Dilemme ferroviaire à Genève: une nouvelle affaire Tournesol?

Il était une fois une République industrieuse et prospère, nichée entre Jura, Alpes et Léman, encerclée par un grand pays francophone et partenaire d’une vénérable Confédération. Soucieuse de son avenir et de sa mobilité, cette République échafaude des plans pour son chemin de fer, dont le fleuron, l’audacieuse raquette, doit raccorder les zones très peuplées du sud à l’aéroport, centre vital du nord. Mais les Administrations en charge de ce projet, représentées aujourd’hui par deux de leurs fonctionnaires les plus zélés, MM. Dupond et Dupont, vont se heurter aux incantations prophétiques d’un étranger à la République, le professeur Tournesol, partisan d’une élégante boucle par l’aéroport(6). Nous avons tenté de retranscrire le plus fidèlement possible l’échange de ces trois protagonistes, douillettement installés à l’hôtel Cornavin, à deux pas des Grottes.

Dupondt: – La gare de Genève-Cornavin étouffe. Je dirais même plus, la gare fait boum! Son extension en surface, vers le nord, menaçait frontalement le quartier historique des Grottes, et les Administrations ont reculé sous la pression populaire. Mais un sage, Martin Graf, nous a mis sur la piste: une gare souterraine à deux voies (Cornavin 2 sur la Fig. 1), enfouie sous l’actuelle gare de Cornavin (Cornavin 1), sera la solution. Il est vrai que l’accès à Cornavin 2 exige quelques aménagements: depuis l’est, un tunnel à double voie de Sécheron à Cornavin; depuis l’ouest, une voie unique, essentiellement souterraine, de la bifurcation de Furet jusqu’à Cornavin 2(1). On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs: le budget s’élève à 1,67 milliard de CHF, dont 1,09 milliard à la charge de la Confédération et 527 millions couverts par le canton et la ville(2). Cette étape est formellement décidée, les études sont en cours et l’achèvement des travaux planifié pour 2031.

Fig. 1: La raquette des Administrations: deux demi-gares souterraines Cornavin 2 et 3, puis un tronçon Cornavin 1–Nations–Aéroport 2–Zimeysa complémentaire du réseau Léman Express. En rouge: aménagements à entreprendre; Bif.: bifurcation (figure de Rodolphe Weibel).

Tournesol: – Un grand bravo pour cette initiative qui sauve les Grottes! Avec un petit regret tout de même: les habitants de ce quartier vont subir les nuisances d’un chantier majeur pendant six ans au moins… Mais ce qui me préoccupe avant tout, c’est l’avenir plus lointain, puisque, selon les planificateurs, deux voies ne seront pas suffisantes pour le trafic d’après-demain.

Dupondt: – Facile! On construit, toujours en souterrain, deux voies supplémentaires avec un nouveau quai; je dirais même plus, une seconde gare enterrée, Cornavin 3, au nord de la précédente. L’accès depuis l’ouest nécessite une nouvelle voie unique, essentiellement en tunnel, reliant la bifurcation de Châtelaine à Cornavin. Le budget s’élève à environ 1 milliard et l’achèvement des travaux serait attendu aux alentours de 2040(1).

Tournesol: – Vous avez parfaitement résolu le problème de Cornavin, mais infligé cette fois au moins douze ans de travaux cyclopéens aux Grottes, en deux étapes… Ces Grottes qui cherchaient désespérément un destin paisible, comme d’ailleurs l’hôtel Cornavin où j’ai mes habitudes, depuis l’affaire Tournesol(7). Le chantier de la seconde gare enterrée menace directement l’hôtel Le Montbrillant et sa brasserie, avec une calamité suprême, la démolition possible de l’îlot (Fig. 2).

Fig. 2: Les menaces de l’extension de la gare de Cornavin sur le quartier des Grottes; en rouge: périmètre de la 1ère gare souterraine; en bleu: 2e gare souterraine (figure de Rodolphe Weibel).

Dupondt: – Les Grottes vont souffrir, c’est vrai… et un nouveau soulèvement populaire est à redouter… Mais avez-vous mieux à proposer?

Tournesol: – Examinons ensemble les causes de l’encombrement de Cornavin; au contraire de Lausanne, où les trains qui arrivent repartent sans espoir de retour, chaque convoi quittant Cornavin à destination de l’aéroport doit y faire impérativement demi-tour pour réapparaître à Cornavin dans la demi-heure qui suit: le mal absolu, c’est la gare en cul-de-sac, qui condamne Genève-Aéroport à accueillir six misérables trains par heure!

Dupondt: – Pourrait-on éradiquer le mal absolu? Je dirais même plus, tabasser l’impasse?

Tournesol: – Cette piste me semble prometteuse. Vérification faite, le concepteur de la gare Aéroport, l’ingénieur CFF Rodolphe Nieth, avait anticipé dès 1981 un éventuel prolongement vers l’est: les espaces sont sauvegardés, la voie est donc libre! Vous constatez que ce projet de boucle n’est pas le mien; Jean-Philippe Maître, alors conseiller d’Etat, l’évoquait déjà publiquement en 1987, à l’occasion de l’inauguration de la gare, il y a 32 ans(8), tandis que Rodolphe Nieth planifiait son aménagement la même année (Fig. 3)(10)!

Fig. 3: La boucle historique, due à Rodolphe Nieth, ingénieur CFF et responsable du tronçon Cornavin–Aéroport; cette figure, tirée de la référence(10), résume les conclusions du rapport CFF du 25 septembre 1987, rédigé par Rodolphe Nieth.

Dupondt: – Et que faire de cette voie qui part à l’est? La raccorder à la ligne historique Genève-Lausanne? C’est vrai que sur la carte (Fig. 4), c’est presqu’une évidence: il n’y que 4’800 mètres, en ligne droite, du fond du cul-de-sac jusqu’à la halte de Genthod-Bellevue… Du coup, l’interminable chantier des Grottes est remplacé par un aménagement beaucoup plus rapide, essentiellement en surface, le long de l’autoroute et loin du centre-ville.

Fig. 4: Boucle de l’aéroport selon l’association Genève Route et Rail (GeReR) et l’ingénieur Rodolphe Weibel: un axe Aéroport–Genthod et deux raccordements du Vengeron et de Blandonnet. En rouge: aménagements à réaliser; Bif.: bifurcation; Racc.: raccordement (figure de Rodolphe Weibel).

Tournesol: – La boucle ainsi créée permet à tout train en provenance de Lausanne de traverser la gare de l’aéroport sans avoir à y rebrousser chemin. Chaque train desservant Genève n’emprunte qu’une fois le tronçon Aéroport–Cornavin–Genthod (ou vice-versa), alors que l’actuelle gare en cul-de-sac impose à chaque convoi de parcourir deux fois le même trajet. Pour la même fréquence de desserte, la charge de Cornavin est réduite de moitié: toute transformation de cette gare est dès lors superflue.

Dupondt: – Malgré son élégance, votre fameuse  boucle ne résout en rien notre objectif final, la raquette. Celle-ci constitue un prolongement naturel du Léman Express(3) pour desservir, à partir de Bernex,  les deux pôles principaux de l’aéroport (dont l’expansion est planifiée)(4) et de la zone industrielle Zimeysa, en plein développement (Fig. 1). La raquette inclut l’aménagement de deux gares souterraines, à la place des Nations et à l’aéroport (gare Aéroport 2), à une dizaine de mètres sous la gare actuelle (gare Aéroport 1).

Tournesol: – La nouvelle antenne de Bernex–Lancy-Pont-Rouge n’entraîne aucune transformation majeure du réseau actuel  du Léman Express jusqu’à Cornavin. De là à l’aéroport, il faudrait maintenant déboucher sur le nouvel axe Aéroport-Genthod via un raccordement du côté du Vengeron (Fig. 4) et sacrifier la station Nations: c’est manifestement jouable.

Dupondt: – Se pose alors la question cruciale: la gare Aéroport, avec ses quatre voies historiques, peut-elle recevoir, en sus des trains grandes lignes, le trafic régional du Léman Express?

Tournesol: – Je vous rassure! En faisant sauter le bouchon de l’aéroport, vous laissez passer 12 trains par heure, dans chaque sens(5), donc bien assez pour rajouter aux 6 trains grandes lignes les 6 trains régionaux du Léman Express, soit un convoi toutes les 10 minutes, dans chaque sens!

Dupondt: – Et comment gagner notre zone en pleine zizanie, Zimeysa, depuis l’aéroport?

Tournesol: – La carte vous répond (Fig. 4): un modeste raccordement, à Blandonnet, suffit pour accrocher la gare Aéroport à la ligne de la Plaine, en direction de Zimeysa, puis Satigny et peut-être, un jour, Bellegarde. Dans sa grande sagesse, le Conseil d’Etat y a réservé des terrains en 1991 déjà!(9).

Dupondt: – J’ai le curieux pressentiment que notre percée du cul-de-sac, une forme de déculottée, serait plus simple, plus rapide à réaliser, plus économique à financer. Je dirais même plus, notre dissolution de l’occlusion est la solution.

Tournesol: – La boucle est manifestement moins onéreuse que la raquette, et je l’évalue à environ 740 millions pour transformer la gare Aéroport en l’ouvrant à l’est, aménager un tronçon essentiellement en surface jusqu’à Genthod et construire les deux courts raccordements du Vengeron et de Blandonnet, avec un délai de réalisation autour de 2030. De votre côté, l’aménagement de trois gares souterraines majeures (Cornavin 2, Cornavin 3 et Aéroport 2) complétées par de longs accès enterrés et d’une nouvelle ligne régionale Cornavin–Nations–Aéroport 2–Zimeysa, se  monte à 4,7 milliards avec un horizon de réalisation à 2045.

Dupondt: – Ces chiffres nous donnent le tournis; je dirais même plus, ces perspectives nous dessèchent. Allons boire le verre de l’amitié pour célébrer cette déculottée!

Tournesol: – Visons les Grottes. Les habitants de ce quartier, que nous venons de sauver pour une seconde fois, nous doivent bien une tournée mémorable!

Un peu plus tard, les mêmes protagonistes ont investi un estaminet tapi au fond des Grottes.

Dupondt: –Dans l’allégresse de nos débats, nous avons oublié l’essentiel: l’aménagement de la 1ère gare souterraine avec ses voies d’accès est aujourd’hui décidé et financé à tous les niveaux de l’Etat. Nous n’allons pas nous ériger contre un processus éminemment démocratique!

Tournesol: – Je vous écoute et, une fois n’est pas coutume, je vous entends. Un simple rappel: la construction de la 2e gare souterraine de Cornavin est à elle seule plus coûteuse que la boucle complète: 1 milliard contre 740 millions. Tout est alors clair: creusons la première gare, puis bouclons la boucle!

Dupondt: – Certes, certes… Mais il reste une dernière embûche, l’appellation du projet final qui doit marier boucle et raquette. J’hésite: bouclette ou racle? Je dirais même plus: boulette ou raclette?

Tournesol: – Vous avez trouvé le mot de la faim: c’est bien sûr une raclette qui s’impose, séance tenante! Passons à table avant que les marteaux piqueurs n’ébranlent ce coin de paradis!

Daniel Mange, 1 mars 2019

Références

(1) Gare Cornavin, extension souterraine. Etude préliminaire 2015. Rapport technique, OFT, Canton et Ville de Genève, CFF, 7 novembre 2015, pp. 5 et 16.

(2) Convention cadre relative à l’extension de capacité du nœud de Genève, OFT, République et canton de Genève, Ville de Genève, CFF, 7 décembre 2015, p. 5.

(3) Stratégie ferroviaire 2040-2050, Canton de Genève, 2018.

(4) D’après le Forum économique romand (rencontre du 13 juin 2017), le chiffre de 25 millions de passagers aériens a été évoqué pour 2025, soit une moyenne de 70’000 par jour, avec des pointes de 100’000 par jour. L’efficacité de la combinaison entre avion et train est évidente, car ils sont tous deux des transports collectifs à forte capacité; cette combinaison contribuerait à accentuer le transfert de la route au rail dans toute l’agglomération genevoise, voire au-delà.

 (5) R. Weibel, Genève ferroviaire, un contre-projet, Le Temps, 21 juin 2017, p. 10.

(6) G. Ploujoux, Histoire des transports publics dans le canton de Genève. Volume 4: Du XXe au XXIe siècle, Editions du Tricorne, Genève, 2018, pp. 340-342.

(7) Hergé, L’affaire Tournesol, Casterman, Paris et Bruxelles, 1956.

(8) A. Crettenand, Jean-Philippe Maître explique «Un atout formidable pour la Suisse romande», Journal de Genève, 25 mai 1987, p. 16.

(9) G. Ploujoux, Histoire des transports publics dans le canton de Genève. Volume 3: Le XXe siècle (2e partie), Editions du Tricorne, Genève, 2015, p. 333.

(10) R. Nieth, Le raccordement ferroviaire Cornavin–Cointrin, route et trafic, No 5, mai 1988, pp. 293-297.

 

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Stratégie ferroviaire: le dogme central revisité

Au royaume de la biologie règne le dogme central: le programme génétique, notre ADN (acide désoxyribonucléique), produit mécaniquement le flot de protéines nécessitées par le développement de notre corps et par son fonctionnement. La règle de cette production est universelle pour tous les organismes vivants(1).

Moins connu, le dogme central de la stratégie ferroviaire se résume à la règle suivante: l’offre détermine l’infrastructure; en d’autres termes, l’horaire offert aux usagers définit les installations de voie et les gares nécessaires. A première vue, ce dogme n’est pas choquant; l’exemple de la ligne Genève–Coppet va démontrer les limites de cette approche.

Le cas de la ligne Genève–Coppet

Dans le cadre du projet Rail 2000, la décision a été prise de renforcer massivement le trafic régional entre ces deux agglomérations, à la cadence de 30 minutes (soit deux trains par heure, dans chaque sens). A partir de cette offre, une ligne à voie unique, réservée au seul trafic régional, est construite au sud des deux voies de l’artère existante Genève–Lausanne; un seul point de croisement, à Creux-de-Genthod (à mi-chemin entre Genève et Coppet), suffit pour en assurer l’exploitation et permettre le croisement des convois (Fig. 1).

Fig. 1: Tronçon Genève–Coppet à trois voies (Eisenbahnatlas Schweiz, Schweers+Wall, Aachen, 2012).

Avec le nouveau tronçon Cornavin–Eaux-Vives–Annemasse (CEVA), c’est un réseau régional franco-suisse de grande envergure qui sera mis en service le 15 décembre 2019. Les convois du Léman Express circuleront alors tous les quarts d’heure entre Genève et Coppet (quatre trains par heure) et vice-versa: le doublement de la cadence entraîne mécaniquement le doublement du nombre des gares de croisement, et les stations de Chambésy (entre Genève et Creux-de-Genthod) et de Mies (entre Creux-de-Genthod et Coppet) ont été alors aménagées à grands frais (116 millions de CHF) et après d’interminables procédures pour lever les recours et acquérir les terrains nécessités par l’élargissement de l’infrastructure(2) (Fig. 2).

Fig. 2: Gare de Mies avec nouveau point de croisement; à gauche, les deux voies du trafic régional avec leur quai central, à droite les deux voies du trafic grandes lignes (photo CFF).

Une hypothétique amélioration de l’offre, un passage à la cadence de 7,5 minutes (soit huit trains par heure, dans chaque sens), nécessiterait théoriquement un nouveau doublement du nombre des points de croisement, soit quatre stations supplémentaires… On imagine le coût et les procédures générés par une telle opération(3). On constate que le changement de l’offre affecte très profondément les besoins en infrastructure. Et le doute surgit: faut-il, à chaque changement d’horaire (une fois par an), modifier substantiellement l’infrastructure dont la durée de vie est beaucoup plus longue, de l’ordre de 50 à 100 ans?

Le cas de la ligne Genève–Lausanne et de la boucle de l’aéroport

Dans le cadre de l’étape d’aménagement 2035 du PRODES (programme de développement stratégique de l’infrastructure ferroviaire), qui sera prochainement discutée aux Chambres fédérales, le seul changement de l’offre des convois RegioExpress sur l’axe Genève–Lausanne (cadence au quart d’heure au lieu de la demi-heure) entraîne, d’après les planificateurs, la construction d’une 3e  voie entre Allaman et Saint-Prex (4,6 km) pour un budget de 810 millions de CHF(4). La fragilité d’une telle démarche saute aux yeux: le moindre changement supplémentaire de l’horaire 2035 (dans 16 ans!) bouleversera les données d’aujourd’hui et conduira à d’autres plans.

Il en est de même pour la fameuse boucle de l’aéroport de Cointrin, permettant aux convois arrivant de Genève-Cornavin de repartir directement vers Lausanne, sans rebroussement (Fig. 3). Ce projet(6) (défendu par l’association Genève Route et Rail (GeReR), est momentanément au point mort car les autorités, les administrations et les CFF prétendent qu’il se heurte frontalement aux contraintes de l’horaire d’aujourd’hui. Mais la durée de vie d’une infrastructure de transport s’étend bien au-delà de l’horaire actuel; de ce fait, il n’est a priori pas raisonnable de faire de cet horaire une contrainte incontournable. 

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Fig. 3: Boucle de l’aéroport (selon Rodolphe Weibel, blog de la Tribune de Genève, 21 juin 2017).

Retour aux pionniers

Les pionniers du chemin de fer n’avaient pas d’offre à satisfaire: ils ont bâti des lignes avec une vision à long terme des flux de trafic potentiels; la plupart du temps, ils ont vu juste et les dimensions généreuses de leurs infrastructures sont encore d’actualité. A l’image de ces pionniers, soyons généreux dans notre approche: une ligne nouvelle, à double voie, devra tôt ou tard relier Genève à Lausanne, puis à Fribourg et Berne; une boucle par l’aéroport, toujours à double voie, reliera Genève-Cornavin à la ligne historique Genève–Lausanne ainsi qu’à la ligne nouvelle reliant ces deux métropoles.

Revisitons le dogme qui subordonne l’infrastructure –bâtie pour le long terme– à l’offre qui reflète les besoins du court terme. Bâtissons d’abord pour l’avenir lointain, en fonction d’une vision(5), puis adaptons l’offre aux péripéties du moment.

Daniel Mange, 1 février 2019

 

Références

(1) Notre ADN est un message chimique bâti sur 4 composants désignés par les lettres A, C, G et T: chaque triplet de ces lettres ou génotype (par exemple ACG) détermine de façon univoque un acide aminé parmi une liste de 22, le phénotype (thréonine dans notre exemple); l’assemblage de ces acides aminés constitue une protéine. Le tableau de conversion génotype–>phénotype se trouve par exemple dans Wikipédia.

(2) G. Ploujoux, Histoire des transports publics dans le canton de Genève. Volume 4: Du XXe au XXIe siècle, Editions du Tricorne, Genève, 2018, pp. 321-322.

(3) L’ingénieur Rodolphe Weibel a étudié en détail le tronçon Genève–Coppet en vue du passage à la cadence de 7,5 minutes. En tenant compte des paramètres détaillés du matériel roulant et de tous les tronçons de cette ligne, y compris le cas particulier de Cornavin–Sécheron qui n’est pas à voie unique, il obtient une telle cadence avec l’insertion de deux nouveaux points de croisement seulement, aux Tuileries et à Versoix.

 (4) Procédure de consultation concernant l’étape d’aménagement de l’infrastructure ferroviaire 2030/35, Confédération suisse, Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC), Berne, 29 septembre 2017, pp. 22, 28 et 57.

(5) R. Weibel, correspondance privée, 8 janvier 2019: «Il est strictement impossible de définir une offre sans avoir préalablement défini un réseau, ou une extension de réseau. Le dessin d’un réseau ou d’une extension doit être basé sur: (1) une demande, ou plutôt un besoin de transport. (2) La géographie: topographie, urbanisation, populations et activités productrices, géologie, etc. (3) Les réseaux déjà en place, ou en cours de mise en place: routier, ferroviaire, aérien, lacustre. (4) Sur chaque réseau esquissé, ou pour chaque extension de réseau, il faut examiner les offres possibles; la demande ayant été prise en compte au chiffre 1, l’offre correspondante va de soi; mais l’offre va certainement pouvoir être étendue au-delà de celle-ci, et il convient de tenir compte des avantages connexes que représentent ces offres supplémentaires. (5) Enfin, pour chaque cas (réseau défini et offre correspondante), il faut pondérer les critères, et établir la balance des avantages et des inconvénients, pour retenir le cas le plus favorable.»

 (6) R. Weibel, Genève ferroviaire, un contre-projet, Le Temps, 21 juin 2017, p. 10.

 

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Ich bin auch ein Berliner

Berne–Berlin en 8 heures et 24 minutes

Malgré l’anémie du trafic ferroviaire international, il est encore possible aujourd’hui, en 2018, de rallier Berlin depuis Berne d’une seule traite, en train; sans la moindre consommation de kérosène, ni la plus petite émission de gaz à effet de serre. Mais, malgré l’aérodynamisme et la puissance de la rame allemande à grande vitesse ICE (Intercity-Express), il faudra tout de même 8 heures et 24 minutes pour passer de l’Aar à la Spree, soit une moyenne de 121,5 km/h, un peu supérieure à celle du meilleur train entre Genève et Lausanne (100,5 km/h). Pourquoi?

La tradition tout d’abord, qu’on ne bouscule pas, surtout en Suisse; notre convoi s’arrêtera donc à Bâle CFF (14 minutes), avec un rebroussement obligatoire, puis à la gare badoise (4 minutes): nul n’oserait suggérer de court-circuiter la gare centrale, via le raccordement marchandises, et d’honorer la seule gare allemande. L’infrastructure ensuite: en Allemagne, une partie du trajet profite de tronçons à grande vitesse, essentiellement de Fulda à Hildesheim, via Göttingen, puis de Wolsburg à Berlin. Mais, entre ces axes modernes, c’est le réseau historique qui domine, voire le réseau préhistorique; de Hildesheim à Wolsburg, la ligne frôle le territoire de l’ex-Allemagne de l’Est et la mise à niveau se fait encore attendre… entraînant un quart d’heure de retard pour notre périple.

Si le voyage reste long, l’hospitalité de la compagnie allemande DB (Deutsche Bahn) devrait inspirer les CFF: outre les journaux, généreusement offerts, et la liaison wifi disponible en permanence (avec une application situant le train sur la carte, avec sa vitesse), les passagers de 1ère classe peuvent commander à tout moment, à leur place, des mets froids ou chauds, servis par le personnel de la DB! Un seul bémol: si le mur de Berlin est  bien tombé, des parois antibruit ont pris le relais sur des dizaines de kilomètres, nous privant de toute découverte de la région traversée.

Exposition InnoTrans, l’avenir de la mobilité

Berlin abrite tous les deux ans l’exposition InnoTrans, «The future of mobility», consacrée au monde ferroviaire sous tous ses aspects, de la traverse en béton au siège ergonomique des pilotes, du minuscule boîtier électronique jusqu’aux systèmes informatiques les plus sophistiqués, avec, clou du spectacle, une exposition en plein air des fleurons du matériel roulant, voyageurs, marchandise et d’entretien. Cette manifestation des superlatifs (2’955 exposants de 60 pays, 137’991 visiteurs et 127 véhicules pour l’édition 2016) démontre l’incroyable diversité et l’excellente santé du chemin de fer dans le monde.

Si la grande vitesse était le thème dominant des éditions précédentes, il faut reconnaître qu’aujourd’hui l’accent est mis sur le développement durable: économiser la dépense d’énergie en innovant du côté des moteurs électriques et de l’aérodynamisme, diminuer drastiquement ou supprimer la production de dioxyde de carbone en remplaçant les bus ou les trains diesel par des véhicules électriques munis d’accumulateurs, voire de piles à combustible alimentées en hydrogène(1). Nos exploitants sont confrontés à des choix techniques difficiles, et les scientifiques seront appelés à la rescousse pour éclairer les pistes à suivre.

Quant aux projets d’automatisation du chemin de fer, rendue possible par les progrès de l’informatique et de la géolocalisation, ils sont très vigoureusement soutenus par la Commission européenne. Les buts recherchés restent l’accroissement de la capacité des lignes sans bétonnage, la sécurité, la diminution des coûts d’exploitation et l’interopérabilité, soit la possibilité de passer sans encombre d’un pays à l’autre.

De gauche à droite: nouvelles rames Stadler pour le Régional Berne-Soleure (RBS) et pour le Südostbahn (SOB) exposées à InnoTrans (photos de l’auteur).

Un retour cahin-caha

Le retour devait bien entendu se faire par Munich, pour tester la ligne nouvelle Berlin–Munich, à vrai dire un assemblage de tronçons classiques aménagés pour 200 km/h et de tronçons à grande vitesse (230 km/h); le plus récent, d’Erfurt à Bamberg, aux portes de Nuremberg, a été inauguré en 2017 avec une certaine pompe, pour commémorer un chantier concrétisant l’unité allemande. Le retard de 15 minutes est dû cette fois à des animaux divaguant sur la voie: tout n’est pas sous contrôle dans le monde ferroviaire!

Le trajet de Munich à Zurich s’avère plus corsé: deux trains sur trois sont remplacés par des bus, électrification de la ligne oblige. Le jeu de piste commence alors, impliquant une course contre la montre pour rejoindre la gare des bus, habilement dissimulée du côté du Hackerbrücke, et nécessitant donc un tronçon de S-Bahn (Stadtschnellbahn ou train express urbain), puis un marathon à travers divers escaliers, ascenseurs et passerelles jusqu’au bus convoité. Celui-ci partira pile à l’heure, mais atteindra les faubourgs de la gare de Zurich avec 29 minutes de retard, les embouteillages sont impitoyables en fin d’après-midi.

En guise de conclusion

Pour faire face à la crise climatique, les transports publics préparent une électrification totale: trains et bus puiseront leurs ressources dans des accumulateurs ou piles à combustible. Pour augmenter la capacité et la sécurité tout en diminuant les coûts, le chemin de fer sera piloté par informatique jusqu’à son automatisation complète. Décidément, le tortillard du siècle passé a disparu, et le train est aujourd’hui le fer de lance du transport moderne et du développement durable.

Daniel Mange, 8 octobre 2018

Références

(1) D. Nerbollier, De l’hydrogène pour oublier les trains diesel allemands, Le Temps, 21 septembre 2018, p.15.

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Mobilité: quelle Suisse voulons-nous?

Lettre ouverte à Mme la conseillère fédérale Doris Leuthard

En chacun de nous sommeille la nostalgie d’un paradis perdu; l’artiste suisse Jörg Müller l’a traduite mieux que quiconque dans sa série de tableaux peignant la transformation d’un éden bucolique en un entrelacs minéral d’usines, de routes et de rails («La ronde annuelle des marteaux-piqueurs ou la mutation du paysage», 1973). A l’échelle de la société, la résistance s’organise: des mouvements et autres ligues défendent avec pugnacité la nature et l’environnement, bataillant contre les nuisances des projets d’infrastructure: barrages, centrales atomiques, lignes à haute tension, téléphériques et voies de chemin de fer, rubans d’autoroute et pistes d’aéroport. Peut-on imaginer une Suisse figée dans le passé et débarrassée de toutes ces verrues de la modernité?

 Une Suisse nostalgique

Dans cette Suisse idéale, des calèches hippomobiles conduiraient nos hôtes de l’aéroport de Cointrin –à peine toléré– à l’embarcadère du pont du Mont-Blanc, d’où voguerait un bateau Belle Epoque jusqu’à Morges, Lausanne, Vevey ou Montreux. Des trains à vapeur prendraient le relais jusqu’au bout du rêve, un palace, hérité du 19e siècle, accroché à l’alpe. Cette Suisse Disneyland reposerait sur nos ressource naturelles: la beauté des lieux, la salubrité du climat et le parfum de la nostalgie, une Suisse des émotions. Notre industrie de base serait le tourisme et les branches qui la font vivre: hôtellerie, gastronomie, viticulture, agriculture, sport, transport… Les «conditions cadres», le préalable indispensable des activités économiques et sociales, se résumeraient à la pureté de l’air, la lenteur des déplacements et le silence.

Une Suisse d’avant-garde

La Suisse d’aujourd’hui a tourné le dos à son passé: elle se veut à la pointe du progrès technique et scientifique, de l’éducation et de la recherche, de l’éclosion des nouvelles entreprises et autres startups, en bref une Suisse rationnelle, qui produit des richesses. Cette ambition postule des «conditions cadres» exigeantes: écoles, universités, hôpitaux, infrastructures pour la mobilité, pour l’énergie et les télécommunications, dont l’impact sur l’environnement est souvent ressenti comme insupportable.

Vers une 3e voie: la Suisse du développement durable

Est-il possible de tracer une troisième voie, qui allie le meilleur de la Suisse nostalgique et de la Suisse d’avant-garde? Le Léman est sillonné aujourd’hui par la plus importante flotte Belle Epoque du monde, tandis qu’une multitude de convois ferroviaires «rétro», à vapeur ou électriques, nous ramènent quotidiennement au 19e siècle. Si, de son côté, la Suisse d’avant-garde concentrait son enseignement, sa recherche et son économie sur le développement pérenne de notre planète bleue –production d’énergies propres, lutte contre les pollutions, limitation du réchauffement climatique, technologies respectant l’homme et sa biosphère– alors la Suisse du développement durable pourrait concrétiser cette 3e voie. Le village musée de Ballenberg, les convois du Blonay-Chamby et les vapeurs du lac Léman côtoieraient une véritable Vallée de l’innovation, un réseau d’établissements d’enseignement et de recherche, d’entreprises et de startups, s’étendant du jet d’eau de Genève jusqu’à la Fraumünster de Zurich.

La Suisse mobile

La majorité des déplacements à l’intérieur de la Suisse se partagent aujourd’hui entre la route et le rail. Dès 1964, la route a vécu une révolution sans précédent, la construction ex nihilo d’un réseau national d’autoroutes rapprochant toutes les régions du pays. Le rail, né en 1847 entre Zurich et Baden, est resté le parent pauvre des transports: il n’a connu qu’un renouveau sur l’axe Ouest-Est, en 2004, avec l’aménagement d’une ligne nouvelle entre Berne et Olten, puis deux percées sur l’axe Nord-Sud, les tunnels de base du Lötschberg (2007) et du Saint-Gothard (2016), essentiellement consacrés au trafic des marchandises traversant l’Europe.

Renaissance du rail

Le rail a droit à une renaissance, comme la route; il mérite de nouvelles lignes à hautes performances (capacité et vitesse) plutôt que l’éternel rafistolage d’un réseau vieux de plus de 150 ans. Un plan existe, la «Croix fédérale de la mobilité», reposant sur un axe magistral de Genève à Saint-Gall, reliant toutes les métropoles du pays à l’exception de Bâle, et un axe européen, de Bâle à Chiasso par le Saint-Gothard. Nous plaidons donc pour une vision à long terme du réseau ferroviaire national, aménagé dans une technologie éprouvée, celle des trains européens à grande vitesse (TGV français, ICE allemand) roulant entre 300 et 400 km/h, pilotés quasi automatiquement par le nouveau système de sécurité ETCS (European Train Control System) et, cerise sur le gâteau, totalement compatibles avec le réseau historique. A cette vitesse, le train supplante l’avion pour des distances de 1000 km ou des trajets de 3 heures environ, et il constitue une véritable alternative au transport aérien, bruyant dans le périmètre des aéroports, gourmand en énergie fossile et grand producteur de gaz à effet de serre.

Pour des voyages plus lointains, l’avion reste aujourd’hui incontournable… à moins qu’un descendant de Swissmetro, un trouble-fête nommé Hyperloop, flottant sur un rail magnétique à plus de 1000 km/h, devienne le nouveau standard…

A l’automne 2018, le Parlement se penchera sur le message du Conseil fédéral consacré à l’étape d’aménagement 2025-2035 du PRODES (programme de développement stratégique de l’infrastructure ferroviaire): il est crucial que l’étude de la «Croix fédérale de la mobilité» fasse partie intégrante de l’Arrêté fédéral y relatif.

Références

Postulat 17.3262. Croix fédérale de la mobilité et vision du réseau ferroviaire. Accepté par le Conseil des Etats le 15.6.2017.

Motion 18.3263. Croix fédérale de la mobilité. Avancer la planification et la conception des tronçons ferroviaires suisses à grande vitesse, de frontière à frontière (N-S/E-O) à 2030/2035. Déposée au Conseil national le 15.3.2018.