La magie du rangement, version jeu vidéo

J’aime ranger. Avant que les invités arrivent, une fois qu’ils sont partis, au départ des vacances, au retour des vacances, ou tout particulièrement avant de me lancer dans une longue session de travail. J’ignore si nous sommes nombreux ou au contraire une espèce rare, mais pour nous il existe dorénavant un jeu vidéo permettant d’explorer tous les aspects de cette pathologie (soyons honnête).

Le principe de Wilmot’s Warehouse est simple. Un camion livre une série de paquets, tous de même taille, distinguables grâce aux icônes peintes dessus. Puis, un guichet s’ouvre et il s’agit de satisfaire les commandes des client·e·s dans un délai restreint, soit retrouver les paquets correspondants, les grouper, et les livrer. Entre les deux, on nous laisse quelques minutes pour tout classer librement dans l’entrepôt, dans le but d’être ensuite le ou la plus efficace possible.

 

 

La perversité du jeu se situe à deux niveaux: à chaque livraison du camion, quatre nouvelles icônes sont introduites au sein d’une trentaine de paquets, mais le nombre de colis entrants qu’il faut entreposer est toujours plus important que le nombre de colis sortants. Dans le mode facile, le jeu nous laisse parfois le temps de souffler… et ainsi nous invite implicitement à revoir complètement notre mode de classement. Est-ce qu’il vaut mieux que je classe mes icônes par thème ou par couleur? J’ai vingt soleils et une seule lune, faut-il vraiment les ranger ensemble, au risque de ne jamais retrouver cette dernière?

Au fur et à mesure que l’on avance dans cette aventure, le jeu nous offre la possibilité d’obtenir de nouvelles fonctionnalités (si nos résultats ont été satisfaisants). On fera par exemple l’acquisition d’un robot ne classant jamais les paquets tel qu’on l’aurait souhaité, ou on préférera casser des murs pour gagner de la place, nous obligeant une énième fois à revoir tout notre système de classement. Car notre philosophie de rangement à un moment donné perd généralement en efficacité après quelques tours de jeu, et on sera facilement tenté de passer une demi-heure (qui deviendra peut-être une heure) à ranger les icônes plutôt rouges sur la droite, les fruits et autres nourritures vers le centre, et les icônes en surnombre loin dans le coin en bas à gauche.

Wilmot’s Warehouse propose un mélange de jeu « bac à sable » et de jeu de rapidité à la Tapper, un classique en arcade dont la borne, géniale, demande de tirer des bières à la volée. Il rappelle qu’avec un bon game design, toute idée peut être adaptée en un jeu réussi comme c’est le cas ici. Il fera beaucoup souffrir les disciples de la magie du rangement de Marie Kondo, puisqu’on n’y jette rien. Cependant, Wilmot’s Warehouse interroge également sur le sens de toute cette accumulation de biens. Ranger peut être reposant, et parvenir à satisfaire un client rapidement grâce à une méthode de classification particulièrement efficace est très gratifiant. Mais après une heure de jeu, éventuellement deux, la folie nous gagne, les icônes valsent devant nos yeux fatigués, et on lâche facilement le jeu en attendant une prochaine occasion. Un rappel que si nous avons la liberté de nous détourner d’une tâche répétitive et cognitivement éprouvante telle que celle-ci, les employé·e·s triant et regroupant le contenu de nos commandes Amazon n’ont pas cette chance.

 

 


 

Ci-dessous la bande-annonce du jeu, géniale (avec la voix off), tout comme le contenu de leur compte Twitter.

 

 

L’image d’en-tête est extraite du matériel promotionnel du jeu.

Yannick Rochat

Yannick Rochat est collaborateur scientifique et chargé de cours au Collège des Humanités de l’EPFL. Il est co-fondateur de l’UNIL Gamelab.