Le réseau ferroviaire européen à grande vitesse: hétéroclite et inefficace

Coup de tonnerre dans un ciel clair: au moment où la grande vitesse sur rail s’impose des Pyrénées à l’Oural, le rapport de la Cour des comptes européenne est sans appel: «Réseau ferroviaire à grande vitesse européen: fragmenté et inefficace, il est loin d’être une réalité» (1). Les dix experts lancent un cri d’alarme: depuis 2000, l’Union européenne a co-financé des investissements d’infrastructure pour 23,7 milliards d’euros, avec des résultats décevants.

Un grand nombre de critiques visent le rapport prix/performance des investissements: coût par kilomètre trop élevé, volume annuel des passagers insuffisant, lignes à très grande vitesse (300 km/h ou plus) parcourues par des trains beaucoup trop lents, durée excessive des chantiers avec des retards parfois supérieurs à une décade…

Un réseau ectoplasmique

Le rapport ne condamne pas la grande vitesse, dont il souligne toutes les retombées positives. Mais le reproche fondamental concerne le réseau européen comme un tout: il n’existe tout simplement pas, tant les objectifs nationaux l’emportent sur une vision internationale. En particulier, les passages à travers les frontières sont négligés et les procédures y relatives trop lourdes. La conclusion des experts est sans appel: une réforme radicale doit permettre le franchissement de ces frontières sans encombre et, grâce à l’informatique, tous les obstacles au niveau de la consultation des horaires et de la réservation des billets doivent disparaître, à l’image des pratiques du trafic aérien, uniformes dans le monde entier.

Retour au mythique Trans-Europ-Express?

Les trains de prestige Trans-Europ-Express (TEE), lancés en juin 1957, sont nés sur les décombres des réseaux européens démantelés par la 2e guerre mondiale. L’idée du fondateur, Frans den Hollander, président des Chemins de fer néerlandais, n’a pas été suivie jusqu’au bout: il rêvait d’une seule compagnie pour toute l’Europe, avec son personnel et son matériel. Le réseau TEE a d’abord été caractérisé par des trains rapides, à la pointe de la technique –on se rappelle de la rame suisse quadricourant qui se jouait des frontières entre Paris et Milan–, réservés à la première classe et renommés pour leur restauration. Ce réseau  atteint son apogée en 1972, avec la desserte de près de 200 villes d’Europe. Les deux chocs pétroliers (1973, puis 1979) et la concurrence de l’aviation à bas coût amorcent le déclin du TEE; l’aventure se terminera le 31 mai 1987.

Rame tricourant Giruno (photo Stadler).

 

Renaissance du réseau européen: vers un nouveau TEE?

Aujourd’hui, la rame tricourant Giruno des CFF, construite par l’entreprise suisse Stadler, roule à grande vitesse (250 km/h); grâce au système européen de sécurité (ETCS, European train control system), elle circule indifféremment en Allemagne, Suisse, Autriche et Italie. Cette rame préfigure le nouveau TEE qui pourrait concurrencer l’avion sur des trajets de 1000 à 1500 kilomètres, sans pollution chimique (le gaz à effet de serre) ni sonore.

En suivant le rêve de Frans den Hollander, la généralisation du Giruno couplée à la gestion globale des horaires et de la billettique constituerait une première étape de ce nouveau TEE à grande vitesse… le Hyper TEE!

Daniel Mange, 14 septembre 2018

Références

(1) Rapport spécial, Réseau ferroviaire à grande vitesse européen: fragmenté et inefficace, il est loin d’être une réalité, Cour des comptes européenne, 2018.

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Daniel Mange

Daniel Mange, Vaudois, est électricien de formation, informaticien de profession et biologiste par passion. Professeur honoraire EPFL, il se voue aujourd'hui à son hobby politique, les transports publics, dans le cadre de la citrap-vaud.ch (communauté d'intérêts pour les transports publics). Il y anime le projet Plan Rail 2050 qui vise à relier Genève à Saint-Gall par une ligne à grande vitesse.

3 réponses à “Le réseau ferroviaire européen à grande vitesse: hétéroclite et inefficace

  1. On sait que depuis deux ou trois décennies, c’est donc récent, l’Europe continentale adapte la hauteur des quais de gare pour permettre aux voyageurs d’entrer ou sorti des wagons de plain-pied. On a appris que les nouveaux supertrains Bombardier achetés par les CFF posent des problèmes d’accès aux voygageurs souffrant d’un handicap. On a appris que ce problème découle du fait qu’il fallait que ces trains puissent circuler aussi bien en Allemagne qu’en Suisse. Et on a ainsi appris que l’Allemagne et la Suisse n’ont pas adopté la même hauteur de quais!

    Le chemin de fer souffre d’un défaut essentiel, consubstantiel: il ne peut être que monopolistique, parce qu’il n’est pas raisonnable de créer ne serait-ce que deux réseaux juxtaposés. Il n’y a donc pas de concurence ferroviaire. Le chemin de fer ne subsiste en Europe que grâce à une seule vertu, non négligeable: il est moins dommageable pour l’environnement. C’est pour cette vertu que les collectivités publiques le subventionnent massivement.

  2. J’ai lu avec intérêt votre blog traitant du rapport critique de la cour des comptes européenne.

    Un détail: le lien que vous citez pointe vers la version en langue anglaise du document; soutenons le français, que diable ! La version en français est disponible à l’adresse https://www.eca.europa.eu/Lists/ECADocuments/SR18_19/SR_HIGH_SPEED_RAIL_FR.pdf

    Concernant les TEE, leur fin a été plus tardive et plus compliquée; ci-dessous un résumé.
    31 mai 1991: dernier TEE entièrement 1re classe, le TEE 39 Watteau Paris-Tourcoing
    22 mai 1993: dernier “pseudo-TEE” entièrement 1re classe, les TEE 61 à 68 Lufthansa Airport Express Frankfurt Flughafen-Düsseldorf, qui n’ont jamais officiellement appartenu au pool TEE, mais qui étaient dénommés comme tels.
    23 mai 1993 au 26 mai 1995, les TEE 85 Île de France et 88 Watteau (nouveau parcours) Bruxelles-Paris-Bruxelles sont réintroduits pour des raisons de marketing (en attendant la LGV Nord), mais il s’agit d’Eurocity déguisés, car ils comportent les deux classes.

    Concernant les hypothétiques “HYPER-TEE”, ils devraient à mon avis ne desservir que les tout grand centres européens et éviter le cabotage du trafic intérieur de chaque pays traversé. En Suisse cela signifierait ne s’arrêter qu’à Genève, Bâle et Zurich et c’est tout; en outre ces trains devraient assurer de longues distances, par exemple Lisbonne-Madrid-Barcelone-Montpellier-Lyon-Genève-Zurich-Munich-Berlin sans autre arrêt. Ça, c’est la théorie, mais en pratique introduire un train qui ne s’arrêterait pas à Fribourg générerait déjà une crise gouvernementale dans notre charmant pays… Quant à l’aspect commercial, y a-t-il un marché pour ce type d’offre ferroviaire, même si des correspondances attractives sont offertes dans les gares d’arrêt ? Tout dépendrait du prix, et là le principal problème réside dans la non taxation de l’émission massive de CO2 par l’aviation, qui lui permet de tenir la dragée haute au transport ferroviaire au niveau des coûts (“low-cost”).

    1. Bravo pour votre sagacité et merci pour la mise en évidence de la version française du rapport anglais.

      Merci également pour les compléments très intéressants sur la vie et la mort du réseau TEE. Quant à votre vision du futur, j’abonde en votre sens: tout doit commencer par la taxation du CO2 émis par l’aviation, sans oublier celle du kérosène… Pour le Hyper TEE, il faudra aussi un peu de courage pour accepter de véritables liaisons à grande distance qui ne s’arrêteraient même pas à Lausanne…

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