Souriez, c’est un smiley

Je ne connaissais pas particulièrement Rodrigo García. Je savais que c’est un auteur dramatique d’origine argentine et j’ai lu il n’y a pas longtemps un article sur une pièce de lui qui passe actuellement à Paris et qui provoque l’horreur des amis des bêtes car, paraît-il, on y coupe en deux un homard vivant tous les soirs sur la scène. La vie des homards me semble une cause assez peu prioritaire actuellement, et je crois que décidément, au théâtre, je préfère Racine, où c’est plutôt des gens qu’on coupe en deux, mais en alexandrins, poliment et sans effusion de sang.

Donc je n’aurais guère eu l’occasion de mentionner ce García-là, si je n’avais eu sous les yeux grâce à Facebook (ah Facebook, la meilleure et la pire des choses!) un petit texte qu’il a écrit et qui s’intitule «L’apparition au XXIe siècle de ce petit symbole à la con». C’est du smiley dont il parle, vous savez, cette petite tête chauve qui sourit, pleure, rougit, aime ou déteste à votre place dans les messages.

A votre place, c’est bien là le problème. C’est à dire qu’il vous évite d’avoir à chercher les mots justes, à affiner ce que vous sentez, bref à vous intéresser à la langue. García raconte que souvent il a mis plusieurs heures à chercher ses mots, à peaufiner son message pour ne recueillir en réponse que «le petit symbole à la con» qui, à ses yeux «met en évidence l’inaptitude linguistique et la débilité mentale de l’imbécile qui (…) réduit le pouvoir d’une culture ancestrale à un :)»

Eh oui… J’ai tenté de développer sur plusieurs paragraphes ce que je pensais de l’actuel débat sur, mettons, la laïcité, et je récolte des dizaines de 🙂 ou de «like», ce qui n’est guère plus réconfortant.

Alors, dans un premier temps, je suis absolument d’accord avec Rodrigo García et j’ai envie de lui envoyer un like et plusieurs :)…

Et c’est là que je m’aperçois que moi aussi je les utilise ces petits symboles à la con. Peut-être pas autant que certains de mes correspondants, mais quand même. Et je me dis que García est peut-être un peu sévère. Certes, il y a des circonstances où le smiley est absolument impossible, où il traduit une insupportable désinvolture. Si le smiley remplace les mots personnels et choisis que l’autre est en droit d’attendre, alors là oui, on peut en conclure avec tristesse que notre interlocuteur a (je cite García) «décidé de se torcher le cul avec le langage» et avec notre relation par la même occasion.

Mais si on le considère comme un ajout qui vient ponctuer le discours, il devient, justement, un signe de ponctuation comme un autre, comme le point d’exclamation ou de suspension. Bien sûr, un peu moins abstrait, un peu plus culcul la praline (aurait dit ma grand-mère), mais c’est l’époque qui veut ça. On vit une époque culcul la praline, où l’insupportable violence quotidienne des nouvelles (c’est bien 700 les noyés d’aujourd’hui en méditerranée?) est compensée par des petits signes infantiles, des cœurs, des «bisous», des love, des smileys, qui dégoulinent de partout…

Et puis le smiley, justement, peut aussi combler l’absence. On se parle sans se voir, souvent même sans se connaître. Alors ça remplace le vrai sourire ou la vraie larme d’un vrai visage qu’on n’aura jamais en face de soi.

Bref, je défends l’usage du smiley, avec modération et à bon escient, «comme un point rose, dit Cyrano qu’on met sur le i du verbe aimer.»