La République en marcel ?

Dans un article paru dans l’Hebdo de la semaine dernière (« L’avenir est au président en tongs », 30/2015), Marcela Iacub nous livre sa recette pour une politique propre et des politiciens honnêtes : il suffit de les loger simplement (finis les ors de la République) et surtout de leur imposer un code vestimentaire cool. Plus de costume sombre, de cravate triste, de tailleurs stricts. « Habillé en jeans et en casquette, en short et en tongs par temps de canicule », le chef de l’Etat recevra ses homologues pour des « repas simples et amicaux » dans son deux pièces (s’il est en couple) ou sa studette s’il est célibataire. Et là, vous verrez le miracle s’accomplir : « La pratique du pouvoir sera entièrement différente ». Bon, elle ne dit pas en quoi elle sera différente, mais elle le sera, d’autant plus que les responsables politiques seront tirés au sort (sic) !

Je lis et relis ce texte effarant et je me dis que c’est de l’ironie. Je tente de m’en convaincre, mais je n’y arrive pas tout à fait.

On savait déjà que la tendance était de réformer le langage pour changer la société, et que dire autrice ou professeure allait résoudre les problèmes des femmes, et engendrer immédiatement le partage des tâches ménagères et l’égalité salariale.

Mais on n’avait pas encore imaginé le port du short et des tongs comme système de gouvernement. Moi qui, il y a des années, avais intitulé un article « A bas la dictature de l’informel ! », je ne pensais pas avoir à ce point raison et qu’on retrouverait en effet cet « informel » ridicule à la tête de l’Etat.

Marcela Iacub pense que les gens luttent « toute leur vie pour occuper des postes » juste afin de pouvoir péter dans la soie, dormir dans des châteaux, bâfrer à des garden-parties à 750000 euros, bref pour avoir le sentiment d’être riche. J’admire sa fraîcheur d’âme. J’admire aussi l’hommage qu’elle rend ainsi à l’importance du code vestimentaire. Pour elle, un président habillé cool ne peut qu’être cool et donc faire de la politique cool.

Quand Hollande, Merkel, Obama et le roi d’Arabie Saoudite, en tongs l’été, en training l’hiver, commanderont ensemble des pizzas (sans jambon pour le roi) qu’ils mangeront avec leurs doigts, vautrés sur le clic-clac Ikea de Netanyahou, le monde s’en portera mille fois mieux, vous pouvez en être sûr.

Bon. Essayons d’être sérieux. On peut bien sûr se féliciter qu’un pays qui compte des millions de chômeurs fasse des économies en supprimant certaines dépenses somptuaires. La garden-partie du 14 juillet à l’Elysée en est un exemple. Mais remarquons au passage que, tout en la supprimant (geste visible et démagogique), Sarkozy doublait les dépenses de l’Elysée et commandait des sondages de centaines de milliers d’euros pour savoir si Carla était plus populaire que Cécilia.

Quant au code vestimentaire (entre parenthèses, quand on voit comment les costumes sont coupés, on se dit qu’ils ne viennent pas de chez Brummell), aux dîners et aux réceptions pour recevoir les homologues étrangers, ils obéissent à d’autres impératifs. Robespierre, qu’on ne peut pas soupçonner de n’être pas républicain et qu’on surnommait l’Incorruptible, vivait très simplement, mais s’habillait fastueusement quand il s’agissait justement de représenter la République. Et ses commissaires étaient bien priés de faire de même.

Les hommes d’Etat incarnent une fonction qui va au-delà de leur personne. Dans l’exercice de leur fonction, ils représentent l’Etat, ils sont l’Etat, et celui-ci doit inspirer du respect, comme il doit en témoigner à ses hôtes quand il reçoit des chefs d’Etats étrangers. Et, dans notre société, une des façons d’exprimer son respect et d’honorer ses hôtes est de s’habiller avec soin, de faire un effort vestimentaire. Le costume est un langage, le short et les tongs signifient loisir, décontraction, laisser-aller (tout à fait admissibles en vacances), c’est à dire tout le contraire de ce qu’on attend d’une rencontre politique ou d’un discours officiel. Et c’est la même chose pour les lieux. C’est la République qui est logée dans les châteaux, autrefois apanage des rois.

Il y a un pays où les hommes d’Etat, depuis sa fondation, portent traditionnellement des chemises à manches courtes (il y fait chaud), des sandales et pas de cravates. C’était même naguère un sujet de blague ou d’étonnement pour les nouveaux arrivants. Certains ont longtemps voulu croire que ses dirigeants actuels étaient meilleurs, moins corrompus, moins avides de pouvoir que leurs homologues en cravates. Ce pays, c’est Israël…