Faites comme chez vous

 

J’ai été invitée cette semaine dans une école préparatoire aux examens de maturité, à prendre la parole devant une assemblée d’une cinquantaine d’étudiants. Il s’agissait de parler du code social et de sa fonction et de répondre à leurs questions. C’était extrêmement stimulant, l’auditoire était à la fois vivant et attentif, une expérience enrichissante pour moi, et j’espère pour eux aussi.

J’ai donc exposé ce que pour moi signifiait le code social, ce que j’appelle « les deux politesses », la première, la gentille, qui inclut, qui est destinée à mettre l’autre à l’aise, à ne jamais lui faire perdre la face, à huiler les rouages de la société ; et puis la deuxième, la méchante, destinée à exclure celui qui ne sait pas, qui ne connaît pas les règles arbitraires de l’étiquette et qu’on ne peut donc pas admettre dans le cercle des gens « bien élevés ». Les étudiants écoutaient poliment et gentiment, manifestant pour certains leur approbation en hochant la tête.

Et puis, insensiblement, est arrivée la question religieuse. Je la sentais venir, elle est partout, en ce moment on n’y échappe nulle part. Dans le cas dont je parle, elle est venue, je dirais presque naturellement, d’abord à propos des interdits alimentaires, (est-il poli de refuser de manger ce qu’on vous sert sous un prétexte religieux ?) puis, bien sûr est arrivée l’inévitable voile et les questions se succédaient. Visiblement c’est un problème qui passionne aussi ces jeunes gens. J’ai répondu en expliquant ma conception de la laïcité.

C’est alors qu’un garçon a essayé (très poliment, avec un grand sourire et une pointe d’accent) de me coincer avec la question suivante : « Vous nous avez dit que la bonne politesse consistait à mettre l’autre à l’aise. Or quand on reçoit par exemple quelqu’un chez soi, pour qu’il s’y sente bien, on lui dit “ faites comme chez vous “. Et avec les musulmans, on leur dit qu’ils sont chez eux en France par exemple, mais on veut les empêcher de pratiquer leur religion comme ils feraient chez eux.  N’y a-t-il pas une contradiction ? Et vous-même qui êtes contre le voile islamique, n’allez-vous pas contre vos beaux principes d’hospitalité ? »

J’ai trouvé la question intelligente et bien posée, et le prof qui m’invitait m’a jeté un regard du genre « Aïe ! Là vous êtes coincée ». Alors j’ai félicité le garçon pour la pertinence de sa question et l’occasion qu’il m’offrait de revenir au domaine plus abstrait de la politesse en général et de ses formules. Je lui ai répondu que cette phrase type, « faites comme chez vous », faisait partie d’une sorte de comédie sociale (et je ne prends pas comédie au sens péjoratif, juste de dialogue pré écrit) ou chacun sait d’avance ce qu’il doit dire et faire. Et je l’ai invité à imaginer la tête qu’il ferait si la personne prenait l’invitation au pied de la lettre, ouvrait les placards et s’habillait des habits qu’elle y trouvait, se servait elle-même dans le frigo, installait sa famille, se couchait dans le lit, bref, faisait vraiment comme chez elle. On sait qu’on doit dire cela, mais l’autre sait qu’il n’est pas question qu’il obéisse. On partage ici le même code, et c’est fondamental. C’est aussi cela la politesse.

Et obéir aux règles générales qui régissent n’importe quel groupe, depuis la nation jusqu’à la famille, c’est aussi du savoir-vivre avant même d’être du civisme. Et si un hasard que je ne peux imaginer (mais on ne sait jamais) me conduisait en Iran par exemple, je mettrai un tchador, comme je couvre ma tête dans une église ou ôte mes chaussures dans une mosquée, alors que dans une synagogue, c’est les hommes qui couvrent leur tête et se découvrent dans une église. On obéit aux règles de l’autre lorsqu’il nous accueille, même s’il nous dit de faire comme chez nous, et on le fait par respect, c’est à dire par politesse.

J’ai conclu en disant que tous les gens qui veulent vivre chez nous et s’y sentir à l’aise devaient suivre les règles générales qui régissent notre société, en l’occurrence, s’agissant du voile, l’égalité entre les hommes et les femmes.

Il a hoché la tête, il a souri. « Je comprends ce que vous voulez dire »… L’ai-je convaincu ? Je n’en sais rien. Il était sans doute trop poli pour me contredire à nouveau ou me traiter de chienne d’infidèle.

Mais, une fois encore, j’ai constaté combien ces questions aujourd’hui brûlantes sont au centre de la problématique du code social et, au sens littéral, du savoir-vivre.