Métropole lémanique: un Big Bang ferroviaire pour réveiller la belle endormie?

La Métropole lémanique a brillé de tous ses feux après la signature de la Convention Vaud-Genève de 2009 pour le développement de l’axe ferroviaire Genève–Lausanne(1). Dès lors son étoile a pâli, du moins si l’on se réfère au site officiel Métropole lémanique, coédité par les deux cantons et inactif depuis 2017. Si les statistiques confirment une croissance vigoureuse des emplois et de la population de l’arc lémanique, plus forte que celle du Grand Zurich, l’institution est manifestement en panne de projets. Bien au contraire: des querelles de clocher, comme celles du rapt de la Neuropolis vaudoise par le Campus Biotech genevois ou des oppositions de Genève au redéploiement de la Radio télévision suisse (RTS) sur le site des Hautes écoles vaudoises, s’ajoutent aux défis communs qui ne sont pas traités solidairement, comme l’horaire des TGV Lyria reliant la Suisse occidentale à Paris. Un petit tour d’horizon des chantiers en cours s’impose, avant de prescrire une potion à l’institution moribonde.

Léman Express, le bien nommé
Le premier Big Bang ferroviaire de l’arc lémanique explosera le 15 décembre 2019: ce jour-là, cinq  nouvelles liaisons du Léman Express irrigueront les deux rives du Léman, ainsi que l’arrière-pays de la Haute-Savoie: des convois relieront Saint-Maurice (VS), la Riviera vaudoise et Lausanne à Annemasse (RegioExpress), Coppet à Evian-les-Bains (ligne L1), à Annecy (L2), à Saint-Gervais-les-Bains-Le-Fayet (L3) et à Annemasse (L4), sans transbordement et à la cadence semi-horaire aux heures de pointe (Fig. 1). Toutes ces liaisons emprunteront le nouveau tronçon dit CEVA (Genève–Eaux-Vives–Annemasse), qui constitue la clef de voûte de l’édifice.

Le projet d’une relation ferroviaire entre Cornavin, les Eaux-Vives et Annemasse date de la fin du 19e siècle: à cette époque, la question des réseaux ferrés internationaux est alors au centre des préoccupations. En 1912, la Confédération, le Canton de Genève et les CFF signent la convention historique scellant le projet. Mais il faudra attendre deux guerres mondiales, la construction des lignes Cornavin–La Praille et Cornavin–Aéroport, pour qu’en juin 2002, enfin, le Grand Conseil genevois vote le financement cantonal de 400 millions de francs pour la réalisation de l’infrastructure. Avec la connexion de deux réseaux ferroviaires actuellement en impasse (Cornavin–La Praille sur territoire suisse, Annemasse–Eaux-Vives sur territoire franco-suisse), Genève ne sera plus un terminus entre Jura et Salève, mais une véritable gare de passage, irriguant un bassin de population transfrontalier de plus d’un million d’habitants.

Dans cette saga, deux têtes dépassent: Robert Cramer, premier membre du Parti écologiste genevois à accéder au Conseil d’Etat, est le père politique du projet CEVA. Sigurd Maxwell en est le père spirituel; fondateur et ancien président de l’Association lémanique pour la promotion du rail (Alprail), décédé en mai 2019, il ne verra pas défiler la rame du Léman Express portant son nom.

Fig. 1 Le réseau du Léman Express au 15 décembre 2019.

Le lac bouge
Un autre tsunami se précise sur les flots du Léman: pas celui de l’an 563 qui balaya les rives du lac, de Villeneuve jusqu’à Genève, mais celui, plus discret, d’une refonte du trafic maritime transfrontalier, indispensable à l’important flux de la main d’oeuvre française active sur la côte suisse. Les trois lignes de pendulaires Lausanne–Evian-les-Bains (N1), Lausanne–Thonon-les-Bains (N2) et Nyon–Yvoire (N3) seront dopées, dès 2022, par la mise en service de deux nouveaux bateaux à hautes performances, permettant notamment le passage de la cadence actuelle de 80 minutes au nouveau rythme de 45 minutes sur la ligne N1 (Fig. 2).

A plus long terme, une quatrième liaison est prévue de Lugrin (entre Evian-les-Bains et Saint-Gingolph) en direction de la Riviera vaudoise, avec une éventuelle gare multimodale sur le tronçon ferroviaire d’Evian à Saint-Gingolph, en voie de réhabilitation (voir plus loin).

Fig. 2 Trafic maritime pendulaire sur le lac Léman assuré par la Compagnie générale de navigation (CGN).

Boucler la boucle: le RER Sud-Léman
Un seul coup d’œil à la carte ferroviaire suffit (fig. 3): après l’achèvement du CEVA, il ne reste plus qu’une béance, un tronçon manquant pour faire le tour du Léman, la ligne désaffectée d’Evian-les-Bains à Saint-Gingolph. Construite en 1886, cette ligne voit son trafic voyageurs suspendu en 1938 et son trafic marchandises condamné en 1988. De 1986 à 1998 le train touristique «Rive-Bleue Express» assure un service minimal, interrompu au vu de l’état de l’infrastructure. Cette ligne de 17 km constitue le dernier morceau du puzzle Léman Express, en rappelant que, depuis Saint-Gingolph, la liaison vers Monthey, Martigny et Brigue est exploitée par le RER Valais, avec un train par heure à l’horaire 2019. Le bouclement ferroviaire du Léman, l’existence d’une alternative à l’unique route départementale, le report modal du trafic privé vers les transports publics sont autant de motivations à la base du projet de réhabilitation.

En mars 2019, la phase 2 des études d’avant-projet a été lancée, sous la responsabilité principale de la SNCF-Réseau; au niveau du financement, le Parlement suisse a voté en juin 2019, dans le cadre du PRODES (programme de développement stratégique de l’infrastructure ferroviaire), une enveloppe de 200 millions de CHF consacrés aux projets ferroviaires transfrontaliers; cette enveloppe pourra être sollicitée pour le RER Sud-Léman. Enfin, avec 18 mois de travaux, le rêve pourrait devenir réalité en 2024, avec notamment des liaisons directes reliant Genève au Valais via la Haute-Savoie.

Fig. 3 Pour boucler le réseau ferroviaire autour du Léman: la réhabilitation de la ligne Evian-les-Bains–Saint-Gingolph, l’objectif de l’association RER Sud-Léman (carte murale Transports publics, Hallwag Kümmerly+Frey AG).

Ligne nouvelle Genève–Lausanne: la cerise sur le gâteau
Tout rapproche ces deux capitales: elles baignent dans le même lac, sont irriguées par la même autoroute, partagent les mêmes penchants pour les institutions, internationales à Genève et olympiques à Lausanne. Il y a belle lurette, elles ont passé au doigt la même alliance confédérale. Et certains ont même rêvé mariage, fusionnel bien sûr…

Il reste un détail: nos capitales font toujours chambre à part, et les soixante kilomètres qui les séparent ne montrent aucun signe de rétrécissement spontané. Dans l’attente d’un hypothétique fleuve de bitume doublant l’autoroute actuelle, et dans l’impatience d’un éventuel Swissmetro rongeant le sous-sol, il faut se résigner au chemin de fer traditionnel. Celui-ci piétine: en un quart de siècle, le meilleur InterCity a perdu quatre minutes. Il n’y a que la nourriture qui est rapide sur cette ligne, où la «fast food» a remplacé les cossus wagons-restaurants d’antan.

Peut-on faire mieux, c’est-à-dire relier nos deux capitales non seulement plus vite, mais de façon plus fiable? Une particularité de Genève est d’être accessible par la seule ligne qui provient de Lausanne: tout incident la coupe du restant de la Suisse.

En 1974, les CFF ne manquaient pas d’audace, et ils confiaient au bureau d’ingénieurs Bonnard & Gardel (BG) l’étude d’une ligne nouvelle de Genève à Lausanne. Ce travail, terminé en 1975, propose quatre variantes de couloirs pour le tronçon Genève–Rolle et dix variantes pour le tronçon Rolle–Lausanne, tous concentrés sur le tracé de l’autoroute A1, à une distance maximale de 2 km de celle-ci(2). Ce projet, inconnu du grand public, frappe par son audace et sa pertinence; six ans avant le lancement du premier TGV français entre Paris et Lyon, les ingénieurs de BG avaient déjà parfaitement intégré les trois impacts d’une ligne à grande vitesse: sur le trafic régional –puisqu’une ligne nouvelle libère des sillons sur la ligne historique–, sur le trafic national –en reliant plus rapidement les métropoles suisses–, et sur le trafic international –en s’insérant dans le schéma européen des lignes à grande vitesse.

Malgré toutes ses qualités, le projet a sombré dans les archives. C’est la découverte fortuite de ce document qui a déclenché les travaux d’un groupe d’experts de la «communauté d’intérêts pour les transports publics, section vaud» (citrap-vaud), un lobby des usagers. Sous le titre «Plan Rail 2050» ce groupe de travail a étendu sa recherche à tous les projets de grande vitesse en Suisse et dans les pays limitrophes pour en tirer un plan global pour le chemin de fer de demain(3)(4). Le même groupe a ensuite publié en 2014 un livre blanc consacré à l’axe Genève–Lausanne, intitulé «Ligne ferroviaire nouvelle entre Genève et Lausanne»(5), suivi d’un rapport d’étape paru en 2016 et détaillant la version finale proposée par la citrap-vaud (Fig. 4)(6):

  • L’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et la citrap-vaud ont chacune proposé un nouvel axe ferroviaire reliant, par le plus court chemin, Morges à Lausanne, et desservant au passage le complexe des Hautes écoles (EPFL et Université de Lausanne), la deuxième ville du canton en terme de population (33’000 résidents en 2017)(6)(7).
  • Pour des questions de capacité, la ligne nouvelle Genève–Lausanne doit accueillir non seulement les convois InterCity, mais également les InterRegio; il en découle l’obligation de prévoir des raccordements de la ligne nouvelle avec les gares historiques de Nyon et de Morges.
  • Cette obligation de desservir Nyon et Morges ouvre la voie à une réalisation par étapes de l’axe complet: d’abord Nyon–Morges, puis Morges–Hautes écoles–Lausanne, et enfin Genève–Nyon.

Ce découpage entraîne une planification financière compatible avec les étapes d’aménagement du PRODES. Une première estimation financière s’élève à 6,89 milliards de francs pour la ligne complète, et à 2,55 milliards pour la première étape de Nyon à Morges (26 km).

Fig. 4 Esquisse du projet de la citrap-vaud pour une ligne nouvelle Genève–Lausanne, incluant des connexions avec les gares de Nyon et Morges, ainsi qu’une gare souterraine Hautes écoles (La Côte, 14.9.2018).

Les CFF se sont soudain réveillés le 11 mai 2018: au téléjournal de la RTS, le responsable de l’infrastructure, Philippe Gauderon, annonce urbi et orbi que son entreprise se lançait dans l’étude d’une ligne nouvelle. Le 1er novembre de la même année, le Canton de Vaud signe avec les CFF une convention intitulée «Perspective générale pour la région vaudoise» incluant l’étude d’une ligne nouvelle Genève–Lausanne et d’une gare souterraine dans la région lausannoise. De son côté, le député Stéphane Masson dépose le 5 février 2019 son interpellation «Nouvelle ligne CFF entre Lausanne et Genève, pourquoi ne pas étudier l’aménagement d’une gare souterraine au niveau de l’EPFL?» questionnant le Conseil d’Etat vaudois sur le même objet.

Les feux sont aujourd’hui définitivement au vert pour déclencher le second Big Bang ferroviaire, qui rapprochera enfin nos deux capitales: les scientifiques lausannois atteindront illico le Campus Biotech, tandis que les amoureux de la musique accèderont sans entrave à la future Cité de la musique genevoise; dans l’autre sens, les chercheurs genevois et les gens de la télévision auront un accès immédiat aux Hautes écoles lausannoises et au nouveau site de la RTS, tandis que les amateurs d’art seront à deux pas du Musée cantonal des Beaux-Arts, au centre de la gare de Lausanne. Au-delà de la Métropole lémanique, toute la Suisse profitera du nouvel axe Genève–Lausanne qui, tel un trident, desservira les trois directions majeures du Pied du Jura, du Plateau et de la vallée du Rhône.

Défis et pistes pour le futur: du Conseil du Léman à la Métropole lémanique
Tandis que les surcoûts des titres de transport irritent les syndics de Terre-Sainte, à l’extrémité occidentale du canton de Vaud, la complexité tarifaire du Léman Express inquiète déjà les usagers; et nous savons que des clients potentiels des transports publics sont découragés par la froideur des automates à tickets, monstres le plus souvent incompréhensibles. Le prochain défi est celui d’une supercommunauté tarifaire, englobant les départements de la Haute-Savoie et de l’Ain, ainsi que les cantons de Genève, Vaud et Valais, comme par hasard les cinq membres du Conseil du Léman… Cette communauté tarifaire devrait constituer un banc d’essai pour s’étendre à la Suisse occidentale puis, à terme, à l’ensemble de la Suisse; elle devrait également revisiter les méthodes de tarification actuelles (faut-il vraiment conserver le découpage du territoire en une myriade de zones?) au profit d’un système de perception quasi automatique, du type Lezzgo (voir notre blog du 11 décembre 2018) ou Fairtiq.

Il apparaît clairement que le Léman Express et ses prolongements naturels, comme la réhabilitation de la ligne Evian–Saint-Gingolph, le réseau pendulaire de la CGN et une future supercommunauté tarifaire, sont du ressort du Conseil du Léman, dont la commission Transports et communication s’affaire depuis de nombreuses années sur le Schéma de cohérence lémanique des transports, régulièrement mis à jour. Dans ce document et sa dernière édition datant de 2017, il ne manque que la cerise sur le gâteau… la ligne ferroviaire nouvelle reliant Genève et Lausanne, les deux capitales lémaniques.

C’est manifestement là que la Métropole lémanique doit sortir de sa léthargie et empoigner à bras le corps ce grand projet, vital pour les deux capitales, et essentiel pour la France voisine et l’ensemble de la Suisse.

Daniel Mange, 1 décembre 2019

Références

(1) Convention-cadre relative au développement de l’offre et des infrastructures sur la ligne Lausanne–Genève-Aéroport entre la Confédération suisse, l’Etat de Vaud, la République et Canton de Genève et les CFF, 21 décembre 2009.

(2) Bonnard & Gardel, Compagnie d’études de travaux publics, Liaison rapide Genève-Lausanne. Rapport intermédiaire, CFF, Direction du 1er arrondissement CFF, Lausanne, juin 1975.

(3) D. Mange et al., Plan Rail 2050, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2010.

(4) D. Mange et al., Bahn-Plan 2050, Rüegger Verlag, Zürich/Chur, 2012.

(5) D. Mange, M. Béguelin, E. Brühwiler, F. Bründler, M. Chatelan, P. Hofmann, S. Ibáñez, E. Loutan, B. Schereschewsky, Y. Trottet, R. Weibel, Ligne ferroviaire nouvelle entre Genève et Lausanne, citrap-vaud.ch et CITraP Genève, Lausanne, avril 2014.

(6) D. Mange, F. Bründler, M. Chatelan, D. Pantet, Ligne ferroviaire nouvelle Genève–Lausanne: rapport d’étape 2016, citrap-vaud, Lausanne, CITraP Genève, Genève, 21 novembre 2016.

(7) O. de Watteville, D. Simos, M. Schuler, Nouvelle liaison ferroviaire Lausanne–Morges via les Hautes Ecoles, BG Ingénieurs Conseils, Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, 6 février 2014.

Dès mon démarrage en mars 2018, je me suis efforcé de publier sur ce blog un article par mois. Mais l’horaire cadencé, parfait pour le chemin de fer, n’est pas forcément compatible avec les exigences de l’écriture; vous me retrouverez toujours ici en 2020, à un rythme moins soutenu.

Je tenterai également, pour varier mon discours, de recevoir des invités. N’hésitez donc pas à me contacter si vous désirez faire passer un message décoiffant en rapport avec la mobilité tous azimuts…

Je vous remercie pour votre fidélité et vous souhaite un millésime 2020 roboratif,

Daniel Mange

 

«Un train peut ne pas en cacher un autre» ou les tribulations ferroviaires d’un Helvète en Gaule

La météo mélancolique de mai m’incite au sud. De très proches amis m’y invitent dans leur demeure tropézienne: foin d’aéroplane –la honte de prendre l’avion, le «flygskam», tue– et de voiture –limitons les gaz à effet de serre–, je choisis tout naturellement le train pour m’y précipiter. Tout en sachant que les derniers kilomètres, desservis jusqu’à la fin de la 2e guerre par de vaillants tortillards(1) (Fig. 1), devront s’effectuer par véhicule sur pneumatiques… ou par bateau!

Fig. 1 Chemins de fer de la Provence, réseau du Var, lignes d’intérêt local de Cogolin à Saint-Tropez et de Toulon à Saint-Raphaël, suspendues dès juin 1948(2).

Départ en fanfare… suisse
Avec l’application Mobile CFF, parfaite pour la Suisse et très performante au-delà, l’affaire devrait être rondement menée: aller par Genève, Lyon, Marseille et Saint-Raphaël, puis bus ou bateau pour achever le périple. Première surprise: l’unique relation qui m’est proposée pour ce fatidique jeudi 30 mai 2019, l’Ascension, dure 8h53 et me conduit à un épisode ferroviaire de Genève à Aix-en-Provence TGV par Lyon, puis d’Aix à Saint-Raphaël via les Arcs, deux interminables trajets en bus… (Fig. 2).

Fig. 2 La relation Genève–Saint-Raphaël en 8h53 proposée par Mobile CFF.

Tentons une application plus européenne
Un éminent cadre ferroviaire me suggère l’application trainline: j’y découvre qu’il existe un TGV Lyria direct pour Marseille, départ à 8h41 de Genève, mais que celui-ci est complet… Mais on m’offre un train au meilleur prix, qui part de Genève à 12h12 pour atteindre Saint-Raphaël le lendemain à 8h35, après 20h23 de route, quatre changements à Brigue, Milan, Vintimille et Cannes, et un cumul de 9h52 d’attente dans les diverses gares traversées… Le prix est effectivement imbattable: 92,28 euros en 2e classe! (Fig. 3).

Pour la petite histoire, Greta Thunberg, la jeune pasionaria du climat, aurait pu gagner Stockholm depuis Davos dans une durée voisine (25 heures et 37 minutes) et avec quatre changements également (Landquart, Hambourg, Copenhague et Malmö).

Fig. 3 La relation imbattable au prix (92,28 euros) de trainline via Brigue, Milan, Vintimille et Cannes.

Le recours ultime: l’Indicateur européen (European Rail Timetable)
Il est temps de passer à la vitesse supérieure: l’horaire papier synoptique, sauvegardé et produit par la courageuse équipe qui a racheté à l’entreprise Thomas Cook son prestigieux indicateur. La lumière jaillira peut-être de l’édition février 2019 de cet opuscule(3): il devient assez clair que le seul trajet TGV Lyria direct reliant Genève à Marseille part à 8h41 (cadre 350), et nous savons déjà, grâce à trainline, que ce train est complet. Mais rien n’explique pourquoi, avec des changements supplémentaires, la voie n’est pas libre jusqu’à Saint-Raphaël… sans passer par l’Italie. Mais l’Indicateur européen, grâce à sa présentation synoptique, nous met sur d’autres pistes: il détaille toutes les relations de Marseille à Vintimille (cadre 360) en nous avertissant tout de même que l’horaire est «subject to alteration on May 30». Le même opuscule offre une variante pour rejoindre Toulon et Hyères depuis Marseille (cadre 360) par des trains régionaux. On se rapproche insensiblement de Saint-Tropez.

Le mystère s’épaissit
Au vu de la situation désespérée des TGV, manifestement tous complets, il faut donc se rabattre sur les TER (transport express régional) et rechercher sur internet les sites spécifiques. Avec un peu de bon sens et un minimum de connaissances géographiques, on aboutira au site ter.sncf.paca pour déchiffrer les horaires TER de Marseille à Saint-Raphaël, l’artère majeure de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA). Le verdict tombe: une seule relation à partir de midi, départ de Marseille à 15h50, arrivée à Saint-Raphaël à 20h24 (soit 4h34 de voyage) via Aix-en-Provence TGV, puis le périple en bus déjà relevé plus haut d’Aix à Saint-Raphaël via Les Arcs (Fig. 4).

Fig. 4 Par transport express régional (TER) de Marseille à Saint-Raphaël: après 12 minutes de train, un périple en bus de 4h22!

Le mystère enfin éclairci
Mais que se passe-t-il entre Marseille et Saint-Raphaël, véritable zone de non-droit ferroviaire? Un coup de téléphone s’impose, en désespoir de cause, à la région PACA de la SNCF: c’est le 0033 800 114 023 qui nous mettra enfin sur la piste. Des travaux de renouvellement des voies en gare de Toulon entraînent l’interruption totale du trafic entre Aubagne (banlieue à l’est de Marseille) jusqu’aux Arcs, à l’ouest de Saint-Raphaël, du jeudi 30 mai, 10h00, jusqu’au dimanche 2 juin, 10h00 (Fig. 5). Aucun service de substitution, par des bus ou tout autre moyen de locomotion, n’est offert à l’usager…

 

Fig. 5 La clef du mystère: travaux en gare de Toulon, avec le remplacement de dix aiguillages.

On se rapproche du but
A l’image du héron de la fable, qui laisse passer ses plus belles proies pour se rabattre sur un modeste limaçon, nos rêves d’économie de CO2 vont être revus à la baisse: le trajet en train se terminera à Marseille, et le reste nécessitera une flambée d’essence…

Il suffit maintenant de commander le billet: via le site Mobile CFF, après avoir rempli une bonne partie du questionnaire, y compris l’âge et la qualité de tous les participants, on nous répond poliment, mais fermement, que ce type de titre de transport n’est pas livrable par informatique. Il nous faut visiter un guichet ou téléphoner au service clientèle, au numéro 0848 44 66 88. Celui-ci, après quelques redirections, nous permet enfin d’atteindre un être humain sensible à notre quête. A l’aller, nous dit-on, se rajoute le problème du retour, affaire d’une complexité voisine, puisque se déroulant le dimanche 2 juin, extrémité du pont de l’Ascension. La très compétente agente nous rappelle vingt minutes plus tard avec de bonnes… et de moins bonnes nouvelles: oui, il existe encore une relation à l’aller, le jeudi 30 mai, en combinant TER (via Valence cette fois) et TGV, puis le retour le dimanche 2 juin via le TGV direct. La mauvaise nouvelle: les CFF ne sont pas autorisés à vendre ce type de produit, il faut nous rendre dare-dare à un guichet français, téléphoner ou s’attaquer au Saint Graal, le site oui.sncf.com. Suit alors une longue litanie sur ce nouveau site où l’on apprendra que tous les trains du dimanche sont définitivement complets, et que le retour sera donc avancé au samedi, toujours en TGV…

La valse du dernier mile
Il me semblait qu’en un clic je pouvais réserver une voiture à la gare Marseille-Saint-Charles pour achever notre chevauchée: lourde méprise. A cette époque délicate, tous les véhicules sont mobilisés; notre salut passe donc par le recours à une voiture privée, élégamment mise à notre disposition par nos hôtes.

Dédicace
Je dédie ce texte à ces très chers amis, qui m’attendaient pour un long week-end de farniente, et qui n’ont joui de ma présence qu’un seul jour de ce fameux pont de l’Ascension 2019. J’en veux bien entendu à la source unique de tous mes maux, les dix aiguillages délabrés de la gare de Toulon dont la réfection a entraîné ce gâchis.

Daniel Mange, 1 juillet 2019

Références
(1) J. Banaudo, Le train du Littoral, Les Editions du Cabri, Breil-sur-Roya (France), 1999.

(2) C. Lamming, L’annuaire Pouey de 1933. Toutes les lignes & les gares de France en cartes, Editions LR Presse, Auray (France), 2019.

 (3) European Rail Timetable, February 2019, European Rail Timetable Limited, Oundle (United Kingdom), 2019. 

 

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Lezzgo ou AG: le hic de la billettique

L’imminence de l’année nouvelle suscite un flot de bonnes résolutions; j’ai notamment décidé de réviser mon budget. Retraité actif, au bénéfice d’une pension mensuelle qui n’a pas varié d’un centime depuis treize ans, j’observe l’augmentation inexorable des dépenses imposées: assurances, impôts, taxes… et frais de transport. Passionné par la mobilité, je roule bien entendu depuis 2005 avec un abonnement général des CFF –le fameux AG–sésame absolu des transports publics. Pour les seniors –qui ont droit à un régime privilégié, 4’840 CHF par an en 1ère classe ou 2’880 en 2e classe– l’affaire n’est pas mirobolante. S’il est évident qu’un pendulaire quotidien sur l’axe Berne–Zurich rembourse rapidement son investissement, cette opération se fait sur le dos de la foule des seniors anonymes qui restent accrochés à leur sésame par pur confort.

Confort: tout est là. Avec l’AG, aucune angoisse dans la queue au guichet à quelques secondes du départ, aucune panique devant l’automate sibyllin qui, communauté tarifaire oblige, est différent de Genève à Saint-Gall, aucune obligation d’affronter le conducteur de bus qui vous rend la monnaie d’une main en manoeuvrant son volant de l’autre.

Est-il alors possible de concilier le confort de l’AG avec une dépense inférieure à 2’880 CHF par an? C’est ce que je vais tenter l’année prochaine en testant le système Lezzgo, lancé par la compagnie BLS (Berne-Lötschberg-Simplon)(1). Les préalables sont clairs: un téléphone portable plutôt récent (on parle dans ce cas de «smartphone»), une adresse informatique et une carte de crédit. L’enregistrement sur l’application Lezzgo, gratuite bien sûr, est limpide et rapide: deux minutes suffisent. Le mode d’emploi est tout aussi aisé: à l’entrée du premier véhicule de votre virée quotidienne, un clic pour enclencher l’application. Symétriquement, à la descente du dernier véhicule de la même journée, un clic pour déclencher. Dans les heures qui suivent, vous recevrez par courriel la facture détaillée de votre escapade; cette facture tient compte du tarif le plus avantageux, en particulier du prix de la carte journalière qui ne sera pas dépassé(2). Et si, par malheur, la détection de votre position dans l’espace (par géolocalisation) ou le choix de votre mode de transport –bus, tram, métro, train– était erroné, un personnel attentionné, directement accessible par téléphone, corrigera illico la bévue du système.

Dans un an, je vous ferai rapport: Lezzgo a-t-il fait plus fort que l’AG? Combien de corrections durant l’année? Quelles améliorations à proposer? Durant cette attente, allons-y, let’s go!

PS: La Suisse est à la pointe des nouvelles solutions de billettique(3). A côté de Lezzgo, l’application Fairtiq(4) est très proche dans sa philosophie et son emploi. On n’est jamais trop prudent: je charge donc en parallèle les deux applications!

Daniel Mange, 11 décembre 2018

Post-scriptum au 1 janvier 2020

Chose promise, chose due. Après une année de pérégrinations en transports publics, le constat est clair: pour un retraité actif, ayant roulé pendant 63 jours de l’année, la facture Lezzgo s’élève à 1’774.20 au lieu des 2’880 CHF de l’abonnement général 2e classe, version senior.

Le système Lezzgo a parfaitement tenu ses promesses, et sa centrale téléphonique toujours répondu présent. De mon côté, j’ai pêché une fois par enclenchement trop tardif de l’application: dans leur magnanimité, les CFF ont réduit de 90 à 30 CHF l’amende infligée par une contrôleuse un peu rigide… Il est vrai que malgré la consigne extraordinairement simple –enclencher l’application avant d’entrer dans le premier véhicule, déclencher après avoir quitté le dernier véhicule– l’oubli reste facile… sur le coup de la distraction ou d’une bousculade.

Enfin, après les précurseurs Lezzgo et Fairtiq, les CFF viennent d’intégrer dans leur application Mobile CFF la fonction EasyRide offrant des services identiques. La billetterie devient définitivement une billettique…

Références

(1) Site internet Lezzgo: www.lezzgo.ch

(2) Le périmètre de validité est aujourd’hui celui de l’abonnement général, à l’exception des compagnies de navigation, de certaines remontées mécaniques et des autobus de ligne.

(3) B. Wuthrich, La vignette et les billets de train changent d’époque, Le Temps, 31 janvier 2018, p. 9.

(4) Site internet Fairtiq: www.fairtiq.ch

 

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