Un conseiller numérique pour savoir si vous devez aller chez le médecin ?

L’assurance CSS propose désormais à ses assurés d’avoir recours à « un conseiller numérique » qui analyse leurs symptômes pour savoir s’ils doivent ou non aller chez le médecin.

Est-ce une bonne idée ? Sur quelles connaissances se base ce système ? Est-il fiable ? Ne risque-t-il pas, par précaution, d’envoyer inutilement un grand nombre de personnes chez le médecin ?

Le conseiller numérique « myGuide »

Il est assez rare que je fasse des compliments aux caisses-maladie mais il faut avouer que ce projet est une belle initiative. Le monde médical actuel s’intéresse peu ou pas à la question du tri. Savoir s’il faut consulter, si oui chez qui et dans quel délai est pourtant d’une importance cruciale (pour une question de qualité des soins et pour une question économique).

Bravo donc à la CSS, même si l’on peut se demander si de tels services entrent vraiment dans le cahier des charges d’une caisse-maladie. Mes connaissances juridiques étant limitées, je suis intéressé à connaître l’avis des spécialistes : le travail fait par myGuide est comparable à celui d’un professionnel de la santé, est-ce que cela entre dans les compétences d’une caisse-maladie ?

Qui myGuide veut-il remplacer ?

On peut lire sur le site Internet de la CSS une déclaration de Philippe Luchsinger médecin de famille à Affoltern am Albis. Le Dr Luchsinger, même si cela n’est pas précisé sur le site de la CSS, est aussi président du comité de l’Association « Médecins de famille et de l’enfance Suisse », sa déclaration a donc un certain poids :

« myGuide ne remplace pas les médecins, mais les recherches sur Internet, qui sèment souvent la confusion. Ce conseiller numérique a une structure simple et donne rapidement des informations compréhensibles pour les patients ».

MyGuide serait donc supérieur aux recherches Internet ? Probablement, même si cela dépend à l’évidence de la qualité des sites utilisés. Mais la vraie question est de savoir quelle place veut prendre myGuide ? La place des recherches sur le web ? La place des appels aux médecins ou aux centrales d’appels ? Ou est-ce simplement un nouveau service ? Cette dernière option me parait la plus crédible.

Les conseils donnés par myGuide sont-ils fiables ?

La question est d’importance.

  • On peut lire sur le site de la CSS « myGuide a été élaboré par des médecins spécialisés et des informaticiens médicaux ». C’est bien mais cela ne veut rien dire, ce n’est en tout cas pas une garantie de fiabilité.
  • Le deuxième argument présenté sur le site de l’assurance est « L’International Board of Experts in Medical Triage recommande myGuide». Même si ce n’est pas une preuve de son inexistence, il est assez étonnant de savoir qu’une recherche de ce comité d’experts sur Google ne donne aucun résultat. Ceci dit, les cinq membres de ce comité existent bel et bien et semblent avoir une réelle expertise de ce domaine. La valeur de cette recommandation est cependant affaiblie par le fait que le membre suisse de ce comité est aussi directeur de la société qui a vendu le système à la CSS.
  • Troisième argument, cette solution aurait été autorisée par l’autorité de surveillance Swissmedic, dommage que l’on ne trouve pas cette information sur le site de la CSS.

MyGuide se base sur une application développée par la société In4Medicine qui porte le nom de Swiss Medical Assessment System. Cette solution a elle-même été conçue, entre autres, à partir d’un travail réalisé à l’Institut bernois de médecine de famille et intitulé « Klinische Alarmzeichen, Red Flags, für die notfallmässige Telefonkonsultation » (« Alarmes cliniques, drapeaux rouges, pour consultations téléphoniques d’urgence »).

Les références médicales qui soutiennent cette application sont certainement importantes mais on regrette tout de même de ne pas trouver sur le site de son créateur ou de la CSS une ou des études qui nous démontrent que cette solution a été testée et validée.

Que penser de ce « conseiller numérique » ?

Le service média de la CSS m’a permis de tester myGuide. Il est vrai que les questions posées semblent a priori pertinentes, elles permettent étape après étape de préciser son problème de santé tout en écartant les situations à risque.

Les points positifs :

  • MyGuide est une belle initiative tant la question du tri est importante en médecine, mettre en contact un patient avec le bon professionnel dans un délai adéquat est un défi que ce début de 21ème siècle doit relever.
  • Les conseils donnés par myGuide sont dans la majorité des cas de meilleure qualité que ce qu’un internaute trouve en faisant une recherche sur Internet.

Mais des questions restent ouvertes :

  • Les conseils donnés par myGuide sont-ils fiables ? A défaut d’études qui le prouvent, le doute persiste.
  • Quel est l’impact de ce conseiller numérique sur les coûts de la santé ? Pour cet aspect financier, nous n’avons pas de réponse non plus. Ma crainte principale est que, par précaution, le nombre de personne envoyées chez le médecin, ou pire aux urgences, augmentent drastiquement.
  • Même si l’on peut lire sur le site de la CSS que « myGuide répond aux normes les plus élevées en matière de sécurité et de protection des données», l’introduction du numéro de client permet bien sûr à l’assurance d’identifier les personnes qui utilisent ce système. Les utilisateurs de myGuide doivent être conscients qu’ils transmettent à leur assurance de précieuses informations.

Et les principaux concernés ?

Je suis très intéressé à connaître l’avis des abonnés de la CSS qui ont utilisé myGuide. Ont-ils été aidés par ce conseiller numérique ? Ont-ils suivi ses conseils ? Ne sont-ils pas inquiets de l’utilisation qui peut être faite par la CSS des informations médicales fournies ?

 

A lire aussi, sur un autre projet numérique de la CSS « Promotion de la santé : la fausse bonne idée d’un assureur-maladie ».

 

Dr Jean Gabriel Jeannot

Médecin, spécialiste en médecine interne, avec un intérêt particulier pour l’utilisation des technologies de l’information et de la communication en médecine.

3 réponses à “Un conseiller numérique pour savoir si vous devez aller chez le médecin ?

  1. Les médecins ne travaillent pas déjà avec ce type d’outils dans le diagnostique? (Vous connaissez mieux la réponse que moi!)

    Est-ce que vous avez les symptômes X, Y, Z => donc ce serait bien de faire encore ces tests pour voir si vous avez la maladie A ou B. Simplement qu’on déplace une partie du diagnostique faisable par le patient sur des QCM.

    Ce qui sera gênant, c’est que ce type d’outils si les symptômes sont bien posés risquent d’être plus efficaces qu’un médecin! Un médecin a une mémoire pour quelques milliers de patients et de maladies, des algorithmes de “machine learning” ont la capacité de “retenir” des milliards de cas et la technologie rend accessible plus facilement des outils de diagnostique!

    1. Merci pour votre commentaire. J’essaye d’y répondre.
      1. Non, les médecins n’ont que rarement de tels outils à leur disposition.
      2. Est-ce qu’il serait gênant que ces outils deviennent plus performants que les médecins ? Non, je ne crois pas. Les agriculteurs ne regrettent pas l’invention du tracteur. Mais la médecine ne se résume pas à l’établissement d’un diagnostic à partir de symptômes, je crois que nous aurons encore besoin d’humanité pour soigner.
      3. Les algorithmes et le machine learning vont soutenir le médecin dans son travail, merci déjà aux ingénieurs pour leurs innovations !

  2. Bonjour,
    C’est en tant que médecin généraliste que je rédige ces quelques lignes.
    Je suis surpris qu’une telle technologie soit une fois de plus en main privée sans que cela ne soulève plus de critiques objectives. En effet, cette technologie est très probablement la bienvenue et ces outils doivent être intégrés dans notre quotidien de médecin. Toutefois, lorsqu’une caisse maladie saura que le patient/client est atteint du dos, des intestins voir même d’une maladie chronique incurable, qu’en sera-t-il le jour où ce dernier souhaite signer pour une assurance complémentaire? Ces diagnostics seront repris un par un comme c’est déjà le cas actuellement afin d’inclure des clauses de non-entrée en matière pour les pathologies en question. Dans ma pratique quotidienne je rencontre par exemple régulièrement la situation dans laquelle un patient a eu recours à un psychiatre dans le passé et il sera donc inscrit dans les clauses de son assurance complémentaire que les traitements pour toute affection psychologique ne seront pas remboursés. Cette nouvelle technologie offre à la caisse maladie beaucoup d’informations qui concernent le secret médical et, au vu de l’éthique actuelle de ces caisses, je me permet de douter de l’utilisation de ces informations. Une fois de plus, nous offrons aux caisses maladies un nouvel outil qui permet de faire ce qu’elles font le mieux: payer le moins possible.

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