Coder dans un jeu vidéo

La grande liberté des genres et des contextes offerte par les jeux est parfois l’occasion d’y amener quelques aspects réflexifs, permettant aux auteurs d’évoquer les codes du médium, et éventuellement de s’en moquer.

C’est une démarche courante dans la création artistique. L’analogie la plus évidente à faire, peut-être, est celle du personnage de l’écrivain, très fréquent dans la littérature. On peut songer aussi au peintre qui se met en scène, aux films dont les sujets sont des actrices, acteurs, réalisatrices ou réalisateurs, voire aux scientifiques s’interrogeant sur le fonctionnement de la science à travers l’épistémologie, la sociologie des sciences ou la bibliométrie.

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Wonderful 101 (PlatinumGames), à la suite d’un échec du joueur ou de la joueuse.

Les lieux de la réflexivité

Dans le cas du jeu vidéo, je vois principalement deux lieux où introduire les éléments de réflexivité. Ce sont :

  • La narration.
  • Le game design.

Je passe rapidement sur la narration et le game design, car ils ont bien été étudiés. On trouve de nombreux exemples ici (et quelques extraits ici), où vous pourrez lire pour la millième fois l’astuce permettant de battre Psycho Mantis dans Metal Gear Solid.

Pour ma part, la plus ancienne situation de ce genre dont je parvienne à me souvenir remonte à Day of the Tentacle. Afin d’obtenir un timbre vieux de deux cents ans (pour pouvoir l’envoyer dans le passé), le personnage que l’on joue à ce moment-là (Bernard) étale de l’encre sur le livre de timbres d’un personnage (Ed) dont collectionner ces petits morceaux de papier est manifestement la thérapie. Suite à ce geste, ce dernier lui envoie sa collection qu’il croit perdue en pleine tête, et Bernard peut ainsi prélever le timbre, la rendre « intacte » et s’excuser :

Ed : Hey! You fixed it! I guess I can forgive you now.

Bernard : Sometimes I do stupid stuff, and I don’t even know why… as if my body were being controlled by some demented, sadistic puppet-master…

Ed : Well, we all feel that way sometimes.

Cette séquence place la joueuse dans le rôle du « marionnettiste sadique » malgré elle. Or, il est obligatoire de passer par cette séquence afin de pouvoir continuer l’aventure. Ainsi, ce sont bien les créateurs du jeu qui se révèlent être les véritables « marionnettistes sadiques » de cette histoire.

Des formes de réflexivité

À ce stade, un portrait des formes que peut prendre la réflexivité serait tout sauf exhaustif. Cependant, deux de ces formes sont directes et apparaissent dans un contexte propre au jeu. Mais il ne s’agit pas d’un personnage qui s’adresse à la joueuse.

Au niveau de la narration, on trouve une réflexivité dans l’invocation du contexte de création des jeux vidéo. Il ne s’agit pas d’interaction depuis le jeu vers la réalité, mais de placer le joueur hors du jeu et de l’inviter à concevoir des logiciels. Le plus ancien exemple semble être Software Star (1985), suivi par Software Manager (1994), Game Dev Story (1997), Segagaga (2001), Game Dev Tycoon (2010), etc. J’espère revenir pouvoir revenir sur cette catégorie de jeux dans le futur.

Ensuite la seconde forme, et celle qui va m’intéresser par la suite : la famille des jeux dans lesquels il faut programmer pour avancer. Ici, tout ou partie du game design repose sur ce qui est, dans la réalité du joueur, le principal support du jeu : le code.

Coder c’est jouer

Ce billet joue ici le rôle d’introduction, et est de fait plus court que les précédents. Je compte faire une série sur ce sujet qui contient de nombreux exemples et y consacrer une entrée unique à chaque fois.

Les jeux comportant du code sont toujours des jeux très discrets, car s’adressant à un public de niche, généralement sous la forme de « casse-têtes », et souvent dans un but pédagogique. Il y aura beaucoup à dire sur la forme que prennent ces jeux, qu’ils soient purement ludiques, principalement pédagogiques ou à la croisée de ces deux mondes, sur la gamification comme méthode d’apprentissage, et sur la possibilité de transformer des interfaces et des langages de programmation en expériences ludiques.

Le premier jeu de ladite série sera TIS-100 de Zachtronics, un chef-d’œuvre à l’interface minimaliste. À découvrir prochainement sur ce blog !

En bonus : World of World of Warcraft, le jeu qui permet d’incarner un joueur jouant à Warcraft


Ce billet a bénéficié d’excellentes suggestions de Benoît Perrier.

L’image d’illustration est tirée du jeu Software Star (via MobyGames).

Yannick Rochat

Yannick Rochat est collaborateur scientifique et chargé de cours au Collège des Humanités de l’EPFL. Il est co-fondateur de l’UNIL Gamelab.