Fortnite, une foire aux questions (FAQ)

Après plus de 6 ans de développement, Fortnite est mis en vente l’été 2017. Le mode «battle royale», développé en deux mois, est mis à disposition quelques semaines plus tard et transforme le jeu en phénomène de société.

Au moment d’écrire ces lignes, moins de deux ans après sa sortie, Fortnite Battle Royale (nommé «Fortnite» à partir d’ici) génère des milliards de dollars pour le studio de développement et éditeur Epic Games. Tout le monde a entendu ce nom et au moment d’écrire cet article plus de 250 millions de personnes ont lancé le jeu au moins une fois. De nouvelles mises à jour – chaque deux semaines environ – ainsi que des compétitions régulières garantissent un intérêt renouvelé.

En parallèle de ce succès, l’intérêt porté par les médias généralistes est important et rappelle la couverture de Pokémon Go à sa sortie. Mais ici, l’intérêt des médias se montre durable, ce qui mène à une drôle de situation: faute de rubrique « jeux vidéo » dans la majorité des rédactions de ces médias, les journalistes couvrant l’actualité associée à ce jeu changent régulièrement et certaines questions reviennent. Quand le ou la journaliste a pu suivre l’actualité de près, la discussion est toujours très intéressante, mais quand il ou elle découvre le jeu pour l’occasion, nous (chercheuses, chercheurs) répétons parfois des réponses déjà données à d’autres occasions. D’où la motivation derrière la rédaction de cette foire aux questions (FAQ) qui pourra également intéresser les parents, les enseignant·e·s, les politiques, et plus généralement le grand public.


Fortnite: le jeu

Rapidement, qu’est-ce que Fortnite (Battle Royale)?

Dans Fortnite, cent personnes sont parachutées sur une île, la même à chaque partie. Ces cent personnes doivent s’éliminer en s’aidant d’armes et d’objets divers (souvent loufoques) pendant que le terrain de jeu se réduit progressivement. On y joue seul·e, en duo ou par équipe de quatre («squad»). Il s’agit d’un «free-to-play», c’est-à-dire un jeu que l’on peut installer et lancer gratuitement. Il n’est pas «pay-to-win» : dépenser de l’argent réel pour acheter quoi que ce soit dans le jeu ne procure pas d’avantage. Fortnite propose en permanence des variantes du mode battle royale, par exemple un mode 50 contre 50 ou un mode minuté à 20 contre 20 où l’on peut revenir en jeu en cas d’élimination.

Une vidéo explicative par Fabien Goubet, journaliste au Temps.

À quoi ressemble une partie de Fortnite?

Mes collègues Pierre-Yves Hurel et Selim Krichane ont comparé l’île de Fortnite à un parc d’attraction: une fois parachuté·e sur l’île, on peut se rendre aux attractions phares, ou préférer vagabonder. On se voit toujours proposer de nombreux choix (à moins de devoir fuir la tempête, qui réduit la zone de jeu et retire des points de vie) et l’on peut soit décider d’aller chercher le contact dans les lieux les plus peuplés, soit décider d’aller visiter les différents lieux thématiques du jeu, à son rythme, avec moins de chance d’être attaqué·e.

Tout d’abord, il faut choisir un lieu d’atterrissage. Il n’est pas rare de découvrir d’autres personnes survolant la zone que l’on convoite. Il faut alors très rapidement s’emparer de la meilleure arme disponible (celles-ci sont réparties aléatoirement sur toute la carte) et tenter d’éliminer les autres personnes présentes. En cas d’échec, si l’on ne joue pas seul·e, l’avatar se retrouve au sol, sinon il disparaît. Dans le jeu à plusieurs, on peut venir nous secourir et moyennant quelques secondes revenir en jeu, avec tout son arsenal mais très peu de points de vie. En cas d’élimination lorsqu’on est au sol, il est encore possible d’être ramené·e en jeu. Ce cas est beaucoup plus compliqué, mais provoque des situations avec un fort suspens.

Il est important de détruire l’environnement avec la pioche, soit la seule arme que l’on reçoit en début de partie et qu’il est impossible d’ôter de son arsenal. Cet acte destructeur sert à accumuler des matériaux de construction permettant ensuite de construire des fortifications, à la manière de Minecraft. On peut d’ailleurs se poster à un endroit stratégique, construire un fort et attendre que les adversaires viennent, pour autant que l’on ne se retrouve pas coincé dans la tempête. Une mini carte dans le coin, que l’on peut aussi afficher entièrement à l’écran, montre comment l’espace de jeu va se réduire. Se trouver dans une zone de l’île en dehors de l’espace de jeu signifie perdre des points de vie, ce qui incite toutes les personnes en jeu à converger vers la zone finale, de plus en plus réduite, et donc à s’éliminer au passage (une des incitations à éliminer une personne que l’on rencontre est de pouvoir améliorer son arsenal en récupérant une partie du sien).

Pour se déplacer, il est possible de courir ou de marcher, mais aussi d’utiliser l’un des moyens de transport disponibles en jeu. Les premiers mois après la sortie du jeu – quand il n’y avait pas encore de véhicules – imposaient de très longues périodes où l’on ne croisait absolument personne, les points d’intérêt étant rares et les distances très longues. Depuis, le jeu a connu tellement de mises à jour que l’on trouve des villages et des constructions un peu partout, et donc des armes. Mais surtout, l’introduction d’autres modes de déplacement a permis de réduire drastiquement les distances.

À ce propos, le premier véhicule introduit en jeu est emblématique du ton décalé que propose Fortnite par rapport aux concurrents, puisqu’il s’agissait d’un caddie de supermarché. Après cela se sont succédé: voiturettes de golf, quads, portails de téléportation, avions, canons pour humains, snowboards électriques, bulles en plastique équipées d’un grappin, jet packs, et même des robots géants (controversés car surpuissants).

L’ajout et le retrait de véhicules, fréquent, modifie ce qu’on nomme la meta du jeu, c’est-à-dire les stratégies qui permettent de «bien jouer» et de donc de gagner plus souvent. C’est l’un des principaux sujets de discussion autour du jeu: quelle est la meilleure arme dans telle situation, comment se placer vis-à-vis de l’adversaire, comment construire rapidement, et dans quel ordre, comment faire face à une attaque de robot géant, etc. Et dans Fortnite, la meta évolue constamment, rendant sans cesse de nouvelles personnes heureuses et d’autres malheureuses. À ce propos, Pierre-Yves Hurel caractérisait récemment l’utilisation d’un de ces véhicules pour mener des attaques surprises (et surtout surprenantes) d’ivresse, un concept décrivant l’un des aspects qui attire les gens dans ce jeu. Une majorité de joueurs et joueuses recherche des sensations fortes, ce que le jeu privilégie, et se soucie peu de gagner (ce qui reste rare, pour une raison évidente).

Si l’on perd tous ses points de vie (il est possible d’en récupérer par de nombreux moyens), on est renvoyé à un écran de jeu permettant de lancer une nouvelle partie. Sinon, la partie se poursuit, le nombre d’ennemis se réduit assez naturellement, tout comme le terrain de jeu, jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’une personne ou une équipe. Elle emporte alors la «Victoire Royale».

Je n’ai jamais joué à Fornite: est-il facile de débuter?

Le jeu s’installe et se lance facilement. La première fois, il demande de créer un compte gratuitement chez Epic Games. Ensuite, pour qui n’est pas habitué·e aux jeux de tir, aux jeux en PvP (pour «Player versus Player»), ou aux deux, les premières parties seront difficiles: on se fait éliminer dans la majorité des duels, on se fait toucher à 200 mètres par un tir de sniper, on découvre des forteresses de dizaines d’étages alors qu’on ne sait pas construire un mur, les ennemis expérimentés s’amusent avant de nous éliminer afin de prouver leur supériorité, etc. Dans les premières parties, le joueur ou la joueuse se retrouvera le plus souvent équipé de sa seule pioche et d’un misérable pistolet à attendre planqué dans l’un des emblématiques buissons, sans éliminer personne, en espérant surtout ne pas être remarqué·e.

Il existe de nombreux exemples partagés en ligne de personnes gagnant le jeu sans avoir éliminé quiconque, en bénéficiant par exemple d’ennemis qui s’entre-éliminent. Afin de progresser, il est nécessaire d’atterrir dans des lieux prisés, quitte à mourir rapidement, car c’est en allant le plus possible au contact qu’on acquiert l’expérience nécessaire pour pouvoir faire face à ce type de situation par la suite. La perte d’aisance en jeu s’observe d’ailleurs dès qu’on cesse de jouer quelques semaines, voire même quelques jours pour les plus entrainé·e·s.

Le réflexe de construire est indispensable et l’apprentissage de ces techniques est une étape compliquée lorsqu’on débute. Un terrain de jeu proposé en parallèle au mode battle royale permet de s’entrainer sans ennemis, seul·e ou avec des ami·e·s. Avec un peu de patience et de persévérance, ça devrait marcher.

Le jeu propose régulièrement des défis à accomplir et ceux-ci fournissent, pour celles et ceux qui s’y intéressent, d’autres raisons de lancer ou relancer une partie. C’est une manière également de ne pas se lasser de perdre à répétition (ce genre de procédé offrant régulièrement des gratifications en jeu est omniprésent dans les jeux vidéo récents, voir les trophées sur PlayStation 4, Xbox One, ou Steam) et une source de revenus importante pour Epic Games qui l’a bien compris: en proposant des abonnements de saison (une saison durant environ trois mois) contenant des dizaines de défis, le public paie pour recevoir des défis à accomplir permettant de débloquer des éléments purement cosmétiques. Il paie pour des carottes supplémentaires débloquées chaque jour, chaque semaine, chaque mois…

Quel est le scénario de Fortnite?

Il faut parler d’histoire plutôt que de scénario. En effet, il est inutile de se soucier d’une quelconque histoire pour pouvoir lancer et apprécier une partie de Fortnite. Cependant, celle-ci se reflète à travers les profils d’avatars disponibles, à travers les lieux proposés en jeu, qui évoluent avec le temps, et à travers de nombreux événements. Tout récemment, un robot géant à tête d’ourson a défendu l’île contre un alien cyclope. Le public a pu admirer le combat en plein milieu de parties normales (voir cette reconstruction grâce au mode replay, et un point de vue en jeu). Dans les mois précédents, Epic Games avait organisé un concert, diffusé un teaser du film Ralph 2.0, et envoyé tout le monde dans une autre dimension.

Dans l’ensemble, l’histoire ne cherche pas à être cohérente (voir ce résumé), mais repose sur des éléments insérés dans le jeu dont l’utilité se révèle des semaines voire des mois plus tard. Ceux-ci sont constamment discutés en ligne, et occupent une partie du temps libre en dehors du jeu. L’histoire est un pot pourri d’éléments de culture populaire (SF, pirates, sport, pulps, etc.). Elle est aussi un prétexte pour mettre en vente dans la boutique des avatars et d’autres objets correspondants à ces différentes thématiques, permettant aux joueurs et joueuses d’afficher d’une certaine manière leurs goûts (et à l’argent d’entrer: rappelons que le jeu est gratuit et engendre malgré cela des bénéfices monstres).

Que signifie l’appellation «battle royale»?

Le terme «battle royale» vient d’une franchise japonaise composée d’un roman, de mangas et de films, décrivant un «jeu» où des écolières et des écoliers sont amenés sur une île et contraints de s’entretuer. Les images de meurtres sont particulièrement violentes. L’idée de battle royale est évidemment plus ancienne et il est difficile de trouver une origine précise: dans le contexte du jeu vidéo, une variante de Bomberman a proposé ce concept dans les années 1980 (y compris le terrain de jeu qui se réduit), mais on retrouve aussi cette idée dans des jeux plus classiques telle la balle à deux camps, ou l’épervier. David Javet a donné une excellente conférence sur l’idée de «battle royale» dans le contexte japonais lors de la journée d’étude que nous organisions à Lausanne début 2019.

En quoi Fortnite est-il novateur?

Fortnite réunit tout ce qui marche dans les autres jeux tout en évitant ce qui est problématique: pas de trop grand réalisme, mais l’adoption à la place de représentations colorées, pas d’excès de violence, pas de loot boxes (soit l’achat avec de l’argent réel de contenus aléatoires, un procédé qui rappelle le fonctionnement des loteries et des casinos, mais aussi des vignettes Panini, cependant sans la possibilité d’échanger les vignettes ni de commander directement celles qui manquent, qui est ce que propose Electronic Arts dans la série des FIFA et est une pratique très problématique). L’âge limite très bas lui permet de toucher un public nombreux, qui a le temps de jouer une fois l’école terminée, et pour qui les alternatives en matière de divertissement ne sont pas forcément nombreuses.

Fortnite est aussi un produit conçu comme une démonstration technique du moteur de jeu Unreal Engine, également développé par Epic Games, et considéré comme un produit de pointe dans le milieu du développement de jeux vidéo. Des studios utilisant l’Unreal Engine ont fait remarquer que certaines fonctionnalités récentes du moteur de jeu avaient été développées en fonction des besoins de Fortnite, et pas forcément de ceux des autres utilisateurs. En étant disponible sur toutes sortes de supports (ordinateurs, consoles, plateformes mobiles), le jeu montre que l’Unreal Engine est capable de gérer l’aspect social des jeux vidéo développés sur la plateforme. La communication audio est garantie entre toutes les plateformes, permettant à plus de gens de jouer ensemble, et donc augmentant encore un peu plus l’intérêt général.

Quand le succès du jeu va-t-il s’arrêter?

Il y a de nombreux phénomènes en place ici, très bien gérés par Epic Games, qui garantissent son succès sur le long terme (l’argent réinvesti en jeu par exemple, les «codes créateur» permettant à des streamers ou vidéastes de toucher un pourcentage de l’argent dépensé par leurs fans dans le magasin en ligne de Fortnite). Epic Games cherche constamment un équilibre entre son public d’amateurs, qui souhaitent s’amuser en alternant les séquences de tirs avec la manipulation d’avions ou de robots géants par exemple, et un ensemble plus réduit de joueurs et joueuses, les streamers et joueurs pro, très influent·e·s, qui souhaitent que le jeu n’intègre pas d’éléments qu’ils considèrent comme injustes (en comparaison, on peut songer à l’emblématique carapace bleue dans les jeux de la série Mario Kart, qui permet à de moins bons conducteurs ou conductrices de remonter dans le classement). Pour l’instant, malgré de nombreuses tensions entre ces deux publics, le jeu semble connaître une popularité constante, ce qu’ont confirmé les audiences de la «coupe du monde».


Autour de Fortnite

Quels sont les jeux qui ont influencé Fortnite?

Fortnite assemble en un jeu tout ce qui a marché ailleurs. C’est une sorte de best of réunissant:

  • le mode battle royale de PlayerUnknown’s Battlegrounds, qui était le jeu en vue au moment de la sortie de Fortnite, un peu oublié depuis,
  • la gratuité des jeux mobiles,
  • la possibilité de construire souvent comparée à Minecraft,
  • l’achat d’éléments cosmétiques en jeu ne fournissant pas d’avantages qu’on retrouve dans DOTA 2, Counter Strike, GTA V (qui génère encore plusieurs années après sa sortie des bénéfices conséquents), etc.,
  • les mises à jour régulières des jeux de type game as service,
  • une histoire dans le jeu qui se développe en permanence et peut rappeler certains jeux de rôle en ligne massivement multijoueurs,
  • des employés en contact avec leur public, par exemple sur Reddit (voir puis ) ou Trello,
  • une compétition avec d’importants gains,
  • des conditions de jeu qui permettent à des joueuses et joueurs moins bons de gagner aussi (par exemple les armes ont pour la plupart un fort «bloom», c’est-à-dire que les tirs dévient facilement),
  • de l’action, du spectacle et des situations cocasses, parfaits pour celles et ceux qui diffusent leurs parties en direct,
  • des défis à réaliser en jeu, qui sont un peu devenus la norme sur les plateformes de jeux vidéo, à l’exception notable de Nintendo.

Tout ceci, réuni en un jeu développé et distribué par l’une des plus importantes compagnies dans l’industrie du jeu vidéo, a permis à Fortnite d’obtenir sa popularité actuelle.

Qu’est-ce que Fortnite: Save the world?

Avant de développer en deux mois le mode de jeu gratuit «Battle Royale», Fortnite ne contenait à la base que le mode «Save the World», qui est un mode «Player versus Environment» (dit PvE, par opposition à PvP, pour Player versus Player, qui correspond au mode «battle royale») où les joueurs et joueuses doivent construire puis défendre un fort contre des hordes de zombies. Les mécaniques de jeu sont similaires (tirer, construire pour se défendre) mais l’arsenal change et les avatars disponibles ont des corpulences variables, ce qui n’est pas le cas du mode «battle royale» afin que tout le monde expose la même surface aux tirs adverses, comme le relevait récemment Pascale Thériault, doctorante à l’Université de Montréal. Le mode Save the World est payant, ce qui est une source de tension pour une partie de son public qui juge qu’il ne reçoit pas l’attention méritée en comparaison du mode battle royale.

[Ajout le 26 août 2019] Le terme «Fortnite» semble être un jeu de mots entre la construction de forts et le fait que dans le jeu de base, des zombies attaquent la nuit et que celui-ci propose un mode de jeu (temporaire?) dans lequel le but est de survivre 14 jours, un intervalle de temps désigné en anglais par le terme «fortnight».

En quoi consiste le mode «créatif» de Fortnite?

Epic Games, le développeur du jeu, a mis à disposition un outil de création permettant de réaliser ses propres niveaux, mais aussi de modifier les règles du jeu. Les joueuses et joueurs s’en sont emparés pour construire des niveaux rappelant des lieux réels ou pour créer des escape games et des terrains d’embûche. Une zone de l’île du mode Battle Royale est réservée aux meilleures créations, ce qui est encore un moyen supplémentaire d’impliquer les joueuses et joueurs dans la vie du jeu.

À quoi servent les danses ? Qu’est-ce que qu’elles font là ?

[Ajout le 3 septembre 2019] Fortnite n’est de loin pas le premier jeu vidéo contenant des danses. On peut songer par exemple à la série de jeux d’arcade Dance Dance Revolution où danser est central: des flèches défilant à l’écran désignent les pas à exécuter, tandis que des capteurs au sol mesurent la précision de la performance. Plus récemment, c’est la série des Just Dance, aux chorégraphies moins frénétiques, qui a connu un joli succès. Parmi les jeux qui ne sont pas explicitement des jeux de danse mais en contiennent, on peut songer par exemple à World of Warcraft, qui propose des danses pour chacune des classes de personnages. L’utilité des danses dans Fortnite (ou dans World of Warcraft) pour avancer dans le jeu? Nulle. Mais l’intérêt n’est pas là. Il s’agit d’un moyen de communiquer en jeu. On parle de jeux où l’on se retrouve connecté à d’autres joueurs et joueuses; les danses permettent de s’occuper lorsqu’on s’ennuie en attendant le chargement d’une partie, d’amuser les autres personnes présentes, de provoquer l’adversaire en osant danser au milieu d’un combat, etc. Au final, elles sont un moyen d’expression, elles permettent de se démarquer à travers son avatar, et chacune et chacun y trouve une signification propre, voire décide de ne pas les utiliser.

Qu’est-ce que le mode arène?

Le mode arène est un mode rappelant les ligues sportives. On débute dans la dernière ligue, puis au fur et à mesure des points obtenus en jouant, en éliminant des adversaires tout se plaçant si possible en tête du classement, on se retrouve promu·e dans les ligues supérieures jusqu’à pouvoir jouer les qualifications pour la coupe du monde. Attention toutefois: plus on grimpe les échelons, plus le coût d’entrée dans une partie est élevé: un peu de déconcentration et on retombe très vite dans une ligue inférieure.

Qui joue à Fortnite?

Difficile d’obtenir des chiffres précis à ce propos. Les quelques données que l’on trouve dans divers médias et sur divers sites sont difficiles à vérifier et peuvent différer. Au début de cette année (2019) par exemple, le Wall Street Journal annonçait pour les États-Unis

  • un tiers de joueuses,
  • un tiers d’étudiant·e·s pour 55% de salarié·e·s, et
  • une quantité importante d’adultes de tous les âges jouant au jeu.

Il faut remarquer cependant que ce sondage ne tient pas compte de l’important public d’enfants de moins de 13 ans (qui ne sont pas censés y jouer) et que les catégories d’âge sont difficilement comparables (la catégorie 13 à 17 couvre 5 années tandis que la catégorie 35 à 54 couvre 20 années, un bel exemple de «dataisugly»).

Généralement, les éditeurs de jeux rechignent à fournir des informations permettant de profiler leur public, à moins de pouvoir en tirer parti commercialement.

Qu’en est-il de la parité dans Fortnite?

Il n’y avait aucune femme parmi les cent personnes qualifiées à la coupe du monde de Fortnite en solo. Sauf erreur, elles n’étaient pas plus présentes dans les autres catégories. L’explication est complexe et je la résumais rapidement récemment dans Le Matin Dimanche (voir aussi cet article plus complet de Keith Stuart, qui avance en citant Epic Games que Fortnite compte 35% de joueuses). Les femmes ne sont pas moins bonnes que les hommes aux jeux vidéo. Il existe de nombreux exemples d’excellentes joueuses, sur StarCraft II, sur Counter Strike, dans des jeux de combat, etc. (Voir à ce propos le chapitre 6 de l’ouvrage «Good Luck, Have Fun» de Roland Li (2016), consacré à cette question.)

Seulement, tout est fait pour les dissuader de jouer, de s’exprimer, d’entrer en compétition, voire de gagner. Elles vont facilement subir des remarques voire un harcèlement continu, depuis le milieu scolaire jusqu’à l’âge adulte, uniquement en raison de leur genre. Si elles ne se qualifient pas à la coupe du monde de Fortnite, si pour la plupart elles ne jouent pas à Fortnite, voire si pour la plupart elles se détournent des jeux de tir et de certains jeux en ligne, c’est souvent pour se protéger contre une toxicité ambiante mise en place par des joueurs masculins (mais aussi pour éviter les stéréotypes machos proposés dans de nombreux jeux vidéo, même si cela tend tout doucement à s’améliorer). Il y a quelques mois, des femmes jouant à Fortnite qui fréquentaient le principal subreddit (équivalent à un forum) concernant ce jeu se sont réunies pour décrire leur expérience et exprimer leur déception devant cette situation.

Tant que le milieu du jeu vidéo n’établira et n’appliquera pas de codes de conduite stricts protégeant les femmes, les LGBT et tout autre groupe pris pour cible par cette importante frange toxique de joueurs, il est peu probable que l’on observe une hausse du nombre de joueuses.

Comment la violence est-elle représentée dans Fortnite?

Habitué à jouer dans mon salon avec le son diffusé par des enceintes, j’ai dû m’acheter un casque avec micro intégré pour jouer à Fortnite, vu que la communication est une composante essentielle du jeu. Le son est beaucoup plus proche, plus prenant lorsqu’il provient d’un casque audio plutôt que des enceintes du salon. Durant les premières secondes de jeu, les bruits de tirs en rafale m’ont mis spécialement mal à l’aise. La présence de fusils d’assaut et de fusils à pompe également.

Je ne sais plus combien de temps il a fallu ensuite… une partie? dix? pour réaliser que je ne voyais plus les armes et n’étais plus gêné par le bruit des tirs (contrairement à la réalité, où je ne m’y habituerai jamais). Les jeux de tir sont des jeux d’adresse où – dans l’ordre – il faut reconnaître une cible, l’aligner, puis presser la gâchette au bon moment tout en esquivant la contre-attaque si besoin. L’utilisation d’armes à feu n’est pas obligatoire pour un mécanisme de ce genre: les jeux Splatoon proposent d’utiliser des pistolets à peinture, tandis que South Park sur Nintendo 64 permettait de lancer des boules de neige. Lorsqu’on démarre Fortnite, les armes servent de codes visuels: les mettre dans le jeu permet au développeur de faire immédiatement comprendre aux joueurs et aux joueuses qu’elles servent à tirer sur les adversaires.

Ce qui est malheureux ici, c’est que nous ayons si bien accepté et intégré ces codes.

L’utilisation d’armes à feux en jeu ne provoque pas de passage à l’acte, contrairement à ce que prétendent des politiciens américains soucieux de détourner l’attention des tueries causées entre autres par le mauvais contrôle de la vente d’armes. Par contre, leur présence en jeu, ainsi que dans l’espace public et dans divers médias normalise leur existence et mon opinion est qu’il est tout à fait sain de s’opposer à ceci. A ce propos, la présence de grenades qui font danser à leur côté dans Fortnite dédramatise (un peu) la situation.

Est-ce qu’on peut faire du roleplay?

Oui. Ce n’est pas exactement le but du jeu, mais grâce aux danses et aux autres moyens d’expression de son avatar, on peut trouver en ligne des situations cocasses où les joueurs et joueuses préfèrent se mettre en scène et ne pas s’attaquer (par exemple lorsqu’il faut mener une chasse au trésor, l’un des nombreux défis proposés en jeu, ou simplement pour le plaisir de danser ensemble). Les plus motivé·e·s découpent et remontent d’ailleurs ce genre de séquences à l’aide de l’outil Replay, qui enregistre les mouvements des 100 personnages présents dans une partie et permet de repasser sous tous les angles toutes les actions effectuées, pour construire ensuite des machinimas, soit des films racontant une histoire en n’utilisant que des séquences de jeu. (Par exemple cette séquence, celle-ci, ou encore celle-ci)

Combien coûte le matériel pour y jouer?

Il y en a pour tous les prix, des smartphones et tablettes aux différentes consoles, et de l’ordinateur portable bon marché au PC de compétition (à plusieurs milliers de francs). Si vous visez la coupe du monde, c’est ce dernier qu’il faudra acquérir (et maintenir à niveau).

Manette ou clavier-souris?

Il existe une opposition caricaturale dans le public d’amateurs et amatrices de jeux vidéo entre pratique du jeu vidéo sur ordinateurs et sur consoles. Dans le premier cas, les jeux privilégient l’utilisation du clavier et de la souris (et permettent souvent l’utilisation d’une manette) tandis que dans le second cas les jeux privilégient l’utilisation de manettes (et permettent rarement l’utilisation du clavier et de la souris). Comme dans les jeux de tirs il est plus facile de viser avec une souris, pour compenser ce désavantage les jeux vidéo sur console proposent l’auto-aim, ou visée automatique: votre premier tir, et peut-être les suivants également, toucheront la cible avec une plus grande probabilité. Comme on peut l’imaginer, cela peut-être une source de moquerie d’un public envers l’autre. Cependant, la visée à la manette (avec un joystick) est si difficile que malgré l’auto-aim, personne ne s’est qualifié pour la coupe du monde autrement qu’avec une configuration clavier-souris.

Notez qu’il est possible de tricher en utilisant une souris et un clavier sur console grâce une pièce indétectable que l’on installe entre la machine et les périphériques de contrôle. Ce n’est pas glorieux, alors si vous faites cela, évitez que votre entourage ne l’apprenne.

Qui est Epic Games?

Epic Games est une entreprise créée par Tim Sweeney au début des années 1990 pour vendre son jeu vidéo ZZT par correspondance depuis la maison de ses parents. Epic Games est connue pour avoir été peut-être la principale entreprise concurrente d’id Software (Doom, Quake) avec sa série de jeux Unreal. Cette dernière donnera lieu à la commercialisation de leurs outils de création sous le nom d’Unreal Engine, très populaire aujourd’hui parmi les créateurs et créatrices de jeux vidéo.

L’arrivée de Tencent – géant chinois actif dans les nouvelles technologies et pesant plus que les plus grandes entreprises américaines ou française actives dans le jeu vidéo – dans le capital de l’entreprise l’a poussé récemment à changer de stratégie et à créer des jeux vidéo (plusieurs ont été annulés, il ne reste que Fortnite) se basant sur les connaissances actuelles de ce qui marche (voir la section «Quels sont les jeux qui ont influencé Fortnite?»).

À noter que Tim Sweeney utilise sa fortune pour protéger des forêts, et qu’Epic Games a créé un magasin en ligne, l’Epic Games Store, redistribuant 88% du chiffre de vente aux créateurs et créatrices de jeux vidéo, là où Steam, le magasin occupant une position de quasi monopole sur la vente de jeux vidéo dématérialisé, ne reverse que 70% de l’argent acquis. Epic Games avance également de l’argent à des studios de développement indépendants en échange d’une sortie exclusive sur leur plateforme.

Opérations de communication ou altruisme réel, il est évidemment impossible de savoir quelle est la motivation véritable derrière ces actions. Il est par contre évident qu’en comparaison d’entreprises dont les pratiques limites sont connues et documentées depuis longtemps, tels Activision Blizzard (habituée à dégager des salarié·e·s pour maximiser son profit) et Electronic Arts (dans tous les sales coups pour extorquer de l’argent auprès des fans de sport et de Star Wars), Epic Games semble mieux s’en sortir (à l’exception de ce que semblent être les conditions de travail de leurs employé·e·s, voir le paragraphe suivant).

Comment Epic Games parvient-elle à mettre à jour Fortnite aussi régulièrement?

Grâce au crunch.

Le crunch est un phénomène banalisé dans le développement de jeux vidéo (et dans le développement de logiciels en général). Il consiste à travailler jour et nuit, en général week-ends compris, afin de terminer un jeu pour une deadline donnée. Le crunch est dénoncé avec insistance depuis quelques années par des associations de développeurs et développeurs ainsi que par des journalistes. Leurs actions récentes ont permis d’améliorer les conditions de travail de nombreuses personnes. Les mises à jour soutenues de Fortnite sont possiblement le résultat d’une situation de crunch permanent.


Business

Quel est le business model de Fortnite?

Le jeu est gratuit. Une fois celui-ci lancé, les joueurs et joueuses peuvent acheter des objets purement cosmétiques, c’est-à-dire qu’ils modifient l’apparence de l’avatar mais ne lui procurent pas d’avantage en jeu (il existe des contre-exemples, mais… faites-vous un avis par vous-même ici ou ). Ceux-ci se vendent bien car le public leur associe divers statuts en jeu et se définit parfois en fonction. Pour les plus jeunes, on associe également une idée de capital aux avatars: on envie celui ou celle qui a pu s’offrir le tout dernier objet mis en ligne (le nombre d’objets proposés est très réduit, et mis à jour tous les jours, incitant ainsi à se connecter au moins une fois par jour si cet aspect du jeu nous intéresse). Certains enfants se retrouvent dès lors parfois mis à l’écart.

Qu’est-ce que les «V-bucks»?

Il s’agit de la monnaie du jeu. On l’utilise pour débloquer de nouveaux avatars ou de nouvelles danses ainsi que pour acheter divers objets (planeurs, pioches). On obtient des V-bucks en déboursant de l’argent réel. Passer par une monnaie intermédiaire est un truc connu dans les jeux vidéo comme dans d’autres types de jeux. C’est celui qu’on trouve à l’entrée des casinos: remplacer l’argent réel par une autre monnaie tend à nous faire oublier la valeur de celui-ci.

Pourquoi une «coupe du monde» de Fortnite?

Les compétitions de jeux vidéo existent depuis que le jeu vidéo existe. Cependant, depuis la fin du millénaire précédent, ces compétitions ont commencé à fortement se développer. Des milliers de joueurs et joueuses (mais principalement des joueurs) se sont professionnalisés, c’est-à-dire qu’ils et elles peuvent vivre de la compétition en sport électronique, et les événements peuvent réunir des audiences importantes, avec des gains très élevés.

Cependant, là où n’importe qui peut organiser une compétition d’un sport classique, les jeux utilisés dans le sport électronique restent la propriété d’une entreprise. Ceux-ci gèrent les droits et décident de l’organisation ou non de compétitions. Fortnite n’étant pas conçu pour l’e-sport, et Epic Games ayant bricolé son mode de jeu à succès sans forcément avoir une idée claire de son développement à long terme (au contraire d’Overwatch, par exemple, jeu de tir  pensé dès la conception pour le sport électronique), la création d’une compétition a mis beaucoup de temps avant d’être réalisée, avec une phase d’essai comptant plusieurs événements catastrophiques (le public ne comprenait pas le déroulement des parties, le jeu connaissait des ralentissements, l’arsenal était déséquillibré). L’organisation de la coupe du monde de Fortnite a d’abord été un effet d’annonce: en promettant de distribuer 100 millions de dollars sur l’année 2019, dont 30 millions lors de ladite coupe du monde, Epic Games a choisi un montant symbolique en matière de communication (avant cela, les plus hauts montants dépensés, pour Dota 2 et League of Legends, étaient un ordre de grandeur en dessous). Les qualifications pour la compétition se sont étalées sur plusieurs mois; une action qui a permis à coup sûr de garder de nombreux joueurs influents (et avec eux leurs publics) actifs sur le jeu.

Plusieurs Suisses étaient qualifiés pour cette coupe du monde mais aucun n’a emporté l’un des plus hauts gains. Pour un résumé très complet de la compétition, c’est par ici.

Quelle est la concurrence de Fortnite?

Les principaux concurrents dans la catégorie des battle royales sont Playerunknown’s Battleground (PUBG), dont Fortnite s’est ouvertement inspiré, et Apex Legends, sorti plus tard. Tous les deux sont en vue à la première personne (c’est-à-dire que l’on partage le regard de l’avatar). PUBG comme Apex Legends sont classés PEGI 16 – il est recommandé de ne pas laisser un enfant de 15 ans ou moins y jouer –, tandis que Fortnite est PEGI 12. Simple coup de communication ou réalité, le studio responsable du développement d’Apex Legends, Respawn, a affirmé que les mises à jour de leur jeu seraient peu fréquentes afin de ne pas imposer de crunch à leurs employé·e·s.


Enfants, prévention

Comment accompagner mon enfant?

Si votre enfant veut jouer à Fortnite et qu’il ou elle a atteint l’âge requis, je ne vois pour ma part pas de raison de s’opposer à ce qu’il ou elle y joue. Plusieurs voies sont possibles: se désintéresser de son activité, s’y intéresser, voire l’accompagner, et finalement jouer avec. Dans le premier cas, on ne vous laissera peut-être pas d’autre choix, ou alors ça ne vous intéresse pas (mais alors que faites-vous là?). Dans le second, il est important de comprendre ce qu’il ou elle trouve intéressant dans ce jeu, et de respecter cette sensibilité. Et dans le dernier cas, il vaut mieux s’entraîner pour ne pas passer pour un boulet.

Dans tous les cas, que l’on réussisse ou échoue lamentablement, essayer le jeu permet de mieux comprendre quel est l’environnement proposé, quel est le niveau de difficulté, et comment fonctionne cette énorme machine à proposer de l’amusement entre ami·e·s. C’est aussi un pas vers la culture que semble privilégier votre enfant. Vous pourrez peut-être partager des moments comme celui-ci ou celui-ci (pas bravo pour l’âge dans ce dernier cas), mais attention à ne pas insister quand celui ou celle-ci souhaite conserver cet univers pour soi.

Évidemment, chaque enfant est unique et c’est à vous et pas à moi de juger de ce qui est le meilleur pour lui ou pour elle. Ma modeste contribution à cette question aura été de rédiger cette foire aux questions. Si besoin, parlez-en autour de vous.

Dans tous les cas, ne faites pas comme jimmy kimmel, ce présentateur américain qui a demandé à son public de se filmer en train d’éteindre les écrans des enfants jouant à Fortnite; il s’agit d’un acte stupide qui a probablement abimé des relations parents-enfants, ceci dans le seul but de faire de l’audience.

Pour terminer avec cette question, Keza MacDonald, journaliste au Guardian couvrant les jeux vidéo et notamment leur utilisation dans un cadre familial, exprimait une position à laquelle je souscris, dans un article titré «Les jeux vidéo tels que Fortnite ne font pas de mal aux enfants, c’est le temps passé devant l’écran qui est le problème»:

[…] en tant que parente et joueuse, je préférerais que mon enfant passe un moment à s’amuser et à échanger avec ses amis sur Fortnite plutôt que de regarder le contenu ordurier et non modéré de YouTube, ou alors de faire défiler des mèmes sur Instagram sans se poser de questions.

Pour rappel, YouTube est un endroit probablement plus dangereux que n’importe quel jeu vidéo, voir par exemple:

Est-ce qu’on peut rencontrer des gens en ligne?

Si votre équipe est incomplète, Fortnite vous propose de combler celle-ci et vous attribue un·e ou plusieurs partenaires aléatoirement venant du même serveur que vous (une liste des serveurs pour information). En Europe, cela signifie malheureusement rarement jouer avec des francophones. On observe que les adultes ont souvent tendance à couper leur micro, tandis que les plus jeunes, probablement en dessous de l’âge recommandé, hurlent et jouent dans des environnements bruyants.

Les risques sont sûrement moins élevés que votre enfant, si c’est un garçon, fasse une mauvaise rencontre via Fortnite plutôt que via tant d’autres moyens de communication en ligne. Néanmoins, ce peut être l’occasion d’un rappel sur les risques liés à l’utilisation d’Internet. Si c’est une fille, je recommande de ne pas activer le remplissage des équipes.

Pourquoi mon enfant y joue tous les jours, sans s’en lasser?

Pour toutes les raisons évoquées ci-dessus – gratuité, âge minimum bas, contenu régulièrement mis à jour, communautés discursives autour du jeu: discussions dans des cercles privés ou sur les médias sociaux, Reddit, youtube, Twitch, etc. – mais aussi et surtout parce que le jeu permet de prolonger le temps passé avec ses ami·e·s. Depuis qu’Internet est devenu accessible pour tout le monde, les ordinateurs et consoles restent souvent connectés, et les jeux vidéo tirent parti de cette situation pour devenir des plateformes d’échanges, de véritables médias sociaux. Pour de nombreux joueurs et joueuses, les personnes avec qui l’on fait équipe sont des personnes que l’on fréquente en dehors du jeu. Ce qui n’exclut pas la possibilité de faire des rencontres en ligne, le jeu permettant ceci.

Voir aussi cet article de Clément Jeanneau qui compare le temps passé sur Fortnite à du temps passé au skate park et cet article d’un très bon journaliste au Guardian, Keith Stuart, titré «Fortnite is so much more than a game» («Fortnite est tellement plus qu’un jeu»).

Quels sont les effets sur le développement chez l’enfant ou chez l’adulte?

Le jeu vidéo est au coeur de paniques morales depuis qu’il est devenu média de masse dans les années 1970. En Suisse, des politicien·ne·s venant de tout le spectre, de gauche comme de droite, ont demandé des lois plus strictes régulant la distribution ou l’accès aux jeux vidéo, souvent sans suite. On trouve également des interventions plus constructives, tel le postulat de Mme la conseillère nationale (à l’époque) Jacqueline Fehr, déposé en 2015, qui a mené en 2018 à la publication d’un rapport très complet ainsi qu’à une prise de position du Conseil fédéral: «Le Conseil fédéral reconnaît le potentiel culturel des jeux vidéo».

Par ailleurs, le magazine du Fonds National Suisse pour la recherche, Horizons, y a consacré un dossier en 2018. Daphné Bavelier, professeure à l’Université de Genève, était récemment sur la RTS pour décrire les effets positifs des jeux vidéo sur le cerveau qu’elle a pu mesurer dans ses recherches. Pour terminer ce petit tour d’horizon, mon collègue Isaac Pante discutait dans Le Temps de l’utilisation des jeux vidéo à des fins pédagogiques.

Les produits dérivés, qu’en penser? Peut-on parler d’abrutissement à propos de Fortnite?

Les licences très populaires suivies de dérives commerciales visant un public jeune sont la norme depuis des décennies, qu’il s’agisse de petits soldats, de poupées, d’autocollants à collectionner, de figurines, de posters, d’habits, de peluches, de séries et de jeux vidéo dérivés, etc. Le public jeune ne se demande pas si les franchises auxquelles correspondent ces objets sont culturellement aussi raffinées que de la grande littérature, du cinéma d’art et d’essai ou du jeu vidéo d’auteur. Il trouve un intérêt à des franchises proposées en feuilletons, enrichies régulièrement et qui dureront en apparence pour l’éternité. Chaque génération a dû défendre ses goûts contre la génération précédente les trouvant ridicules, elle-même passée par là (et plus capable de l’assumer). Il est un peu attristant de penser que, si l’argent que le public dépense part dans la gestion de produits qu’il aime, il est également distribué sous la forme de dividendes à des personnes probablement peu nécessiteuses. C’est le cas de la majorité des sources de divertissements, et la pression à suivre une actualité donnée imposée par les préaux rend malheureusement difficile l’emprunt de voies alternatives.

Si j’ai des questions ou des problèmes en lien avec Fortnite ou avec des jeux vidéo, à qui puis-je m’adresser?

Pour les questions concernant Fortnite, vous pouvez vous adresser aux intervenantes et intervenants de la journée d’étude consacrée à Fortnite après avoir identifié si leur spécialité correspond à votre question ou à l’angle de votre article.

Pour les problèmes que vous estimez être d’ordre psychologique concernant Fortnite (ou tout autre jeu vidéo), vous pouvez vous adresser au centre du jeu excessif du CHUV ou à un·e psychothérapeute spécialisé·e de la région où vous habitez (pour la région lausannoise, vous pouvez m’envoyer un email).


Étudier le jeu vidéo

Pourquoi étudier ce jeu (ou les jeux vidéo en général) à l’université?

Fortnite est l’un des jeux les plus joués au monde, et paradoxalement ceci tend à le placer à l’écart des études, comme la plupart des jeux vidéo parmi les plus vendus (à l’exception notable de la franchise Assassin’s Creed). Les jeux vidéo et leur industrie doivent être étudiés, disséqués, pour leurs aspects techniques comme culturels, sociaux et économiques. Ils sont des éléments centraux de nos cultures et de nos sociétés aujourd’hui, à l’ère du numérique. Tout comme d’autres objets établis tels la littérature, le cinéma, le théâtre, la bande dessinée, etc., ils provoquent des émotions, ils apportent des connaissances, ils peuvent aider à mieux se connaître, et ils reflètent le monde qui nous entoure, à un moment donné, dans un contexte donné, etc. Le monde académique ne peut pas se permettre d’ignorer ce média «natif du numérique».

Mon collègue Selim Krichane développait cette question récemment à la radio (RTS).

En tant que chercheur sur les jeux vidéo, mon travail est-il de jouer toute la journée?

Ça, c’est ce que je dis à ma fille de 3 ans quand elle me demande quel est mon travail: écrire et jouer. La vérité est que mon travail, en tant que scientifique, est d’aider à comprendre le monde qui nous entoure et le rôle que nous y jouons, qu’il s’agisse de modélisation mathématique de phénomènes culturels et sociaux, ou d’observer comment est créé, distribué, apprécié et consommé l’un des médias les plus importants de notre époque. En réalité, mon temps est principalement consacré à lire, écrire et envoyer des emails, mais aussi à enseigner et à organiser des événements. Le temps consacré à la recherche, soit à la lecture, à l’écriture et au jeu, est généralement pris sur mon temps libre. C’est la beauté de la science.

Quel est mon niveau d’expertise, pour pouvoir publier cette foire aux questions?

Avec des collègues chercheurs suisses et belges, nous avons commencé assez tôt à jouer à Fortnite, en octobre 2017, soit un mois après sa sortie. Nous voulions jouer à Playerunknown’s Battlegrounds, qui bénéficiait d’un important bouche à oreille, mais il n’était pas disponible sur les plateformes dont nous disposions. Nous avons donc opté pour Fortnite, qui se présentait comme l’alternative. La perspective de jouer entre chercheurs habitués à analyser comment sont faits les jeux vidéo était excitante. Le jeu nous a rapidement séduits et nous avons dès cet instant adopté une approche auto-ethnographique visant à comprendre ce qui était plaisant dans le jeu, comment s’organisait le jeu à plusieurs, ce qui nous poussait à y revenir régulièrement au point d’oublier de jouer à d’autres jeux (sauf en cas d’article à préparer), etc. Nous avons suivi le développement du jeu avec attention, pour en faire une étude de cas, tout en observant les discours générés autour (médias, médias sociaux, Twitch, YouTube, etc.), pour aboutir finalement à l’organisation le 15 mars 2019 avec des chercheuses et chercheurs belges, suisses, français et québécois, d’une journée d’étude consacrée à ce jeu, en l’abordant chacune et chacun depuis nos domaines de recherche respectifs. Un livre regroupant les différentes communications est en préparation pour une publication en 2020.


C’est fort de cette expérience et de quelques victoires royales que je vous propose cette foire aux questions. N’hésitez pas à compléter, commenter, contredire, et à poser vos questions, dans les commentaires ci-dessous, ou sur Twitter. Je serai heureux d’y répondre, et si besoin d’aller interroger un ou une collègue, puis vous donner sa réponse. Pour prolonger la lecture, vous pouvez également consulter l’article «Fortnite: a parents’ guide to the most popular video game in schools», qui date du début de la hype pour Fortnite dans la presse généraliste.

Mon collègue Selim Krichane et moi-même donnions une conférence sur Fortnite au festival Numerik Games, à Yverdon, le 1er septembre à 12h.

 

 

L’image illustrant l’article est l’oeuvre d’Epic Games.

 

Yannick Rochat

Yannick Rochat est collaborateur scientifique et chargé de cours au Collège des Humanités de l’EPFL. Il est co-fondateur de l’UNIL Gamelab.

2 réponses à “Fortnite, une foire aux questions (FAQ)

  1. Eh ben dis donc…!
    Ne suis pas joueur, mais rien pour ni contre, bien au contraire 🙂
    Essayez quand même de faire un texte un peu plus court et sincèrement, bon succès.

    1. Merci pour votre retour! Il y a beaucoup à dire sur ce jeu vidéo (et sur tous les jeux vidéo), c’est pour ça que j’ai pris l’excuse de la foire aux questions pour pouvoir glisser autant de signes 😉 Je m’attends à ce que les personnes qui l’utilisent dans un cadre professionnel sautent directement aux questions qui les intéressent… On verra!

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