Vision 2050 pour le rail vaudois: le trafic régional à son apogée

Dans l’édifice déjà mythique du Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne (Fig. 1), surgi des ruines du dépôt CFF des locomotives, s’est tenue le 3 juin 2020 une conférence de presse historique: le Conseil d’Etat vaudois a dévoilé sa Vision 2050 pour la renaissance du rail. Nuria Gorrite, présidente, et Pascal Broulis, ministre des finances et des relations extérieures, ont justifié les 11 millions demandés au Grand Conseil pour élaborer cette vision; le projet vise à planifier le développement des chemins de fer vaudois aux trois niveaux du trafic régional, national et international. Un état des lieux s’impose sur ces trois fronts.

Fig. 1 Le Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne, un édifice déjà mythique…

La stratégie du RER Vaud: désenclaver et rapprocher
Le Réseau express régional vaudois (RER Vaud) constitue depuis 2004 le noyau dur du trafic régional, déployé sur les voies à écartement normal, essentiellement en main des CFF(2)(3) (Fig. 2). Organisé autour de l’axe majeur Renens–Lausanne, bientôt à quatre voies, le RER lance ses tentacules dans toutes les directions du canton: la Côte (Allaman), le Nord vaudois (Vallorbe et Grandson), la Broye (Payerne et Morat), la Riviera (Vevey et Montreux) et le Chablais (Aigle). La stratégie de son déploiement est claire:  désenclaver et rapprocher toutes les régions et toutes les agglomérations, à l’image du projet emblématique de l’Orbe–Chavornay. Ici, la ligne historique, coupée du réseau CFF, deviendra une nouvelle antenne du RER Vaud, avec un accès sans transbordement jusqu’à Lausanne, voire Cully. La même stratégie s’applique à la vallée de Joux, où les convois partant du Brassus gagneront la capitale vaudoise, puis le Chablais (Aigle), sans changement de train: le trajet direct sera possible grâce à un rebroussement dans la gare du Day, judicieusement aménagée.

Fig. 2 Le Réseau express régional vaudois (RER Vaud): planification 2018 (selon Transports romands, No 19, novembre 2013).

Le développement du RER Vaud est prévisible dans trois directions au moins:

  • La vallée de la Broye (Moudon, Payerne, Avenches, Morat) reste toujours trop éloignée de la capitale; un rapprochement radical est suggéré par le postulat et l’interpellation de Christelle Luisier Brodard et consorts(8): utiliser le long tunnel de Lausanne à Vauderens (FR), prévu pour l’aménagement de la ligne nouvelle Lausanne–Fribourg–Berne, et raccorder ce tunnel au tronçon existant Moudon–Payerne–Morat.
  • L’irrigation du Chablais, en particulier de la gare de Bex, n’est pas optimale; dans ce cas, l’exploitation future devrait tenir compte de la desserte directe de Monthey par un nouvel axe CFF doublant la ligne historique Montreux–Aigle–Bex–Saint-Maurice; enfin, une liaison directe du Chablais à Berne via la ligne tangentielle Vevey–Chexbres–Puidoux pourrait répondre aux vœux de nombreux usagers.
  • L’Ouest lausannois vit une croissance économique et démographique sans précédent autour de la deuxième ville du canton, le campus universitaire regroupant l’EPFL et l’UNIL; l’interpellation de Stéphane Masson et consorts(8) évoque, dans le cadre d’une ligne nouvelle de Genève à Lausanne, l’aménagement d’une direttisssima Morges–Hautes Ecoles–Lausanne qui pourrait être empruntée par une relation du RER Vaud avec arrêts à Préverenges, Ecublens-Hautes Ecoles et Prilly-Malley; dans ce même secteur, on cherche depuis longtemps à mettre en valeur la ligne tangentielle Denges-Echandens–Bussigny pour des liaisons directes entre Morges et Yverdon.

La vocation des lignes régionales: irriguer
Les lignes régionales vaudoises, essentiellement à voie métrique et en main de compagnies privées, s’organisent selon les bassins de population (Fig. 3): Nyon (compagnie NStCM)(1), Morges (MBC), Lausanne et Gros-de-Vaud (LEB), Nord vaudois (TRAVYS), Riviera et Pays-d’Enhaut (MVR, MOB) et Chablais (TPC). Le leitmotiv est ici une modernisation en profondeur, par renouvellement du matériel roulant et de l’infrastructure, ainsi qu’une irrigation renforcée de chaque bassin par l’amélioration des cadences(4)(5)(6). De gros travaux ponctuels sont également entrepris sur le NStCM (nouveau dépôt-atelier à la plaine de l’Asse), sur le MBC (reconstruction du dépôt-atelier et de la gare de Bière), sur le LEB (nouveau tunnel pour pénétrer en ville de Lausanne), et sur les TPC (prolongement de l’Aigle-Leysin en direction de la télécabine pour la Berneuse, tronçon souterrain entre Arveyes et Villars). Autour de Lausanne et de sa région (tl), un réseau à voie normale tisse une toile serrée avec des cadences élevées (métro m1, futur tramway t1 vers Renens, puis Villars-Sainte-Croix) et une exploitation entièrement automatique (métro m2, futur métro m3 vers Lausanne Blécherette).

Fig. 3 Carte des lignes régionales vaudoises organisées par bassins de population (selon Transports romands, No 19, novembre 2013).

Les lignes régionales auront quelques défis à relever dans un horizon plus lointain:

  • L’Aigle-Leysin reste empêtré dans la circulation automobile au centre d’Aigle; une variante souterraine est à l’étude, de même qu’un hypothétique prolongement de Leysin-Place Large en direction du Sépey pour créer un métro alpin reliant Aigle aux Diablerets(9); avec le réchauffement climatique, le glacier des Diablerets deviendra l’un des derniers vestiges des stations d’hiver: le rêve d’une liaison ferroviaire des Diablerets à Gstaad (raccordement avec le Montreux-Oberland bernois) via le col du Pillon pourrait devenir réalité dans ce nouveau contexte…
  • Du côté de Bex, la ligne Bex–Villars–Bretaye reste toujours coupée du réseau de base des TPC et de son dépôt-atelier principal, centrés sur Aigle; une connexion entre ces deux systèmes devrait être étudiée dans le cadre de l’optimisation de la desserte du Chablais déjà évoquée plus haut.
  • L’essor de Châtel-Saint-Denis et Bulle, en terre fribourgeoise, relance l’idée de réhabiliter la ligne (Vevey–) Saint-Légier–Châtel, abandonnée en 1969; l’étude menée à l’EPFL en 2016 permettrait d’alimenter le débat.
  • Dans l’agglomération lausannoise, le métro m1, surchargé, fait l’objet d’une étude d’optimisation(8): son destin devrait être étroitement lié à la future direttissima Morges–Hautes Ecoles–Lausanne, ainsi qu’au projet d’un métro m4 reliant La Sallaz à l’EPFL via le tunnel Tridel, selon la suggestion de la citrap-vaud(10); les planificateurs les plus optimistes évoquent aussi un prolongement du Lausanne-Echallens-Bercher en direction d’Yverdon-les-Bains, copiant très fidèlement son modèle, le régional Berne–Soleure…

L’écartement variable pour casser la barrière entre réseau de base et lignes à voie métrique
Toute l’histoire ferroviaire suisse se ramène à l’aménagement d’un réseau de base à l’écartement normal (1’435 mm), exploité par les CFF et quelques grandes compagnies privées, et d’une kyrielle de lignes régionales à voie étroite, essentiellement métrique, dispersées et isolées. L’ambitieux projet du Montreux-Oberland bernois (MOB), la conception d’un matériel roulant «amphibie», capable de passer en quelques secondes d’un écartement à l’autre, va briser la frontière qui isole des deux systèmes (Fig. 4). Dès l’été 2021, des convois relieront Montreux à Interlaken, et vice-versa, sans l’incontournable transbordement à Zweisimmen. La généralisation du concept va révolutionner la géographie ferroviaire suisse, en ouvrant la voie à des relations directes de Genève-Aéroport à Interlaken ou de Zurich-Kloten à Saint-Moritz. La compagnie du MOB, qui peaufine déjà une transformation profonde de la gare de Montreux, n’exclut pas d’y recevoir les convois à écartement variable en provenance de Genève-Aéroport. Sur un plan plus local, le trafic de gravier entre Apples et Gland, assuré par la compagnie MBC, pourrait également tirer parti de cette technologie pour écourter le fastidieux changement d’écartement en gare de Morges.

Fig. 4 Voiture du MOB à écartement variable en construction chez le fabricant Stadler (photo Chantal Dervey, 24 heures, 20 janvier 2020).

Trafic régional: un bilan sans nuage
Sous l’impulsion de la ministre des infrastructures, Nuria Gorrite, le transport régional vaudois a connu dès 2012 un essor sans précédent. Au développement du RER Vaud, des lignes régionales et de l’écartement variable se rajoutent encore des chantiers transversaux au bénéfice de tous, exploitants, usagers et citoyens contribuables:

  • La commande groupée de 30 rames automotrices Stadler pour toutes les compagnies régionales, abaissant les coûts de production;
  • la création du centre romand pour l’entretien des bogies RailTech, à Villeneuve;
  • la fusion de la compagnie Orbe-Chavornay avec le groupe TRAVYS(1) en 2007, la reprise du funiculaire Cossonay-Penthalaz–Cossonay-Ville par le MBC en 2010, la fusion des trois compagnies lausannoises tl, tsol et LO/LG en 2012, le rachat de la ligne Vevey–Chexbres–Puidoux par les CFF en 2013, ainsi que la délégation de l‘exploitation du LEB aux tl dès 2013.

Les techniques modernes de l’électronique, de l’informatique et de l’intelligence artificielle sont de plus en présentes dans les systèmes de transport. Leur sophistication nécessite d’accroître les collaborations, de créer des pôles de compétence communs (comme pour l’entretien des bogies) et, enfin, d’envisager de nouvelles fusions. Et pourquoi ne pas rêver à une unique compagnie des transports publics vaudois, à l’image de la plupart des cantons suisses(7)?

Une alternative à la fusion complète pourrait être la constitution d’une société gérant l’ensemble des infrastructures ferroviaires du canton, laissant aux compagnies et à leurs conseils d’administration la responsabilité de l’offre et de l’exploitation.

Vers le trafic national et international
A l’aube de 2020, il manquait un dernier morceau du puzzle: une vision globale du développement ferroviaire des lignes nationales, y compris le trafic international vers la France et l’Italie. La crise sanitaire du coronavirus n’a pas brisé l’élan du Conseil d’Etat vaudois; celui-ci a déposé en mars de la même année un document historique, l’Exposé des motifs et projet de décret demandant au Grand Conseil un crédit de 11 millions de CHF pour financer la planification ferroviaire à l’horizon 2050(8). Ce second volet fera bien entendu l’objet d’un prochain blog.

Remerciements
L’auteur tient à remercier Mehdi-Stéphane Prin, ancien journaliste à 24 heures et contributeur de Transports romands, aujourd’hui délégué aux affaires ferroviaires du Canton de Vaud, pour ses innombrables contributions au développement des chemins de fer vaudois. Il exprime également sa reconnaissance à feu Jean-Louis Rochaix, l’infatigable éditeur de l’Encyclopédie des chemins de fer vaudois dont le dernier volume, Chemins de fer privés vaudois 2009-2017. Le renouveau (6), est un véritable hymne à la renaissance du rail de ce canton.

Daniel Mange, 2 juillet 2020

Références

(1) Acronymes des compagnies ferroviaires vaudoises:

LEB: Lausanne-Echallens-Bercher.
LO/LG: Lausanne-Ouchy/Lausanne-Gare.
MBC: Morges-Bière-Cossonay.
MOB: Montreux-Oberland bernois.
MVR: Montreux-Vevey-Riviera.
NStCM: Nyon-Saint-Cergue-Morez.
tl: transports publics de la région lausannoise.
TPC: Transports publics du Chablais.
TRAVYS: Transports Vallée de Joux-Yverdon-les-Bains-Sainte-Croix.
tsol: tramway du sud-ouest lausannois.

(2) V. Krayenbühl, L’expansion du Réseau express régional vaudois, Transports romands, No 19, novembre 2013, pp. 8-9.

(3) M.-S. Prin, Le RER vaudois au cœur du développement de la mobilité du canton, Transports romands, No 27, septembre 2015, pp. 3-5.

(4) Transports romands, No 19, novembre 2013, pp. 1, 3-7, 10-11.

(5) Transports romands, No 27, septembre 2015, pp. 1, 6-7,12-16.

(6) G. Hadorn, S. Jarne, A. Rochaix, J.-L. Rochaix, M. Grandguillaume, P. Kälin, D. Monti, Chemins de fer privés vaudois 2009-2017. Le renouveau, Editions La Raillère, 2017.

 (7) D. Mange, Vers une compagnie vaudoise des transports publics, Transports romands, No 19, novembre 2013, p. 21.

(8) Exposé des motifs et projet de décret accordant au Conseil d’Etat un crédit d’étude de CHF 11’000’000.- pour financer l’élaboration du programme cantonal de développement de l’offre ferroviaire à l’horizon 2025 et les études de planification d’offres nécessaires à la prochaine étape d’aménagement du réseau ferroviaire, Canton de Vaud, Lausanne, 4 mars 2020.

(9) D. Mange, Aigle-Leysin-Les Diablerets: vers un métro alpin? Mobilité tous azimuts, blog du quotidien Le Temps, 1 juin 2020.

(10) Réflexions et propositions de la citrap-vaud en vue de l’utilisation du tunnel desservant l’usine Tridel, dans un premier temps entre la Sallaz et Malley, citrap-vaud, Lausanne, 12 septembre 2017.

 

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Aigle–Leysin–Les Diablerets: vers un métro alpin?

Mecque de l’héliothérapie, Leysin a été terrassée par les antibiotiques qui ont éradiqué la tuberculose. L’après-guerre a été rude pour cette station où les sanatoriums, vidés de leurs patients, cherchaient à se recycler en hôtels ou instituts. Avec l’essor des sports d’hiver et l’éclosion d’établissements d’enseignement, la station a repris vie et, avec elle, le chemin de fer Aigle-Leysin (AL), très pentu, qui la relie à la plaine.

Un prolongement stratégique vers le nord
L’opiniâtreté des autorités vaudoises a convaincu l’Office fédéral des transports de prolonger la ligne actuelle, d’Aigle à Leysin-Feydey, jusqu’à la Place Large, irriguant le centre du village ainsi que le quartier des Esserts, et déversant les skieurs au pied de la télécabine pour la Berneuse (Fig. 1). Le bref appendice de Feydey au Grand-Hôtel, peu fréquenté, sera amputé. La version finale de l’étape d’aménagement 2035 du PRODES (programme de développement stratégique de l’infrastructure ferroviaire), votée par le Parlement en juin 2019, inclut donc ce tronçon souterrain d’un petit kilomètre, devisé à 62 millions de CHF(1).

Fig. 1 Prolongement de l’Aigle-Leysin de Leysin-Feydey à la Place Large (selon 24 heures du 7 avril 2015, graphisme L. Portier).

Au sud, le casse-tête aiglon
Si le prolongement vers le nord est plein de promesses, l’extrémité sud de l’Aigle-Leysin participe à un embrouillamini, car le trafic privé et les transports publics (trains de l’AL et de l’Aigle-Sépey-Diablerets, ASD) se disputent une voirie très contrainte. Après maintes palabres et deux éditions des Etats généraux, les projets suivants dominent la scène:

  • l’enterrement des trains (1 km en souterrain), une solution coûteuse et réalisable dans le long terme seulement;
  • le transfert du trafic de l’AL sur le tronçon urbain de l’ASD (via l’avenue du Chamossaire) pour libérer l’artère la plus critique, la rue de la Gare.

Cette dernière solution entraîne deux conséquences difficiles pour l’exploitation des chemins de fer en cause: d’abord, l’un des trains sera subordonné à l’autre en termes d’horaires, impliquant des correspondances périlleuses avec les CFF en gare d’Aigle; d’autre part, avec l’augmentation prévisible des cadences (passage de l’heure à la demi-heure), une station de croisement sera indispensable à mi-chemin entre le dépôt de l’AL et la gare CFF, sur l’avenue du Chamossaire, à la hauteur de la place du Marché: un chantier difficile à insérer dans le tissu urbain actuel.

Dans ce contexte compliqué, l’Entente Aiglonne a élaboré en 2016 l’étude AL–ASD: tracé ferroviaire commun pour la traversée d’Aigle(2) comportant trois variantes communes aux deux chemins de fer: en surface, en tranchée couverte et en souterrain. Cette dernière sort du lot: elle combine une trémie aval de 90 mètres, un tunnel à très faible profondeur de 300 mètres –éventuellement à double voie– et une trémie amont de 225 mètres (Fig. 2); au nord de la ville, en haut de l’avenue du Chamossaire, la ligne se divise en deux pour rejoindre les tronçons actuels de l’AL (avec suppression du rebroussement d’Aigle-Dépôt AL) et de l’ASD. L’investissement est estimé à 50 millions de CHF (pour un tunnel à voie unique), de l’ordre de grandeur du prolongement de l’AL à Leysin (62 millions).

Fig. 2 Tracé de la variante préférée de l’étude de l’Entente Aiglonne; tronçon commun AL+ASD en trait noir, avec tunnel en traitillé; tronçon AL en rouge; tronçon ASD en bleu. Les cercles illustrent le cadastre des forages déjà exécutés (figure tirée du rapport de l’Entente Aiglonne(2)).

L’étoile des Transports publics du Chablais (TPC)
En prenant de la hauteur, on observe la profonde mutation des chemins de fer régionaux du Chablais: en quelques années, les TPC ont transformé les quatre compagnies AL, ASD, AOMC (Aigle-Ollon-Monthey-Champéry) et BVB (Bex-Villars-Bretaye) en une seule société de transports, caractérisée par une forte unification technique. Il ne subsiste pour les trois compagnies aiglonnes plus qu’un seul type de crémaillère, de technologie Abt, et une seule tension d’alimentation électrique, de 1500 V, permettant ainsi la conception d’un matériel roulant unifié, à utilisation universelle. Tout est donc en place pour une optimisation de l’étoile aiglonne qui voit confluer dans la gare CFF d’Aigle les trois lignes AL, ASD et AOMC.

AL et ASD: un même combat?
L’AL est empêtré à Aigle, mais va filer vers le nord, en direction de la Place Large. De son côté, l’ASD fonce vers Le Sépey sans desservir aucune localité, à l’exception de quelques haltes. Enfin, comme le démontre la carte de la figure 3, la nouvelle extrémité de l’AL, Place Large, est distante d’environ 4 km du Sépey, avec une pente moyenne de 8,6 % entre ces deux points.

Fig. 3 Carte des deux lignes Aigle-Leysin et Aigle-Sépey-Diablerets (tirée de Eisenbahnatlas Schweiz, Schweers + Wall, Aachen, 2012); Leysin-Feydey–Place Large: projet actuel; Place Large–Le Sépey: projet futur.

C’est Pierre Starobinski, ancien président de l’Association touristique des Alpes vaudoises, qui a lancé l’idée dans son pamphlet paru le 16 septembre 2008 dans 24 heures(3): alignons sur le même axe Aigle, Leysin, Le Sépey et Les Diablerets pour obtenir un seul système de transport, un véritable métro alpin. Outre les économies d’entretien du tronçon ASD Aigle–Les Planches, menacé en permanence par les forces naturelles, la rentabilité d’un chemin de fer cumulant le trafic pour Leysin d’une part, pour Le Sépey et Les Diablerets d’autre part, sera sensiblement améliorée. Reste à démontrer que l’usager sort gagnant de cette nouvelle géographie ferroviaire.

L’estimation des futurs horaires se fait ici, par simplification, dans le sens de la montée. Avec le matériel roulant à crémaillère de dernière génération, et en admettant la suppression du rebroussement à Aigle-Dépôt AL, le trajet Aigle–Place Large est estimé à 23 minutes(1); pour gagner Le Sépey depuis la Place Large (4 km à 40 km/h, trajet partiellement à crémaillère), on ajoutera 6 minutes: Aigle–Le Sépey se parcourra donc en 29 minutes, contre 28 minutes pour le trajet équivalent de l’ASD, via la rive gauche de la Grande Eau.

De l’étoile aiglonne au métro alpin
Si les localités d’Aigle, Leysin, Le Sépey et Les Diablerets sont alignées sur un même axe, il est évident que l’étoile aiglonne disparaît au profit d’une seule ligne d’un métro alpin, reliant Champéry aux Diablerets via Monthey et Aigle. La simplification de l’exploitation est poussée à l’extrême avec, au passage, la résolution du casse-tête aiglon: une seule voie ferrée traverse la localité, vraisemblablement via le tracé de l’ASD, par l’avenue du Chamossaire, ou par le nouveau tracé avec tunnel court proposé par l’Entente Aiglonne (Fig. 2).

Et rien n’empêche de rêver: un métro alpin si bien parti peut viser plus loin (Fig. 4), le col du Pillon, puis le raccordement au Montreux-Oberland bernois du côté de Gstaad via Gsteig, ou alors la montée au glacier des Diablerets selon le projet Diablerets Val d’Or 1999 de Vincent Grobéty(4).

Fig. 4 Convoi actuel de l’Aigle-Leysin en route pour Leysin, préfigurant le métro alpin destiné à relier Champéry aux Diablerets via Aigle (photo La Liberté du 24 octobre 2019).

Les affres de La Frasse
Il reste, à très court terme, deux défis. Le premier concerne la gare terminus de la Place Large, actuellement à l’étude, qui doit être rendue traversante pour permettre la poursuite de la ligne vers Le Sépey.

Last but not least, la future ligne de chemin de fer devra affronter la zone du glissement de terrain de La Frasse, au droit du village de Cergnat, réputée pour son extrême instabilité; sur une largeur de 500 mètres, des vitesses moyennes de 13 cm/an ont été relevées. Des travaux considérables ont déjà été menés pour assurer la viabilité à long terme de la route cantonale d’Aigle au Sépey, entraînant notamment le percement d’une galerie de 25 m2 de section, sur une longueur de 715 mètres: celle-ci assure le drainage du terrain gorgé d’eau au moyen de 56 forages drainants. L’amélioration de ce réseau de drainage vers l’amont, dans le but de stabiliser définitivement le réseau routier (y compris l’accès à Leysin à partir du Sépey, ainsi que certains bâtiments de Cergnat) et la future voie ferrée, est la condition sine qua non de la réussite du projet(5)(6).

L’opiniâtreté des autorités vaudoises, fortement engagées pour le prolongement de l’Aigle-Leysin, et l’unification technique des TPC sont les prémices d’un futur métro alpin. Au-delà des pandémies de la tuberculose et du coronavirus, ce métro constituera l’un des axes de transport majeur des Alpes valaisannes et vaudoises; et Leysin, déjà auréolée par le succès des Jeux olympiques de la jeunesse 2020, accomplira une nouvelle mue.

Daniel Mange, 1 juin 2020

Remerciements
L’auteur tient à remercier très chaleureusement Monsieur Christophe Bonnard, ancien directeur du projet d’Ecole DUTI (Détection et utilisation des terrains instables) de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, ainsi que Messieurs Philippe Bellwald et Gérald Hadorn, co-auteurs du rapport de l’Entente Aiglonne. Il exprime également sa reconnaissance à Messieurs Pierre Starobinski, ancien président de l’Association touristique des Alpes vaudoises, Frédéric Borloz, syndic d’Aigle, conseiller national et président des TPC, Laurent Vulliet, professeur EPFL, Roland Ribi, fondateur du bureau éponyme, et Jean-Marc Narbel, ancien député et conseiller national vaudois, pour leur précieux accompagnement dans la présente étude.

Références

(1) Exposé des motifs et projet de décret accordant au Conseil d’Etat un crédit d’étude de CHF 3’600’000 pour financer les études du prolongement du chemin de fer Aigle-Leysin de la gare de Leysin-Feydey à la nouvelle gare de Leysin, Canton de Vaud, Lausanne, 29 juin 2016.

(2) P. Bellwald, G. Hadorn, A. Moret, C. Barbezat, Aigle Leysin–Aigle Sépey Diablerets. Tracé ferroviaire commun pour la traversée d’Aigle, l’Entente Aiglonne, Aigle, 6 août 2016.

(3) P. Starobinski, Alpes vaudoises: quel gâchis! 24 heures, 16 septembre 2008.

(4) E.-A. Kohler, Les Diablerets. Projet: un métro jusqu’au glacier, Gazette de Lausanne, 1 octobre 1988.

(5) C. Bonnard, L. Tacher, Hydrogeological and geomechanical modelling of a large slide in Flysch to test the efficiency of an underground drainage scheme and the induced water pressure field changes, Mitteilungen für Ingenieurgeologie und Geomechanik, Vol. 6/2004, Vienna.

(6) C. Bonnard, Rétrospective. La stabilisation du glissement de terrain de La Frasse, dans le canton de Vaud, Bulletin de la Société vaudoise des Sciences naturelles, vol. 92, juillet 2010, pp. 33-42.

 

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