Are you an adult ?

Le Los Angeles Times a publié à l’occasion du 14 juillet (oui, oui, même à Los Angeles on commémore la prise de la Bastille, les Américains m’étonneront toujours !) un graphique pour tenter d’expliquer aux anglophones les règles du vouvoiement en français.

Ainsi schématisées pour Californiens aspirant à la francophonie, les règles paraissent d’abord assez simples : si vous êtes un enfant, vous devez dire tu aux autres enfants et aux membres de votre famille et vous au reste du monde.

Si vous êtes un adulte (à partir de quel âge est-on adulte en Californie ?), c’est là que ça se corse. Si vous vous adressez à un enfant, c’est tu, sauf « si c’est un prince ou quelque chose comme ça » (sic. Something like that dans le texte). Mais si votre interlocuteur est un adulte, alors là l’arbre se divise en multiples possibilités : S’agit-il d’un ami, d’un amant, de votre conjoint (tu, sauf si c’est Jacques Chirac), de votre belle-mère (« better ask »), votre patron, votre prof… ? Bref, déjà que les Américains ne sont pas très enclins à parler les langues étrangères, il y a là de quoi les dégoûter définitivement du français.

Quant à moi, je me prends à admirer une fois encore les nuances subtiles de ma langue maternelle, en remerciant le ciel de les avoir, ces nuances, sucées au berceau et de n’être pas obligée de les apprendre par l’intermédiaire du Los Angeles Times. Et puis tout cela a un petit parfum désuet qui me plait bien. Bientôt, pensé-je avec nostalgie, il n’y aura plus que quelques Américains férus de paléographie pour se soucier encore de cette forme verbale tombée en désuétude, le vous de politesse (de quoi ?)

Là-dessus, je descends ma souris (bien sûr c’est sur internet que j’ai dégotté cette mine, sur un forum du Monde) et là, je manque tomber de ma chaise : pas moins de 23 pages (oui, vous avez bien lu, 23 !) de discussions et commentaires à propos du tutoiement ! Visiblement, le sujet passionne les internautes. Entre celui qui regrette le temps de sa jeunesse où on disait vous « aux instituteurs, aux gendarmes et aux prêtres » et où on regardait des séries « simples et bonnes » comme La Petite maison dans la prairie où « l’ordre familial est maintenu », et celui qui voit dans le vouvoiement « l’exemple typique de l’encroûtement de la culture française » et appelle de ses vœux un tutoiement généralisé et roboratif propre à « redonner le goût du boulot à une jeunesse chômeuse » (je jure que toutes mes citations sont authentiques), je constate avec joie que le souci du code social est toujours aussi vivace dans notre francophonie, et que notre français garde toute sa verdeur quand il s’agit de s’insulter au nom du savoir-vivre.

Alors, tu ou vous ? N’attendez pas de moi, aujourd’hui où il fait si chaud dans mon village de Provence où je tutoie tout le monde, que je vous réponde. C’est l’été, en mai tu fais ce qui te plaît, et en août, vous dites comme vous sentez. Il sera bien temps d’être sérieux à la rentrée.

Mais je finirais quand même par une dernière citation du forum en question où il n’y  pas que des sottises : « Le vouvoiement est un plaisir sucré, un coup de fouet, un délice linguistique pour nous, les francophones, qui aimons pour la plupart les jeux de langue et d’écriture ».

 

 

 

Sylviane Roche

Sylviane Roche, professeur et écrivain, s'intéresse depuis toujours aux règles qui gèrent la vie en société. Pour les connaître, les comprendre et même, éventuellement, les enfreindre en connaissance de cause.