Palexpo, 21 juin 2018: le pape François a célébré la messe et des milliers de pèlerins s’engouffrent dans la gare de Genève-Aéroport. Au même instant, un désespéré se jette sous le train, du côté d’Allaman. A l’allégresse de la multitude fait écho la tragédie d’une personne. Les pèlerins restent à quai pendant deux heures, pendant que la police, la justice et les CFF accomplissent leurs besognes.
Au cœur de cet accident, il y a d’abord la souffrance extrême d’un individu, dont le parcours de vie débouche sur une impasse. Ce sont bien entendu les proches, la famille, les amis qui constituent le premier soutien et le premier rempart contre la tentation d’en finir avec la vie. Des associations et institutions –comme La main tendue, Pro Juventute, le canton de Zurich, les CFF– déploient aujourd’hui de gros moyens pour la prévention du suicide.
Les pilotes de locomotives sont malheureusement aux premières loges lors de ces tragiques événements: ils ne sont jamais indemnes. Les plus résilients peuvent reprendre le travail de suite; le prix à payer peut être élevé pour ceux qui repassent en boucle le souvenir du choc, voire l’échange d’un regard avec la victime. Les équipes de secours et d’entretien, chargées de restituer la voie au trafic, de même que les voyageurs, témoins involontaires, sont bouleversés par les images d’un tel drame: ils doivent souvent faire appel à un soutien psychologique.
Enfin, à l’image des pèlerins bloqués à Genève-Aéroport, les nécessités de l’enquête suspendent totalement le trafic pendant deux à trois heures. La grogne peut monter chez les usagers du rail qui, sans explication, voient s’envoler leur avion. Toujours par souci de prévention –l’effet Werther explique que l’annonce d’un suicide peut en induire un autre, par imitation– les compagnies de transport ont d’abord modifié le langage (accident de personne a remplacé suicide), puis y ont supprimé toute allusion: il est exclusivement question de dérangement des installations…
8% des suicides sont dénombrés sur les rails, soit près de 150 par an pour toute la Suisse. Si la prévention passe impérativement par l’écoute des personnes en souffrance, elle peut aussi se concrétiser par des mesures techniques. Les Japonais généralisent les systèmes de protection sur les quais, à l’image des portes palières du métro automatique lausannois. A une autre échelle, les lignes nouvelles –parcourues par des trains à grande vitesse– sont totalement clôturées et inaccessibles aux personnes comme aux animaux.
La problématique infiniment délicate du suicide nécessite autant l’investissement humain, centré sur l’écoute, l’empathie et les soins des personnes fragiles, que les aménagements techniques, quais protégés ou lignes nouvelles barricadées au public.
Prévention et dissuasion restent les armes indissociables pour lutter contre le fléau du suicide.