Héritage et reniement

«La meilleure façon d’hériter est encore de renier ». Je relève cette phrase dans un texte très percutant de Régis Debray. Le livre s’appelle Modernes catacombes (Gallimard, 2013), et Debray y taille un costard sur mesure, entre autres, à l’Everest de la littérature germanopratine qu’est Philippe Sollers. J’en recommande chaudement la lecture.

Passer sa vie à faire ou penser le contraire de ce qu’ont fait ou pensé nos devanciers, pas parce que c’est mieux, mais juste parce que c’est le contraire m’a toujours paru infantile et, pour tout dire éminemment suspect.  

Je comprends mieux pourquoi je me suis toujours instinctivement méfiée des provocateurs, de ceux qui crachent dans la soupe mais non sans s’en être gavés au préalable, des bourgeois révoltés contre la bourgeoisie, de ceux qui croient que mettre ses doigts dans son nez ou ses pieds sur la table constitue un acte héroïque et révolutionnaire.

Les périodes de grands bouleversements sont très caractéristiques de cette attitude. C’est ainsi, par exemple, que la Révolution française a connu une vague d’anti-politesse que les historiens analysent aujourd’hui. On se devait d’être mal élevé, de tutoyer tout le monde, de garder son chapeau sur la tête en toute circonstance et d’utiliser un style ordurier comme le Père Duchêne de Hébert.

Faire le contraire de ce qu’on vous a appris, c’est encore une façon d’obéir, puisque finalement ce sont les règles qu’on inverse qui vous dictent votre comportement.

De la même façon que seul un croyant peut être sacrilège, seul un héritier des bonnes manières peut les renier. On ne renie que ce qui a de l’importance à nos yeux.

Les rejetons de familles puritaines sont les plus acharnés à afficher leur libertinage en paroles ou en actes (surtout en paroles d’ailleurs), comme si chaque « atteinte aux bonnes mœurs » était une victoire sur leur famille coincée et leur jeunesse frustrée.

Mais comment ne voient-ils pas qu’en agissant dans ce permanent désir de briser les règles et les conventions, ils ne font que les renforcer, que leur rendre un perpétuel hommage ?

Quelqu’un m’a dit un jour qu’on était véritablement adulte quand on était capable de faire ou de penser quelque chose même si cela pouvait faire plaisir à nos parents…

Cette boutade m’a toujours paru très profonde. Je la dédie aux héritiers qui n’en finissent pas de régler des comptes avec leur héritage…

 

 

 

Sylviane Roche

Sylviane Roche, professeur et écrivain, s'intéresse depuis toujours aux règles qui gèrent la vie en société. Pour les connaître, les comprendre et même, éventuellement, les enfreindre en connaissance de cause.