Puisque c’est l’été et que j’ai décidé de parler de littérature jeux vidéo, je me permets de republier cette critique du volume 1 de «L’histoire de Mario» de William Audureau issue de mon autre blog (la publication originale date du 26 octobre 2014 et concerne la première édition). À replacer dans son contexte, donc.
Des deux principales raisons qui m’ont poussé à rédiger ce billet, la première est d’avoir été grandement surpris de changer d’avis à propos du personnage de Mario, héros de jeux vidéo de l’entreprise japonaise Nintendo depuis le milieu des années huitante, à la suite de la lecture de cet ouvrage. Il me semblait ringard et desservant l’image de Nintendo, mais c’est bien le contraire que l’auteur démontre en passant en revue, entre autres, des événements que j’ai vécus.
La seconde est que je cherche à mieux cerner la littérature critique ou scientifique sur le jeu vidéo, dont le corpus croît plus rapidement depuis quelques années (en tout cas en langue française). L’ouvrage de William Audureau se situe entre les livre-hommages blindés d’anecdotes mais peu critiques et approfondis, dont il conserve le premier aspect, et les textes purement scientifiques, non destinés à être lus par le grand public, auxquels il emprunte la démarche de documentation et de citation, ainsi que le raisonnement et la justification de toute assertion.
Le livre n’avait pas attiré mon attention à l’époque (2011), car j’avais cru y voir un de ces ouvrages surfant un peu bêtement sur la nostalgie du public. Or, il s’agit d’une réflexion à ma connaissance originale et sur un sujet souvent évoqué par exemple par les médias, mais toujours de manière peu approfondie. L’auteur définit clairement son but, qui est de collectionner et passer en revue les événements ayant mené à la création de ce qui est probablement le personnage le plus emblématique dans l’ensemble de tous les jeux vidéo. Il partage également les frustrations liées à sa démarche et les difficultés rencontrées, le tout dans un chapitre doublement décalé, par le ton employé et par sa position en fin d’ouvrage.
Chronologie
Le livre peut être découpé en quatre parties. Tout d’abord, l’auteur propose une longue généalogie plaçant le contexte pour l’arrivée de Mario [spoiler : Mario n’arrive qu’à la moitié du livre]. Puis il nous montre ses premières apparitions et premiers rôles (premiers premiers rôles, donc), ce qui donne à mon avis le meilleur passage du livre : le suspens est créé naturellement par les événements de l’époque (Mario n’était d’abord personne, et a dû s’imposer contre Donkey Kong et… Popeye), ce que couvre très bien la reconstruction faite par l’auteur, parfois en croisant des sources divergentes, d’autres fois en dissertant sur ses propres hypothèses. Mais toujours, l’auteur argumente, cite et fournit un travail précis et difficilement attaquable. Finalement, les deux dernières parties couvrent le succès de cette nouvelle mascotte chez Nintendo, puis l’indigestion, cristallisée dans un film très bizarre qu’à l’époque j’étais allé voir au cinéma.
Les chapitres ciblent chacun une problématique particulière, et peuvent se chevaucher chronologiquement (la fin d’un chapitre se situant alors dans le temps après le début du suivant). C’est un choix très important pour la réussite de ce projet, qui incidemment dévoile des passages clés des chapitres à venir, mais permet de comprendre précisément chaque problématique. Ainsi, on ne perd pas de vue le point qui nous intéresse, et on finit toujours le chapitre par une synthèse au lieu d’accumuler du fait divers sans avoir le temps de le digérer (ce que fait par exemple “L’histoire de Nintendo” et son indigestion de points d’exclamation, chez le même éditeur). Une exception : la synthèse composant le dernier chapitre du livre et reprenant tout son contenu est tout simplement inutile.
Superbe remise en contexte
Le livre se déroule comme un thriller : l’auteur recrée l’atmosphère unique de l’époque, et par ses descriptions replace les situations dans leur contexte en recourant notamment à des sources d’époque (japonaises et américaines), des descriptions fréquentes du quotidien des publics japonais et américains (et dans une moindre mesure européens) qui voient arriver tous ces produits, et quelques anecdotes qui rappelleront des événements vécus chez les lecteurs au moins enfants à cette époque. Tout au long de ma lecture, j’ai ressenti beaucoup de nostalgie : un effet apparemment non recherché mais récréé par des descriptions précises et authentiques. J’en déduis que l’auteur touche juste. Et c’est au sein de cette reconstruction que l’on découvre l’arrivée sur le marché du jeu vidéo de Mario, personnage à l’apparence ridicule et à l’histoire absurde, hautement improbable, inventé par le Japonais Shigeru Miyamoto.
Pas si ringard, finalement
Avant de lire cet ouvrage, j’avais connu deux temps dans mon appréciation du personnage de Mario. Le premier, dans les années 1980-1990, fut évidemment positif, autour de jeux comme Super Mario Bros. 1, 3, et Super Mario 64, en particulier. Puis vint la surenchère et un second temps sa réutilisation sous n’importe quel prétexte (Super Mario Kart, Mario Party, Mario Golf, Mario Tennis, etc.) qui m’écoeura. Finalement j’en vins, malgré l’excellence des Super Mario Galaxy 1 & 2, à m’énerver contre son omniprésence dans les rayons de jeux des consoles Nintendo (plutôt dû à leur manque d’éditeurs tiers, en fait). Le livre, en passant par l’envers du décor, offre une explication (un peu prolongée par le dossier “Super Mario Kart vs. F-Zero” du même auteur dans Games n° 4), et permet de mieux comprendre la position centrale du personnage et sa légitimité comme mascotte chez Nintendo (son concepteur l’avait déjà placé dans bon nombre de jeux, avant sa célébrité, ce qui aurait même joué un rôle). J’ai beaucoup apprécié qu’au-delà d’une simple “biographie” de ce personnage fictif, l’auteur traite de ce sujet hors du contexte trop simple des jeux où il apparaît, et même hors de la seule démarche artistique de Miyamoto, incluant dès lors dans son analyse les différentes équipes de développement de Nintendo, la direction de l’entreprise, et la division américaine qui, bien que légère à l’époque, joua un rôle central dans le processus de création et d’identification de Mario.
En conclusion
L’ouvrage se termine sur une période un peu gueule de bois où Mario est devenu une mascotte hors de contrôle qui apparaît par exemple en boîtes de corn flakes ou dans un dessin animé très moyen… Le sommet dans cette période est la vente des droits pour la création d’un film basé sur l’univers de Super Mario Bros. auquel Nintendo ne s’intéressera pas. Le résultat final n’a aucun sens et penche franchement vers la catégorie des mauvais films. Il y a ici une position intéressante et plutôt décalée prise par l’auteur : la présence dans l’ouvrage d’explications détaillées sur un film alors que le sujet est un personnage de jeux vidéo aurait pu sembler déplacé si ce film n’avait pas parfaitement représenté l’époque, ses excès, et ce qui est peut-être la perte de la dernière bribe d’innocence, en termes de gestion, chez Nintendo.
Au final, l’auteur montre que le film n’est pas si mauvais, et c’est peut-être le seul parti pris de tout le livre. Je recommande cet ouvrage pour son exhaustivité sur le sujet (Mario, pas le film), tout comme pour la qualité du travail fourni sur un aspect des jeux vidéo (les mascottes) dont il n’existe que peu de cas comparables à cette échelle.
Le volume 2 de «L’histoire de Mario» vient de sortir, du même auteur, en collaboration avec Oscar Lemaire.
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