Le naufrage du carnet de vaccination électronique

Le carnet de vaccination électronique est mort, enterré. Le seul outil de santé digitale à disposition de la population ne fonctionne plus, pire les utilisateurs de ce service ne peuvent même plus récupérer leurs données. 

Une belle idée

Le carnet de vaccination électronique était une belle idée : un service gratuit qui permettait à tout un chacun d’enregistrer en ligne sur le site mesvaccins.ch, ou sur l’application myViavac, l’ensemble de ses vaccins. Cet outil permettait aussi d’identifier les vaccins qui devraient être faits pour rester protégé et de recevoir une notification par SMS ou par courriel lorsqu’un rappel devenait nécessaire. Il était même possible de partager son carnet avec le professionnel de santé de son choix, avec son médecin traitant par exemple.

Une protection des données défaillante

Le début de la fin date de mars 2021, le magazine en ligne Republik.ch ayant révélé que 450’000 données de vaccination, dont celles concernant 240’000 personnes vaccinées contre le Covid-19, étaient ouvertement accessibles et modifiables. Informé, le Préposé fédéral à la protection des données a ordonné la fermeture de mesvaccins.ch. Dans la foulée, l’application MyViavac a elle aussi cessé de fonctionner.

Mesvaccins.ch a été financé par différentes structures dont l’Office fédéral de la santé publique (1.26 million de francs), la Conférence des directeurs de la santé mais aussi par l’industrie pharmaceutique (650’000 chf). On trouve d’ailleurs encore en ligne un communiqué de presse de l’OFSP dont le titre laisse songeur : « Un carnet de vaccination électronique facilement accessible ».

Un problème temporaire ?

L’actualité nous rappelle quotidiennement que les problèmes de protection des données peuvent toucher n’importe quelle structure ou organisation. Les possesseurs d’un carnet de vaccination électronique ont donc imaginé que le service serait rapidement à nouveau fonctionnel, il suffisait de patienter quelques jours. Les jours sont devenus des semaines jusqu’à que le couperet tombe ce 24 août. La fondation mes vaccins annonçait sur son site « arrêter ses activités opérationnelles », on peut y lire  que « la situation financière ne permettant plus de poursuivre le but de la Fondation, le Conseil de Fondation a dû se résoudre à demander à l’Autorité de surveillance des fondations la liquidation de la Fondation ». 

Un peu plus loin dans ce texte on peut encore lire : « Le devenir des données doit être clarifié en concertation avec l’Autorité de surveillance des fondations, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) et le Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence (PFPDT). Dans le cadre de sa liquidation, la Fondation s’efforce de trouver une solution qui permette aux utilisateurs d’accéder à nouveau à leurs données. Si aucune solution n’était trouvée, les données resteraient inaccessibles dans un avenir proche – voire de manière définitive ».

Tant pis pour vos données

Je ne doute pas que cette situation soit compliquée pour cette fondation mais tout de même. Non seulement le système ne fonctionne plus mais les utilisateurs ne peuvent même pas récupérer leurs données. Rassurez-moi, dites-moi qu’une autorité quelconque de ce pays, l’OFSP par exemple, va faire quelque chose. A l’heure du lancement du dossier électronique du patient, et même si les deux projets n’ont rien en commun, il n’y a pas mieux pour saper la confiance des utilisateurs.

Quelques clics

Mesvaccins.ch n’informe même pas pour expliquer qu’il existe pour certains utilisateurs le moyen de récupérer la liste de leurs vaccins. Si vous avez installé l’application myViavac, vous pourrez retrouver la liste de vos vaccins : ouvrez l’application, cliquez sur « Mes vaccins » et vous trouverez la liste de tous les vaccins effectués. En cliquant sur une maladie, par exemple sur « Hépatite A », vous trouverez les dates auxquelles vous avez été vacciné.

L’autre option, plus laborieuse, est d’adresser à la fondation une demande d’accès à vos données, vous trouverez plus d’informations, ainsi qu’un lien vers un formulaire disponible sur le site du Préposé fédéral à la protection, sur le site de la RTS, l’émission « On en parle » ayant traité ce sujet.

La santé digitale en Suisse

La santé digitale est annoncée comme la solution qui va révolutionner notre système de santé. Force est de constater que les services à disposition des citoyens sont en Suisse pour le moins limités. Il ne suffit pas d’organiser des conférences sur le sujet ni de communiquer sur telle ou telle innovation à venir, il faut développer des projets concrets qui soient utiles aux citoyens et aux patients de ce pays. La Suisse est en retard.

 

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Dr Jean Gabriel Jeannot

Médecin, spécialiste en médecine interne, avec un intérêt particulier pour l’utilisation des technologies de l’information et de la communication en médecine.

9 réponses à “Le naufrage du carnet de vaccination électronique

  1. C’était un outil digital utile. J’ai donc perdu mes données, puisque il n’y a plus d’argent pour payer des informaticiens capables de les retrouver et ne les faire parvenir via mon e-mail. Heureusement que j’avais gardé les documents (disparates) officiels attestant de mes vaccins. La Suisse a, une fois de plus, sacrément du retard en informatique. Son fédéralisme est il en cause ?

  2. Bonjour Docteur, Très joli texte. Merci. A noter que la professeure présidente de ce site foireux ne s’est plus manifestée depuis la conclusion de cette sale affaire. Je ne suis pas étonnée du tout tant la récurrence de ce type de comportement est frappante. Les leçons du passé n’ont donc strictement servi à rien. Vraiment rien.
    Et tant pis pour les pauvres humains inscrits sur cette plateforme, dont les données médicales sont probablement perdues à tout jamais ! Les recours en justice n’aboutiront également probablement pas et seront enterrés.
    Pourtant, cette professeure avait bien dit et redit via la presse, je cite ” pas de données perdues sur «mesvaccins.ch», affirme sa présidente “.
    Affirmer et son contraire, soit désavouer, disconvenir ….. nous avons le choix sémantique.
    J’oscille entre une grande tristesse et à un nouveau sentiment de révolte face à tant de mensonges envers celles et ceux qui ont perdu ce recueil vital d’informations.
    Un beau dimanche ensoleillé. eab

  3. “les utilisateurs ne peuvent même pas récupérer leurs données”, … ni la somme versée (même si elle était modique), surtout pour les derniers inscrits qui n’ont absolument rien obtenu du tout en échange, même pas l’introduction pour un temps de leurs données dans le système (aujourd’hui devenu de toute façon inaccessible).

  4. Et pourtant, il eut été facile de financer le site en vendant les données, non ? C’est le seul moyen car l’informatique, ça coûte très cher… surtout quand c’est mal fait.

    Plus sérieusement, il est temps de repenser l’approche, il faut soit un financement public à long terme ou alors laisser les données chez leurs propriétaires. Je ne vois pas pourquoi les données devraient être centralisées dans un “cloud,” il existe suffisamment de technologies pour émettre des certificats de vaccinations signés numériquement que l’utilisateur pourrait conserver en local sur une application.

    Jusqu’à présent, on se débrouillait avec un document papier signé avec numéro de lot, timbre et signature qui restait donc falsifiable mais qui était toutefois accepté pour les voyages.

    1. Je rejoins votre position. Ce qui pose problème c’est bien évidemment la centralisation des données dans un seul cloud et non sur des serveurs répartis.
      Il existe de nombreux «  coffres forts numériques » qui permettent une conservation individuelle, sécurisée (chiffrée) et … gratuite!
      L’autre difficulté induite par cette mauvaise affaire est la défiance induite pour la constitution d’un dossier médical informatisé. Autre problème certes. Mais peut-être pas à la lumière d’autres expériences étrangères

  5. Cet échec est un véritable scandale…
    Pas seulement pour la fondation en question, mais, et surtout, pour nos autorités sanitaires.
    Une honte…

  6. Le plus ennuyeux dans cette histoire, c’est que cela va mettre en veilleuse les projets en cours d’accès aux restaurants, fitness, manifestations etc, sur présentation du pass sanitaire. Un obstacle de plus aux réticences des commerces ou sociétés de loisirs, et de nouveau une perte de temps à l’approche de la 4 ème vague. Il faudrait cesser de confier des mandats à des personnes pas suffisamment fiables, s’inspirer de l’organisation des aéroports et compagnies aériennes où aucun secteur touchant à la sécurité n’est considéré secondaire, en s’assurant doublement pour ne pas être démuni en cas de dysfonctionnement. Durant ces deux ans, la plus grande faiblesse a été l’incapacité d’anticiper pour les personnes chargées de prendre des décisions.

  7. Que penser du silence de l’OFSP et de son conseiller fédéral de tutelle? Après avoir encouragé les premiers•ères adhérent•e•s, j’en suis, moyennant la gratuité de la prestation, peuvent-ils se dégager en prétextant que c’est l’incurie de la fondation crée pour la cause?

  8. Dans la même veine, je crains que la nouvelle organisation CARA supposée reprendre notamment le dossier médical des HUG (Genève), dossier qui fonctionne parfaitement depuis plus de 7 ans, ne présente d’autres lacunes. Extrêmement pointilleuse sur les modalités d’enregistrement des titulaires (venir en personne montrer son visage, sa pièce d’identité et son téléphone portable), mais jusqu’ici totalement inefficace pour mettre en service les données existantes. Alors qu’il existe un identificateur personnel SwissID, elle a fait créer de nouveaux identificateurs cantonaux. En outre, elle ne propose pas spontanément les médecins au bénéfice d’une autorisation d’exercer, mais semble leur appliquer les mêmes lourdes procédures d’identification qu’aux patients, et dont je crains beaucoup qu’ils ne souhaitent pas perdre leur temps pour ces simagrées.

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