Vision 2050 pour le rail vaudois: le trafic régional à son apogée

Dans l’édifice déjà mythique du Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne (Fig. 1), surgi des ruines du dépôt CFF des locomotives, s’est tenue le 3 juin 2020 une conférence de presse historique: le Conseil d’Etat vaudois a dévoilé sa Vision 2050 pour la renaissance du rail. Nuria Gorrite, présidente, et Pascal Broulis, ministre des finances et des relations extérieures, ont justifié les 11 millions demandés au Grand Conseil pour élaborer cette vision; le projet vise à planifier le développement des chemins de fer vaudois aux trois niveaux du trafic régional, national et international. Un état des lieux s’impose sur ces trois fronts.

Fig. 1 Le Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne, un édifice déjà mythique…

La stratégie du RER Vaud: désenclaver et rapprocher
Le Réseau express régional vaudois (RER Vaud) constitue depuis 2004 le noyau dur du trafic régional, déployé sur les voies à écartement normal, essentiellement en main des CFF(2)(3) (Fig. 2). Organisé autour de l’axe majeur Renens–Lausanne, bientôt à quatre voies, le RER lance ses tentacules dans toutes les directions du canton: la Côte (Allaman), le Nord vaudois (Vallorbe et Grandson), la Broye (Payerne et Morat), la Riviera (Vevey et Montreux) et le Chablais (Aigle). La stratégie de son déploiement est claire:  désenclaver et rapprocher toutes les régions et toutes les agglomérations, à l’image du projet emblématique de l’Orbe–Chavornay. Ici, la ligne historique, coupée du réseau CFF, deviendra une nouvelle antenne du RER Vaud, avec un accès sans transbordement jusqu’à Lausanne, voire Cully. La même stratégie s’applique à la vallée de Joux, où les convois partant du Brassus gagneront la capitale vaudoise, puis le Chablais (Aigle), sans changement de train: le trajet direct sera possible grâce à un rebroussement dans la gare du Day, judicieusement aménagée.

Fig. 2 Le Réseau express régional vaudois (RER Vaud): planification 2018 (selon Transports romands, No 19, novembre 2013).

Le développement du RER Vaud est prévisible dans trois directions au moins:

  • La vallée de la Broye (Moudon, Payerne, Avenches, Morat) reste toujours trop éloignée de la capitale; un rapprochement radical est suggéré par le postulat et l’interpellation de Christelle Luisier Brodard et consorts(8): utiliser le long tunnel de Lausanne à Vauderens (FR), prévu pour l’aménagement de la ligne nouvelle Lausanne–Fribourg–Berne, et raccorder ce tunnel au tronçon existant Moudon–Payerne–Morat.
  • L’irrigation du Chablais, en particulier de la gare de Bex, n’est pas optimale; dans ce cas, l’exploitation future devrait tenir compte de la desserte directe de Monthey par un nouvel axe CFF doublant la ligne historique Montreux–Aigle–Bex–Saint-Maurice; enfin, une liaison directe du Chablais à Berne via la ligne tangentielle Vevey–Chexbres–Puidoux pourrait répondre aux vœux de nombreux usagers.
  • L’Ouest lausannois vit une croissance économique et démographique sans précédent autour de la deuxième ville du canton, le campus universitaire regroupant l’EPFL et l’UNIL; l’interpellation de Stéphane Masson et consorts(8) évoque, dans le cadre d’une ligne nouvelle de Genève à Lausanne, l’aménagement d’une direttisssima Morges–Hautes Ecoles–Lausanne qui pourrait être empruntée par une relation du RER Vaud avec arrêts à Préverenges, Ecublens-Hautes Ecoles et Prilly-Malley; dans ce même secteur, on cherche depuis longtemps à mettre en valeur la ligne tangentielle Denges-Echandens–Bussigny pour des liaisons directes entre Morges et Yverdon.

La vocation des lignes régionales: irriguer
Les lignes régionales vaudoises, essentiellement à voie métrique et en main de compagnies privées, s’organisent selon les bassins de population (Fig. 3): Nyon (compagnie NStCM)(1), Morges (MBC), Lausanne et Gros-de-Vaud (LEB), Nord vaudois (TRAVYS), Riviera et Pays-d’Enhaut (MVR, MOB) et Chablais (TPC). Le leitmotiv est ici une modernisation en profondeur, par renouvellement du matériel roulant et de l’infrastructure, ainsi qu’une irrigation renforcée de chaque bassin par l’amélioration des cadences(4)(5)(6). De gros travaux ponctuels sont également entrepris sur le NStCM (nouveau dépôt-atelier à la plaine de l’Asse), sur le MBC (reconstruction du dépôt-atelier et de la gare de Bière), sur le LEB (nouveau tunnel pour pénétrer en ville de Lausanne), et sur les TPC (prolongement de l’Aigle-Leysin en direction de la télécabine pour la Berneuse, tronçon souterrain entre Arveyes et Villars). Autour de Lausanne et de sa région (tl), un réseau à voie normale tisse une toile serrée avec des cadences élevées (métro m1, futur tramway t1 vers Renens, puis Villars-Sainte-Croix) et une exploitation entièrement automatique (métro m2, futur métro m3 vers Lausanne Blécherette).

Fig. 3 Carte des lignes régionales vaudoises organisées par bassins de population (selon Transports romands, No 19, novembre 2013).

Les lignes régionales auront quelques défis à relever dans un horizon plus lointain:

  • L’Aigle-Leysin reste empêtré dans la circulation automobile au centre d’Aigle; une variante souterraine est à l’étude, de même qu’un hypothétique prolongement de Leysin-Place Large en direction du Sépey pour créer un métro alpin reliant Aigle aux Diablerets(9); avec le réchauffement climatique, le glacier des Diablerets deviendra l’un des derniers vestiges des stations d’hiver: le rêve d’une liaison ferroviaire des Diablerets à Gstaad (raccordement avec le Montreux-Oberland bernois) via le col du Pillon pourrait devenir réalité dans ce nouveau contexte…
  • Du côté de Bex, la ligne Bex–Villars–Bretaye reste toujours coupée du réseau de base des TPC et de son dépôt-atelier principal, centrés sur Aigle; une connexion entre ces deux systèmes devrait être étudiée dans le cadre de l’optimisation de la desserte du Chablais déjà évoquée plus haut.
  • L’essor de Châtel-Saint-Denis et Bulle, en terre fribourgeoise, relance l’idée de réhabiliter la ligne (Vevey–) Saint-Légier–Châtel, abandonnée en 1969; l’étude menée à l’EPFL en 2016 permettrait d’alimenter le débat.
  • Dans l’agglomération lausannoise, le métro m1, surchargé, fait l’objet d’une étude d’optimisation(8): son destin devrait être étroitement lié à la future direttissima Morges–Hautes Ecoles–Lausanne, ainsi qu’au projet d’un métro m4 reliant La Sallaz à l’EPFL via le tunnel Tridel, selon la suggestion de la citrap-vaud(10); les planificateurs les plus optimistes évoquent aussi un prolongement du Lausanne-Echallens-Bercher en direction d’Yverdon-les-Bains, copiant très fidèlement son modèle, le régional Berne–Soleure…

L’écartement variable pour casser la barrière entre réseau de base et lignes à voie métrique
Toute l’histoire ferroviaire suisse se ramène à l’aménagement d’un réseau de base à l’écartement normal (1’435 mm), exploité par les CFF et quelques grandes compagnies privées, et d’une kyrielle de lignes régionales à voie étroite, essentiellement métrique, dispersées et isolées. L’ambitieux projet du Montreux-Oberland bernois (MOB), la conception d’un matériel roulant «amphibie», capable de passer en quelques secondes d’un écartement à l’autre, va briser la frontière qui isole des deux systèmes (Fig. 4). Dès l’été 2021, des convois relieront Montreux à Interlaken, et vice-versa, sans l’incontournable transbordement à Zweisimmen. La généralisation du concept va révolutionner la géographie ferroviaire suisse, en ouvrant la voie à des relations directes de Genève-Aéroport à Interlaken ou de Zurich-Kloten à Saint-Moritz. La compagnie du MOB, qui peaufine déjà une transformation profonde de la gare de Montreux, n’exclut pas d’y recevoir les convois à écartement variable en provenance de Genève-Aéroport. Sur un plan plus local, le trafic de gravier entre Apples et Gland, assuré par la compagnie MBC, pourrait également tirer parti de cette technologie pour écourter le fastidieux changement d’écartement en gare de Morges.

Fig. 4 Voiture du MOB à écartement variable en construction chez le fabricant Stadler (photo Chantal Dervey, 24 heures, 20 janvier 2020).

Trafic régional: un bilan sans nuage
Sous l’impulsion de la ministre des infrastructures, Nuria Gorrite, le transport régional vaudois a connu dès 2012 un essor sans précédent. Au développement du RER Vaud, des lignes régionales et de l’écartement variable se rajoutent encore des chantiers transversaux au bénéfice de tous, exploitants, usagers et citoyens contribuables:

  • La commande groupée de 30 rames automotrices Stadler pour toutes les compagnies régionales, abaissant les coûts de production;
  • la création du centre romand pour l’entretien des bogies RailTech, à Villeneuve;
  • la fusion de la compagnie Orbe-Chavornay avec le groupe TRAVYS(1) en 2007, la reprise du funiculaire Cossonay-Penthalaz–Cossonay-Ville par le MBC en 2010, la fusion des trois compagnies lausannoises tl, tsol et LO/LG en 2012, le rachat de la ligne Vevey–Chexbres–Puidoux par les CFF en 2013, ainsi que la délégation de l‘exploitation du LEB aux tl dès 2013.

Les techniques modernes de l’électronique, de l’informatique et de l’intelligence artificielle sont de plus en présentes dans les systèmes de transport. Leur sophistication nécessite d’accroître les collaborations, de créer des pôles de compétence communs (comme pour l’entretien des bogies) et, enfin, d’envisager de nouvelles fusions. Et pourquoi ne pas rêver à une unique compagnie des transports publics vaudois, à l’image de la plupart des cantons suisses(7)?

Une alternative à la fusion complète pourrait être la constitution d’une société gérant l’ensemble des infrastructures ferroviaires du canton, laissant aux compagnies et à leurs conseils d’administration la responsabilité de l’offre et de l’exploitation.

Vers le trafic national et international
A l’aube de 2020, il manquait un dernier morceau du puzzle: une vision globale du développement ferroviaire des lignes nationales, y compris le trafic international vers la France et l’Italie. La crise sanitaire du coronavirus n’a pas brisé l’élan du Conseil d’Etat vaudois; celui-ci a déposé en mars de la même année un document historique, l’Exposé des motifs et projet de décret demandant au Grand Conseil un crédit de 11 millions de CHF pour financer la planification ferroviaire à l’horizon 2050(8). Ce second volet fera bien entendu l’objet d’un prochain blog.

Remerciements
L’auteur tient à remercier Mehdi-Stéphane Prin, ancien journaliste à 24 heures et contributeur de Transports romands, aujourd’hui délégué aux affaires ferroviaires du Canton de Vaud, pour ses innombrables contributions au développement des chemins de fer vaudois. Il exprime également sa reconnaissance à feu Jean-Louis Rochaix, l’infatigable éditeur de l’Encyclopédie des chemins de fer vaudois dont le dernier volume, Chemins de fer privés vaudois 2009-2017. Le renouveau (6), est un véritable hymne à la renaissance du rail de ce canton.

Daniel Mange, 2 juillet 2020

Références

(1) Acronymes des compagnies ferroviaires vaudoises:

LEB: Lausanne-Echallens-Bercher.
LO/LG: Lausanne-Ouchy/Lausanne-Gare.
MBC: Morges-Bière-Cossonay.
MOB: Montreux-Oberland bernois.
MVR: Montreux-Vevey-Riviera.
NStCM: Nyon-Saint-Cergue-Morez.
tl: transports publics de la région lausannoise.
TPC: Transports publics du Chablais.
TRAVYS: Transports Vallée de Joux-Yverdon-les-Bains-Sainte-Croix.
tsol: tramway du sud-ouest lausannois.

(2) V. Krayenbühl, L’expansion du Réseau express régional vaudois, Transports romands, No 19, novembre 2013, pp. 8-9.

(3) M.-S. Prin, Le RER vaudois au cœur du développement de la mobilité du canton, Transports romands, No 27, septembre 2015, pp. 3-5.

(4) Transports romands, No 19, novembre 2013, pp. 1, 3-7, 10-11.

(5) Transports romands, No 27, septembre 2015, pp. 1, 6-7,12-16.

(6) G. Hadorn, S. Jarne, A. Rochaix, J.-L. Rochaix, M. Grandguillaume, P. Kälin, D. Monti, Chemins de fer privés vaudois 2009-2017. Le renouveau, Editions La Raillère, 2017.

 (7) D. Mange, Vers une compagnie vaudoise des transports publics, Transports romands, No 19, novembre 2013, p. 21.

(8) Exposé des motifs et projet de décret accordant au Conseil d’Etat un crédit d’étude de CHF 11’000’000.- pour financer l’élaboration du programme cantonal de développement de l’offre ferroviaire à l’horizon 2025 et les études de planification d’offres nécessaires à la prochaine étape d’aménagement du réseau ferroviaire, Canton de Vaud, Lausanne, 4 mars 2020.

(9) D. Mange, Aigle-Leysin-Les Diablerets: vers un métro alpin? Mobilité tous azimuts, blog du quotidien Le Temps, 1 juin 2020.

(10) Réflexions et propositions de la citrap-vaud en vue de l’utilisation du tunnel desservant l’usine Tridel, dans un premier temps entre la Sallaz et Malley, citrap-vaud, Lausanne, 12 septembre 2017.

 

Vous pouvez vous abonner à ce site en introduisant simplement votre adresse électronique dans la première rubrique de la colonne de droite de ce blog «Abonnez-vous à ce blog par e-mail».