Ecartement variable: j’ai fait un rêve

J’ai fait un rêve
Septembre 1986: le débat sur le projet ferroviaire Rail 2000 fait rage; le Comptoir suisse, à Lausanne, y consacre même une exposition. Peu convaincu, j’envoie ma vision aux quotidiens 24 heures et Gazette de Lausanne [1][2]. En voici un extrait:

«Rêvons donc: le 1er août 1991, Jimmy Brown, de New York, débarque à l’aé­roport de Genève; libéré de ses bagages (qui sont directement transférés), il gagne le quai No 1 de la nouvelle gare de Genève-­Cointrin. Un train moderne, multicolore, l’y attend: voitures vertes (des CFF) et bleues (du Mon­treux Oberland bernois) en direction de Montreux, Interlaken et Lucerne, voi­tures rouges (des compa­gnies Brigue-Viège-Zer­matt et Furka-Oberalp) en direction de Zermatt, Coire et Saint-Moritz. Pressé de visiter l’Exposition natio­nale suisse, Jimmy Brown s’installe dans l’une des voi­tures panoramiques pour Lucerne, à sa place réser­vée, qu’il ne quittera qu’au terme de la fabuleuse tra­versée du Pays-d’Enhaut, du Simmental et du Brünig.

Le réseau ferroviaire suisse est un amalgame de lignes à écartement normal et de lignes à voie étroite (ou métrique). La réalisa­tion de voitures ou de rames automotrices à écar­tement variable, ainsi que l’aménagement de quel­ques gares de jonction, permettrait de supprimer tout transbordement entre le ré­seau CFF de base et les principales lignes à voie étroite; le passager serait définitivement débarrassé de la corvée du change­ment de train: hantise de manquer la correspon­dance, inconfort extrême du transport des bagages.»

Le 11 décembre 2022, jour de l’inauguration du GoldenPass Express, mon rêve aura plus de 36 ans. S’est-il réalisé?

Extensions immédiates: de Montreux au centre de Berne ou au sommet du Lötschberg
Dès décembre 2022, le voyageur atteindra Interlaken depuis Montreux sans transbordement, et il vivra un seul changement d’écartement, tout en douceur, à Zweisimmen.

Mais les convois du GoldenPass Express, une fois ajustés à la voie normale, pourraient folâtrer sous d’autres cieux. Arrivé à Spiez, le «Riviera Berne Express» monterait sur Thoune et gagnerait Berne, la capitale, via Belp et la vallée de la Gürbe (Gürbetal)(Fig. 1, étape 1): avec une vitesse actuellement limitée à 100 km/h, seuls des axes secondaires s’offrent à notre rame à écartement variable. En respectant cette même contrainte, le «Jaman Lötschberg Express» bifurquerait à Spiez en direction de la ligne sommitale du Lötschberg, pour atteindre Brigue sans transbordement depuis Montreux.

Fig. 1 Carte des chemins de fer suisses avec 4 stations de transformation 1-4 (d’après le site de Thorsten Büker).
Etape 1 (en vert), gare de transformation à Zweisimmen: Montreux–Zweisimmen–Spiez–Thoune–Belp–Berne (Riviera Berne Express), Montreux–Zweisimmen–Spiez–Kandersteg–Brigue (Jaman Lötschberg Express).
Etape 2 (en rouge), gare de transformation à Interlaken Ost: Montreux–Zweisimmen–Interlaken Ost–Meiringen–Lucerne–Engelberg (GoldenPass Express), Montreux–Zweisimmen–Interlaken Ost–Meiringen–Oberwald–Coire–Saint-Moritz (Palmier Glacier Express), Lucerne­–Meiringen–Oberwald­–Brigue–Zermatt (Brünig Matterhorn Express), Berne–Interlaken Ost–Zweilütschinen–Lauterbrunnen/Grindelwald.
Etape 3 (en bleu), gare de transformation à Landquart: Zurich Aéroport–Zurich–Landquart–Davos/Saint-Moritz.
Etape 4 (en brun), gare de transformation à Montreux: Genève Aéroport­–Genève–Lausanne–Montreux–Interlaken Ost–Meiringen/Lucerne/Zermatt/Davos/Saint-Moritz.

A la différence du 3e rail, condamnant le GoldenPass Express au seul trajet Montreux–Zweisimmen–Interlaken, les convois à écartement variable peuvent explorer l’ensemble du réseau à voie normale… en respectant, pour l’instant du moins, la limitation de vitesse à 100 km/h (Fig. 2).

Nos deux exemples du Riviera Berne Express et du Jaman Lötschberg Express révèlent chacun un potentiel touristique inédit, mais n’exigent aucune infrastructure nouvelle, ni modification du matériel roulant existant: le retour sur investissement est immédiat.

Fig. 2 Convoi à écartement variable sous d’autres cieux: rame d’essai du GoldenPass Express en gare de Spiez (de gauche à droite: voiture-pilote ABst 382, voiture d’interface Bsi 292 et locomotive BLS série Re 465, photo Jean Vernet).

A l’est du nouveau: une deuxième gare de transformation à Interlaken
Le projet originel du GoldenPass, le trajet direct de Montreux à Lucerne, exige une deuxième gare de transformation, à Interlaken Ost. A l’aménagement de la station, pas évident dans un espace ferroviaire très contraint, se rajoute le problème du matériel roulant; les locomotives du Zentralbahn entraîneront les rames à écartement variable sans problème jusqu’à Meiringen, tandis que l’alimentation électrique, semblable à celle du BLS et des CFF, nécessitera la présence d’une voiture d’interface, identique ou dérivée de celle assurant la liaison Zweisimmen–Interlaken sur la voie normale du BLS (voir l’article Ecartement variable: l’accouchement au forceps du GoldenPass Express du 9 juillet 2021 sur ce blog, en précisant que la voiture d’interface actuelle est elle-même à écartement variable).

En gare de Meiringen, au pied du Brünig, un dernier défi doit être relevé: vaincre la crémaillère. La menace ultime ne vient pas de la roue dentée elle-même, mais bien plutôt de l’Ordonnance sur les chemins de fer dont l’article 69 impose, pour des raisons sécuritaires, au moins un essieu muni d’un freinage à crémaillère pour chaque véhicule remorqué [6]. Les ingénieurs sont alors confrontés au choix suivant:

  • soit développer un nouveau bogie à écartement variable, dérivé du modèle actuel EV18, mais muni d’un dispositif de freinage supplémentaire compatible avec la crémaillère Riggenbach du Zentralbahn;
  • soit imaginer, avec la bénédiction de l’Office fédéral des transports, un dispositif différent, idéalement hors des bogies: un patin électromagnétique, semblable à celui équipant notamment les voitures des tramways lausannois (Fig. 3); les tentatives du Zentralbahn en la matière seront directement utilisables (voir l’article Le crépuscule de la crémaillère du 1 septembre 2021 sur ce blog).

Fig. 3 Voiture C2 (série 139-140, construite en 1925) des Tramways lausannois munie de patins électromagnétiques entre les deux essieux (dessin de Pierre Stauffer tiré de la référence [3]).

Cette dernière solution semble, à première vue du moins, la plus simple à mettre en œuvre tout en s’affranchissant de la dépendance d’un type particulier de crémaillère.

La disparition de la crémaillère, objectif final du Zentralbahn, pose un tout autre problème au futur GoldenPass Express: la conception de rames à motorisation totale et écartement variable. Cette perspective fait l’objet d’un commentaire détaillé en fin d’article [4].

Notre GoldenPass Express ainsi équipé pourrait atteindre Lucerne, et même y rebrousser chemin pour gagner Engelberg. Le prix à payer: une station de transformation à Interlaken Ost, le développement d’un nouveau système de freinage à crémaillère et l’éventuelle mise au point d’une voiture d’interface (Fig. 1, étape 2). Last but not least: les hôteliers d’Interlaken, jadis opposés à un 3e rail en direction de Brienz, devront accepter de voir passer les voyageurs du GoldenPass Express sans séjourner sur leurs terres!

Extensions futures: tunnel du Grimsel et Oberland bernois
L’investissement consenti pour atteindre Lucerne peut-il être rentabilisé au-delà de la relation historique du GoldenPass? Avec le percement planifié du tunnel du Grimsel, entre Meiringen et Oberwald (voir l’article Ecartement variable: vers un grand réseau alpin? du 1 novembre 2021 sur ce blog), se tourne une nouvelle page de l’histoire ferroviaire de ce pays: la constitution d’un réseau métrique de 850 kilomètres. La station de transformation d’Interlaken Ost permettra aux convois à écartement variable de relier directement Montreux à Oberwald sans même faire appel à la crémaillère. Dès Oberwald, le «Palmier Glacier Express» atteindra Coire et Saint-Moritz, toujours sans transbordement; l’emprunt du réseau du Matterhorn Gotthard Bahn nécessitera l’utilisation ponctuelle de la crémaillère Abt –résolue depuis la traversée du Brünig grâce aux patins électromagnétiques– et l’adaptation à la tension d’alimentation (11 kV), légèrement inférieure à celle des CFF/BLS/Zentralbahn (15 kV). De son côté, le «Brünig Matterhorn Express» reliera Lucerne à Zermatt sans aucun rebroussement, ni changement d’écartement, mais avec deux types de crémaillère (Riggenbach de Lucerne à Meiringen, Abt d’Oberwald à Zermatt) et deux types d’alimentation (15 kV et 11 kV), nécessitant du matériel roulant remorqué à patins électromagnétiques et l’échange des locomotives à Oberwald (Fig. 1, étape 2).

Sur un plan plus local, une disposition adéquate de la gare de transformation d’Interlaken Ost permettra la concrétisation d’un vieux rêve des habitants de la Berne fédérale: gagner l’Oberland bernois, leur sanctuaire du week-end, sans transbordement à Interlaken [5]. Des convois directs Berne–Lauterbrunnen et Berne–Grindelwald sont imaginables, toujours astreints à des tronçons à crémaillère dès Zweilütschinen, sur le réseau du chemin de fer de l’Oberland bernois (Fig. 1, étape 2).

La revanche des chemins de fer rhétiques
Les chemins de fer rhétiques ont mangé leur pain noir en 1968, au moment où une ligne de bus direct entre l’aéroport de Kloten et Davos menaçait de plein fouet leur clientèle ferroviaire. Cette crise explique l’engouement de la compagnie pour le développement d’un bogie à écartement variable dans les années 1970. Ce projet, enlisé à l’époque, pourrait reprendre vie avec l’aménagement d’une gare de transformation à Landquart, permettant aux convois en provenance de Zurich Aéroport et de Zurich gare centrale de filer vers Davos d’une part, et Saint-Moritz d’autre part (Fig. 1, étape 3). La crémaillère n’est pas un obstacle pour ce réseau à adhérence, mais la mise à disposition de sillons adéquats sur la ligne principale de Zurich à Landquart pourrait être difficile à concilier avec la limitation à 100 km/h.

Et le rêve de Jimmy Brown?
Nous avons abandonné notre touriste américain à Genève, dans un train en partance pour Lucerne et son Expo 1991. Il y arrivera manifestement en retard, mais il pourra tout de même rejoindre Lucerne sans transbordement à une condition: attendre la construction d’une station de transformation à Montreux, pour passer du réseau CFF à celui du Montreux Oberland bernois.  Or les deux compagnies peaufinent aujourd’hui les futurs aménagements de cette gare, l’occasion rêvée… d’exaucer le rêve de notre voyageur (Fig. 1, étape 4)!

Quatre stations de transformation, à Zweisimmen, Interlaken Ost, Landquart et Montreux pourraient complètement transformer l’offre ferroviaire en Suisse, garantissant aux habitants des régions de montagne et aux touristes férus des Alpes un accès complètement nouveau. L’écartement variable, une percée technologique vaudoise, sera l’outil d’une transformation nationale de la mobilité.

Du même coup, un fabuleux marché d’exportation s’offre à notre industrie ferroviaire; dans une grande Europe où l’ex-URSS à l’est et l’Espagne à l’ouest ont fait écartement à part, le flux énorme de biens et de personnes impose l’abandon d’un anachronisme, la rupture de charge. Par son expérience et sa compétence en matière ferroviaire, notre industrie pourrait contribuer à rapprocher nos concitoyens, de Zermatt à Lucerne et de Saint-Moritz à Genève, et tous les Européens, des Pyrénées à l’Oural.

Longue vie au bogie qui bouge, un véritable boogie-woogie!

Daniel Mange, prof. honoraire EPFL, 1 février 2022

Remerciements
Depuis mon rêve de 1986, fédérer les compétences des Ateliers de constructions mécaniques de Vevey et celles de la Schweizerische Industrie-Gesellschaft pour le projet «Bogie à écartement variable pour voiture de chemin de fer», il s’est écoulé 35 ans jusqu’à cette journée magique du 3 décembre 2021 qui a vu rouler le premier convoi du GoldenPass Express entre Gstaad et Interlaken Ost, sans transbordement à Zweisimmen. Je suis donc particulièrement reconnaissant aux cadres du Montreux Oberland bernois qui ont organisé cet événement et qui m’ont convié à partager ce moment unique: Jérôme Gachet, responsable de la communication et maître des cérémonies, Michel Sauteur, chef de projet et grand manitou du bogie à écartement variable, et Raphaël Gabriel, en charge du marketing.

J’adresse ma reconnaissance à Jean Vernet, fin connaisseur des chemins de fer et talenteux photographe, pour la mise à disposition de la figure 2.

Je remercie également Madame Annette Rochaix-Goldschmidt, veuve de Jean-Louis Rochaix et contributrice de la collection des livres voués aux chemins de fer vaudois, pour la mise à disposition de la figure 3.

Références

[1] D. Mange, Le défi vaudois, 24 heures, 18 septembre 1986.

[2] D. Mange, «Rail 2000»: le défi vaudois, Gazette de Lausanne, 1 octobre 1986.

[3] M. Grandguillaume, J. Jotterand, Y. Merminod, J. Paillard, J.-L. Rochaix, P. Stauffer, J. Thuillard, Les tramways lausannois 1896-1964, Bureau vaudois d’adresses, Lausanne, 1977.

[4] Les engins moteurs à écartement variable (locomotives, automotrices) constituent une niche technologique réservée à un nombre très limité d’industries, réparties actuellement dans trois pays: Chine, Japon et Espagne.

L’entreprise chinoise CRRC a annoncé en octobre 2020 la mise au point d’une rame à grande vitesse(400 km/h) destinée dans une première étape à passer de l’écartement chinois, normal (1435 mm), à l’écartement russe (1520 mm); d’autres écartements, y compris métrique, pourraient suivre.

C’est au Japon que les développements les plus proches du cas suisse (passage du réseau à grande vitesse et voie normale du Shinkansen au réseau de base de 1067 mm) ont été entrepris sur une longue durée. La première rame automotrice à trois éléments est sortie d’usine en 1998 (voir l’article Ecartement variable: des règles du théâtre classique aux rêves du GoldenPass Express du 12 mars 2021). Cette réalisation a été suivie d’un deuxième modèle en 2007, puis d’une troisième version en avril 2014, mise au point par l’entreprise Kawasaki; composée de quatre voitures, elle pouvait rouler à 270 km/h sur la ligne à grande vitesse et à 130 km/h sur le réseau régional. En juin 2017, la compagnie de chemin de fer Japan Railways Kyushu abandonne définitivement le projet pour des raisons de coût et de sécurité.

En Espagne, les deux entreprises rivales Talgo (voir l’article du 12 mars 2021) et CAF (Construcciones y Auxiliar de Ferrocarriles) se livrent à une concurrence sans merci sur ce segment industriel. Talgo inaugure en 2000 une rame automotrice à traction diesel destinée à la grande vitesse, le Talgo XXI, décrite dans l’article du 12 mars 2021. Dès 2007, les rames S130 à grande vitesse roulent à 250 km/h et incluent l’écartement variable des essieux moteurs. En février 2021, la première rame de la série S106, dénommée Avril (Alta velocidad, rueda independiente, ligero), démarre ses essais en ligne en visant 330 km/h avec écartement variable.

CAF annonce en 2005 le premier train au monde à écartement variable et grande vitesse: il s’agit de la série S120, composée de quatre automotrices bicourant, munies de bogies Brava susceptibles de rouler à 250 km/h sur voie normale et 200 km/h sur voie espagnole (1668 mm). A l’exposition 2008 d’Innotrans, à Berlin, CAF présente son nouveau prototype AVI (Alta Velocidad Interoperable), «le TGV interopérable capable de rallier Cadix à Moscou», destiné à franchir les trois barrières de l’écartement, de l’alimentation électrique et du système de signalisation tout en roulant à 320 km/h.

En résumé, la Chine pourrait être considérée comme un partenaire potentiel dans le long terme au vu de sa force de frappe industrielle. Le Japon a malheureusement abandonné la partie, tandis que les entreprises espagnoles Talgo et CAF maitrisent parfaitement leur sujet, avec des contraintes d’écartement (de 1435 à 1668 mm) assez éloignées des valeurs helvétiques.

Reste une inconnue: notre entreprise nationale, Stadler Rail, est déjà présente sur le marché du matériel roulant remorqué à écartement variable, avec l’exportation de voitures-lits et voitures-restaurants en Azerbaïdjan (1435 à 1520 mm) [7]. Stadler Rail sera-t-elle un jour tentée de se pencher sur le redoutable dossier des bogies motorisés à écartement variable? Le possible abandon de la crémaillère sur l’axe Meiringen–Brünig–Lucerne nous alerte: l’étude de rames motorisées à écartement variable doit démarrer aujourd’hui pour être opérationnelle après-demain!

[5] H. Schild, Visionäre Bahnprojekte, AS Verlag, Zürich, 2013, S. 16: Direktzüge Berlin Hbf–Lauterbrunnen…

[6] Ingénierie de système. Chemins de fer à crémaillère, Union des transports publics (UTP), Berne, 31 mars 2010.

[7] Schlaf- und Speisewagen für Aserbaidschan, Schweizer Eisenbahn-Revue, Nr 8/9, 2014, S. 392.

 

Le blog Mobilité tous azimuts se termine aujourd’hui avec cette sixième rubrique consacrée à l’écartement variable. Vous pourrez me retrouver, pour des nouvelles plus ponctuelles, sur la page Actualité du site internet de la communauté d’intérêts pour les transports publics, section vaud (citrap-vaud) à l’adresse suivante:

https://www.citrap-vaud.ch/breves/

Merci pour l’attention que vous avez portée au présent blog et très cordiales amitiés,

Daniel Mange

 

SwissRailvolution: un électrochoc pour le rail suisse

Les trois défis du chemin de fer suisse
Notre chemin de fer doit relever aujourd’hui trois défis: faire face à un vieillissement avéré, contribuer à la résolution de la crise climatique et assurer l’équilibre territorial du pays, en rapprochant notamment les régions de montagne du Plateau et de ses métropoles.

L’association nationale SwissRailvolution vient d’être créée à Berne, le 1 décembre 2021, pour relever ces défis.

L’obsolescence
Le chemin de fer suisse est un grand vieillard. L’essentiel du réseau, construit entre 1850 et 1900, a maintenant plus de cent cinquante ans. Sa santé n’est pas en cause: auscultée en permanence, l’infrastructure se révèle en excellent état; elle a été constamment adaptée aux exigences du trafic: double voie, électrification, rails longs, réfection des ponts et tunnels (Fig. 1), signalisation en cabine… Mais, à l’exception du tronçon nouveau de Berne à Olten (Mattstetten–Rothrist) et des trois tunnels de base à travers les Alpes (Lötschberg, Saint-Gothard et Monte Ceneri), toutes les lignes du réseau ont conservé la géométrie héritée du 19e siècle, le plus souvent tourmentée et limitée en vitesse.

Péripétie aggravante: agglutinés sur les quais, les voyageurs frissonnent au passage des express qui les frôlent sans protection. Ce danger permanent explique la limitation stricte des convois traversant les gares sans arrêt; à Morges, par exemple, les InterCity sont bridés à 135 km/h.

Fig. 1 Août 2020: réfection du tunnel de Bertholod, à Lutry, dont la construction remonte à 1861, il y a donc 160 ans! (photo de Patrick Martin, 24 heures du 31 août 2020)

La crise climatique
La lutte contre le réchauffement atmosphérique a révélé les vertus du mode de transport ferroviaire, basé sur le couple mythique roue/rail; le très faible frottement de ce dispositif entraîne une dépense d’énergie minime par passager transporté, tandis que la traction électrique –d’origine hydraulique dans le cas suisse– bannit toute production de gaz à effet de serre.

Au moment où la pandémie du corona virus malmène le transport aérien, dont les vols court-courriers sont partiellement condamnés, le chemin de fer doit aujourd’hui relever un nouveau défi: remplacer l’avion pour des trajets de jour en train à grande vitesse (4 heures de voyage ou 1’000 km) et des trajets de nuit en voiture-lits (une dizaine d’heures).

L’équilibre territorial
Le chemin de fer a toujours joué un rôle clef dans l’équilibre entre les différentes régions du pays. Son développement doit profiter autant aux espaces métropolitains qu’au Plateau et aux régions de montagne. Les planificateurs de 1970 s’en rappellent amèrement: le projet des nouvelles transversales ferroviaires, de Genève à Saint-Gall et de Bâle à Olten, a été sèchement repoussé par une majorité de cantons, opposés à une vision ressentie comme centralisatrice, métropolitaine et profitable au seul Plateau.

SwissRailvolution: trois objectifs essentiels
La nécessité de rénover le réseau ferroviaire –en particulier l’aménagement de lignes à haute performance– coïncide très heureusement avec le nouveau rôle du chemin de fer sur le plan européen, où il est appelé à remplacer l’avion sur de courtes et moyennes distances. Mais cette reconstruction du réseau doit se faire dans une politique confédérale, où toutes les régions du pays bénéficieront du renouveau.

SwissRailvolution est le projet global de renaissance du rail, pour toute la Suisse. Il vise les trois objectifs essentiels suivants:

  • Voyager plus vite et plus loin, en offrant une alternative ferroviaire, à vitesse élevée, aux déplacements en voiture et en avion; des liaisons entre toutes les agglomérations du pays, avec une intégration performante au réseau européen à grande vitesse, seront renforcées et accélérées, y compris la relance des trains de nuit.
  • Irriguer tout le territoire suisse, en améliorant les relations directes entre les centres urbains, le Plateau et les régions de montagne; des nouveautés techniques, comme le tram-train ou l’écartement variable, permettent de gommer les frontières entre le réseau principal et les réseaux secondaires.
  • Revoir la desserte du fret et la répartition modale, en cherchant à transférer le trafic marchandises de la route au rail, en particulier sur l’axe Nord-Sud; encourager d’autres systèmes de transport de marchandises plus performants comme le Cargo Sous Terrain, le TGV fret ou le tram cargo.

SwissRailvolution: quel agenda?
La troisième étape du FAIF (financement et aménagement de l’infrastructure ferroviaire) débutera en 2035 pour s’achever 5 à 10 ans plus tard (2040 à 2045). Cette étape dicte le calendrier des planificateurs, en particulier des cantons, qui doivent remettre leur copie à l’Office fédéral des transports en 2022 déjà. C’est à cette date que l’association SwissRailvolution doit être prête à remettre son projet.

Celui-ci s’appuie d’abord sur la Croix fédérale de la mobilité, qui assurera le trafic voyageurs à longue distance et prendra idéalement la forme de deux axes à haute performance Ouest-Est et Nord-Sud, de frontière à frontière (Fig. 2). Des connexions avec les principaux axes européens à grande vitesse font également partie de cette vision.

Fig. 2 Croix fédérale de la mobilité basée essentiellement sur deux axes Ouest-Est et Nord-Sud, de frontière à frontière (site Internet SwissRailvolution).

En parallèle, le nouveau tunnel du Grimsel, sur une ligne ferroviaire à aménager entre Meiringen et Oberwald (Fig. 3), combiné à la technologie de l’écartement variable sur l’axe Montreux–Interlaken–Lucerne, créera un Réseau métrique alpin de 850 km, reliant sans transbordement Montreux à Saint-Moritz et Lucerne à Zermatt.

Fig. 3 Le Réseau métrique alpin aménagé à partir du tunnel du Grimsel, entre Meiringen et Oberwald, et des convois à écartement variable entre Montreux et Lucerne (site Internet du GrimselTunnel).

SwissRailvolution: rejoignez-nous
SwissRailvolution
est une association à but non lucratif selon les articles 60 et suivants du Code civil suisse. En adhérant, vous participez activement à la création de conditions cadres fondamentales pour l’attractivité de la Suisse.

Vous trouverez toutes les informations utiles, en particulier le bulletin d’adhésion, le barème des cotisations, les statuts, sur le site Internet de l’association.

La nouvelle association SwissRailvolution veut accompagner le postulat «Croix fédérale de la mobilité» du Conseil des Etats et la «Perspective Rail 2050» de l’Office fédéral des transports. SwissRailvolution est l’émanation des organisations Pro Gottardo, CITraP Suisse, OuestRail, Pro Bahn Schweiz, usic (Union suisse des sociétés d’ingénieurs-conseils), Initiative des Alpes, alprail, AEDTF (Association européenne pour le développement du transport ferroviaire) et Stadler Rail. Filippo Lombardi, ancien conseiller aux Etats et municipal de la ville de Lugano en est le premier président, accompagné par quatre vice-président(e)s: Katja Christ, conseillère nationale, Olivier Français, conseiller aux Etats, Guido Schoch, ancien directeur des transports publics zurichois et Remigio Ratti, ancien conseiller national. Le secrétaire général est Tobias Imobersteg, président de la citrap-vaud.

L’Union européenne a décrété 2021 l’année du rail. Les Suisses marqueront l’événement par leur révolution du rail, SwissRailvolution.

Hommage aux pionniers
L’âge d’or du chemin de fer suisse prend fin avec l’apothéose de l’Exposition nationale de 1964, à Lausanne. L’ouverture cette même année de l’autoroute Genève–Lausanne préfigure l’arrivée d’un concurrent redoutable, la voiture automobile, et le démarrage du grand projet du réseau national d’autoroutes. Dès cette période, un grand nombre de personnalités vont tenter de freiner le déclin du chemin de fer et de relancer son développement; sans chercher à dresser un panorama exhaustif, tentons de citer les principaux acteurs de cette saga.

Oskar Baumann reste une figure légendaire des CFF, patron d’un service aujourd’hui disparu, le bureau d’étude Bau + Betrieb (travaux + exploitation) de la direction générale CFF; en 1969, une étude porte sur une ligne à grande vitesse Berne–Zurich. Seul le premier tronçon, de Berne à Olten, concrétisera dès 2004 la vision d’Oskar Baumann.

En 1974, les CFF ne manquent pas d’audace, et ils confient au bureau d’ingénieurs Bonnard & Gardel (BG) l’étude d’une ligne nouvelle de Genève à Lausanne. Ce travail, terminé en 1975, propose plusieurs variantes de couloirs, tous voisins du tracé de l’autoroute A1. Ce projet, inconnu du grand public, frappe par son audace et sa pertinence(1); six ans avant le lancement du premier TGV français entre Paris et Lyon, les ingénieurs de BG avaient déjà parfaitement intégré les trois impacts d’une ligne à grande vitesse: sur le trafic régional –en libérant des sillons de la ligne historique–, sur le trafic national –en reliant plus rapidement toutes les métropoles du pays–, et sur le trafic international, –en s’insérant déjà dans le schéma européen des lignes à grande vitesse–. Il faudra attendre 2018 pour que les CFF, éperonnés par le canton de Vaud(12), reprennent le dossier de la ligne nouvelle Genève–Lausanne.

Le tronçon de Genève-Cornavin à l’aéroport de Cointrin, bref appendice de 6 km, a été ouvert au trafic en mai 1987. Le patron de ce chantier complexe, l’ingénieur CFF Rodolphe Nieth, tentera de persuader son entreprise de boucler la boucle en faisant de la station de l’aéroport une gare traversante avec un barreau rejoignant directement l’axe historique Cornavin–Lausanne aux environs de Genthod-Bellevue(2). Pour des raisons essentiellement financières, cette proposition sera renvoyée aux calendes grecques, avant d’être reprise comme pièce maîtresse du projet de boucle par l’aéroport défendu dès 2013 par l’ingénieur Rodolphe Weibel et l’association Genève Route et Rail (GeReR)(3).

Jean-Marc Juge, ancien directeur du bureau d’ingénieurs Bonnard & Gardel, consacre plusieurs années de sa vie à imaginer, concevoir et défendre une ligne nouvelle à grande vitesse entre Mâcon et Genève, le fameux TGV Léman Mont-Blanc. En 1988, Bonnard & Gardel publie, sous sa plume, un rapport visionnaire intitulé La transversale Bourg-Genève par Nantua, élément d’un réseau ferroviaire européen à grande vitesse? Malgré un appui sans faille du canton de Genève(4), des considérations politiques françaises auront raison de ce projet, pour l’instant du moins.

Le 17 septembre 2007, à Berne, une conférence de presse est organisée par le Parti radical à l’instigation d’Olivier Français, conseiller municipal lausannois. Pour les radicaux, le constat est clair: alors qu’un réseau de trains à grande vitesse se développe dans toute l’Europe, il n’existe aucun projet en Suisse pour relier les grandes villes entre elles. L’axe Ouest-Est devrait constituer une priorité pour notre pays, pour son économie, pour le bien-être des travailleurs pendulaires, pour le tourisme, pour la cohésion nationale, pour l’écologie et la protection de l’environnement. Dans ce contexte, Olivier Français propose un premier objectif: relier Lausanne à Berne en trente minutes, par une ligne entièrement nouvelle de 86 kilomètres, apte à une vitesse de 300 km/h. Dès ce jour, Olivier Français, élu successivement conseiller national, puis conseiller aux Etats, va poursuivre son combat en défendant sa vision sous l’appellation de la Croix fédérale de la mobilité, combinant l’axe Ouest-Est (Genève–Saint-Gall) avec l’axe Nord-Sud (Bâle–Chiasso) via le Saint-Gothard(5).

Le 26 juin 2010, le Parti libéral-radical suisse adopte sans opposition une proposition des Jeunes libéraux-radicaux (JLR), visant à confier au Conseil fédéral un projet de lignes à grande vitesse en Suisse, de Genève à Saint-Gall et de Bâle à Chiasso. Sous l’impulsion de leur vice-président Philippe Nantermod et inspirés par le Plan Rail 2050 de la citrap-vaud comme par la Croix fédérale de la mobilité d’Olivier Français, les JLR vont jusqu’à rédiger un projet d’initiative populaire fédérale Pour des trains à grande vitesse en Suisse; le coeur de cette initiative est un nouvel article 83bis de la constitution:

  1. La Confédération assure la création d’un réseau de lignes ferroviaires à grande vitesse reliant les grandes villes de Suisse et le réseau ferroviaire frontalier à grande vitesse et veille à ce que ce réseau soit utilisable.
  2. La Confédération construit, entretient et exploite le réseau de lignes ferroviaires à grande vitesse. Elle en supporte les coûts. Elle peut confier ces tâches en partie ou en totalité à des organismes publics, privés ou mixtes.
  3. Le réseau à grande vitesse doit relier de manière efficace toutes les régions de la Suisse.

Le soutien d’un grand parti gouvernemental n’a pas suffi à concrétiser ce projet, resté malheureusement sans suite jusqu’à ce jour.

Malgré toutes ses qualités, le projet de ligne nouvelle Genève–Lausanne, proposé par Bonnard et Gardel en 1975, a sombré dans l’oubli(1). C’est la découverte fortuite de ce document qui a déclenché les travaux d’un groupe d’experts de la Communauté d’intérêts pour les transports publics, section Vaud (citrap-vaud), un lobby des usagers. Sous le titre Plan Rail 2050, ce groupe de travail a étendu sa recherche à tous les projets de grande vitesse en Suisse et dans les pays limitrophes pour en tirer un panorama historique, suivi d’un projet de renaissance du rail en trois étapes, Cadence, Fréquence et Vitesse. Une première édition en langue française, intitulée Plan Rail 2050. Plaidoyer pour la vitesse paraît en 2010 sous la plume de 10 co-auteurs (Daniel Mange, Jean-Pierre Ammann, Gérard Benz,  Frédéric Bründler, Alain Faucherre, Nicholas Helke, Eric Loutan, Boris Schereschewsky, Yves Trottet, Jean Vernet)(6), suivie en 2012 d’une seconde édition revue et complétée, en langue allemande (avec cinq nouveaux co-auteurs, dont trois suisses alémaniques, Michael Chatelan, Giovanni Danielli, Pierre Hofmann, Jürg Perrelet et Pierre Strittmatter)(7). Le même groupe de travail publie en 2014 un livre blanc consacré à l’axe Genève–Lausanne, intitulé Ligne ferroviaire nouvelle entre Genève et Lausanne sous la plume de 11 co-auteurs (Daniel Mange, Michel Béguelin, Eugen Brühwiler, Frédéric Bründler, Michael Chatelan, Pierre Hofmann, Sara Ibáñez, Eric Loutan, Boris Schereschewsky, Yves Trottet, Rodolphe Weibel)(8), mis à jour deux ans plus tard par un rapport d’étape 2016 introduisant un nouveau co-auteur, Didier Pantet(9).

Le projet de ligne nouvelle Berne–Zurich rêvé par Oskar Baumann en 1969 ne s’est concrétisé qu’en partie, entre la sortie de Berne et les environs d’Olten; la poursuite de cette direttissima en direction de Zurich est le fer de lance d’un groupe d’experts suisses alémaniques, sous la bannière de Rail 2000 plus (Bahn 2000 plus). Sous la houlette de Hans Bosshard, ancien cheminot, puis journaliste ferroviaire de la Neue Zürcher Zeitung, et de Jürg Perrelet, successivement ingénieur EPFZ, collaborateur d’Oskar Baumann, puis chef de section à l’Office fédéral des transports, ces experts défendent une véritable ligne à grande vitesse contournant Olten et Aarau, et permettant à terme de relier Berne à Zurich en 30 minutes(10).

Le professeur Ulrich Weidmann, actuellement vice-président EPPZ et ancien directeur de l’Institut pour la planification du trafic et les systèmes de transport de la même école (Institut für Verkehrsplanung und Transportsysteme), a été l’un des rares partisans de la grande vitesse ferroviaire en Suisse. Il a soutenu en particulier le projet Rail 2000 plus de Hans Bosshard et Jürg Perrelet à la place des projets officiels d’amélioration ponctuelle de l’axe historique desservant Olten et Aarau(13).

Dès 2000, Carlo Pfund, ancien directeur de l’Union des transports publics (UTP), consacre sa retraite à l’analyse du développement de la grande vitesse ferroviaire en Europe; ses études sont d’abord publiées par la LITRA, le Service d’information pour les transports publics, puis, dès 2016 et jusqu’à son décès en 2018, sur le site internet de la citrap-vaud sous la rubrique Grande vitesse ferroviaire/Eisenbahnhochgeschwindigkeit.

En octobre 2013, la citrap-vaud donne la parole à Frédéric Bründler qui surprend son auditoire en proposant une direttissima Morges–Lausanne via une gare Hautes Ecoles, comme tronçon final de la ligne nouvelle Genève–Lausanne(9). Quelques mois plus tard, l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne et BG Ingénieurs Conseils, sous la plume d’Olivier de Watteville, Dimitri Simos et Martin Schuler, publient un rapport approfondi sur le même thème et proposent trois variantes d’une ligne nouvelle CFF desservant le campus universitaire lausannois(11). Le terrain était donc mûr pour l’interpellation(12)  au Grand Conseil vaudois du député PLR Stéphane Masson, questionnant l’Etat sur l’opportunité d’étudier à la fois le tronçon nouveau Morges–Lausanne et l’implantation d’une gare Hautes Ecoles. Dans sa réponse du 4 mars 2020(12), le Conseil d’Etat soumet au Parlement un crédit d’étude de 11 millions de francs pour la planification ferroviaire à l’horizon 2050 (Vision 2050), incluant explicitement l’étude d’une ligne nouvelle Genève–Lausanne et d’une gare Hautes Ecoles.

Le 18 avril 2018, une rencontre historique regroupe à Lausanne trois membres des associations Pro Gottardo (Federica Colombo et Remigio Ratti) et de la citrap-vaud (Daniel Mange). Outre ses intérêts pour la ligne du Gothard et son tronçon tessinois, Pro Gottardo veut contribuer à la réalisation de la Croix fédérale de la mobilité, deux axes Ouest-Est et Nord-Sud, de frontière à frontière. Il découle de cette réunion la création d’un groupe de travail national, dénommé précisément Croix fédérale de la mobilité, qui tiendra 20 réunions du 4 juin 2018 au 7 juin 2021. Ce groupe, constitué essentiellement des membres de Pro Gottardo (Agostino Clericetti, Federica Colombo, Giovanna Masoni Brenni, Remigio Ratti, Renzo Respini), d’OuestRail (Michel Béguelin, Yannick Parvex), de la citrap-vaud (Tobias Imobersteg, Daniel Mange), de Pro Bahn Schweiz (Martin Stuber) et d’un observateur de Greater Zurich Area (Rolf Bühler), définira les objectifs stratégiques d’une nouvelle association nationale, SwissRailvolution, imaginera un logo, rédigera une plaquette de présentation, des statuts et un site Internet dans les trois langues nationales.

Ces pionnières et ces pionniers de la renaissance du rail suisse doivent être remerciés chaleureusement pour leurs efforts inlassables et leur engagement sans faille. Nous espérons que la fondation de SwissRailvolution répondra à leurs attentes et concrétisera leurs vœux les plus audacieux.

Daniel Mange, prof. honoraire EPFL, 2 décembre 2021

 

Références

(1) Bonnard & Gardel, Compagnie d’études de travaux publics, Liaison rapide Genève-Lausanne. Rapport intermédiaire, CFF, Direction du 1er arrondissement CFF, Lausanne, juin 1975.

(2) R. Nieth, Le raccordement ferroviaire Cornavin–Cointrin, route et trafic, No 5, mai 1988, pp. 293-297.

(3) R. Weibel, Genève ferroviaire, un contre-projet, Le Temps, 21 juin 2017, p. 10.

(4) TGV Léman Mont-Blanc. La solution directe, République et canton de Genève, Genève, 1996.

(5) Postulat 17.3262. Croix fédérale de la mobilité et vision du réseau ferroviaire, Berne, 3 avril 2017.

(6) D. Mange, J.-P. Ammann, G. Benz,  F. Bründler, A. Faucherre, N. Helke, E. Loutan, B. Schereschewsky, Y. Trottet, J. Vernet, Plan Rail 2050, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2010.

 (7) D. Mange, J.-P. Ammann, G. Benz, F. Bründler, M. Chatelan, G. Danielli, A. Faucherre, N. Helke, P. Hofmann, E. Loutan, J. Perrelet, B. Schereschewsky, P. Strittmatter, Y. Trottet, J. Vernet, Bahn-Plan 2050, Rüegger Verlag, Zürich/Chur, 2012.

(8) D. Mange, M. Béguelin, E. Brühwiler, F. Bründler, M. Chatelan, P. Hofmann, S. Ibáñez, E. Loutan, B. Schereschewsky, Y. Trottet, R. Weibel, Ligne ferroviaire nouvelle entre Genève et Lausanne, citrap-vaud.ch et CITraP Genève, Lausanne, avril 2014.

 (9) D. Mange, F. Bründler, M. Chatelan, D. Pantet, Ligne ferroviaire nouvelle Genève–Lausanne: rapport d’étape 2016, citrap-vaud, Lausanne, CITraP Genève, Genève, 21 novembre 2016.

(10) H. Bosshard, J. Perrelet, In 5 Jahren 500 km neue TGV-Strecken… und was tut die Schweiz?, 23. September 2016.

(11) O. de Watteville, D. Simos, M. Schuler, Nouvelle liaison ferroviaire Lausanne–Morges via les Hautes Ecoles, BG Ingénieurs Conseils, Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, 6 février 2014.

(12) Exposé des motifs et projet de décret accordant au Conseil d’Etat un crédit d’étude de CHF 11’000’000.- pour financer l’élaboration du programme cantonal de développement de l’offre ferroviaire à l’horizon 2025 et les études de planification d’offres nécessaires à la prochaine étape d’aménagement du réseau ferroviaire, Canton de Vaud, Lausanne, 4 mars 2020.

(13) U. Weidmann, D. Bruckmann, P. Frank, S. Höppner, NBS Chestenberg, Institut für Verkehrsplanung und Transportsysteme, Eidgenössische Technische Hochschule Zürich, 8. November 2011.

 

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Ecartement variable: vers un grand réseau alpin?

Les Winkelried du rail
Les années 90 sont riches en visionnaires ferroviaires. Du côté d’Aigle, Albert Hahling veut sauver l’Aigle-Sépey-Diablerets moribond par un express des Alpes, tandis que Willy Hubacher se bat sans relâche pour relier Sion à Gstaad via le col du Sanetsch. Qui sont ces Winkelried du rail et quels sont leurs combats?

Un express des Alpes
Albert Hahling, le «Zurichois d’Aigle» selon ses détracteurs, est d’abord un fou du patrimoine. Conservateur du Musée du sel de Bex, il se bat aussi pour sauver le château d’Ollon. Et quand le chemin de fer Aigle-Sépey-Diablerets (ASD) se trouve dans le collimateur des communes qu’il irrigue, c’est de nouveau Albert Hahling qui part au combat avec son projet d’Express des Alpes occidentales [1]; il vise à transformer le modeste tortillard d’Aigle aux Diablerets en un nouveau Glacier Express, traversant les Alpes de Lucerne à Cluses (France), à deux pas de Chamonix, selon le schéma suivant (Fig. 1):

• De Lucerne à Gstaad, c’est le trajet bien connu du GoldenPass, entraînant la pose d’un troisième rail entre Interlaken et Zweisimmen.
• De Gstaad aux Diablerets, un tronçon nouveau s’impose via Gsteig et le col du Pillon.
• Depuis Les Diablerets, l’emprunt successif des deux tronçons existants de l’ASD et de l’Aigle-Ollon-Monthey-Champéry (AOMC) conduit à Champéry.
• Une ligne nouvelle relie enfin Champéry à Morzine d’abord –où s’invite un long tunnel– puis à Cluses, sur l’axe ferroviaire Annecy/Annemasse–La-Roche-sur-Foron–Chamonix–Martigny.

Fig. 1 Réseau de l’Express des Alpes occidentales avec sa ligne de Lucerne à Cluses (France) via Interlaken, Zweisimmen, Gstaad, Les Diablerets, Aigle, Champéry et Morzine (carte Albert Hahling, mai 1990).

Sur les 290 kilomètres de l’Express des Alpes occidentales, 65 kilomètres sont à construire, soit 20% du parcours complet. Le tronçon de Gstaad aux Diablerets sera soutenu par le Comité Nouvel ASD, présidé par Philippe Nicollier et assisté par un groupe d’ingénieurs, piloté par Olivier Français, actuel conseiller aux Etats. L’avant-projet, rendu public en 1997, prévoyait une ligne Les Diablerets–Col du Pillon–Gsteig de 14,6 kilomètres, avec une pente modérée de 6% excluant la crémaillère; le tronçon comprend trois courts tunnels et deux ponts majeurs, et dessert notamment les remontées mécaniques du glacier des Diablerets à partir des haltes du Col du Pillon et de Reusch. L’investissement final, incluant le matériel roulant, s’élève à 180 millions de francs.

Sion–Gstaad par le col du Sanetsch
L’ingénieur sédunois Willy Hubacher veut à tout prix relier Sion à Gstaad par voie ferrée. Les études de l’Association Sion-Gstaad (ASG) prévoient une liaison de 42 kilomètres, avec un tunnel de faîte sous le col du Sanetsch; le coût total s’élève à plus de 450 millions de francs.

Pour partir à l’assaut du tunnel du Sanetsch, long de 9 kilomètres, la ligne s’élève de plus de 1000 mètres depuis Sion; une boucle ou un tunnel hélicoïdal s’impose pour éviter la crémaillère. La sortie nord du tunnel débouche sur Gsteig, d’où s’étire un tronçon d’une dizaine de kilomètres commun à la future ligne Gstaad–Les Diablerets (Fig. 1)|2].

En sus des difficultés de financement, le projet du Sanetsch doit faire face à un autre écueil, géologique cette fois: le tunnel routier du Rawyl, à 12 kilomètres à l’est, n’a jamais pu être construit, car situé au cœur d’une des régions du pays les plus sensibles aux tremblements de terre!

Pour tous les partisans du Sion–Gstaad, le projet est indissociable de la liaison GoldenPass du MOB, assurant les trajets sans transbordement de Sion à Lucerne via Gstaad; par ailleurs, la mise en commun du tronçon Gsteig–Gstaad avec l’Express des Alpes occidentales d’Albert Hahling  diminue la facture globale. La carte parue dans Le Temps du 1 juin 1999 met bien en évidence la synergie des deux projets (Fig. 2)[3].

Fig. 2  Synergie entre les deux projets de Sion–Gstaad (Willy Hubacher) et de l’Express des Alpes occidentales, de Lucerne à Cluses via Gstaad et Gsteig (Albert Hahling) (carte Le Temps du 1 juin 1999, Joël Sutter).

Porta Alpina: rêve alpin ou monstre du loch Ness?
Le rêve d’une gare souterraine dans le tunnel de base du Saint-Gothard –à l’aplomb de Sedrun, cœur de la Surselva– a repris vie dans le débat politique grison en juin 2020; le projet, né en 2003, puis enterré en 2012, devrait être réexaminé par le Canton. Les habitants de la Surselva, l’un des bastions de la langue romanche, visent toujours un désenclavement et l’accès plus direct au nord (Lucerne, Zurich), comme au sud (Tessin, Milan), grâce au tunnel du Saint-Gothard qui croise à 800 mètres sous terre la ligne métrique Andermatt–Disentis/Mustér du Matterhorn Gotthard Bahn (MGB) (Fig. 3). A ce même emplacement, le tunnel de base est déjà équipé d’une station de croisement permettant l’aménagement d’une halte ferroviaire (Fig. 4)[4].

Fig. 3 Localisation de la future gare Porta Alpina dans le tunnel de base du Saint-Gothard, à l’aplomb de la gare Sedrun du Matterhorn Gotthard Bahn (Canton des Grisons).

Mais la connexion des deux systèmes ferroviaires implique une véritable course d’obstacles: un minibus électrique devrait d’abord regrouper les voyageurs de la station Porta Alpina pour les conduire au super ascenseur à deux étages; celui-ci, battant tous les records mondiaux, s’élèverait de 800 mètres pour passer le relais à un second bus destiné à parcourir un kilomètre de galerie d’accès et atteindre finalement la gare de Sedrun du MGB.

Fig. 4 Schéma de la gare Porta Alpina avec ses accès vertical (ascenseur de 800 mètres) et horizontal (galerie d’accès de 990 mètres)(AlpTransit AG).

Outre l’écueil financier –le projet n’est pas prévu dans l’étape 2025-2035 du FAIF (financement et aménagement de l’infrastructure ferroviaire)– il reste une difficulté technique redoutable: le trafic mixte des trains de voyageurs et de fret au sein du tunnel de base est totalement incompatible avec l’arrêt de certains convois en pleine voie… à moins de doubler celle-ci par un tronçon destiné au stationnement. L’expert ferroviaire Kurt Metz, devant les difficultés du projet, n’hésite pas à le déplacer dans le tunnel de faîte du Saint-Gothard, qui passe exactement au-dessous d’Andermatt, à 300 mètres de profondeur. Une halte souterraine accueillant les rames Treno Gottardo du Südostbahn (Bâle/Zurich–Locarno) et un ascenseur continu –du type paternoster– constitueraient une variante très économique du projet Porta Alpina que Kurt Metz n’hésite pas à qualifier de monstre du loch Ness [5].

A l’assaut du Grimsel
Col du Grimsel: plus d’une centaine de pylônes soutiennent la ligne aérienne à haute tension alimentée par la centrale électrique d’Oberhasli. Cette zone alpine, d’une topographie pentue et resserrée, figure depuis 2001 au patrimoine mondial de l’UNESCO. A l’occasion de sa rénovation, la ligne aérienne pourrait disparaître, enfouie dans une galerie; la sécurité de l’approvisionnement électrique et la sauvegarde du paysage seraient simultanément assurées.

Un coup d’œil à la carte ferroviaire montre que le réseau métrique alpin est partagé en deux (Fig.5):

• Le réseau nord englobe essentiellement le Montreux Oberland bernois, de Montreux à Zweisimmen, le tronçon à voie normale –parcouru par le GoldenPass Express à écartement variable– de Zweisimmen à Interlaken, et le Zentralbahn, d’Interlaken à Lucerne, puis Engelberg.
• Le réseau sud regroupe le Matterhorn Gotthard Bahn et les chemins de fer rhétiques, reliant Zermatt à Brigue, Andermatt, Coire, Davos, Saint-Moritz, voire Tirano.

Fig. 5 Réseau métrique alpin avec un réseau nord (MOB et Zentralbahn) et un réseau sud (Matterhorn Gotthard Bahn et chemins de fer rhétiques) reliés par le futur Grimselbahn de Meiringen à Oberwald (carte Grimselbahn).

La jonction des deux réseaux peut être idéalement réalisée par l’aménagement d’une ligne nouvelle entre Meiringen et Oberwald, suivant exactement le tracé de la ligne aérienne à enterrer.

En rappelant que le tronçon Meiringen–Innertkirchen fait partie dès 2021 de la compagnie Zentralbahn, l’objectif du Grimselbahn reste aujourd’hui la planification d’un tunnel ferroviaire entre Innertkirchen et Oberwald (Fig. 6); cet ouvrage, d’une longueur de 22 kilomètres et d’une pente maximale de 6%, exclut la crémaillère, mais inclut le passage de la ligne à haute tension. La facture finale, de l’ordre de 600 millions de francs, se partagerait entre Swissgrid, propriétaire de la ligne électrique, et le Grimselbahn; celui-ci se tournerait bien entendu vers la Confédération pour jouir de sa procédure FAIF.

Fig. 6 Carte détaillée de la ligne du Grimsebahn, d’Innertkirchen à Oberwald (carte Grimselbahn).

Les retombées ferroviaires d’un tel projet sont attrayantes: de nouveaux trains pourraient relier sans transbordement Montreux à Saint-Moritz, ou Lucerne à Zermatt. On peut donc espérer des retombées considérables pour la population alpine comme pour le tourisme international.

Mais le percement du tunnel du Grimsel n’effacera pas d’un seul coup de baguette magique toutes les spécificités des diverses compagnies métriques; des crémaillères et des tensions électriques différentes vont compliquer la tâche des planificateurs, sans oublier les contraintes du matériel roulant à écartement variable. Un prochain article tentera de faire l’inventaire des problèmes posés et des solutions proposées.

Quelles perspectives alpines pour le 21e siècle?
L’achèvement du tunnel de base du Lötschberg, prévu dans l’étape 2025-2035 du FAIF, conclura l’énorme effort consenti par la Suisse pour transformer ses corridors alpins nord-sud en deux véritables lignes de plaine, l’une via le Saint-Gothard et le Monte Ceneri, l’autre par le Lötschberg et le Simplon.

Le réseau métrique alpin, irriguant la Suisse d’ouest en est, n’a pas connu le même sort; cette situation explique les tentatives de nos Winkelried du rail, Albert Hahling et Willy Hubacher, ou les pionniers de Porta Alpina. Que reste-t-il de leur héritage? On peut certainement remettre à plus tard l’aménagement des tronçons Champéry–Cluses de l’Express des Alpes occidentales et Sion–Gsteig du projet Sion–Gstaad: leur rapport performance/coût est dissuasif. Par contre, le court tronçon Gstaad–Gsteig–Les Diablerets, au budget abordable, devrait impérativement faire l’objet d’une mise à jour. Les défauts rédhibitoires de la station Porta Alpina pourraient conduire à approfondir la suggestion de Kurt Metz: une liaison verticale entre le tunnel de faîte du Saint-Gothard et Andermatt.

Enfin, la création d’un réseau métrique de 850 kilomètres, grâce au percement du tunnel du Grimsel, reste le projet alpin de ce siècle. Des signes avant-coureurs sont déjà perceptibles: les Communautés d’intérêts GoldenPass et Grimselbahn ont décidé en septembre 2021 leur fusion pour constituer une nouvelle «Communauté d’intérêts du tunnel du Grimsel-fusion des réseaux à voie étroite». Ce rapprochement entraînera notamment l’étude d’une station de transformation à Interlaken Ost pour permettre au GoldenPass Express de foncer à l’est; ce sera le premier pas vers la constitution d’un grand réseau métrique, le pendant alpin de la Croix fédérale de la mobilité, un réseau à voie normale à hautes performances.

Daniel Mange, 1 novembre 2021

Remerciements
Je remercie très vivement le conseiller aux Etats Olivier Français qui m’a résumé son projet et aiguillé sur la piste d’un véritable trésor, les archives de la ligne Les Diablerets–Pillon–Gsteig, déposées au Musée des Ormonts, à Vers-l’Eglise. J’adresse toute ma reconnaissance à Madame Mary-Claude Busset, historienne et conservatrice dudit Musée, pour avoir mis à ma disposition les archives en question et contribué à leur sélection.

Références

[1] A. Maillard, Un express pour les Alpes, L’Hebdo, 16 août 1990, pp. 23-24.

[2] Sanetsch-Bahntunnel als Alternative zum Rawil, Verkehr & Umwelt, Nr 3, 1987, S. 53.

[3] C. Roulet, Des Valaisans mandatent une fiduciaire pour relancer le train Sion–Gstaad, Le Temps, 1 juin 1999.

[4] G. Lob, Der Traum von der Porta Alpina lebt auf, InfoForum, Nr 3, 2020, S. 16-17.

[5] K. Metz, «Alptraum ohne Ende», InfoForum, Nr 4, 2020, S. 14.

 

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