L’électrocardiogramme de l’Apple Watch: une app utile ou uniquement angoissante ?

L’histoire de la dernière série de l’Apple Watch et de son app ECG est passionnante.

Vous pourrez lire sur le site Apple: “L’Apple Watch Series 4 vous encourage à mener une vie plus saine en vous aidant à contrôler tous les aspects de votre quotidien, du stress aux calories dépensées. En parallèle, elle surveille votre rythme cardiaque et vous alerte si elle détecte quelque chose d’anormal”. 

L’objectif de cette application “électrocardiogramme” est de détecter des arythmies, en particulier une irrégularité du rythme cardiaque qui porte le nom de fibrillation auriculaire. L’objectif est louable puisque cette anomalie peut passer inaperçue et avoir d’importantes conséquences, les plus graves étant une insuffisance cardiaque ou un accident vasculaire cérébral.

Cette application a reçu aux Etats-Unis l’autorisation de la FDA pour sa mise sur le marché et en Europe le marquage CE, une reconnaissance qui démontre qu’il s’agit bien d’un dispositif médical.

Une nouvelle façon de pratiquer la médecine

Apple a obtenu la reconnaissance de son app ECG en un temps record, trente jours, alors qu’il faut habituellement plusieurs mois pour obtenir une telle certification de la FDA. Cet accord est tombé comme par magie la veille de l’annonce mondiale de l’Apple Watch Série 4. Le Dr Ivor Benjamin, président de la Société américaine de cardiologie, présent lors du show Apple, a déclaré « enregistrer en temps réel des données sur le cœur d’un patient change la façon dont nous pratiquons la médecine ».

La reconnaissance de la FDA américaine et en Europe l’obtention du marquage CE nous laissent penser que cette application est un dispositif médical fiable et utile. La réalité est un peu plus compliquée.

 

Vidéo. Apple Watch Series 4. Comment faire un ECG (vidéo de 36 secondes).

 

Ce qui disent les études

Deux études ont évalué la performance de l’Apple Watch pour la détection de la fibrillation auriculaire (FA). La première a porté sur 588 personnes dont la moitié souffrait d’une FA, la recherche a comparé le tracé de la montre Apple avec un électrocardiogramme classique composé de 12 pistes, le même que vous pourriez avoir chez votre médecin. L’application ECG n’a pas réussi à interpréter 10 % des tracés, ce qui est ennuyeux. Sur les 90 % restants, la sensibilité de l’app ECG a montré de très bons résultats avec une détection d’arythmie de plus de 98%.

Il y a malheureusement un problème : les possesseurs actuels de l’Apple Watch ont entre 30 et 50 ans, un âge où la fibrillation est rare. Cette faible prévalence de la maladie péjore grandement la performance de l’app ECG : dans cette tranche d’âge, près de la moitié des alertes ne correspondent à aucune arythmie.

Une deuxième étude a porté sur les enregistrements de 226 personnes classées par l’application comme ayant un rythme cardiaque irrégulier. Les résultats vont dans la même direction que ceux de la première étude : dans un article publié dans la Revue médicale suisse, le Dr Patrick Meyers, médecin au sein du service de chirurgie cardiaque du CHUV écrit « le taux de faux positif serait de 95 %, 19 personnes sur 20 avec un tracé pathologique sur l’Apple Watch n’auraient pas d’anomalie ».

Au vu de ces résultats, savoir que cette app a reçu la reconnaissance de la FDA et le marquage CE font planer de grands doutes sur la signification de ces reconnaissances officielles.

Une app utile ou uniquement angoissante ?

Si l’on veut que la détection d’une anomalie par l’Apple Watch corresponde vraiment à une arythmie, il faut donc que la montre soit portée par une population chez qui la fibrillation auriculaire est fréquente, c’est-à-dire au-delà de 80 ans. Chez les plus jeunes, les fausses détections d’arythmie risquent de provoquer passablement d’inquiétudes mais aussi de générer d’importants coûts pour des contrôles cardiologiques inutiles.

La technologie au service des professionnels de la santé et des patients ?

La technologie de l’Apple Watch et de son app ECG est impressionnante et il est possible que la montre de Cupertino devienne à l’avenir un dispositif médical utile. Cette merveille technologique est cependant représentative d’un grand nombre d’outils de la santé numérique actuelle, peut-être fiables mais pas forcément utiles: la validité de l’application est un pré-requis nécessaire mais insuffisant. Les technologies n’existent que dans l’usage : si innovation il y a, elle ne provient pas tant de la technologie en elle-même que de son utilité.

 

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Dr Jean Gabriel Jeannot

Médecin, spécialiste en médecine interne, avec un intérêt particulier pour l’utilisation des technologies de l’information et de la communication en médecine.

3 réponses à “L’électrocardiogramme de l’Apple Watch: une app utile ou uniquement angoissante ?

  1. Pourquoi porter dès son adolescence un outil qui devrait être réservé à un “public” limité: 90% des porteurs potentiels n’est pas concerné!

    Une vie saine? Combien d’humain sur cette planète seraient déjà heureux de pouvoir vivre une vie digne? La définition d’une vie saine que j’induis de mes lectures du moment: Qui ne coûte rien (aux autres), permet de ne pas mourrir aussi longtemps que possible et qui rapporte le plus possible (là c’est moins certain si c’est pour soi ou pou les autres). Est-ce vraiment une raison de vivre?

  2. Vous écrivez : “Cette application a reçu aux Etats-Unis l’autorisation de la FDA pour sa mise sur le marché et en Europe le marquage CE, une reconnaissance qui démontre qu’il s’agit bien d’un dispositif médical.”
    Je ne connais pas la base de l’autorisation FDA, mais je vous invite à revoir votre commentaire sur le marquage CE : d’abord celui-ci est apposé par le fabricant du produit qui rédige simultanément son certificat de conformité à des normes. Dans le cas de l’Apple Watch, le certificat (auto-déclaratif) figurant sur leur site cite 2 normes : “Compatibilité radio” et “Absence de substances nocives”. Apple ne revendique en Europe aucune norme médicale !
    Il s’agirait alors de voir si leur publicité n’est pas mensongère, en tout cas elle est limite.
    Cependant, il est probable que ce type d’objet est le futur de la médecine, mais je ne souhaite pas offrir mes données médicales personnelles aux GAFA.

    1. Bonjour,
      Merci pour votre commentaire, merci pour vos précisions. Vous avez raison, l’intitulé Ce n’est pas suffisant, il faudrait préciser de quelle classe il s’agit. Ceci dit, Apple jour sur cette ambiguïté, médical / santé, elle est d’importance puisque cela fait passer l’objet de gadget à outil médical. Merci pour cette précision.
      JG Jeannot

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