Fidéliser avant de pousser à l’abonnement: la nouvelle priorité de notre stratégie numérique

Depuis le lancement d’un nouveau paywall en mars 2018, le nombre d’abonnés numériques du Temps ne cesse de croître, pour représenter aujourd’hui 40% de ses abonnés globaux. Tout est fait depuis cette date pour faciliter le passage d’utilisateur averti à abonnés. Mais nous nous retrouvons aujourd’hui avec un autre défi: comment augmenter le nombre d’utilisateurs fidèles, ceux qui montrent le plus de propension à s’abonner? Le point avec quatre personnes qui travaillent sur ce chantier

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Mais à quoi peut bien servir mon article?

Depuis février dernier, nous posons, durant la réunion éditoriale quotidienne du «Temps» une question simple pour chaque article au menu du jour: quel objectif sert-il? Aussi étonnant que cela puisse paraître, c’est une nouveauté qui peut changer la manière de concevoir notre travail.

«Mon article? Ben, il sert à informer» ou «On rend compte de l’actualité, c’est notre métier, non?» C’est la réaction habituelle d’un journaliste de presse quotidienne quand on lui demande d’expliquer pourquoi il s’intéresse à un sujet ou à un autre. Insuffisant à l’ère de la surinformation et quand un lecteur peut se tourner vers une infinité de sources différentes en une fraction de seconde.

Nous devons être plus clairs et nous demander pourquoi est-ce à nous de nous intéresser à une problématique ou à une autre et en quoi le sujet sert notre titre et nos lecteurs. Cela fait bien trois ans, au Temps, que nous tournions autour de la question (et l’avions abordée avec plusieurs confrères), mais, étonnamment, en n’osant nous la poser que sur les nouveaux formats: à quoi sert la vidéo? Pourquoi choisir tel ou tel format narratif en fonction du message à véhiculer et du public visé?

A ce propos:

Une question rituelle depuis février 2019

Nous avons franchi le pas il y a moins de six mois et nous abordons la question désormais chaque jour pour la quarantaine de contenus que nous produisons. Pas encore très frontalement – changer un rituel de 20 ans, le «briefing» quotidien, requiert un peu de doigté – mais c’est un début. Nous avons profité d’un changement de paywall (un modèle Freemium), mené par Thomas Deléchat, pour ajouter cette petite touche stratégique à notre réunion. Plutôt que de choisir immédiatement, pour chaque article, s’il est payant ou gratuit, nous nous focalisons sur l’objectif que nous lui assignons. Le modèle économique associé à chaque contenu découlera de ce choix.

Les quatre objectifs

Nous avions, au départ, établi une liste d’une dizaine d’objectifs qui nous semblaient pertinents. Par souci de clarté envers les 70 journalistes concernés, elle s’est réduite à quatre. Chaque article doit se ranger dans l’une des catégories. Implicitement, chacune correspond également à un public cible différent.

1. Renforcer l’image du «Temps» (gratuit)

  • Traite d’une thématique forte sur laquelle Le Temps vise à se positionner (les sept causes soutenues par le journal, la place financière, l’horlogerie, etc.).
  • On sait qu’il ne va pas être lu en masse – ni par le grand public ni par nos abonnés – et ce n’est pas ce que l’on recherche. Il doit nous positionner comme les leaders dans le suivi de cette thématique. Il doit nous valoir un prix ou une reconnaissance d’un milieu bien ciblé.

Comment mesurer le succès ?

    • Nombre de citations par des tiers
    • Liens depuis des sites externes (backlinks)
    • Reprise en dépêche
    • Prix ou autre reconnaissance
    • Partages sociaux par des influenceurs dans les secteurs concernés

2. Fidéliser nos abonnés (payant)

  • Traite d’une thématique forte pour laquelle les gens se sont abonnés au Temps (littérature, politique inter, éco, etc.).
  • Le thème traité est relativement expert: il ne parle pas forcément au plus grand nombre mais à la communauté des lecteurs du Temps (dont les affinités sont connues).
  • Sa plus-value par rapport à une dépêche ou un concurrent doit être immédiatement perceptible. Idéalement dès le titre ou l’entame, on sait qu’on a une lecture plus analytique, un angle original, des experts cités, etc.

Comment mesurer le succès ?

    • Temps de lecture élevé
    • Nombre de pages vues élevé dans le cercle des abonnés du Temps

3. Atteindre une large audience (gratuit)

  • Traite d’une thématique grand public.
  • S’insère dans un débat ambiant.
  • Au-delà de nos standards en matière d’écriture et de sérieux, la plus-value par rapport à la concurrence n’est pas la première caractéristique de notre traitement.

Comment mesurer le succès ?

    • Nombre de pages vues
    • Audience provenant de Google Actualités

4. Atteindre de nouveaux abonnés (payant)

  • Traite d’une thématique grand public.
  • Fera réagir et s’insère dans un débat ambiant.
  • En partant d’une accroche très «grand public», le texte, la vidéo, etc. doivent immédiatement démontrer notre capacité à dépasser la concurrence en termes de valeur ajoutée (expertise, style et forme, angle,…)
  • Le Temps a un devoir de suite: la promesse faite aux futurs abonnés, c’est «nous suivons cette thématique».

Comment mesurer le succès ?

    • Nombre de partages et de réactions sociales
    • Pourcentage d’abonnements, d’inscriptions à une newsletter voire de mentions «j’aime» à la page Facebook
    • Temps de lecture moyen
    • Taux de redirection vers d’autres articles

Comme vous pouvez l’imaginer, la frontière est fine entre les divers objectifs. Durant les briefings, nous n’avons pas encore suffisamment le réflexe de débattre de ces questions pourtant fondamentales lorsqu’il s’agit de déterminer l’angle (pas trop serré lorsqu’il s’agit d’un article grand public, très expert pour les articles à destination de nos plus fidèles aficionados) et l’écriture. Nous avons pour l’instant évité d’aborder une question taboue: et si, au cours de la réunion, nous nous rendons compte que nous ne savons pas quel objectif sert l’article? Nous avons évité, pour le moment, d’aboutir à la conclusion qu’il faudrait peut-être renoncer à l’écrire.

Malheureusement, l’objectif le plus important pour nous à ce jour pour assurer l’avenir de notre média est aussi le plus dur à cerner: quel est l’article capable d’enclencher de nouveaux abonnements?  Selon nous, il doit partir d’une question assez large pour aboutir à une démonstration claire (voire éblouissante) de la capacité du Temps à la traiter d’une manière nettement supérieure à la concurrence. Pour ces articles à la thématique grand public, la tentation est grande de viser le carton d’audience (et donc de les considérer «pour large audience», objectif 3) plutôt que de chercher à atteindre de nouveaux abonnés (objectif 4).  Il faut, dans ce cas, oser opter pour un accès restreint qui aura un impact négatif sur l’échelle des pages vues.

Une stratégie de diffusion distincte selon l’objectif

Pour chacun de ces objectifs, nous avons également mis en place une systématique de publication qui permet d’atteindre les objectifs visés. Tout ne mérite pas d’être publié sur Facebook, de figurer dans le journal papier ou d’être présent en page d’accueil. Nous savons que chacun de ces espaces est investi par des audiences différentes.

Le tableau donne un aperçu de notre «matrice de décision». Le choix ultime est évidemment fait à la main et il peut arriver qu’un article publié pour faire du bien à l’image du titre soit gratuit alors que le tableau le place dans la zone payante.

Chaque matin, ce document est mis à jour et indique, pour chaque article commandé, l’objectif assigné. A droite, les indications quant à la stratégie commerciale et la diffusion la plus adaptée.

 

Réactions plutôt positives

Au sein de la rédaction, les réactions ont été plutôt positives. Un article de mon collègue Adrià Budry Carbó résume les inquiétudes et le sentiment général des journalistes:

L’introduction du nouveau système pose deux questions existentielles aux rédacteurs: suis-je un moins bon journaliste si mon article est «offert» plutôt que labellisé «abonné»? Quelle est la valeur de mon travail?

L’article complet: «Combien vaut un journaliste? (Plus qu’une pastèque)»

La définition des objectifs liés à un article nous oblige à nous poser des questions qui, au fil des réunions éditoriales, avaient été un peu oubliées. La principale: sommes-nous certains d’offrir une valeur ajoutée suffisante dans tel ou tel article? Nous distinguons-nous de la concurrence? Et si nous sommes dans une démarche de simple suivi – oui, cela peut arriver –, autant l’admettre dès le départ et limiter le temps passé à la rédaction.

Mais le meilleur est à venir: un autre de nos journalistes a, en briefing, brisé un tabou (je vous le promets, ce n’était pas téléguidé): et si nous écrivions différemment l’entame d’un article selon l’objectif et le public visés? Et si une lectrice du Temps de longue date était plus au fait des acronymes des noms de partis qu’un visiteur de passage sur notre page Facebook, pour lequel il faudrait adopter une écriture plus didactique? Et si nous devions être plus clairs sur notre valeur ajoutée dès le titre – ce fameux territoire largement inexploré du «marketing éditorial» – lorsque nous tentons de générer un abonnement? Et si, dans un article «pour l’image», nous options pour une écriture plus experte?

Pour établir notre stratégie en la matière, nous préparons un atelier interne. Et sommes preneurs, en commentaires, de toute piste déjà documentée, d’une démarche similaire dans d’autres rédactions! Sans parler de l’aide possible de l’algorithmique: après tous, les outils nous permettent désormais d’en savoir beaucoup sur le profil des visiteurs de notre site (peut-être trop, mais c’est un autre débat).

Des indicateurs de succès variables

Payer les journalistes au clic? Leur offrir une commission selon le nombre d’abonnés convertis par leur dernier papier? Les sanctionner lorsque leur objectif n’est pas atteint? Dès que l’on évoque la question de la mesure du succès, les pistes les plus folles sont envisagées et certains médias n’hésitent pas à franchir le cap. Notre philosophie est différente: nous voulons offrir un maximum de transparence aux rédacteurs, mais sans lier les questions de salaire au succès ou non de leur dernière production. Ils doivent avoir accès aux statistiques les plus pertinentes en fonction de l’article dont il est question. Ils doivent savoir que c’est un critère – mais pas le seul – dans l’appréciation faite par la rédaction en chef de leur travail. Après tout, à l’arbitraire du jugement du lecteur numéro un, le chef, et si on ajoutait un peu des retours des milliers de clients et autres visiteurs?

La statistique n’est pas reine

C’est ici que se cache l’un des problèmes majeurs pour ceux qui se fient aveuglément aux compteurs de Chartbeat, Google Analytics ou Facebook: ces outils ne mesurent pas tout. Nous avons souvent sauté à pied joint sur la plateforme qui nous offrait le plus de statistiques. Sans nous poser la question de leur pertinence ou même de leur fiabilité. C’est particulièrement vrai lorsqu’on estime qu’un article doit faire rayonner le titre, l’imposer comme un acteur important dans la région, jusqu’à le faire exister comme quatrième pouvoir – l’un des objectifs les plus nobles de notre profession. Comment le mesurer? Est-ce qu’un dashboard permet de nous éclairer? La réponse est non. Il faut aller se promener au parlement, il faut appeler des contacts, répondre à des téléphones courroucés ou des lettres – encore souvent manuscrites, croyez-en mon expérience – de félicitation. Ces signaux, auxquels les algorithmes sont largement aveugles, valent plus que des dizaines de likes. Typiquement, dans le cas de longues enquêtes à l’impact politique indéniable, le nombre de pages vues est décevant. Je me suis plus d’une fois retrouvé face à un journaliste encore ébouriffé par sa plongée dans des milliers de pages de révélations, déçu parce que son enquête n’avait pas fait le boum qu’il espérait, les yeux rivés à notre outil statistique. Il fallait se tourner vers d’autres signaux pour remarquer que son travail était important.

Un «data analyst» pour épauler la rédaction

Dès octobre, un spécialiste de l’analyse de données sera présent dans la rédaction du Temps. Il sera au service du rédacteur en chef de piquet, celui qui supervise la production de la semaine. Son rôle: assigner les bons indicateurs de succès à chaque contenu, s’attacher aux signaux faibles mais riches d’enseignement qui ne figurent pas sur les résumés statistiques des écrans. A terme, nous espérons pouvoir lier un ensemble d’indicateurs de succès à chaque article, dans notre outil, et présenter les bons chiffres à l’auteur plutôt que de le laisser naviguer entre plusieurs dashboards. Et l’analyse fine autant que le regard des confrères vaudront toujours plus que les outils standardisés.

Point de départ idéal

Ce changement fondamental dans l’approche éditoriale s’est fait de concert avec un changement technique profond. L’outil qui gère notre paywall, Piano, nous permet de multiplier les tests, de personnaliser l’expérience utilisateur. Le chemin – commercial – vers l’abonnement, doit-il être le même pour tous? Un visiteur occasionnel ne doit-il pas être d’abord converti en abonné à une newsletter avant qu’on ose lui demander son numéro de carte de crédit? A l’autre bout du spectre, après combien de temps doit-on s’inquiéter de ne pas avoir revu un abonné de longue date sur notre site ou nos applications mobiles? Et comment réagir?

Exemple de scénario créé avec le logiciel Piano. Celui-ci est plutôt basique: si un visiteur est anonyme (donc ni connecté ni abonné), il pourra être confronté à deux scénarios différents. Dans le premier cas, nous lui proposons de choisir entre un abonnement d’un mois et un abonnement d’un an. Dans le deuxième cas, entre un abonnement d’un mois et un abonnement de six mois. Cela nous permettra de voir lequel des scénarios a le plus de succès.

En liant les deux chantiers, celui de l’offre éditoriale à celui de la stratégie commerciale, nous avons jeté les bases d’une approche qui ouvre de multiples pistes. Et nous passerons les prochains mois à tester diverses approches avec, au final, une seule conviction: nous devons convaincre notre audience que nos articles, vidéos ou podcasts, méritent sa fidélité.

 

Photo de couverture sous licence CC BY-SA 2.0, publiée par ChodHound sur FlickR

 

Innovation, diversité, parité: le renouveau des blogs du «Temps»

En mars 2017, j’ai récupéré l’administration des blogs du «Temps». Une communauté composée de 89% d’hommes et de seulement 11% de femmes, avec une majorité d’économistes, de politiciens, d’avocats. Bref, une communauté qualitative mais peu dynamique et représentative de notre société.

La transformation de la plateforme

Nous avons décidé de relancer cet espace avec une nouvelle stratégie. Tout d’abord en cessant nos partenariats avec des blogueurs inactifs ou aux propos inadaptés à un blog. Surtout, nous voulions lancer une campagne de recrutement de profils nouveaux et peu médiatisés. Notre idée: faire émerger de nouvelles voix en Suisse romande, particulièrement à propos de sujets trop peu présents dans les colonnes des médias, le nôtre compris.

Cette campagne est toujours active et nous permet de repérer et recruter des talents à haut potentiel: d’une blogueuse «zéro déchet» à une triathlète, en passant par un professeur de macroéconomie, un chroniqueur de littérature sportive, une jeune femme quittant tout pour partir au Sri Lanka, une vétérinaire, un professeur d’anglais, un SDF, un passionné de haute horlogerie et même une personne qui a décidé de mettre fin à ses jours. Un blog qui a fait polémique en France, alors que le suicide assisté est toléré en Suisse.

Ces thématiques sont des niches: elles sont peu traitées par les médias généralistes alors qu’elles intéressent pourtant un grand nombre de lecteurs.

Objectif parité

Nous nous sommes par ailleurs immédiatement engagés à atteindre la parité. Pour cela, nous avons détecté puis contacté près de 250 expertes femmes de Suisse romande. De 89% d’hommes et seulement 11% de femmes en 2016, nous sommes arrivés à un équilibre presque parfait en juin 2019: 47% de femmes et 53% d’hommes. Cela n’a pas été simple car le nombre de femmes renonçant à bloguer, ne se sentant pas assez «expertes», est bien supérieur qu’au sein de la population masculine. En moyenne, nous avons essuyé trois-quatre fois plus de refus.

Mais l’essentiel est là. Depuis janvier 2019 nous fluctuons entre une parité parfaite et quasi parfaite, ce qui démontre qu’atteindre cet objectif est tout à fait possible.

 

Autre fait intéressant: la durée moyenne des sessions. Sur nos blogs, elle dépasse les 4 minutes (données Google Analytics). Un score très élevé qui démontre la qualité de nos blogueurs et l’intérêt pour leurs écrits.

Une philosophie positive

Notre philosophie est simple, elle consiste à construire une relation «gagnant-gagnant-gagnant»: nous bénéficions, au «Temps»,  de contenus qualitatifs; le blogueur obtient une grande visibilité (sur notre page d’accueil, via nos réseaux sociaux, par l’indexation sur les moteurs de recherche liés au nom de domaine Letemps.ch); le lecteur a accès à un contenu original, complémentaire de celui de nos journalistes. 

Nous aimons aussi les belles histoires. Nous avons été ravis de voir notre blogueuse spécialisée en série télé se voir proposer une chronique à la RTS. Ou une autre remporter le Prix Nicolas Bouvier du Club suisse de la presse, saluant la qualité de ses publications.

Nos journalistes sont de plus en plus nombreux à intégrer les contributions de blogueurs qui se voient ainsi régulièrement publiés dans le journal. Dernier exemple en date: un test de la carte de crédit Revolut repris dans nos pages Economie.

Lorsqu’on nous recrutons un blogueur, nous le formons et lui transmettons un guide complet d’aide à la rédaction que nous avons réalisé. Nous lui demandons aussi, et c’est important, de se faire plaisir lorsqu’il écrit, et de ne le faire que lorsqu’il en éprouve le besoin: cela se ressentira forcément sur ses publications.

Une liste sélective, une communauté exclusive

Tout le monde ne peut pas écrire dans «Le Temps» et nous tenons à être totalement convaincus avant d’accueillir un nouveau contributeur. Nous recrutons les blogueurs nous-mêmes, en faisant notamment des recherches actives dans des universités, sur les réseaux sociaux, dans les médias locaux.

Aujourd’hui, nous comptons 185 blogueurs. C’est peu par rapport à de nombreux médias. Mais pour nous, c’est la meilleure façon de fonctionner: avec une communauté à taille réduite, nous sommes en contact permanent avec elle, pouvons lui répondre qualitativement et nous assurer que tous les membres sont actifs. 

Nous ne recrutons des blogueurs que si d’autres nous quittent, ce qui crée une certaine exclusivité à faire partie de la plateforme.

Les règles sont d’ailleurs connues dès le départ: les blogueurs inactifs depuis trois mois disparaissent de la page d’accueil, les blogueurs inactifs depuis six mois sont relancés par mes soins. Sans nouvelle, nous fermons leur blog. Oui, cela peut paraître sévère. Pourtant, cette démarche est positive car elle motive les blogueurs à proposer du contenu qualitatif à notre lectorat. Elle permet aussi de donner une chance à de nouveaux talents, qui restent sur une liste d’attente en espérant que des places se libèrent afin de rejoindre la communauté. Cela participe à conserver une communauté dynamique, qualitative et réduite. 

Améliorer ensemble notre plateforme

Tous les ans, nous réunissons nos blogueurs pour faire un état des lieux de notre plateforme. Notre démarche est participative: nous lançons toujours un brainstorming général pour que chacun nous donne ses idées pour nous améliorer.

Les nombreuses idées reçues nous permettent de progresser. Cette année, nous avons amélioré la page d’accueil des blogs, et ouvert une newsletter pour chaque contributeur. En deux ans, nous avons traité et développé plus de 40 propositions émanant de la communauté.

La monétisation est là

Il n’y a aucune publicité sur l’ensemble de la plateforme. Ces espaces sont par ailleurs gratuits et consultables librement, par tout le monde. Et pourtant, ce canal est devenu une véritable source de revenus pour notre média. 

Comment faisons-nous? Développer une communauté qualitative a attiré des organisations qui nous font régulièrement part de leur intérêt à ouvrir un espace chez nous.  Nous acceptons certains projets, à condition que ceux-ci soient conformes à notre charte: les contenus ne doivent avoir aucune vocation publicitaire, toute communication à caractère religieux ou politique est exclue, nous conservons un droit de veto, nous indiquons toujours aux lecteurs qu’un blog est sponsorisé, par souci de transparence.

Les blogs ne sont pas morts

Il y a plusieurs années, des analystes prédisaient la fin des blogs. Certains médias ont même décidé de fermer définitivement leur plateforme. Au «Temps», cet espace continue pourtant de se développer et représente aujourd’hui presque 6% de l’audience globale du site.

En apportant des points de vue pluralistes, en traitant des informations qui n’auraient jamais été traitées par nous, journalistes, en suscitant le débat et la discussion, oui, les blogueurs ont un rôle essentiel à jouer pour construire à nos côtés le journalisme de demain.

Organiser un hackathon pas trop genré

Les hackathons – des événements pour se retrouver entre développeurs, designers, chefs de projets et créer des prototypes de logiciels ou services web – sont connus pour ressembler à des boys’ clubs: en général, la plupart voir tous les participants sont des hommes, qui partagent une culture un peu geek et hermétique.

Au Temps, on a voulu rééditer le hackathon des élections fédérales de 2015, avec deux différences:
l’organiser beaucoup plus tôt pour avoir le temps de passer des prototypes à la production (en 2015, il avait eu lieu un mois avant les élections)
favoriser la mixité dans le contexte de notre cause «égalité»: l’édition 2015 avait compté plus de quarante hommes et aucune femme

Le hacking des élections fédérales en septembre 2015.
Un hackathon, c’est quoi? Résumé et résultat de notre hacking des élections fédérales: Trois jeux pour inciter au vote.

Au départ, on l’imaginait en avril 2019, ce qui nous aurait laissé le temps de trouver des financements ou autres soutiens et de concrétiser les prototypes avant les élections d’octobre. Mais en avril, les partis ont à peine commencé à établir leurs listes de candidats… Le mois de juin se présentait comme un juste milieu: nous pouvions compter sur quelques données déjà disponibles et arrivions un peu avant le début des vacances.

Bref, revenons au sexisme dans les hackathons. Qu’est-ce qui en fait des boys’ clubs?

Hackathon «La gamification pour encourager la participation aux élections» dans les locaux du Temps, les 22-23 juin à Lausanne. Photo: Eddy Mottaz / Le Temps

– Quand une femme s’inscrit, elle est souvent la seule participante. Difficile d’avoir du plaisir à participer quand on est regardée comme un animal exotique, et compte tenu du sexisme inhérent au monde de la tech (lire le livre «Brotopia: Breaking Up the Boys’ Club of Silicon Valley» ou l’article que Le Temps lui a consacré)
– L’engagement de deux jours est rébarbatif pour les femmes, sachant qu’elles assument encore très majoritairement la charge familiale et les tâches domestiques (75% des tâches ménagères assumées par des femmes, c’est en Suisse en 2018)
– L’ouverture dès le matin des premières bières, cet attribut caricatural de l’homo informaticus bedonnant, peut créer un climat lourdingue

Pour commencer, on a voulu donner un signal clair en faisant appel à une spécialiste pour ouvrir l’événement. Laure Dousset, à la tête d’une entreprise baptisée Plush & Nuggets, a posé les bases de la «gamification»:

Laure Dousset lors de l’ouverture du hackathon. Photo: Gaël Hürlimann

On a aussi opté pour un sujet difficile – tant du point de vue technique que conceptuel – pour lequel un rôle de spécialiste de la politique est aussi crucial que celui de développeur ou de designer. Pas parce que les femmes seraient moins douées pour coder, mais simplement parce qu’elles sont sous-représentées dans l’informatique. Ce malgré le fait que le manque de femmes tue l’innovation.

L’étape d’après? Démarcher. Mon collègue Florian Fischbacher et moi (on co-organisait) avons contacté des développeuses de jeu, des designeuses, et l’association Opération Libero, fondée par des jeunes pour «secouer la politique».

Inès Blondel, vice-présidente d’Opération Libero Genève. Photo: Eddy Mottaz / Le Temps

A trois jours de l’événement, l’équilibre avait l’air parfait, tant du point de vue du genre que des spécialités représentées: quatre développeurs, quatre designers, un analyste des données, six connaisseurs de la politique (Etat et milieu associatif). Dont une développeuse, deux designeuses et trois spécialistes de la politique.

Mais trois développeurs qui s’étaient inscrits ensemble ne sont pas venus. Conséquence: sur les douze participants, un tiers de femmes, mais un déficit en matière de codeurs… Pour compenser, on a tous deux alterné entre notre casquette d’organisateur et la contribution à un projet.

Chaque participant a noté deux-trois phrases de brainstorming sur le modèle «Comment pourrait-on…» (How might we…) pour rassembler des idées et former les groupes. Photo: Eddy Mottaz / Le Temps

Le déroulé était communiqué aux participants, et réfléchi pour ne pas envahir complètement le week-end (on aurait voulu l’organiser un vendredi et un samedi, mais ça n’a pas été possible parce que notre rédaction accueillait des danseurs pour une silent disco vendredi soir).

Samedi 22 juin
Dès 9h00
Accueil, café et croissants
10h00
Introduction du hackathon
Introduction à la gamification sous forme de workshop
Ecriture de «How Might We» (questions de brainstorming)
Midi Repas sur place
Après-midi
Présentation des données, partage de compétences
Idéation
Choix de solutions
Vers 19h Repas sur place
Dimanche 23 juin
Dès 9h00
Café et croissants
Matin Prototypage
Midi Repas sur place
Après-midi
Préparation à la démonstration
Présentation, feedback
Vers 17h
Conclusion, apéro

 

Résultat: une ambiance conviviale, sans la fièvre compétitive qui peut animer certains hackathons où tout se joue dans un sprint de lignes de code. Des femmes qui ne se voient pas jeter des clichés sexistes à longueur de journée. Et un stock de bière qui s’est tout autant vidé que dans d’autres hackathons, mais pas avant 10h du matin.

Quelques perles:

  • Sophie Walker, étudiante en master de Game Design à la Haute Ecole d’art de Zurich, planche précisément sur une app qui gamifie les élections fédérales depuis février. L’occasion d’une foule d’échanges qu’elle raconte sur son blog
  • Pour les quatre autres participantes, c’était leur premier hackathon. Leur constat n° 1: avec plusieurs spécialisation, la réflexion est plus riche et plus concrète que dans un groupe monodisciplinaire parce qu’on sait ce qui est possible. N° 2: après cette expérience positive, elles sont prêtes à tenter un nouveau hackathon
  • Olivier Leclère a endossé durant dix minutes sa casquette de conseiller en organisation de l’information pour présenter les données ouvertes de la Chancellerie de l’Etat de Genève, avec six slides qu’il nous permet de partager
  • Deux participants sont venus en famille: Vicky Chappuis, 16 ans et pro de la modélisation 3d avec Blender, accompagnait son père Marc Chappuis (créateur en 1998 du jeu «Rock Basher», devenu rockbasher.com). Ça a si bien marché qu’on a discuté d’organiser un hackathon familial

Nos regrets:

  • L’appel à des profils multiples a pu détourner des codeurs puristes, le thème de la «gamification» a pu décourager des volontaires
  • On voulait parler «culture libre» et «licence libre» au début du hackathon. A cause d’un malentendu, l’ouverture s’est faite sur les chapeaux de roue et on n’a abordé cette question qu’à la fin

Les médias ont-ils enfin trouvé leur modèle?

J’ai été invité par Laurent Haug, conférencier et expert du numérique, à partager mes idées sur l’avenir des médias pour un podcast d’une heure.

Son descriptif:

Les médias ont-ils enfin trouvé leur modèle? Quel est le rôle de chaque point de contact entre un média et ses clients? Pourquoi est-ce qu’un quotidien s’aventure du côté de l’événementiel et du podcast? Le journal papier a-t-il encore un sens en 2018? Réponse à ces questions avec Gael Hurlimann, un pionnier du digital qui se consacre à la réinvention de médias depuis son poste de Rédacteur en chef du numérique au quotidien Le Temps à Lausanne.

Comment «Le Temps» développe des événements pour enrichir son offre et gagner des abonnés

Cédric Garrofé est journaliste et responsable des réseaux sociaux, des événements ainsi que des blogs pour «Le Temps». Il explique le projet événementiel lancé au sein de la newsroom du média à Lausanne.

Depuis un an, notre rédaction propose des événements au sein de sa newsroom basée à Lausanne, au cœur de la Suisse romande. Un projet pour fidéliser et développer notre lectorat, qui passe par la proximité et l’exclusivité, à travers des rencontres allant de 50 à 100 personnes.

Des réseaux sociaux à la vraie vie

Cette démarche nous est venue après avoir discuté avec des étudiants en visite dans nos locaux. Ils affirmaient ne pas comprendre l’intérêt de s’abonner à un média: «Tout se trouve gratuitement sur internet.»

Mais en discutant avec eux, nous avons compris qu’ils acceptaient en réalité de payer volontiers pour un service, si celui-ci leur offrait une réelle plus-value et une image dynamique: Netflix, Spotify… Dans l’optique d’enrichir notre offre, et de la faire découvrir, nous avons décidé de développer des événements inédits et liés à notre média.

Des événements variés mais cohérents avec notre marque

Nos événements sont de toutes natures. Cela va d’une soirée zéro déchet à des concerts en passant par des cours de philosophie pour les enfants, des balades à vélo, ou encore une rencontre avec notre correspondant politique à Paris.

Nous prévoyons bientôt un bain initiatique en forêt, la visite de notre potager urbain avec un spécialiste de la permaculture et le lancement d’un club des nouveaux entrepreneurs.

Du contenu qualitatif

Lorsque nous organisons un événement, nous définissons sa thématique et son format. Un événement doit servir l’un de ces trois buts: fidéliser l’audience du Temps (les concerts classiques plaisent, par exemple, à notre lectorat traditionnel); chercher à se faire connaître de clients potentiels (quand nous invitons des start-up du jeu vidéo, nous renouvelons notre lectorat traditionnel du monde de l’entreprise); générer des revenus avec l’aide d’un sponsor.

Nous nous sommes aussi fixé trois règles: rester cohérent avec notre ligne éditoriale, imaginer des déclinaisons éditoriales pour nos supports print et digitaux et… nous faire plaisir (si c’est le cas pour nous, ce sera aussi le cas pour nos invités)!

Une vision à 360º

Ainsi, lorsque nous organisons un concert, un portrait de l’artiste invité est publié quelques jours avant dans notre journal. Nous en profitons bien sûr pour communiquer l’adresse vers le formulaire d’inscription. Et le concert en lui-même? Un extrait est diffusé en vidéo sur notre page Facebook et notre site.

Le 29 décembre, nous avons publié une enquête démontrant pourquoi Genève est devenue une référence en matière d’arômes et de parfums. Pour prolonger ce dossier, nous avons proposé à 95 lecteurs de se rendre au sein du laboratoire Aroval. L’occasion de sentir les parfums rares abordés dans l’article.

La monétisation comme prochaine étape

Nos événements affichent aujourd’hui tous complets. Notre newsletter qui leur est consacrée, lancée il y a 4 mois, s’apprête à dépasser les 1000 abonnés.

En créant une véritable demande, nous sommes maintenant en position de force pour monétiser ces opérations.

>> Restez informés de nos évènements en vous abonnant à notre newsletter

Une proposition serait de réserver nos événements à nos abonnés, et laisser la possibilité aux autres de payer pour s’inscrire, et gagner par la même occasion le bénéfice d’une offre spéciale d’abonnement.

Une donnée forte nous encourage: si seulement 10% de nos abonnés viennent à nos événements, presque 90% des invités souhaitent recevoir des informations sur nos prochaines opérations. Et près de 40% acceptent de recevoir des offres commerciales. La preuve d’un réel intérêt pour notre marque venant d’abonnés potentiels.

Répondre à la crise de la presse

Depuis le XVIIIe siècle, la presse a toujours joué un rôle d’animateur de la vie sociale. Dans un monde où nous sommes de plus en plus connectés mais de moins en moins reliés, le journalisme de demain se construit avec les lecteurs.

Alors que nous venons d’apprendre fin mai une hausse de 30% de nos abonnements digitaux, ces nouveaux services sont une réponse réelle aux attentes des citoyens. Ils sont ainsi, par la même occasion, une partie de la réponse à la crise qui secoue le monde de la presse: on s’abonnera demain au Temps aussi parce qu’il offre des événements.

Article initialement publié dans DOMO Magazine.

MAJ, janvier 2019 – Notre newsletter a dépassé les 6’300 inscrits.

MAJ 2, juillet 2019 – Selon une étude réalisée en juillet 2019 auprès de nos communautés: 98.2% des participants à nos événements se déclarent satisfaits de la prestation reçue. 64.6% de nos abonnés jugent que ces événements peuvent les «inciter à rester abonnés au “Temps”». 72.4% de nos non-abonnés affirment que ces événements peuvent les «inciter à s’abonner au “Temps”». 60.1% des répondants estiment ne pas être suffisamment bien informés au sujet des dates de nos événements. 70.7% demandent plus de compte-rendus.

MAJ 3, août 2019 – Une grande partie de notre offre pour la saison 2019/2020 sera dévoilée dès la première semaine de septembre 2019 sur notre nouvelle page regroupant nos événements.

Comment «Le Temps» a imaginé le podcast «Brise Glace»

En 2018, Le Temps a choisi de se lancer dans l’aventure du podcast. De quoi parle-t-on? Aujourd’hui, le podcast ne se définit plus seulement comme la réécoute d’émissions diffusées sur les ondes, mais comme une production à part entière, disponible gratuitement sur le web, à portée d’écran tactile sur les smartphones et enceintes connectées. Ces podcasts dits «natifs» sont imaginés par des équipes qui ont (bien souvent) très peu, voire pas, d’expérience radio et (bien souvent) très peu de moyens, choisissant malgré tout de miser sur le son pour proposer un contenu original. Dans ce post, on vous raconte pourquoi on croit en ce format, comment se sont opérés nos choix éditoriaux et les 1001 doutes et challenges qui nous réveillent encore la nuit.

Pour avoir un aperçu du résultat, cliquez ici:

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1. Un improbable engouement

L’explosion des podcasts ces dix dernières années aux Etats-Unis a largement contribué au lancement d’initiatives en Europe. Dès la fin des années 2000, les podcasts «natifs» s’y sont multipliés, affichant divers niveaux de qualité éditoriale et technique (Parmi les plus populaires WTF with Marc Maron ou Serial, le spin-off de l’émission américaine This American Life).

En France, Arte Radio avait pavé la voie de la voix dès 2002. Depuis quelques années, d’autres acteurs ont émergé: Slate a lancé Transfert en 2016. Les studios BoxSons, Nouvelles Ecoutes (qui produit notamment La Poudre) et Louie Media (au sein duquel deux ex de Slate produisent Entre) ont vu le jour.

Pourquoi cet engouement? D’une part, le fond séduit. Face à l’incessant déluge de contenus à lire et à visionner sur le web, le podcast natif est un Ovni: il offre une fenêtre authentique, parfois même maladroite, sur un univers dans lequel l’auditeur choisit activement de s’immerger pendant un temps relativement long (un des épisodes de La Poudre dure 1h20). Dans un monde lissé par les filtres Instagram et la mise en scène des corps, le podcast offre aussi un retour à la vulnérabilité et à l’émotion.

D’autre part, il y a la forme: le contenu est gratuit, disponible en accès libre pour quiconque possède une connexion internet et une paire d’écouteurs: les podcasts sont écoutés quand l’auditeur le décide et sont souvent des contenus détachés de l’actualité. Ils renouvellent le genre radiophonique en sortant des codes très construits des paquebots que sont NPR, Radio France ou la RTS.

Au Temps, c’est l’arrivée de nouveaux outils permettant de mesurer le nombre d’écoutes d’un fichier audio (ainsi qu’une intense campagne de lobbying à l’interne) qui a finalement convaincu la rédaction en chef de se lancer.

2. Un podcast, OK, mais sur quoi, comment, et à quelle fréquence?

Après un appel à idées lancé auprès de la rédaction, Virginie Nussbaum et moi-même avons proposé Brise Glace, un podcast qui ouvre une fenêtre sur les facettes encore taboues de notre quotidien. L’idée a été retenue parce qu’elle répondait à cinq critères clé:

  • un thème transversal qui ne dépend d’aucune rubrique particulière
  • un sujet comportant une dimension intime, allant dans le sens d’un podcast narratif
  • un ton original qui propose de trancher avec les propositions radiophoniques classiques
  • un format tenant sur une durée relativement longue (25-35 min)
  • un projet au budget réaliste

D’excellentes idées ont par ailleurs émané des différentes rubriques et pourraient faire l’objet de productions futures.

Brise Glace s’inscrit dans une ligne éditoriale volontariste et progressiste. Pour ses 20 ans, Le Temps a affiché sa volonté de s’engager pour des causes, parmi lesquelles figure l’égalité. En donnant la parole à celles et ceux qui acceptent de briser certains tabous, notamment liés aux genres, aux sexualités, au handicap et au deuil, qui minent encore notre société, ce podcast se veut un marchepied vers une réflexion non-binaire, transversale, menant à plus de tolérance et d’empathie envers ceux que l’opinion publique juge parfois sans avoir pris la peine d’écouter. Et aspirant donc, à travers la lutte contre les préjugés et les discriminations, à plus d’égalité.

Sa forme participe aussi à cette ligne éditoriale: dans notre boîte à outils de formats disponibles, le podcast est le mieux adapté à l’émotion, que Le Temps choisit de laisser se déployer sur plusieurs dizaines de minutes.

En matière de fréquence, un épisode toutes les deux semaines nous paraissait un objectif réaliste compte tenu des moyens alloués à ce projet: l’équivalent d’un poste à 30% sur 4 mois (Virginie Nussbaum – ci-dessous – à 10% et moi-même à 20%, de décembre 2017 à avril 2018 inclus) et un budget de 5000 francs. Le projet a été conçu sans sponsors, et s’il vise une monétisation future, l’accent a été mis sur une minimisation des coûts.

 

3. Quelle identité, quelles voix pour Brise Glace?

L’idée de Brise Glace, «un podcast qui s’intéresse à tout ce qu’on n’ose ni dire, ni demander aux gens qui nous entourent», comporte deux facettes d’un même tabou: d’une part ce que les gens n’osent pas évoquer de peur d’être ostracisés, d’autre part les questions que soulève ce tabou, qui sont encore rarement posées mais gagneraient à l’être afin de mieux nous comprendre les uns les autres.

Trois difficultés ont émergé: d’une part, compte tenu du bassin de population romand et de la possibilité d’être reconnu par sa voix, il n’est pas évident de trouver des personnes prêtes à parler de sujets très personnels. Ensuite, le choix des sujets doit être rigoureux pour éviter un côté «freak show». Enfin s’est posée la question des intervenants qui acceptaient de participer à Brise Glace mais qui avaient déjà été interviewés par d’autres médias, notamment radiophoniques: devait-on les exclure? Le format de Brise Glace suffisait-il à nous démarquer? Réponse: oui.

Nous partions avec quelques certitudes: se munir de deux micros plutôt que d’un seul, pour rendre la conversation plus naturelle; l’importance d’une belle identité visuelle, et celle d’une grammaire sonore à inventer; enfin, le montage-mixage devait impérativement être délégué, la rédaction en chef n’ayant pu aménager nos emplois du temps pour nous former à monter nous-mêmes les épisodes. Quelques professionnels du secteur en France et en Suisse ont pu nous donner quelques conseils précis, mais nous nous sommes rapidement rendu compte que chaque situation est unique et qu’il allait juste falloir essayer, quitte à nous planter. L’amour du risque (tant qu’il ne coûte pas trop cher) est bien l’un des piliers du Temps.

4. L’art du système D

L’amour du risque a pris une nouvelle dimension en réalisant, après une formation à la prise de son de quatre heures, que le meilleur son était enregistré juste devant le placard de mon propre salon, littéralement entre deux manteaux. Nous avons donc pris le parti de faire venir les interviewés chez moi et de les enregistrer à moitié dans le placard – on notera la portée symbolico-métaphorique de la situation.

Ce dont nous disposions au premier enregistrement:

  • un zoom H5 et un casque (à nos frais pour ne dépendre de personne en termes de matériel et ne pas grever le budget prévu de 5000 francs)
  • un pied de micro
  • deux micros (dont un prêté)
  • deux câbles (prêtés)
  • beaucoup de naïveté
  • un placard
  • un chat sympa nommé Crapouillou qui séduit les invités mais crache ses poumons toutes les heures, ce qui s’entend parfois au casque
  • des voisins malheureusement fans de chant lyrique

(On en est toujours là).

 

Une fois les premiers entretiens enregistrés (une heure d’enregistrement par épisode environ) est venu le moment du montage-mixage et des choix, parfois difficiles, qu’il implique. Pour ce faire, nous nous sommes associées à un monteur indépendant.

Qui prendrait les commandes éditoriales? Comment éviter de perdre des heures en cas de désaccord sur ce qu’il fallait garder/déplacer, tout cela restant évidemment très subjectif? Il a été convenu que nous fournirions au monteur un tableau d’édition timé pour dessiner les grandes lignes de l’entretien, et qu’il affinerait par la suite ce choix pour livrer une version finale. C’est lui également qui nous a proposé des options de génériques pour Brise Glace.

Parallèlement, nous avons sollicité l’illustrateur Gredin (Mathieu Bureau de son vrai nom) pour la réalisation du logo et des illustrations. Pour la mise en valeur du podcast sur le site et les réseaux sociaux, il nous semblait important de s’accorder le «luxe» d’une illustration par épisode.

5. Et maintenant, on en fait quoi?

Début avril, quatre mois après avoir décidé de lancer ce podcast, nous avions en main le premier épisode, le logo et la première illustration de Brise Glace. Fixer une date de lancement officiel nous imposant une certaine discipline, notre choix s’est porté sur le jeudi 3 mai. Il était crucial pour nous d’avoir un trailer et trois épisodes prêts deux semaines avant le lancement, afin d’être certaines de pouvoir suivre le rythme d’un épisode tous les quinze jours.

Sur quelles plateformes le télécharger, et comment? Spotify? Sound Cloud? iTunes? Art19? Pippa? Megaphone? Youtube? Deezer? Nous avons choisi de faire appel à Pippa, une société de diffusion de podcasts. Son service client, son interface et la possibilité de collecter et analyser les données d’écoute ont fait la différence. Ce service est payant (env. 15 francs par mois).

Faire un podcast, c’est bien, le rendre accessible, c’est mieux. Quelle visibilité donner à Brise Glace sur le site du Temps? Devait-on intégrer le podcast à l’onglet «multimédia» ou lui offrir un onglet propre? Fallait-il en parler dans le journal print? Chaque pas vers le lancement a amené son lot de questions, auxquelles nous avons, comme toutes les autres, répondu plus ou moins à l’aveugle. Nous avons tenu à une page web dédiée accessible depuis le site Letemps.ch, et une opération spéciale liée aux podcasts en général et à Brise Glace en particulier aura lieu dans le journal papier le 5 mai.

Quant aux réseaux sociaux, deux stratégies se sont dessinées, justifiées toutes les deux. D’une part le choix de diffuser Brise Glace uniquement sous l’égide des réseaux du Temps (Facebook, Instagram, Twitter) pour éviter une dispersion de la marque et gagner du temps. D’autre part, miser, en plus des canaux du Temps, sur des comptes propres à Brise Glace, pour conquérir les auditeurs désintéressés par Le Temps et la Suisse en général (c’est un scandale, nous sommes tous d’accord là dessus) mais amateurs de podcasts. Parce que ces gens existent, et notamment sur Twitter, nous avons opté pour un compte propre à Brise Glace. Nous sommes bien conscientes du fait que cette communauté francophone-twittophile-fans-de-podcasts est très, très limitée, mais nous souhaitions malgré tout exister sur cette plateforme.

Personne ne sait si notre passion pour les podcasts gagnera nos lecteurs/auditeurs et si Brise Glace trouvera son public. Quoi qu’il arrive, nous sommes convaincues de l’importance de l’écoute, sur un temps long, de ceux qu’on entend encore trop peu et qui ont malgré tout des choses à dire. D’une part parce que cela va à l’encontre de la consommation médiatique frénétique qui caractérise notre époque, d’autre part parce que leur discours remet en question nos certitudes et préjugés, nous faisant avancer en tant que société.

Comment écouter des podcasts:

  • Sur ordinateur Mac ou iOS, vous pourrez chercher Brise Glace directement iTunes vous y abonner.
  • Sur iPhone, l’application Podcasts est déjà intégrée: vous pouvez directement y chercher Brise Glace podcast
  • Sur Android vous pouvez l’écouter sur SoundCloud ou télécharger des émissions sur les applications Podcast Addict ou Pocket casts, par exemple.
  • En vous rendant sur la page www.letemps.ch/podcast pour l’écouter en streaming

Comment «Le Temps» conçoit la vidéo au sein de sa rédaction


Depuis l’été dernier, Le Temps a investi des ressources considérables dans la vidéo. Notre équipe est désormais composée de cinq vidéastes qui réalisent quasi quotidiennement des contenus visuels pour notre site internet et nos réseaux sociaux. Nous sommes deux journalistes confirmés, il y a deux journalistes en formation. Deux d’entre nous ont un profil plus technique avec notamment des compétences en motion design.

Comme tous les journaux qui ont adopté le réflexe vidéo ces dernières années, Le Temps tâtonne encore et cherche le bon modèle pour produire des contenus qualitatifs et les promouvoir efficacement. Après six mois de fonctionnement au sein de notre nouvelle structure, la Digital Factory, composée de vidéastes, de deux social media managers, d’un business development manager et de trois techniciens (développeurs et gestion de projet), voici quelques réflexions que nous voulons partager avec vous:


1. Non au «tout vidéo»

Nous croyons dans la vidéo mais encore plus dans le journalisme multimédia. Nous n’avons donc pas succombé à la vague du «pivoting to video». Concrètement, au sein de la newsroom, ce support n’est pas devenu une obsession, un passage obligé, le prérequis d’un bon storytelling, mais seulement un moyen parmi d’autres de raconter une histoire. La question que nous nous posons à la naissance d’un sujet est invariable: «Quel est le meilleur support pour raconter cette histoire?» Et parfois la réponse est: la vidéo. Très souvent, ce n’est pas le cas. Les journalistes de la newsroom, print et web, continuent à mener leurs enquêtes et écrivent chaque semaine des récits palpitants, sans nécessairement une contribution de nos vidéastes.
(suite…)

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Le Temps, lauréat 2017 aux «Online Journalism Awards»

«Le Temps» a remporté cette nuit à Washington le prix le plus prestigieux du journalisme numérique mondial, les «Online Journalism Awards», dans la catégorie reine «General Excellence in Online Journalism». Des centaines de médias du monde entier étaient candidats. Tous les projets soumis ont été examinés par 120 spécialistes puis par un jury d’experts. Avec à la fin, une poignée de lauréats, dont Le Temps. Nous sommes donc à la fois très fiers et très heureux.

Voici le palmarès (ici en lien)

Ce prix récompense l’ensemble des projets numériques menés durant l’année écoulée. Voici donc une sélection des projets digitaux primés. Tous ces projets ont été faits collectivement: l’équipe numérique du Temps, une douzaine de personnes (journalistes, développeurs, designeurs, vidéastes), accompagnent simplement leur réalisation, en s’appuyant sur le savoir-faire de l’ensemble de notre rédaction (reporters, iconographes, infographistes…). Qu’ils en soient ici remerciés.

NDLR: Cette petite présentation pêle-mêle a deux défauts. Le premier, c’est qu’elle ne tient pas compte du travail ordinaire (et parfois ingrat) qui fait le quotidien de notre petite équipe digitale (édition web, présence sociale, réponses aux lecteurs, maintenance et évolution technique…). La deuxième, c’est que cette sélection n’aborde pas les projets ratés: ceux-ci sont toujours les plus riches d’enseignements (et mériteraient à eux seuls un post de blog). (suite…)

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Why we should create a markup language for journalists

1. What we need

As you know, we’re trying to keep articles alive for as long as possible at Le Temps, a Swiss newspaper. That’s why we developed Zombie, a tool that identifies evergreen articles and lets us know when we should republish them. But when we pull an article from our archives, do we need to update it? How much can we change? And how much time should we put into this?

Instead of asking these questions once the articles have been published, what if we could create articles that already contained sections that could adapt to readers’ expectations over time or other criteria? Here, I’m not referring to changes in substance but rather smaller language-related aspects that need to be modified to prevent the text from becoming outdated or irrelevant.

And what if there were a programming language for journalists designed specifically for this purpose? (suite…)

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