Ecartement variable: j’ai fait un rêve

J’ai fait un rêve
Septembre 1986: le débat sur le projet ferroviaire Rail 2000 fait rage; le Comptoir suisse, à Lausanne, y consacre même une exposition. Peu convaincu, j’envoie ma vision aux quotidiens 24 heures et Gazette de Lausanne [1][2]. En voici un extrait:

«Rêvons donc: le 1er août 1991, Jimmy Brown, de New York, débarque à l’aé­roport de Genève; libéré de ses bagages (qui sont directement transférés), il gagne le quai No 1 de la nouvelle gare de Genève-­Cointrin. Un train moderne, multicolore, l’y attend: voitures vertes (des CFF) et bleues (du Mon­treux Oberland bernois) en direction de Montreux, Interlaken et Lucerne, voi­tures rouges (des compa­gnies Brigue-Viège-Zer­matt et Furka-Oberalp) en direction de Zermatt, Coire et Saint-Moritz. Pressé de visiter l’Exposition natio­nale suisse, Jimmy Brown s’installe dans l’une des voi­tures panoramiques pour Lucerne, à sa place réser­vée, qu’il ne quittera qu’au terme de la fabuleuse tra­versée du Pays-d’Enhaut, du Simmental et du Brünig.

Le réseau ferroviaire suisse est un amalgame de lignes à écartement normal et de lignes à voie étroite (ou métrique). La réalisa­tion de voitures ou de rames automotrices à écar­tement variable, ainsi que l’aménagement de quel­ques gares de jonction, permettrait de supprimer tout transbordement entre le ré­seau CFF de base et les principales lignes à voie étroite; le passager serait définitivement débarrassé de la corvée du change­ment de train: hantise de manquer la correspon­dance, inconfort extrême du transport des bagages.»

Le 11 décembre 2022, jour de l’inauguration du GoldenPass Express, mon rêve aura plus de 36 ans. S’est-il réalisé?

Extensions immédiates: de Montreux au centre de Berne ou au sommet du Lötschberg
Dès décembre 2022, le voyageur atteindra Interlaken depuis Montreux sans transbordement, et il vivra un seul changement d’écartement, tout en douceur, à Zweisimmen.

Mais les convois du GoldenPass Express, une fois ajustés à la voie normale, pourraient folâtrer sous d’autres cieux. Arrivé à Spiez, le «Riviera Berne Express» monterait sur Thoune et gagnerait Berne, la capitale, via Belp et la vallée de la Gürbe (Gürbetal)(Fig. 1, étape 1): avec une vitesse actuellement limitée à 100 km/h, seuls des axes secondaires s’offrent à notre rame à écartement variable. En respectant cette même contrainte, le «Jaman Lötschberg Express» bifurquerait à Spiez en direction de la ligne sommitale du Lötschberg, pour atteindre Brigue sans transbordement depuis Montreux.

Fig. 1 Carte des chemins de fer suisses avec 4 stations de transformation 1-4 (d’après le site de Thorsten Büker).
Etape 1 (en vert), gare de transformation à Zweisimmen: Montreux–Zweisimmen–Spiez–Thoune–Belp–Berne (Riviera Berne Express), Montreux–Zweisimmen–Spiez–Kandersteg–Brigue (Jaman Lötschberg Express).
Etape 2 (en rouge), gare de transformation à Interlaken Ost: Montreux–Zweisimmen–Interlaken Ost–Meiringen–Lucerne–Engelberg (GoldenPass Express), Montreux–Zweisimmen–Interlaken Ost–Meiringen–Oberwald–Coire–Saint-Moritz (Palmier Glacier Express), Lucerne­–Meiringen–Oberwald­–Brigue–Zermatt (Brünig Matterhorn Express), Berne–Interlaken Ost–Zweilütschinen–Lauterbrunnen/Grindelwald.
Etape 3 (en bleu), gare de transformation à Landquart: Zurich Aéroport–Zurich–Landquart–Davos/Saint-Moritz.
Etape 4 (en brun), gare de transformation à Montreux: Genève Aéroport­–Genève–Lausanne–Montreux–Interlaken Ost–Meiringen/Lucerne/Zermatt/Davos/Saint-Moritz.

A la différence du 3e rail, condamnant le GoldenPass Express au seul trajet Montreux–Zweisimmen–Interlaken, les convois à écartement variable peuvent explorer l’ensemble du réseau à voie normale… en respectant, pour l’instant du moins, la limitation de vitesse à 100 km/h (Fig. 2).

Nos deux exemples du Riviera Berne Express et du Jaman Lötschberg Express révèlent chacun un potentiel touristique inédit, mais n’exigent aucune infrastructure nouvelle, ni modification du matériel roulant existant: le retour sur investissement est immédiat.

Fig. 2 Convoi à écartement variable sous d’autres cieux: rame d’essai du GoldenPass Express en gare de Spiez (de gauche à droite: voiture-pilote ABst 382, voiture d’interface Bsi 292 et locomotive BLS série Re 465, photo Jean Vernet).

A l’est du nouveau: une deuxième gare de transformation à Interlaken
Le projet originel du GoldenPass, le trajet direct de Montreux à Lucerne, exige une deuxième gare de transformation, à Interlaken Ost. A l’aménagement de la station, pas évident dans un espace ferroviaire très contraint, se rajoute le problème du matériel roulant; les locomotives du Zentralbahn entraîneront les rames à écartement variable sans problème jusqu’à Meiringen, tandis que l’alimentation électrique, semblable à celle du BLS et des CFF, nécessitera la présence d’une voiture d’interface, identique ou dérivée de celle assurant la liaison Zweisimmen–Interlaken sur la voie normale du BLS (voir l’article Ecartement variable: l’accouchement au forceps du GoldenPass Express du 9 juillet 2021 sur ce blog, en précisant que la voiture d’interface actuelle est elle-même à écartement variable).

En gare de Meiringen, au pied du Brünig, un dernier défi doit être relevé: vaincre la crémaillère. La menace ultime ne vient pas de la roue dentée elle-même, mais bien plutôt de l’Ordonnance sur les chemins de fer dont l’article 69 impose, pour des raisons sécuritaires, au moins un essieu muni d’un freinage à crémaillère pour chaque véhicule remorqué [6]. Les ingénieurs sont alors confrontés au choix suivant:

  • soit développer un nouveau bogie à écartement variable, dérivé du modèle actuel EV18, mais muni d’un dispositif de freinage supplémentaire compatible avec la crémaillère Riggenbach du Zentralbahn;
  • soit imaginer, avec la bénédiction de l’Office fédéral des transports, un dispositif différent, idéalement hors des bogies: un patin électromagnétique, semblable à celui équipant notamment les voitures des tramways lausannois (Fig. 3); les tentatives du Zentralbahn en la matière seront directement utilisables (voir l’article Le crépuscule de la crémaillère du 1 septembre 2021 sur ce blog).

Fig. 3 Voiture C2 (série 139-140, construite en 1925) des Tramways lausannois munie de patins électromagnétiques entre les deux essieux (dessin de Pierre Stauffer tiré de la référence [3]).

Cette dernière solution semble, à première vue du moins, la plus simple à mettre en œuvre tout en s’affranchissant de la dépendance d’un type particulier de crémaillère.

La disparition de la crémaillère, objectif final du Zentralbahn, pose un tout autre problème au futur GoldenPass Express: la conception de rames à motorisation totale et écartement variable. Cette perspective fait l’objet d’un commentaire détaillé en fin d’article [4].

Notre GoldenPass Express ainsi équipé pourrait atteindre Lucerne, et même y rebrousser chemin pour gagner Engelberg. Le prix à payer: une station de transformation à Interlaken Ost, le développement d’un nouveau système de freinage à crémaillère et l’éventuelle mise au point d’une voiture d’interface (Fig. 1, étape 2). Last but not least: les hôteliers d’Interlaken, jadis opposés à un 3e rail en direction de Brienz, devront accepter de voir passer les voyageurs du GoldenPass Express sans séjourner sur leurs terres!

Extensions futures: tunnel du Grimsel et Oberland bernois
L’investissement consenti pour atteindre Lucerne peut-il être rentabilisé au-delà de la relation historique du GoldenPass? Avec le percement planifié du tunnel du Grimsel, entre Meiringen et Oberwald (voir l’article Ecartement variable: vers un grand réseau alpin? du 1 novembre 2021 sur ce blog), se tourne une nouvelle page de l’histoire ferroviaire de ce pays: la constitution d’un réseau métrique de 850 kilomètres. La station de transformation d’Interlaken Ost permettra aux convois à écartement variable de relier directement Montreux à Oberwald sans même faire appel à la crémaillère. Dès Oberwald, le «Palmier Glacier Express» atteindra Coire et Saint-Moritz, toujours sans transbordement; l’emprunt du réseau du Matterhorn Gotthard Bahn nécessitera l’utilisation ponctuelle de la crémaillère Abt –résolue depuis la traversée du Brünig grâce aux patins électromagnétiques– et l’adaptation à la tension d’alimentation (11 kV), légèrement inférieure à celle des CFF/BLS/Zentralbahn (15 kV). De son côté, le «Brünig Matterhorn Express» reliera Lucerne à Zermatt sans aucun rebroussement, ni changement d’écartement, mais avec deux types de crémaillère (Riggenbach de Lucerne à Meiringen, Abt d’Oberwald à Zermatt) et deux types d’alimentation (15 kV et 11 kV), nécessitant du matériel roulant remorqué à patins électromagnétiques et l’échange des locomotives à Oberwald (Fig. 1, étape 2).

Sur un plan plus local, une disposition adéquate de la gare de transformation d’Interlaken Ost permettra la concrétisation d’un vieux rêve des habitants de la Berne fédérale: gagner l’Oberland bernois, leur sanctuaire du week-end, sans transbordement à Interlaken [5]. Des convois directs Berne–Lauterbrunnen et Berne–Grindelwald sont imaginables, toujours astreints à des tronçons à crémaillère dès Zweilütschinen, sur le réseau du chemin de fer de l’Oberland bernois (Fig. 1, étape 2).

La revanche des chemins de fer rhétiques
Les chemins de fer rhétiques ont mangé leur pain noir en 1968, au moment où une ligne de bus direct entre l’aéroport de Kloten et Davos menaçait de plein fouet leur clientèle ferroviaire. Cette crise explique l’engouement de la compagnie pour le développement d’un bogie à écartement variable dans les années 1970. Ce projet, enlisé à l’époque, pourrait reprendre vie avec l’aménagement d’une gare de transformation à Landquart, permettant aux convois en provenance de Zurich Aéroport et de Zurich gare centrale de filer vers Davos d’une part, et Saint-Moritz d’autre part (Fig. 1, étape 3). La crémaillère n’est pas un obstacle pour ce réseau à adhérence, mais la mise à disposition de sillons adéquats sur la ligne principale de Zurich à Landquart pourrait être difficile à concilier avec la limitation à 100 km/h.

Et le rêve de Jimmy Brown?
Nous avons abandonné notre touriste américain à Genève, dans un train en partance pour Lucerne et son Expo 1991. Il y arrivera manifestement en retard, mais il pourra tout de même rejoindre Lucerne sans transbordement à une condition: attendre la construction d’une station de transformation à Montreux, pour passer du réseau CFF à celui du Montreux Oberland bernois.  Or les deux compagnies peaufinent aujourd’hui les futurs aménagements de cette gare, l’occasion rêvée… d’exaucer le rêve de notre voyageur (Fig. 1, étape 4)!

Quatre stations de transformation, à Zweisimmen, Interlaken Ost, Landquart et Montreux pourraient complètement transformer l’offre ferroviaire en Suisse, garantissant aux habitants des régions de montagne et aux touristes férus des Alpes un accès complètement nouveau. L’écartement variable, une percée technologique vaudoise, sera l’outil d’une transformation nationale de la mobilité.

Du même coup, un fabuleux marché d’exportation s’offre à notre industrie ferroviaire; dans une grande Europe où l’ex-URSS à l’est et l’Espagne à l’ouest ont fait écartement à part, le flux énorme de biens et de personnes impose l’abandon d’un anachronisme, la rupture de charge. Par son expérience et sa compétence en matière ferroviaire, notre industrie pourrait contribuer à rapprocher nos concitoyens, de Zermatt à Lucerne et de Saint-Moritz à Genève, et tous les Européens, des Pyrénées à l’Oural.

Longue vie au bogie qui bouge, un véritable boogie-woogie!

Daniel Mange, prof. honoraire EPFL, 1 février 2022

Remerciements
Depuis mon rêve de 1986, fédérer les compétences des Ateliers de constructions mécaniques de Vevey et celles de la Schweizerische Industrie-Gesellschaft pour le projet «Bogie à écartement variable pour voiture de chemin de fer», il s’est écoulé 35 ans jusqu’à cette journée magique du 3 décembre 2021 qui a vu rouler le premier convoi du GoldenPass Express entre Gstaad et Interlaken Ost, sans transbordement à Zweisimmen. Je suis donc particulièrement reconnaissant aux cadres du Montreux Oberland bernois qui ont organisé cet événement et qui m’ont convié à partager ce moment unique: Jérôme Gachet, responsable de la communication et maître des cérémonies, Michel Sauteur, chef de projet et grand manitou du bogie à écartement variable, et Raphaël Gabriel, en charge du marketing.

J’adresse ma reconnaissance à Jean Vernet, fin connaisseur des chemins de fer et talenteux photographe, pour la mise à disposition de la figure 2.

Je remercie également Madame Annette Rochaix-Goldschmidt, veuve de Jean-Louis Rochaix et contributrice de la collection des livres voués aux chemins de fer vaudois, pour la mise à disposition de la figure 3.

Références

[1] D. Mange, Le défi vaudois, 24 heures, 18 septembre 1986.

[2] D. Mange, «Rail 2000»: le défi vaudois, Gazette de Lausanne, 1 octobre 1986.

[3] M. Grandguillaume, J. Jotterand, Y. Merminod, J. Paillard, J.-L. Rochaix, P. Stauffer, J. Thuillard, Les tramways lausannois 1896-1964, Bureau vaudois d’adresses, Lausanne, 1977.

[4] Les engins moteurs à écartement variable (locomotives, automotrices) constituent une niche technologique réservée à un nombre très limité d’industries, réparties actuellement dans trois pays: Chine, Japon et Espagne.

L’entreprise chinoise CRRC a annoncé en octobre 2020 la mise au point d’une rame à grande vitesse(400 km/h) destinée dans une première étape à passer de l’écartement chinois, normal (1435 mm), à l’écartement russe (1520 mm); d’autres écartements, y compris métrique, pourraient suivre.

C’est au Japon que les développements les plus proches du cas suisse (passage du réseau à grande vitesse et voie normale du Shinkansen au réseau de base de 1067 mm) ont été entrepris sur une longue durée. La première rame automotrice à trois éléments est sortie d’usine en 1998 (voir l’article Ecartement variable: des règles du théâtre classique aux rêves du GoldenPass Express du 12 mars 2021). Cette réalisation a été suivie d’un deuxième modèle en 2007, puis d’une troisième version en avril 2014, mise au point par l’entreprise Kawasaki; composée de quatre voitures, elle pouvait rouler à 270 km/h sur la ligne à grande vitesse et à 130 km/h sur le réseau régional. En juin 2017, la compagnie de chemin de fer Japan Railways Kyushu abandonne définitivement le projet pour des raisons de coût et de sécurité.

En Espagne, les deux entreprises rivales Talgo (voir l’article du 12 mars 2021) et CAF (Construcciones y Auxiliar de Ferrocarriles) se livrent à une concurrence sans merci sur ce segment industriel. Talgo inaugure en 2000 une rame automotrice à traction diesel destinée à la grande vitesse, le Talgo XXI, décrite dans l’article du 12 mars 2021. Dès 2007, les rames S130 à grande vitesse roulent à 250 km/h et incluent l’écartement variable des essieux moteurs. En février 2021, la première rame de la série S106, dénommée Avril (Alta velocidad, rueda independiente, ligero), démarre ses essais en ligne en visant 330 km/h avec écartement variable.

CAF annonce en 2005 le premier train au monde à écartement variable et grande vitesse: il s’agit de la série S120, composée de quatre automotrices bicourant, munies de bogies Brava susceptibles de rouler à 250 km/h sur voie normale et 200 km/h sur voie espagnole (1668 mm). A l’exposition 2008 d’Innotrans, à Berlin, CAF présente son nouveau prototype AVI (Alta Velocidad Interoperable), «le TGV interopérable capable de rallier Cadix à Moscou», destiné à franchir les trois barrières de l’écartement, de l’alimentation électrique et du système de signalisation tout en roulant à 320 km/h.

En résumé, la Chine pourrait être considérée comme un partenaire potentiel dans le long terme au vu de sa force de frappe industrielle. Le Japon a malheureusement abandonné la partie, tandis que les entreprises espagnoles Talgo et CAF maitrisent parfaitement leur sujet, avec des contraintes d’écartement (de 1435 à 1668 mm) assez éloignées des valeurs helvétiques.

Reste une inconnue: notre entreprise nationale, Stadler Rail, est déjà présente sur le marché du matériel roulant remorqué à écartement variable, avec l’exportation de voitures-lits et voitures-restaurants en Azerbaïdjan (1435 à 1520 mm) [7]. Stadler Rail sera-t-elle un jour tentée de se pencher sur le redoutable dossier des bogies motorisés à écartement variable? Le possible abandon de la crémaillère sur l’axe Meiringen–Brünig–Lucerne nous alerte: l’étude de rames motorisées à écartement variable doit démarrer aujourd’hui pour être opérationnelle après-demain!

[5] H. Schild, Visionäre Bahnprojekte, AS Verlag, Zürich, 2013, S. 16: Direktzüge Berlin Hbf–Lauterbrunnen…

[6] Ingénierie de système. Chemins de fer à crémaillère, Union des transports publics (UTP), Berne, 31 mars 2010.

[7] Schlaf- und Speisewagen für Aserbaidschan, Schweizer Eisenbahn-Revue, Nr 8/9, 2014, S. 392.

 

Le blog Mobilité tous azimuts se termine aujourd’hui avec cette sixième rubrique consacrée à l’écartement variable. Vous pourrez me retrouver, pour des nouvelles plus ponctuelles, sur la page Actualité du site internet de la communauté d’intérêts pour les transports publics, section vaud (citrap-vaud) à l’adresse suivante:

https://www.citrap-vaud.ch/breves/

Merci pour l’attention que vous avez portée au présent blog et très cordiales amitiés,

Daniel Mange

 

Transports ferroviaires: A l’Ouest, rien de nouveau?(1)

Ce grand pays voisin, à la silhouette bottée, a tous les attraits: la beauté de ses femmes, l’élégance de ses ressortissants, les raffinements de sa table, les richesses de sa culture et de son histoire… Une seule ombre au tableau, un léger voile: l’abîme qui sépare le nord, riche, fertile, industriel, entreprenant, et le sud, sous-équipé, rocailleux, aride, accablé par le soleil…

Transports dans l’Ouest lausannois: la malédiction du sud
L’Ouest lausannois, ce long rectangle qui s’étend du Gros de Vaud aux berges du Léman, souffre du même mal… Pour les transports, on peut même parler d’une véritable malédiction. Pourtant les débuts étaient prometteurs: dès 1855, Renens est reliée par chemin de fer à Yverdon et Morges, et dès 1856 à Lausanne; la Société des tramways lausannois (TL) est créée en 1895, et une ligne atteint Renens en 1903, qu’elle desservira jusqu’en 1964, condamnée par l’Expo. En 1902, le Grand Conseil adopte un décret sur le futur réseau ferroviaire vaudois, incluant une ligne à voie métrique reliant Renens, Ecublens et Saint-Sulpice; les plans de celle-ci sont élaborés en 1909, la concession fédérale est obtenue le 6 juin 1913, et les collectivités intéressées souscrivent des actions et octroient les subventions fixées. La Grande guerre de 1914-1918 va balayer ces espoirs, et les capitaux seront remboursés aux intéressés. L’espoir renaît en 1926, avec le projet, sans lendemain, d’un port marchand sur le Léman, à l’embouchure de la Chamberonne, au sud de l’actuelle Université, avec un raccordement ferroviaire partant de la gare CFF de Renens.

Avec l’abandon du projet de construction d’un aéroport, suite au refus du peuple en 1946, les terrains de Dorigny vont vivre une aventure immobilière sans précédent, le déplacement en bloc de l’Université de Lausanne et de l’Ecole polytechnique, devenue fédérale au 1 janvier 1969. Les bus des TL sont rapidement débordés par la demande, et la nécessité d’un transport public lourd se fait pressante. C’est le syndic d’Ecublens, Pierre Teuscher, qui proposera en 1981 une liaison ferroviaire directe entre la gare CFF de Lausanne et le site des Hautes Ecoles, à Ecublens. En 1983, le Conseil d’Etat mandate le professeur Philippe Bovy pour l’étude d’un système de transport qui donnera naissance en juin 1991 au métro léger Lausanne-Flon–Hautes Ecoles–Renens, l’actuel m1. En 1988, le professeur Roland Crottaz, vice-président de l’EPFL, étudie un prolongement du métro m1 en direction de Morges, le Venoge-Rail; en 1992, la commune de Saint-Sulpice ira jusqu’à adapter sa rue du Centre pour la rendre compatible avec la ligne en question… sans concrétisation, une fois de plus. Une dernière tentative, en 1990, vise à prolonger la ligne du métro m1 de Renens à la gare de Lausanne CFF à l’aide d’un matériel roulant bicourant; malgré la démonstration réussie d’une rame de tram-train empruntée à Karlsruhe, le manque de capacité du tronçon Renens–Lausanne condamne le rêve.

Nord-sud: le déséquilibre
Aujourd’hui, on constate un déséquilibre majeur entre le nord de l’Ouest lausannois –centré sur le hub ferroviaire de Renens, futur siège romand des CFF– et le sud du même territoire, essentiellement peuplé d’étudiants et de chercheurs, la plupart résidents sans pouvoir électoral local. Si Renens et sa périphérie sont fortement irriguées par les lignes ferroviaires CFF –avec une quatrième voie et un saut-de-mouton flambant neufs–, le futur tram t1 vers Lausanne et Villars-Sainte-Croix et le nouveau bus à haut niveau de service Bussigny–Prilly–Lausanne–Lutry, il n’en est pas de même pour les Hautes Ecoles desservies par un métro m1 à bout de souffle. L’acronyme originel, TSOL pour tramway du sud-ouest lausannois, rappelle la vocation essentiellement locale de ce moyen de transport dont les convois circulent sur une voie unique, avec arrêt à toutes les stations.

A l’Ouest, du nouveau?
Le Conseil d’Etat in corpore s’est prosterné, le 13 février 2019, devant Mélodie Matthey-Junod, la 800’000e citoyenne du canton de Vaud, habitante d’Ecublens. L’événement s’est déroulé au pied d’un bâtiment symbolique, le nouveau Vortex, à Chavannes-près-Renens(2); le lieu de cette célébration n’est pas neutre: le fort développement de la population vaudoise s’observe en zone urbaine, et l’agglomération Lausanne-Morges concentre le 52,5% de la population du canton. Le Vortex, futur vaisseau amiral des habitations pour étudiants, nous rappelle le rôle singulier de cette ville fantôme, les Hautes Ecoles de l’Ouest lausannois. L’Université et l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) regroupent environ 33’000 résidents et constituent de facto la 2e ville du canton. Mais cette ville n’a ni chef, ni gouvernement, ni parlement, et encore moins de gare CFF! Nain politique, les Hautes Ecoles voient défiler le gratin des princes et présidents de la planète, mais sont inexistantes sur le plan cantonal.

Vers une gare des Hautes Ecoles
Cette ghettoïsation des Hautes Ecoles n’a pas passé inaperçue aux yeux de certains experts. En octobre 2013, la communauté d’intérêts pour les transports publics, section vaud (citrap-vaud) donne la parole à son membre Frédéric Bründler qui plaide en faveur d’une direttissima Morges–Lausanne via une gare Hautes Ecoles, comme tronçon final d’une ligne nouvelle Genève–Lausanne(3) (Fig. 1).

Fig. 1 La direttissima Morges–Hautes Ecoles–Lausanne selon Frédéric Bründler de la citrap-vaud.

Quasi simultanément, l’EPFL publie en février 2014 son rapport commandé à BG Ingénieurs Conseils et intitulé «Nouvelle liaison ferroviaire Lausanne–Morges via les Hautes Ecoles»(5); ce rapport conclut à la faisabilité d’une telle ligne et évoque un budget de l’ordre de 1,3 milliard de CHF pour sa variante sud, la plus coûteuse (Fig. 2).

Fig. 2 Variante sud du projet de BG Ingénieurs Conseils selon la conférence du 11 janvier 2016 à la citrap-vaud.

L’idée d’une ligne nouvelle Genève–Lausanne, défendue depuis 2014 par la citrap-vaud(4), est reprise en mai 2018 par les CFF, puis par l’Etat de Vaud en novembre de la même année, dans le cadre d’un programme de travail avec les CFF intitulé «Perspective générale pour la région vaudoise». Le terrain était donc mûr pour l’interpellation au Grand Conseil du député PLR Stéphane Masson, questionnant l’Etat sur l’opportunité d’étudier à la fois le tronçon nouveau Morges–Lausanne et l’implantation d’une gare Hautes Ecoles.

Cette interpellation a tout son sens. Le sud de l’Ouest lausannois, qui concentre une part non négligeable de la population et des emplois vaudois, a droit à un destin ferroviaire. Nous le devons à Mélodie, la 800’000e habitante du canton et citoyenne d’Ecublens, la seule ville vaudoise de plus de 10’000 habitants sans accès au réseau ferroviaire national!

Et nous tenterons de construire la direttissima Morges–Hautes Ecoles–Lausanne avant le pont sur le détroit de Messine, très au sud de la Botte, un autre serpent de mer ferroviaire…

Daniel Mange, 4 juin 2019

Remerciements
L’auteur tient à remercier très chaleureusement Mesdames Delphine Friedmann, directrice désignée des Archives cantonales vaudoises, et Aurélie Pieracci, collaboratrice aux archives de Prilly et d’Ecublens, pour leurs recherches dans les archives de l’Ouest lausannois; il exprime également sa reconnaissance à Messieurs José Marco, président de l’ADIRHE (Association pour la défense des intérêts de la région des Hautes écoles), Jean-Jacques Hefti, membre de l’ADIRHE, et Jean-Jacques Hofstetter, ancien syndic de Saint-Sulpice, pour leur précieuse documentation.

Références
(1) D’après le livre de Erich Maria Remarque, paru en 1929 sous le titre allemand «Im Westen nichts Neues».

(2) L. Bourgeois, Le Canton chante Mélodie, sa 800 000e citoyenne, 24 heures, 14 février 2019, p. 6.

 (3) D. Mange, F. Bründler, M. Chatelan, D. Pantet, Ligne ferroviaire nouvelle Genève–Lausanne: rapport d’étape 2016, citrap-vaud, Lausanne, CITraP Genève, Genève, 21 novembre 2016.

(4) D. Mange, M. Béguelin, E. Brühwiler, F. Bründler, M. Chatelan, P. Hofmann, S. Ibáñez, E. Loutan, B. Schereschewsky, Y. Trottet, R. Weibel, Ligne ferroviaire nouvelle entre Genève et Lausanne, citrap-vaud.ch et CITraP Genève, Lausanne, avril 2014.

 (5) O. de Watteville, D. Simos, M. Schuler, Nouvelle liaison ferroviaire Lausanne–Morges via les Hautes Ecoles, BG Ingénieurs Conseils, Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, 6 février 2014.

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Dilemme ferroviaire à Genève: une nouvelle affaire Tournesol?

Il était une fois une République industrieuse et prospère, nichée entre Jura, Alpes et Léman, encerclée par un grand pays francophone et partenaire d’une vénérable Confédération. Soucieuse de son avenir et de sa mobilité, cette République échafaude des plans pour son chemin de fer, dont le fleuron, l’audacieuse raquette, doit raccorder les zones très peuplées du sud à l’aéroport, centre vital du nord. Mais les Administrations en charge de ce projet, représentées aujourd’hui par deux de leurs fonctionnaires les plus zélés, MM. Dupond et Dupont, vont se heurter aux incantations prophétiques d’un étranger à la République, le professeur Tournesol, partisan d’une élégante boucle par l’aéroport(6). Nous avons tenté de retranscrire le plus fidèlement possible l’échange de ces trois protagonistes, douillettement installés à l’hôtel Cornavin, à deux pas des Grottes.

Dupondt: – La gare de Genève-Cornavin étouffe. Je dirais même plus, la gare fait boum! Son extension en surface, vers le nord, menaçait frontalement le quartier historique des Grottes, et les Administrations ont reculé sous la pression populaire. Mais un sage, Martin Graf, nous a mis sur la piste: une gare souterraine à deux voies (Cornavin 2 sur la Fig. 1), enfouie sous l’actuelle gare de Cornavin (Cornavin 1), sera la solution. Il est vrai que l’accès à Cornavin 2 exige quelques aménagements: depuis l’est, un tunnel à double voie de Sécheron à Cornavin; depuis l’ouest, une voie unique, essentiellement souterraine, de la bifurcation de Furet jusqu’à Cornavin 2(1). On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs: le budget s’élève à 1,67 milliard de CHF, dont 1,09 milliard à la charge de la Confédération et 527 millions couverts par le canton et la ville(2). Cette étape est formellement décidée, les études sont en cours et l’achèvement des travaux planifié pour 2031.

Fig. 1: La raquette des Administrations: deux demi-gares souterraines Cornavin 2 et 3, puis un tronçon Cornavin 1–Nations–Aéroport 2–Zimeysa complémentaire du réseau Léman Express. En rouge: aménagements à entreprendre; Bif.: bifurcation (figure de Rodolphe Weibel).

Tournesol: – Un grand bravo pour cette initiative qui sauve les Grottes! Avec un petit regret tout de même: les habitants de ce quartier vont subir les nuisances d’un chantier majeur pendant six ans au moins… Mais ce qui me préoccupe avant tout, c’est l’avenir plus lointain, puisque, selon les planificateurs, deux voies ne seront pas suffisantes pour le trafic d’après-demain.

Dupondt: – Facile! On construit, toujours en souterrain, deux voies supplémentaires avec un nouveau quai; je dirais même plus, une seconde gare enterrée, Cornavin 3, au nord de la précédente. L’accès depuis l’ouest nécessite une nouvelle voie unique, essentiellement en tunnel, reliant la bifurcation de Châtelaine à Cornavin. Le budget s’élève à environ 1 milliard et l’achèvement des travaux serait attendu aux alentours de 2040(1).

Tournesol: – Vous avez parfaitement résolu le problème de Cornavin, mais infligé cette fois au moins douze ans de travaux cyclopéens aux Grottes, en deux étapes… Ces Grottes qui cherchaient désespérément un destin paisible, comme d’ailleurs l’hôtel Cornavin où j’ai mes habitudes, depuis l’affaire Tournesol(7). Le chantier de la seconde gare enterrée menace directement l’hôtel Le Montbrillant et sa brasserie, avec une calamité suprême, la démolition possible de l’îlot (Fig. 2).

Fig. 2: Les menaces de l’extension de la gare de Cornavin sur le quartier des Grottes; en rouge: périmètre de la 1ère gare souterraine; en bleu: 2e gare souterraine (figure de Rodolphe Weibel).

Dupondt: – Les Grottes vont souffrir, c’est vrai… et un nouveau soulèvement populaire est à redouter… Mais avez-vous mieux à proposer?

Tournesol: – Examinons ensemble les causes de l’encombrement de Cornavin; au contraire de Lausanne, où les trains qui arrivent repartent sans espoir de retour, chaque convoi quittant Cornavin à destination de l’aéroport doit y faire impérativement demi-tour pour réapparaître à Cornavin dans la demi-heure qui suit: le mal absolu, c’est la gare en cul-de-sac, qui condamne Genève-Aéroport à accueillir six misérables trains par heure!

Dupondt: – Pourrait-on éradiquer le mal absolu? Je dirais même plus, tabasser l’impasse?

Tournesol: – Cette piste me semble prometteuse. Vérification faite, le concepteur de la gare Aéroport, l’ingénieur CFF Rodolphe Nieth, avait anticipé dès 1981 un éventuel prolongement vers l’est: les espaces sont sauvegardés, la voie est donc libre! Vous constatez que ce projet de boucle n’est pas le mien; Jean-Philippe Maître, alors conseiller d’Etat, l’évoquait déjà publiquement en 1987, à l’occasion de l’inauguration de la gare, il y a 32 ans(8), tandis que Rodolphe Nieth planifiait son aménagement la même année (Fig. 3)(10)!

Fig. 3: La boucle historique, due à Rodolphe Nieth, ingénieur CFF et responsable du tronçon Cornavin–Aéroport; cette figure, tirée de la référence(10), résume les conclusions du rapport CFF du 25 septembre 1987, rédigé par Rodolphe Nieth.

Dupondt: – Et que faire de cette voie qui part à l’est? La raccorder à la ligne historique Genève-Lausanne? C’est vrai que sur la carte (Fig. 4), c’est presqu’une évidence: il n’y que 4’800 mètres, en ligne droite, du fond du cul-de-sac jusqu’à la halte de Genthod-Bellevue… Du coup, l’interminable chantier des Grottes est remplacé par un aménagement beaucoup plus rapide, essentiellement en surface, le long de l’autoroute et loin du centre-ville.

Fig. 4: Boucle de l’aéroport selon l’association Genève Route et Rail (GeReR) et l’ingénieur Rodolphe Weibel: un axe Aéroport–Genthod et deux raccordements du Vengeron et de Blandonnet. En rouge: aménagements à réaliser; Bif.: bifurcation; Racc.: raccordement (figure de Rodolphe Weibel).

Tournesol: – La boucle ainsi créée permet à tout train en provenance de Lausanne de traverser la gare de l’aéroport sans avoir à y rebrousser chemin. Chaque train desservant Genève n’emprunte qu’une fois le tronçon Aéroport–Cornavin–Genthod (ou vice-versa), alors que l’actuelle gare en cul-de-sac impose à chaque convoi de parcourir deux fois le même trajet. Pour la même fréquence de desserte, la charge de Cornavin est réduite de moitié: toute transformation de cette gare est dès lors superflue.

Dupondt: – Malgré son élégance, votre fameuse  boucle ne résout en rien notre objectif final, la raquette. Celle-ci constitue un prolongement naturel du Léman Express(3) pour desservir, à partir de Bernex,  les deux pôles principaux de l’aéroport (dont l’expansion est planifiée)(4) et de la zone industrielle Zimeysa, en plein développement (Fig. 1). La raquette inclut l’aménagement de deux gares souterraines, à la place des Nations et à l’aéroport (gare Aéroport 2), à une dizaine de mètres sous la gare actuelle (gare Aéroport 1).

Tournesol: – La nouvelle antenne de Bernex–Lancy-Pont-Rouge n’entraîne aucune transformation majeure du réseau actuel  du Léman Express jusqu’à Cornavin. De là à l’aéroport, il faudrait maintenant déboucher sur le nouvel axe Aéroport-Genthod via un raccordement du côté du Vengeron (Fig. 4) et sacrifier la station Nations: c’est manifestement jouable.

Dupondt: – Se pose alors la question cruciale: la gare Aéroport, avec ses quatre voies historiques, peut-elle recevoir, en sus des trains grandes lignes, le trafic régional du Léman Express?

Tournesol: – Je vous rassure! En faisant sauter le bouchon de l’aéroport, vous laissez passer 12 trains par heure, dans chaque sens(5), donc bien assez pour rajouter aux 6 trains grandes lignes les 6 trains régionaux du Léman Express, soit un convoi toutes les 10 minutes, dans chaque sens!

Dupondt: – Et comment gagner notre zone en pleine zizanie, Zimeysa, depuis l’aéroport?

Tournesol: – La carte vous répond (Fig. 4): un modeste raccordement, à Blandonnet, suffit pour accrocher la gare Aéroport à la ligne de la Plaine, en direction de Zimeysa, puis Satigny et peut-être, un jour, Bellegarde. Dans sa grande sagesse, le Conseil d’Etat y a réservé des terrains en 1991 déjà!(9).

Dupondt: – J’ai le curieux pressentiment que notre percée du cul-de-sac, une forme de déculottée, serait plus simple, plus rapide à réaliser, plus économique à financer. Je dirais même plus, notre dissolution de l’occlusion est la solution.

Tournesol: – La boucle est manifestement moins onéreuse que la raquette, et je l’évalue à environ 740 millions pour transformer la gare Aéroport en l’ouvrant à l’est, aménager un tronçon essentiellement en surface jusqu’à Genthod et construire les deux courts raccordements du Vengeron et de Blandonnet, avec un délai de réalisation autour de 2030. De votre côté, l’aménagement de trois gares souterraines majeures (Cornavin 2, Cornavin 3 et Aéroport 2) complétées par de longs accès enterrés et d’une nouvelle ligne régionale Cornavin–Nations–Aéroport 2–Zimeysa, se  monte à 4,7 milliards avec un horizon de réalisation à 2045.

Dupondt: – Ces chiffres nous donnent le tournis; je dirais même plus, ces perspectives nous dessèchent. Allons boire le verre de l’amitié pour célébrer cette déculottée!

Tournesol: – Visons les Grottes. Les habitants de ce quartier, que nous venons de sauver pour une seconde fois, nous doivent bien une tournée mémorable!

Un peu plus tard, les mêmes protagonistes ont investi un estaminet tapi au fond des Grottes.

Dupondt: –Dans l’allégresse de nos débats, nous avons oublié l’essentiel: l’aménagement de la 1ère gare souterraine avec ses voies d’accès est aujourd’hui décidé et financé à tous les niveaux de l’Etat. Nous n’allons pas nous ériger contre un processus éminemment démocratique!

Tournesol: – Je vous écoute et, une fois n’est pas coutume, je vous entends. Un simple rappel: la construction de la 2e gare souterraine de Cornavin est à elle seule plus coûteuse que la boucle complète: 1 milliard contre 740 millions. Tout est alors clair: creusons la première gare, puis bouclons la boucle!

Dupondt: – Certes, certes… Mais il reste une dernière embûche, l’appellation du projet final qui doit marier boucle et raquette. J’hésite: bouclette ou racle? Je dirais même plus: boulette ou raclette?

Tournesol: – Vous avez trouvé le mot de la faim: c’est bien sûr une raclette qui s’impose, séance tenante! Passons à table avant que les marteaux piqueurs n’ébranlent ce coin de paradis!

Daniel Mange, 1 mars 2019

Références

(1) Gare Cornavin, extension souterraine. Etude préliminaire 2015. Rapport technique, OFT, Canton et Ville de Genève, CFF, 7 novembre 2015, pp. 5 et 16.

(2) Convention cadre relative à l’extension de capacité du nœud de Genève, OFT, République et canton de Genève, Ville de Genève, CFF, 7 décembre 2015, p. 5.

(3) Stratégie ferroviaire 2040-2050, Canton de Genève, 2018.

(4) D’après le Forum économique romand (rencontre du 13 juin 2017), le chiffre de 25 millions de passagers aériens a été évoqué pour 2025, soit une moyenne de 70’000 par jour, avec des pointes de 100’000 par jour. L’efficacité de la combinaison entre avion et train est évidente, car ils sont tous deux des transports collectifs à forte capacité; cette combinaison contribuerait à accentuer le transfert de la route au rail dans toute l’agglomération genevoise, voire au-delà.

 (5) R. Weibel, Genève ferroviaire, un contre-projet, Le Temps, 21 juin 2017, p. 10.

(6) G. Ploujoux, Histoire des transports publics dans le canton de Genève. Volume 4: Du XXe au XXIe siècle, Editions du Tricorne, Genève, 2018, pp. 340-342.

(7) Hergé, L’affaire Tournesol, Casterman, Paris et Bruxelles, 1956.

(8) A. Crettenand, Jean-Philippe Maître explique «Un atout formidable pour la Suisse romande», Journal de Genève, 25 mai 1987, p. 16.

(9) G. Ploujoux, Histoire des transports publics dans le canton de Genève. Volume 3: Le XXe siècle (2e partie), Editions du Tricorne, Genève, 2015, p. 333.

(10) R. Nieth, Le raccordement ferroviaire Cornavin–Cointrin, route et trafic, No 5, mai 1988, pp. 293-297.

 

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