La mobilité est au pays ce que le sang est à l’organisme: symbole de vie, elle irrigue, elle alimente, elle stimule la croissance et assure la survie du corps économique et social. La mobilité a ses exigences: rubans d’autoroute, voies de chemin de fer, pistes d’aéroport, tracés pour cycles et piétons; la construction et l’insertion de ces infrastructures se heurtent aux désirs légitimes de ménager l’environnement. Les besoins de la mobilité et l’empreinte qu’elle laisse dans l’espace, naturel ou bâti, nécessitent une pesée d’intérêts toujours délicate, la clef du développement durable.
Tétanisés par ces «atteintes à la nature», de grands simplificateurs s’élèvent contre toute forme de mobilité et prônent le retour à une imagerie d’Epinal: le père, pilier économique du foyer, travaille à vie dans une entreprise qu’il rejoint deux fois par jour, à pied évidemment… Cette vision fait fi du monde réel: aujourd’hui, plus de la moitié des familles sont recomposées, les parents enchaînent leurs emplois sur des sites différents, les engagements sont souvent de durée limitée tandis que les entreprises se délocalisent selon leurs propres besoins; les enfants s’adonnent à de multiples activités scolaires, culturelles et sportives entraînant un ballet de déplacements non pas choisis, mais imposés par les circonstances. Avec un dernier rêve, être propriétaire de sa maison, le citoyen moyen doit donc concilier la sédentarité de son clan familial et le nomadisme exigé par un environnement complexe et mouvant. La mobilité est l’outil qui permet cette adéquation.
Les usagers des transports publics, contraints à penduler chaque jour entre leur résidence et leur entreprise, y consacrent généralement un «budget temps» fixe. Si la vitesse de leur train favori double, ils peuvent dans le même temps rouler deux fois plus loin et atteindre ainsi –dans une topographie idéale– un territoire quatre fois plus vaste (2 au carré): le gain en vitesse accroît considérablement le choix d’une habitation ou d’un emploi. Et le mitage du territoire, cette lèpre tant redoutée par les aménagistes, n’est pas à craindre: l’urbanisation se concentre tout naturellement le long des axes forts de transport public.
La mobilité irrigue, alimente et stimule, comme le sang; la vitesse, à l’image de la pression sanguine, garantit le tonus et la bonne santé du corps économique et social. Ni poison, ni élixir, la mobilité est l’outil de l’homme d’aujourd’hui, un nomade sédentaire.
Référence: Alain Jeannet, «Ne pas être contraint de se déplacer sans cesse devient un luxe», grande interview de Vincent Kaufmann. Le Temps, 24 mars 2018, pp. 10-11.