Il flotte mais ne sombre pas

Je suis arrivée à Paris vendredi 13 vers 16 heures pour fêter l’anniversaire de ma sœur. Samedi, après discussion et réflexion, on a maintenu la fête dans le restau choisi de Montmartre. Dans son petit discours de bienvenue, elle a dit qu’à ses yeux, ce dîner en chansons était une façon de répliquer à ceux qui veulent tuer les fêtes, la musique, la bonne bouffe et tout le bonheur de vivre. C’est un restau où on chante au dessert avec le patron qui nous accompagne à la guitare. On a chanté encore plus fort Le Temps des cerises, du Ferrat, du Ferré, on a crié Vive la Commune… On a chanté l’amour et l’amitié… Dans la rue, les (rares) passants s’arrêtaient pour écouter, certains levaient le pouce, et même le point…

Bon, mon propos n’est pas de raconter ma vie de famille, ni même (ni surtout) de renchérir sur ce slogan gnangnan du « vivre ensemble ». Comme vient de me le dire Mohamed Sifaoui, « je ne veux pas vivre avec des fachos ou des islamistes ». Il y a des gens avec lesquels, en effet, je ne veux pas vivre et qu’on doit combattre et éradiquer sans pitié. Mais ce que je veux, après les premiers jours de sidération passés, c’est tenter de rendre quelque chose d’impalpable qui flotte en ce moment dans l’air de Paris (tiens, je viens de remarquer que c’est le titre d’une chanson « Tant de poètes ont écrit des refrains, des chansons, sur Paris, que je ne sais plus quoi chanter, pour vanter ta beauté, mon Paris …»).

La rage, le désespoir, les « je vous l’avais bien dit » et les battages de coulpe, on n’a pas besoin de moi pour les exprimer.
Moi, je veux juste raconter deux petites anecdotes :

Hier, je suis dans un taxi, ça roule bien, trop bien, Paris semble désert. « Et quand je pense que le nabot vient à la télé pour donner des conseils » dit le chauffeur qui écoute France Info après m’avoir demandé si ça me dérangeait. Du coup, je renchéris et j’ajoute : « Pourvu qu’on ne le revoie pas en 17 ». « Pas de risque » dit-il. Là-dessus, on arrive place de l’Opéra, il est midi pile. Sur les marches et sur l’esplanade, la plupart des gens sont figés au garde-à-vous. Je demande au chauffeur d’arrêter son taxi. Nous sortons ensemble, et, côte à côte, nous observons la minute de silence. Puis on repart, sans un mot. On n’a plus rien dit le reste du parcours, il y avait quelque chose d’au-delà des mots. Ah oui, j’oubliais, le chauffeur était visiblement arabe…

Toujours hier, je marche en direction de l’arrêt du bus que je dois prendre, et je le vois arrêté déjà à sa station. C’est un bus peu fréquent et je suis en train de le louper. Je cours sans beaucoup d’espoir en faisant de grands gestes. Sur le trottoir, trois Africains sont en train de balayer les feuilles mortes. Ils me voient et crient « Allez-y Madame ! »Le chauffeur, lui, a déjà fermé les portes et mis son clignotant pour déboiter. C’est alors qu’un des balayeurs saute sur la chaussée, se plante devant le bus en faisant de grands gestes pour l’empêcher de démarrer, J’arrive essoufflée, les portes s’ouvrent, et en montant je me retourne pour remercier les balayeurs : « C’est rien, Madame, dit l’un d’eux, aujourd’hui, on est tous solidaires ». Dans le bus, les gens opinent.

Voilà. C’est juste une atmosphère, peut-être éphémère, mais présente. Et qui me rappelle une autre chanson que j’avais apprise en colonie de vacances (pour dire que ça ne date pas d’hier ) : « Qui sait rire quand il saigne, c’est Paris, qui refuse qu’on le plaigne, c’est Paris, celui où le peuple règne et du monde porte enseigne, c’est Paris, c’est Paris, c’est Paris ».

C’est tout. Ça pourrait être ma conclusion. Merci de votre compassion, des « I pray for you », et des monuments bleu-blanc- rouges dans le monde entier, mais sachez que, ces jours où les drapeaux en berne ne flottent plus, c’est l’esprit de Résistance qui flotte sur Paris qui, plus que jamais « fluctuat nec mergitur ».