chocolat et culpabilité

Chocolat et culpabilité

Des sociologues ont récemment demandé, dans le cadre d’une enquête, à des Français et à des Américains d’associer des mots. Lorsqu’on propose «gâteau au chocolat», les Français pensent «anniversaire» et les Américains «culpabilité»…

J’ai lu cette information dans un récent article du "Monde des Idées" consacré au «repas à la française» qui a été inscrit en 2010 au Patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. Et j’ai pu constater une fois encore à quel point les coutumes diffèrent d’une société à une autre, et combien ce que j’ai été habituée à considérer comme une règle absolue, immuable et universelle, était en réalité propre à une culture, la société française, héritière à la fois du cérémonial millimétré de la cour de Versailles et de la tradition catholique de valorisation de la dimension communautaire et collective du repas. Tandis que les Américains et les pays anglo-saxons en général sous l’influence du protestantisme, entretiennent un rapport plus puritain à la nourriture. Et qui dit puritain dit culpabilité, nous voilà revenus au gâteau au chocolat.

Les Suédois, les Finlandais, les Slovènes, les Britanniques, mangent n’importe quoi n’importe quand, nous apprend cette enquête. Même à la maison, chacun ouvre le frigo et se sert à sa guise avant de se planter devant la télé. «Aux Etats-Unis, l’alimentation est considérée comme une affaire individuelle. Chacun est différent, chacun est libre… C’est un modèle contractuel et individualiste» explique le sociologue responsable de l’enquête.

Alors qu’en France et dans les pays francophones, le repas est une affaire collective. C’est un rituel codifié, tant dans son rythme que dans sa composition: heure fixe, trois plats, tout le monde mange la même chose en même temps. On ne se lève pas avant les autres, on mange ce qu’on vous donne, la valeur suprême est la convivialité.

Cette ritualisation est ressentie par certains étrangers comme extrêmement coercitive, et contraire à leur sacro-sainte liberté. Et cela va, bien entendu, à l’encontre de la tendance actuelle de l’émancipation individuelle. Le «j’ai bien le droit de» est blessé par cette forme de diktat social. Et, même en France, l’érosion des règles conviviales se fait sentir.

Pourtant, contre toute attente, notre repas gastronomique et convivial résiste, et même chez les plus jeunes. Mac Donald l’a appris à ses dépens quand ils ont vu leurs restaurants, ouverts toute la journée comme aux Etats-Unis, envahis entre midi et deux heures et pratiquement vides le reste du temps. Ils ont dû aménager leurs horaires et aussi diminuer le nombre de tables individuelles, car les jeunes Français s’obstinent à manger à heure fixe et… ensemble !

Alors, finalement, l’exception, c’est la culture française!

Les Américains, tout en avalant leur pizza tout seul dans leur bagnole, se demandent paraît-il, comment font les Françaises pour rester minces en se bourrant de baguette et de fromage. J’ai une idée sur la question…

Bien entendu, on ne doit pas juger des habitudes des différentes sociétés. On peut comparer pour comprendre, mais le relativisme culturel nous interdit désormais de proclamer en toute innocence que notre civilisation est la meilleure et la plus parfaite, comme au temps de la bonne conscience coloniale. Et c’est un grand progrès.

Néanmoins, devant un gâteau au chocolat, je préfère fêter un anniversaire que de me ronger de culpabilité. Je pense même que c’est meilleur pour la santé… et pour le tour de taille.

 

Sylviane Roche

Sylviane Roche, professeur et écrivain, s'intéresse depuis toujours aux règles qui gèrent la vie en société. Pour les connaître, les comprendre et même, éventuellement, les enfreindre en connaissance de cause.