cas aurait été préférable à la télépsychologie pratiquée entre ce médecin et son patient, à deux mètres l’un de l’autre.
Merci d’avoir lu ce commentaire que j’espère pas inutile. Et je comprendrai si vous n’avez pas le temps d’y répondre, dans un autre contexte que ce que j’expose plus haut !